THÈSE DE DOCTORAT
de l’Université de recherche Paris Sciences et Lettres
PSL Research University
Préparée à l’Université Paris-Dauphine
COMPOSITION DU JURY :
Soutenue le
par
!cole Doctorale de Dauphine — ED 543
Spécialité
Dirigée par
EMERGENCE ET DEVELOPPEMENT DE LA THEORIE
FINANCIERE DE L'ENTREPRISE AVANT 1929:
La contribution de Thorstein Veblen
26.04.2017
Marion DIEUDONNE
M. Jérôme de BOYER des
Université Paris-Dauphine
M. Jérôme de BOYER des ROCHES
Université Sophia-Antipolis M. Richard ARENA M. Alain BERAUD Université de Cergy-Pontoise M. Thierry GRANGER Université Paris-Dauphine M. Thierry KIRAT CNRS et Université Paris-Dauphine M. Edwin LE HERON Sciences Po Bordeaux M. Antoine REBERIOUX Université Diderot Paris-7
Sciences économiques Directeur de thèse Rapporteur Rapporteur Membre du jury Membre du jury Membre du jury Président du jury ROCHES
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LUNIVERSITÉ PARIS-DAUPHINE nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
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« Comment dans cette vie brève, hâtive, qu'accompagne sans cesse un bourdonnement impatient, descendre un escalier ? C'est impossible ! Le temps qui t'est mesuré est si court qu'en perdant une seule seconde, tu as déjà perdu la vie entière, car elle n'est pas plus longue, elle ne dure justement que le temps que tu perds ! T'es-tu ainsi engagé dans un chemin, persévère à tout prix, tu ne peux qu'y gagner, tu ne cours aucun risque ; peut-être qu'au bout tattend la catastrophe, mais si dès les premiers pas tu avais fait demi-tour et si tu avais redescendu l'escalier, tu aurais failli dès le début, cest plus que probable, cest même certain. Ainsi ne trouves-tu rien derrière ces portes, rien nest perdu, élance-toi vers dautres escaliers ! Tant que tu ne cesseras de monter, les marches ne cesseront pas ; sous les pieds qui montent, elles se multiplieront à l'infini ! »
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Remerciements
Je me dois de remercier tout dabord mon directeur de thèse, Jérôme de Boyer des Roches, pour avoir accepté, depuis déjà, quelques années, dencadrer un mémoire puis une thèse sur Veblen. Bien quau départ, vous étiez dubitatif concernant lencadrement dun travail sur linstitutionnalisme, et tout particulièrement sur Veblen. Pour autant vous avez accepté avec intérêt. Même si le travail de thèse, sa coordination et la communication entre doctorant et superviseur ne sont pas toujours des plus faciles, je vous remercie pour votre temps, vos infatigables remarques et suggestions, la passion pour votre métier, votre engagement pour les jeunes chercheurs ainsi que pour votre gentillesse et votre compréhension.
Merci également à lensemble des membres du jury davoir accepté de prendre un peu de votre temps pour lire et estimer mon travail ; aujourdhui pour la soutenance mais aussi au cours de journées détude ou de rencontres académiques pour ceux que jai eu la chance de croiser régulièrement au cours de ces années. Je vous en suis reconnaissante.
Je remercie les collègues enseignants-chercheurs du SDFi de Dauphine. Un merci plus particulier pour Bertrand Villeneuve qui ma accueillie dans le laboratoire - malgré la non-obtention dun contrat doctoral pour financer ces années - dans des conditions matérielles de travail très confortables, du début à la fin. Jai eu la chance davoir un bureau me permettant dêtre en interaction avec mes collègues de luniversité, et donc non isolée ; ce qui nest pas négligeable, loin de là. Mais le laboratoire ma également financée des colloques qui ont permis denrichir mon travail. Cest également dans ce cadre que jai obtenu un contrat administratif pour lorganisation de la conférence de lADRES durant une période financièrement compliquée, ainsi quun contrat dATER pendant 3 ans à partir de ma 3ème année de thèse, suite à lobtention du CAPES.
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Par ailleurs lécoute et le soutien quEve Caroli ma apportée ainsi quà bien dautres doctorants - mont permis sur les derniers mois de mener à bien cette thèse et de garder confiance en moi, foi en ce que je faisais.
Je remercie également Marisa Ratto et Mariana Rojas-Breu pour leur gentillesse, leur temps, leur relecture, et leurs mots toujours réconfortants auprès des doctorants et particulièrement en ce qui me concerne.
Merci à lensemble des enseignants qui ont accepté de me confier des charges de cours tout au long de ces années. Lenseignement a été pour moi le meilleur des moteurs. Je remercie les référés des deux papiers que jai envoyés aux revues History of Economic Ideas ainsi que European Journal of History of Economic Thought, pour leurs commentaires constructifs ainsi que lensemble des personnes du milieu académique avec lesquelles jai eu la chance et le plaisir davoir des discussions formelles ou non au cours de colloques, de rencontres, de diners. Je pense entre autres, et sans ordre préétabli, à Guillaume Valet, Jean-Sébastien Lenfant, Nicola Giocolli, Fabien Tarit, Véronique Dutraive, Laure Bazolli, Jérôme Maucourant, Cédric Durant, Stephen Martin, Luca Fiorito, Sebastiano Nerozzi, Elodie Bertrand, Adrian de Leon, Ana Rosado, Analisa Roselli, Ragip Ege, à lensemble des professeurs du séminaire H2M, ... jen oublie certainement.
Ce travail de thèse, quel quen soit le résultat et la considération académique, aura été pour moi les un peu plus de 4 années les plus riches de ma vie. Par richesse jentends bien sur une nourriture intellectuelle pour lesprit, mais presque secondairement au regard de lopportunité que cette thèse a été de me permettre dapprendre à vivre « comme une grande », et jen ressentais certainement le besoin. En effet, je me suis confrontée en partie par choix, à des études doctorales sans financement.
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Les conditions de vie précaires, on peut le dire, mais joyeuses des deux premières années ont certainement été les plus formatrices. Pour autant, je ne les revivrais pour rien au monde, tant ma vie a changé depuis. Quand je revois la « journée type » de ma première année de thèse, je me dis que je ne « cherchais » pas beaucoup - comme diraient avec une pointe dironie tous ceux qui mentourent, non-initiés au milieu de la recherche. Toutes ces heures passées à faire des sondages dans la rue, à compter les usagers du RER, à faire du baby-sitting, à distribuer des flyers tôt le matin aux sorties de métro, à donner des cours particuliers, à cumuler les vacations entre autres denseignement, à ranger les livres, mais aussi moccuper de laccueil et des emprunts à la bibliothèque PMF ont rempli mes journées. Jai une pensée sincère pour tous ces gens qui ont fait mon quotidien durant ces deux années et qui mont permis de réaliser bien que je nétais pas si naïve avant le monde dans lequel je vis. Car finalement, ma situation si souvent pleurnichée, nétait pas si précaire eut égard au dynamisme de ma vie et à mon entourage très présent ! Je râle souvent, cest comme ça, mais il faut en prendre et en laisser ! Et cétait sans compter des amis formidables qui ont occupé mes soirées, quand je nétais pas au théâtre ou au cinéma ! Puis il y a eu la décision de passer le CAPES, écourtant encore un peu ce temps détudes doctorales en 2ème année de thèse, afin de massurer « un
statut » comme dirait quelquun qui mest proche, mais surtout une vie et un métier qui me plait. Ce concours a été loccasion de me rendre compte de choses simples, et denrichir encore un peu plus ma bulle de doctorants/professeurs qui constituent mes amis, et visiblement, eux, on les choisit !
Faire une thèse est en fait une aventure permettant pléthores de rencontres, une expérience, un moment à part et un beau moment.
Je commence « presque » par le meilleur, une fois nest pas coutume ces bons moments, je les dois en grande partie au partage dune vie bien remplie avec mes anciens compagnons de master, aujourdhui doctorants ou enseignants. Cette thèse naurait
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définitivement pas eu le même goût sans « les garçons » qui ont réellement été mes co-accompagnateurs, à défaut dêtre mes co-bureaux, et surtout mes amis toujours présents. Mais également à ceux tout « comme moi » de la C104 (anciennement P155-158 et encore plus anciennement B313), désormais amis doctorants et docteurs, ces co-bureaux qui ont été mon quotidien mais avec qui jai aussi partagé et je partage toujours des vrais moments de détente, des soirées, des week-ends Merci pour votre patience, votre écoute, votre compréhension avec la ronchonneuse, votre juste mesure avec mon caractère, votre bonne humeur, vos idées débordantes, nos déprimes doctorales, nos discussions daprès-repas, nos discussions quand jen avais besoin, nos diverses pauses café, thé ou juste pause parce quon en a besoin, ces petits moments de laisser-aller non prémédités, mais aussi pour votre sérieux, ces entraides dans la préparation des cours, des relectures de thèse, bref, pour cette super ambiance de bureau. La transition va forcément être difficile, chacun ayant toujours eu un peu sa place finalement dans cette « vie de doc ». Mais ces « places » se transposent très bien dans la sphère réelle, hors du bureau, dans la vraie vie!
[Jadresse quelques mentions toutes spéciales, dune part pour mon binôme hpiste de thèse (opérateur informatique hors pair à ses heures !) et dautre part aux quatre oreilles féminines qui ont été le soleil de ces dernières semaines, merci !]
Je pense aussi, à tous mes « vieux » amis toujours là, qui nont certainement jamais très bien compris le choix de faire une thèse, mais qui me connaissent en tous les cas comme quelquun de toujours débordée, prise par le temps plus que la moyenne, avec toujours dix mille projets en tête ! Merci les filles, les copains davant (« cest cette année la fin de ta thèse ? »), léquipe des ex-monitrices PMF, le groupe CAPES profs de SES, les doctorants « de partout » avec lesquels nous avons passé des moments très conviviaux lors de conférences ou duniversités dété, les camarades de théâtre et de zumba, à toi Marion, qui ma toujours encouragée malgré mon manque de disponibilité et parfois découte.
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On sait où sont les vrais amis. Amis de loin parfois passés en second plan dans mes priorités, merci davoir compris ou essayé ! , de mavoir laissée le temps, et dêtre finalement restés sans rien me reprocher !
Enfin, je ne peux omettre de mentionner, cet Autre qui vit lui aussi cette expérience doctorale - qui ma supportée ces dernières semaines, qui a enduré mes humeurs et mon moral oscillant mais qui a pourtant pris tout cela avec sourire et optimisme comme à son habitude, rendant cette dernière année de thèse tellement plus douce. Tu as toujours été de bons conseils, à lécoute, bienveillant ; en fait toujours là, et depuis le début. Merci pour tout cela.
[Un dernier immense merci pour ton aide, ton temps et tes commentaires justes et réfléchis qui mont tellement aidée sur les derniers jours de rédaction !]
Le dernier mot va toujours au plus important, et ce sont bien sûr mes parents. On ne se dit pas toujours les choses, pourtant cest important et les parents sont ce quil y a de plus précieux. Merci à vous de mavoir si bien choyée, dy avoir cru, davoir été un soutien inconditionnel, merci pour ces week-ends de détente, merci de mavoir permis tout ça ! Merci davoir été à la fois la voie et la voix de la raison mais aussi celle de la fierté et de la confiance, confiance qui nous manque parfois. Mais vous savez, cette thèse nest ni une fin en soi, ni un but ultime, en revanche cest effectivement quelque chose à mon actif, de terminé. Une étape de plus vers cette autre chose vers lequel on/je court/s, et qui finalement ne sarrête jamais. Bref, merci dêtre de si chouettes parents, cest la plus belle des chances!
[Une dernière mention spéciale à mes quelques relecteurs, qui se retrouvent par ailleurs dans ces remerciements ; again, merci !]
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Je vais conclure en vous disant que malgré une certaine volonté et détermination à terminer ce que jentreprends, cette thèse a été lobjet de bien des interrogations, notamment sur les derniers mois. Je dois avouer quil men a fallu de peu pour ne pas laisser tomber et partir vers dautres horizons (lenseignement des SES dans le secondaire, ce nest pas si éloigné). Il aurait été bien sûr un peu dommage dabandonner à un stade où « le boulot est fait », et finalement quand tous nos amis autour de nous terminent également leurs thèses (joies et claps de fin !). Dautant que Veblen ma interpellée il y a bien longtemps, au détour dune recherche sur Google durant lété 2011 où je suis tombée sur un texte de Pierre-André Julien. Depuis il ma accompagnée, et nous sommes en 2017 désormais ...
Merci à tous, pour les moments partagés bons comme moins bons, soutiens, sourires, soirées, discussions se voulant scientifiques ou non, ces week-ends, ces vacances, ... bref une vie de doctorant cest avant tout une très belle vie sociale, des échanges, des rencontres enrichissantes, et une vie détudiant-prof qui dure dure dure ... Toutes ces choses, en plus daimer ce que lon fait apprendre à chercher et à enseigner -, font que malgré de très nombreux mauvais côtés ou moments difficiles-, de doute-, de remise en question, de perte de confiance, cette thèse reste une très belle expérience. Finalement, faire une thèse il fallait vraiment le vouloir, je men rends compte aujourdhui. Je ne sais pas si ça en valait le coup mais je crois que je ne regrette pas car il me semble déjà être nostalgique de ces années de doctorat
Encore une fois, merci à tous, pour tout. Marion
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TABLE DES MATIERES
Remerciements ... 7
INTRODUCTION GENERALE ... 19
1. MOTIVATIONS ET ENJEUX DE LA THESE : ...
21
2. CONTEXTE DE LA THESE : UN PANORAMA HISTORIQUE DE LA FINANCE DENTREPRISE ET DE SA GOUVERNANCE ...
29
a. le contexte économique
a.1. L'importance du marché financier
a.2. L'histoire de l'essor du capitalisme industrialo-financier a.3. Les mutations des structures de la grande entreprise
b. le contexte politique, législatif et institutionnel
3. VEBLEN, UN INSTITUTIONNALISTE ...
42
a. Veblen, un économiste à partb. L'Institutionnalisme en question
4. PLAN DE LA THESE : ...
47
LE VOCABULAIRE « VEBLENIEN » ... 54
PARTIE I : ...
CONTRIBUTION ANALYTIQUE DE VEBLEN A LA
FINANCE DENTREPRISE ...
56
14
1. INVESTISSEMENT, STRUCTURE DE FINANCEMENT ET
STRUCTURE DE GOUVERNANCE ...
58
2. DANS QUEL CONTEXTE DOIT-ON CONSIDERER CES PROBLEMATIQUES SUR LINVESTISSEMENT ET LES STRUCTURES DE LENTREPRISE ? ...
65
3. LA PLACE DE VEBLEN DANS CES STRUCTURES THEORIQUES ...
70
4. QUELS ENJEUX SONT SOULEVES PAR LA PARTIE I ? ...
75
5. OBJECTIFS DE LA PARTIE I : ...
78
CHAPITRE 1: ...
CREDIT, SHARES AND GOODWILL :A VEBLENIAN TRINITY... 86
0. INTRODUCTION ...
87
1. CREDIT, SHARES AND GOODWILL ...
91
a. Credit and business enterprise b. A first goodwill c. A two-fold approach to capital and shares 2. FINANCIAL INSTRUMENTS, INFORMATION AND MONOPOLY ..
108
a. Historical emergence of goodwill b. Goodwill: the relationship between insider and outsider c. The second goodwill 3. CONCLUSION ...
119
CHAPITRE 2: ...
THORSTEIN VEBLENS 1904 CONTRIBUTIONS TO Q AND
INSIDER/OUTSIDER ANALYSIS ... 122
0. INTRODUCTION ...
123
1. Q IS ALL THAT MATTERS ...
126
2. KEYNESS Q IN TWO STEPS ...
127
15
4. VEBLENS Q, MANAGEMENT AND ABSENTEE OWNERSHIP ...
141
5. VEBLENS GOODWILL AND HILFERDINGS PROMOTER PROFIT
147
6. CONCLUSION ...
154
PARTIE II : ...
VEBLEN ET LEMERGENCE DE LA FINANCE
DENTREPRISE : DE LA PRATIQUE A LA THEORIE
156
INTRODUCTION PARTIE II: ... 158
1. QUELS ENJEUX SONT SOULEVES PAR LA PARTIE II ? ...
158
a. Une mise en perspective de la théorie financière de l'entreprise chez Veblen
b. Méthodes et enjeux du travail archivistique
2. DANS QUEL CONTEXTE DOIT-ON CONSIDERER LEMERGENCE DE LA FINANCE DENTREPRISE EN PRATIQUE ET AU NIVEAU
ACADEMIQUE ? ...
162
a. La situation États-Unienne 1850-1920, en brefb. Un état de la finance d'entreprise avant les années 1950 c. L'enseignement de la finance d'entreprise
3. VEBLEN ET SON ENVIRONNEMENT INTELLECTUEL (1884-1929) ..
175
4. OBJECTIFS DE LA PARTIE II ...
184
CHAPITRE 3 : ...
INVESTIGATION DANS LA LITTERATURE PIONNIERE DE
FINANCE DENTREPRISE :VEBLEN ET LES PREMIERS MANUELS
... 188
16
1. THORSTEIN VEBLEN ET LA LITTERATURE EMERGENTE DE LA FINANCE DENTREPRISE ...
194
a. Une revue de littérature des premiers manuels
b. Veblen et les auteurs de ces premiers manuels: Ripley, Dewing and Co.
i. William Zebina Ripley ii. Arthur Stones Dewing
2. PREMIERS ANALYSTES DE LA FINANCE DENTREPRISE, MEAD-VEBLEN-LYON : UNE LECTURE COMPARATIVE DES STRATEGIES
DENTREPRISE ...
216
a. Mead-Veblen-Lyon : contexte et premiers positionnements b. L'exacerbation de l'importance des titres financiers et du crédit: capitalisation, relations de pouvoir et profit d'entreprise
i. Common et preferred shares
ii. Le recours au crédit et la pratique du trading on equity
iii. L'enjeu central de la capitalisation et de la pratique du stock watering c. Concurrence imparfaite, holdings, trusts et capitainerie
d. Séparation et dispersion de l'actionnariat : conséquences et solutions
3. CONCLUSION ...
263
4. ANNEXE DU CHAPITRE 3 ...
268
CHAPITRE 4 : ...
FINANCE DENTREPRISE ET BUSINESS TRAINING IN HIGHER
EDUCATION :HOSTILITES ET POUVOIRS OU LA GUERRE DES
CAPITAINES ... 270
0. INTRODUCTION ...
271
1. DE LA CORPORATE FINANCE A LEMERGENCE DU BUSINESS
TRAINING : LA PLACE DES UNIVERSITES VERSUS DES ECOLES ...
279
a. "Corporate Finance" : contexte de marché de l'apparition de ladiscipline académique
b. "Business Training": adaptation et évolution des structures de formation des hommes d'affaires
17
c. Pouvoir et oppositions: hommes d'affaires et académiques
2. HIGHER LEARNING IN AMERICA POUR VEBLEN ET SES
CONTEMPORAINS : DES ECRITS QUI CONTRIBUENT AU DEBAT DE
LENSEIGNEMENT DES AFFAIRES ...
299
a. La formation aux affaires dans les écrits de Veblen b. La formation aux affaires chez E.S. Mead, F.W. Taylor, A.W. Shaw et F.W. Gay c. Institutionnalisation et enseignement de la finance d'entreprise: un bilan 3. CONCLUSION ...
327
4. ANNEXE DU CHAPITRE 4 ...
330
CONCLUSION GENERALE... 335
1. ENJEUX ET APPORTS DE LA THESE : LE VEBLEN « THEORIQUE » DU GOODWILL ET LE VEBLEN « PRATIQUE » DE LENSEIGNEMENT ...
337
2. LACTUALITE DE LA FINANCE DENTREPRISE ...
344
3. LACTUALITE DE LA PENSEE VEBLENIENNE ET INSTITUTIONNALISTE ...
348
4. LIMITES DE LA THESE ET PISTES DE RECHERCHES FUTURES ...
350
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ...
355
Introduction Générale
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INTRODUCTION GENERALE
La présente thèse sintéresse à la naissance et au développement des concepts analytiques de financement et de gestion des firmes, au tournant du 20e siècle. Nous
présentons cette prise de conscience de la pratique dentreprise et de ses concepts théoriques avant 1929.
La finance dentreprise est lun des champs danalyse de la finance - à côté de la finance de marché et de la finance publique - qui travaille sur la compréhension des décisions dinvestissement, des choix de financement, de la politique de rémunération ainsi que sur la prévision et loptimisation des résultats et performances de la firme. Elle est une discipline centrale car les pratiques quelle étudie peuvent se révéler déstabilisatrices pour léconomie mais aussi pour la gestion des organisations entrepreneuriales et leurs structures elles-mêmes. Elle utilise les méthodes de la finance, mais appliquées à lentreprise. Elle étudie les décisions concernant des opérations de financement, les transactions de titres financiers, la recherche déquilibre financier afin que lentreprise connaisse croissance et profitabilité. Elle analyse principalement la valeur de lentreprise, mettant en exergue ses atouts sur le marché et cherchant à annihiler les risques de fonctionnement et de financement.
Précisons que la finance dentreprise connait trois périodes de développement. Tout dabord lère démergence qui prend place entre la toute fin du 19e siècle et la crise de
1929. La crise dessine par la suite un tout autre paysage pour la finance de Wall Street et la structure du marché industrialo-financier. Vient ensuite lère de pré-moderne de
Introduction Générale
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dAdolph Berle et Gardiner Means concernant la gouvernance dentreprise. Plus généralement, cette période est également marquée par lhégémonie keynésienne dans le raisonnement économique. Berle et Means, comme John Maynard Keynes1 sintéressent
au lien entre marché financier et entreprise. On peut aisément rapprocher leurs points de vue car ils soulèvent tous trois lenjeu des fonctions de propriété et de contrôle, et surtout les implications de leur séparation2. Cette période daprès Grande Dépression du
20e siècle, voit apparaître le capitalisme managérial chez Berle et Means, mais aussi le
capitalisme dentreprise chez Schumpeter et Keynes estime que le capitalisme menace la cohésion sociale. Ils élaborent des discours à lencontre de linstabilité du marché et des institutions qui y agissent. Cette période sachève avec le théorème de Modigliani-Miller qui révolutionne la pensée financière. A partir de ce théorème, présenté dans larticle The cost of capital, corporation finance and the theory of investment et publié en 1958, on considère être entré dans lère de la finance moderne. Nous nous attachons à étudier lère démergence qui soulève en réalité, les mêmes questions que celles qui se posent à la théorie contemporaine de lentreprise, sur les décennies suivantes.
La thématique de ce travail de thèse est « Emergence et Développement de la théorie financière de lentreprise avant 1929 ». Dans cette perspective, nous souhaitons montrer que Thorstein Bunde Veblen (1857-1929) est lun des premiers théoriciens éclairés de cette filiation danalyse pré-macroéconomique de la finance dentreprise. Il nétait pas possible de couvrir lensemble de cette période de développement dune cinquantaine dannées. Nous avons donc opté pour un focus sur lère pionnière et novatrice, concentré sur les années 1904-1923, que les écrits « vébleniens » délimitent. En effet, Veblen publie The Theory of Business Enterprise en 1904 et Absentee Ownership Business Enterprise in
Recent Times: The Case of America en 1923. Ses travaux présentent une approche originale
1 Keynes connait Berle puisquil le rencontre lors dun séjour aux États-Unis en 1933 (Ali Bouhaili &
Slim Thabet, 2008, 27) ; mais aussi Means avec qui il correspond et négocie le système monétaire international en 1943.
2 Cette caractéristique de la gestion moderne est déjà présente dans les écrits institutionnalistes
américains du premier quart du siècle. Ils soulignent également lexcès de pouvoir dans les mains des dirigeants et le poids des actionnaires.
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de lentreprise daffaires et des structures institutionnelles, dans le cadre dun marché financier instable. Par ailleurs, les grands bouleversements induits par la crise de 1929 viennent modifier la vision de lactionnaire et de la finance. Tout comme la révolution keynésienne, qui met à mal linfluence de Veblen ou tout autre embryon de mouvance économique cherchant à sinstaller.
1. MOTIVATIONS ET ENJEUX DE LA THESE :
Tout dabord, les écrits de Thorstein Veblen sancrent dans une économie financiarisée et monopolisée, dont il est contemporain. Nous considérons quun éclairage sur la vision financière de lentreprise peut être trouvé dans ses travaux. La littérature secondaire na pas suffisamment développé certains propos centraux chez Veblen, concernant la nature du capital dentreprise. En effet, sa réflexion, bien que descriptive, est précoce sur cette thématique, au regard de la littérature émergente de la décennie 1910 sur laquelle nous nous attarderons. Notre capitalisme actuel est clairement lhéritage des développements du tournant du siècle, dans lequel lanalyse de Veblen sinsère.
Par ailleurs, il existe une réelle difficulté à penser lentreprise dans lhistoire de la pensée économique, y compris macroéconomique. Aujourdhui, la théorie de lentreprise regroupe divers champs détudes et nous livre une analyse riche, à la fois sur la notion dentrepreneur, le moral des entreprises, sur les structures de marché et létat de santé de léconomie, les stratégies dinvestissement, la constitution de portefeuilles, les législations, ou encore les comportements dinitiés Or ces concepts sont déjà présents chez Veblen, certains sous la forme dintuitions, dautre de manière tout à fait explicite.
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On considère généralement la naissance de la macroéconomie avec la publication de la Théorie Générale de Keynes en 1936. Pour autant, les analyses des institutionnalistes sont considérées comme pré-macroéconomiques. En effet, les institutionnalistes sont de fins observateurs des phénomènes globaux, avec des préoccupations en termes de politiques économiques. Dans loptique que nous présentons, ils articulent la théorie de la firme à la logique de marché et analysent, avant Keynes, les opérations des entreprises ainsi que limpact sur les marchés et la société. Veblen lie les rapports industriels aux financiers et cet ensemble forme un grand marché capitaliste. Il en donne la vision dune construction sociale grâce à laquelle il analyse le pouvoir du monde des affaires mais aussi les agissements des pouvoirs publics sur la vie économique. Veblen sattache à décrier les répercussions des relations entre finance et grandes entreprises, afin de dévoyer linstabilité financière, la stagnation, la dépression, leuphorie i.e. des préoccupations macroéconomiques à imputer aux comportements microéconomiques des dirigeants dentreprise. Linstitutionnalisme raisonne autour de processus financiers et commerciaux du capitalisme. Il pense le marché et lentreprise comme des institutions. Lentreprise, en tant que partie prenante de ce marché, affecte la structure de ce dernier par ses opérations et a en conséquence, un rôle central dans le capitalisme financier. Veblen développe par ailleurs une philosophie analytique importante, largement étudiée par la littérature sur les motivations et la compréhension des comportements des agents dans la société (notamment avec sa théorie des instincts). Notre étude de Veblen se porte sur lanalyse pré-macroéconomique quil livre sur le capitalisme, en observant et théorisant lentreprise dans son rapport au marché et en conséquence, dans son rapport aux institutions et règles qui ladministrent et le régulent. Cela nous amène cependant à regarder quelques principes de microéconomie financière, les comportements internes à la structure dentreprise entre managers et actionnaires, mais aussi entre actionnaires. Pour décrire cela, nous avons recours à quelques lectures de bilans comptables. Veblen livre donc une analyse globale, en sus de percevoir et dintégrer les mécanismes économiques de base autour des prix, des taux dintérêt, des cycles.
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Nous verrons quune littérature secondaire importante - qui démontre la richesse des propos « vébleniens » - sest intéressée à ses écrits. Veblen est particulièrement étudié pour son approche évolutionniste de léconomie, sa sémantique et son pragmatisme, sa théorie des instincts, ou encore la fameuse notion de « classe de loisirs » ou classe oisive quil développe originellement en 1899 dans The Theory of the Leisure Class. Dans une moindre mesure, Veblen est présenté pour son approche des cycles et sa théorie du capital. Nous nous situons dans cette dernière catégorie, avec la présentation de lémergence de la finance dentreprise en tant que discipline pratique et théorique. Pourtant, la littérature secondaire spécialisée dans le « véblenisme » des affaires connait des limites, des confusions et des incomplétudes3. Il sagit dans cette thèse de mener une
nouvelle lecture de Veblen sur ces sujets, tentant de compléter, en partie ces manquements.
Par ailleurs, il existe aujourdhui pléthore de théories qui cherchent à analyser lentreprise et à expliquer ses structures très mouvantes. Pourtant jusquà la domination des doctrines néoclassiques, règne une sorte dénigme autour de la firme et des organisations. En effet, il faut attendre la décennie 1970 pour intégrer lentreprise dans la pensée traditionnelle, qui jusqualors, nest restée quun objet détude marginal. Nous reviendrons dans lintroduction de la partie I sur son intégration progressive dans la théorie depuis les années 1870. Cest aussi une des raisons qui amène la théorie économique à présenter régulièrement lentreprise comme une boite noire - ou grise - de par la diversité de ses formes de rationalités, de coordinations, de propriétés, de structures ... Dautant que la finance de marché, comme celle dentreprise ne sont étudiées quau regard dun début de formalisation, sans réel penchant macroéconomique à partir du milieu du 20e siècle. Ce qui justifie dautant notre intérêt pour cet agent
institutionnel, central dans la vie économique et ses bouleversements. Nous en
3 On peut souligner particulièrement les travaux de : A.A. Bolbol & M.A. Lowevell (2001) ; C.C.
Chandler (1959) ; J.V. Cornhels (2004) ; J.B. Dirlam (1958) ; J. Dorfman (1934) ; J.S. Evans & C.G. Leathers (1980) ; M.A. Gagnon (2007a) ; W.T. Ganley (2004) ; E.R. Hake (2001 & 2004) ; F.G. Hill (1967) ; L.L Lawson & C.L. Lawson (1990) ; A. Mayhew (2007) ; H. Mesure (2007) ; P.A. OHara (1993) ; J.P Raines & C.G. Leathers (1992) ; M. Rutherford (2005b) ; H. Wells (2010) et L.R. Wray (2007).
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établissons une lecture, du tournant du 20e siècle, à travers les lunettes de lhistoire de la
pensée économique.
Nous posons les objectifs de cette thèse, ils sont triples :
1. Tout dabord, nous montrons que Veblen sinscrit comme un macro-économiste de la théorie financière de lentreprise qui livre une réflexion pionnière, économique, comptable et managériale, restant très actuelle.
En effet, il sagit de montrer que le tournant du 20e siècle que nous étudions est celui de
lémergence de la finance dentreprise, mais aussi de débats centraux aux États-Unis, autour du capital et du positionnement dinstitutions phares que sont lentreprise et luniversité.
Pour cela nous mettons en exergue la théorisation du concept de goodwill, dont les enjeux sont encore peu étudiés au début du siècle. La traduction française de goodwill renvoie à la notion décart dacquisition. Il sagit de lactif intangible de la firme, celui quelle ne peut vendre séparément de son entité globale. Cest le cur de la capitalisation des sociétés financières de lépoque. Veblen insiste sur la proéminence des droits de propriété de deux types dactions et de leurs différents taux de capitalisation pour engendrer du goodwill, à lactif du bilan de lentreprise. Veblen le perçoit comme un élément financier et commercial stratégique des entreprises, un bénéfice dexploitation supplémentaire. Il en identifie une double origine : le premier relevant de leffet de levier du crédit est un goodwill dacquisition; le second est un goodwill de pouvoir de monopole de lentreprise. On peut aussi retenir dans un premier temps la définition de Hugh Hughes :
a differential advantage accruing to a corporation in terms of its dominant goals the ability to generate superior profits by whatever means to finance the technostructures growth, usually by selling goods through purposeful manipulation of the consumers customs and habits (H. Hughes, 1982, 194).
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2. Nous retraçons la prise de conscience des relations entre valorisation, information et fragilité financière qui se reflètent dans la structure des entreprises et leur management.
Nous montrons que les écrits de Veblen peuvent être inscrits dans la filiation de la théorie de linvestissement, la Q-théorie, bien connue avec lanalyse de 1969 de James Tobin. Selon nous, cette filiation démarre avec les écrits de Veblen en 1904. La vision du capital et celle de linstrumentation du crédit comme outil de profitabilité de lentreprise, sont véhiculées au cours de la première moitié du 20e siècle. Elles amènent à présenter une
structure financière non neutre. Théoriquement, ce nest désormais plus le cas depuis que le théorème de Modigliani-Miller apparaît, en 1958. Pour autant, il apparaît important de reconstruire lhistoire de cette erreur de raisonnement dès lors quelle a marqué 50 ans de théorie du capitalisme financier et entrepreneurial.
3. Nous soulignons que Veblen est un théoricien de la finance dentreprise étudié dès le début du siècle à luniversité, mais aussi un des premiers spécialistes en pédagogie concernant lenseignement des affaires. Cela nous permet de mettre en évidence des rapports de pouvoir conflictuels entre pratique et théorie, entreprise et université, discipline économique et celle de gestion.
Ainsi, nous insérons Veblen dans cette histoire qui retrace lapparition de la théorie financière de lentreprise comme discipline académique. Les grandes firmes et la pratique entrepreneuriale des hommes daffaires de lépoque amènent les académiques à théoriser cette pratique, afin de proposer des supports aux nouvelles formations professionnelles qui émergent. En effet le contexte de lépoque transpose lanalyse de la finance de marché à des enjeux en termes de finance dentreprise. Une préoccupation qui relevait du domaine de la gestion devient un objet économique. Veblen est un témoin privilégié du passage de la Business Enterprise à la Business Finance (ou Corporate Finance). Il incarne aussi un point de vue particulier dans le débat sur léducation en général aux États-Unis, et plus spécifiquement sur la formation aux affaires au moment de la création décoles de
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commerce, à côté de lenseignement universitaire. Notre travail contextuel cherche à appuyer et donner une cohérence à lanalyse des implications du crédit et du goodwill dans les stratégies dinvestissement des entreprises. Veblen nous livre une analyse très large des problèmes posés par le big business. Cela lancre dans des préoccupations des affaires « totales » alimentant les débats, plus larges sur le capital. Edward Sherwood Mead, Thorstein Bunde Veblen et Walter Hastings Lyon nous proposent une littérature - au début du siècle - de finance dentreprise. Nous dressons une lecture analytique du vocable de la théorie financière de la firme entre 1900 et 1923. Ces nouvelles pratiques et leurs concepts sont présentés dans les manuels destinés aux étudiants en business. Cela nous amène à souligner les relations de pouvoir qui se dressent entre les « Capitaineries » chez Veblen et qui reflètent son constat sur la gouvernance et sa perception dune bonne gestion dentreprise, mais aussi des instances denseignement.
Enfin, les enjeux théoriques et pratiques de la thèse découlent des trois objectifs que nous venons dénoncer.
1. Capital Intangible, Goodwill et Normes
Depuis la crise de 2007 lenjeu et le regard dévoluent à la finance de marché ont évolué, impactant en conséquence limage de la finance dentreprise. Nous néchappons pas à ces mêmes considérations aujourdhui, 10 ans après, ainsi quà un certain scepticisme ou une méfiance à légard du secteur financier. Ainsi, alors même que la recherche de financement par les entreprises - quil soit bancaire ou financier - dans un contexte déconomie-monde est un enjeu majeur, on fait face à une superposition des valeurs financières et économiques qui perturbent la vision que lon peut avoir du marché. Remarquons que banques et marchés financiers sont indifférenciés chez Veblen. Corrélativement, le crédit est un capital parmi dautres. Dailleurs, plus généralement, jusquen 1958 capital et crédit sont assimilés. Selon Veblen, le crédit est instrumentalisé
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pour servir les ambitions pécuniaires du milieu des affaires, les vested interests. Leurs comportements ne facilitent pas le fait de savoir si la valeur de lentreprise renvoie à sa valeur boursière ou à une autre valeur, une valeur fondamentale. La cotation en bourse dune entreprise est censée révéler sa valeur potentielle, anticipée et non pas celle de ses fonds propres. Or aujourdhui les potentiels de croissance des cours, i.e. la valeur de la capitalisation de lentreprise, sont relativement faibles si lon analyse ce que reflète le marché boursier. Mais cela est sans compter la non prise en compte des richesses immatérielles des entreprises (savoir-faire, réputation, marketing ). Les premières théorisations et le premier vocable spécifiquement dédié napparaissent quà la fin du 19e
siècle, bien après les premiers besoins et la pratique de lentreprise. Nous sommes toujours confrontés aux mêmes réalités aujourdhui.
2. Investissement, Valorisation et Fragilité Financière
Veblen dresse une analyse en termes de stratégies dinvestissement, de financements de lactivité, de lorganisation interne de la gouvernance de lentreprise ainsi que des propositions relatives à la formation aux affaires. Ces thématiques, que nous portons comme essentielles dans la thèse, le sont autant à lépoque quaujourdhui et il est aisément possible de réactualiser les propos de cette période. En effet, la façon de concevoir et dorienter la structure de lentreprise reste toujours un questionnement régulier. Lenjeu est de comprendre que lanalyse contemporaine de Veblen oublie quil a été un théoricien du goodwill, et ne met pas en évidence cette nouvelle source de valeur intangible dans la théorie de linvestissement. Pourtant, lallocation des ressources de lentreprise a des implications en termes de valorisation et de gouvernance. Dautant que le lien entre investissement et gouvernance est particulièrement ravivé suite à la crise, enclenchée en 2007-2008. Au regard des années 2015 et 2016, durant lesquelles la France se positionne comme « le plus gros payeur de dividendes aux actionnaires » en Europe, pas sûr que les stratégies dinvestissement à visée « court-termiste » et les enjeux de répartition des richesses aient été complètement revus depuis.
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Alors même que nous savons que les préoccupations de finance dentreprise sont anciennes (on peut remonter jusquau début de la science économique), elles persistent toujours comme étant très contemporaines. Or, létude des conséquences de lactivité entrepreneuriale sancre dans des problèmes de répartition et de redistribution des richesses et de valeurs ajoutées, questionnements particulièrement prégnants dans les réflexions de politiques économiques.
3. Capitalisme, Pédagogie, et Formations
Tout comme le débat autour des règles de la comptabilité financière de lentreprise, la scission entre les départements de gestion et déconomie à luniversité est ravivée par les thématiques soulevées par Veblen. En effet, la place de léducation et de la formation est un enjeu central de nos sociétés. On perçoit encore aujourdhui le débat, pérenne, ouvert au début du siècle aux États-Unis concernant le choix et la légitimité face à lenseignement privé ou public, à la formation professionnelle ou généraliste, à lécole ou luniversité.
Veblen se bat contre la logique managériale qui simpose à lécole et dicte les programmes. Il place luniversité comme devant être linstitution formant les « têtes bien faites » face aux objectifs financiers et de résultats. Réguler le capitalisme industrialo-financier passe en partie par la formation desprits critiques parmi ces étudiants en commerce ou en finance. Or le tournant entrepreneurial de luniversité a bien pris place avec la « loi relative aux libertés et responsabilités des universités » (LRU) qui réorganise en 2007 la façon de penser lenseignement supérieur et lautonomie des universités.
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2. CONTEXTE DE LA THESE : UN PANORAMA
HISTORIQUE
DE
LA
FINANCE
DENTREPRISE ET DE SA GOUVERNANCE
a. Le contexte économique
Nous ne pouvons présenter Veblen dans ce contexte émergent de la finance dentreprise sans revenir au préalable sur quelques éléments de contexte économique : financiarisation, concentration dentreprises, révolution managériale et conflits actionnariaux. En effet, pour Veblen il faut comprendre le climat financier pour dresser toute analyse macroéconomique.
Le tournant du 20e siècle est une période de controverses et dinterrogations.
Indeed, beyond the Cambridge controversies, earlier debates on relatively close issues between capital theorists are taking place. (A.J. Cohen & G.C. Harcourt, 2003, 210-1).
Un débat sur le capital se met en place, auquel prennent part les institutionnalistes. Il alimente lui-même dextensibles discussions aussi bien sur le rejet de la vision néoclassique (qui raisonne sur la productivité marginale) que sur la finance dentreprise naissante et la valorisation de cet actif dentreprise.
Le milieu des affaires a recours massivement au crédit comme expédient de leur quête du profit. Au tournant du siècle, le crédit - à travers la valeur de lentreprise et la répartition des résultats de sa profitabilité - est au cur des conflits entre propriété privée et intérêt public. Le crédit amène une valorisation supérieure de la firme, qui permet en effet deffectuer des opérations financières de plus grande ampleur. En découle des interrogations sur la gouvernance dentreprise. En effet, cette dernière sintéresse aux dispositifs institutionnel et comportemental qui sappliquent aux dirigeants d'entreprise dans leur manière de structurer leur activité et leurs décisions. Chaque mode de
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gouvernance renferme ses propres caractéristiques. Ce choix de gouvernance reflète la structure financière et dinvestissement de lentreprise. Il permet de synthétiser les préoccupations particulières en termes économiques, financières, informationnelles et sociales de l'entreprise.
a.1. Limportance du marché financier
Il faut en effet souligner létat de la finance de marché au moment où Veblen théorise son propos. Le cadre danalyse est celui dun contexte de capitalisme financier, dont il tente de montrer les contradictions au regard dune préservation du « bien commun » du pays. Wall Street est créée en 1792. La révolution industrielle amenant une forte croissance fait exploser le rôle des marchés boursiers au 19e siècle. Les bourses de valeurs ont
longtemps échangé des obligations et ce nest quà partir des décennies 1880-1890 que les actions sont devenues importantes pour le financement des entreprises industrielles (Julien Mendez, 2012, 279). Les sociétés de chemin de fer sont les premières grandes cotations à apparaître à la bourse. Pour autant, en 1880, Wall Street reste encore une petite communauté financière à laquelle peu de ménages participent. Moins de 100 compagnies y sont dailleurs listées. Cest pourquoi, à lépoque, selon William Worthington Fowler4 tous les participants au marché se connaissent personnellement.
Limpulsion est donnée à la fin de la décennie 1880 et le capitalisme actionnarial prend place. La croissance de lentreprise sa taille donc son pouvoir de marché accompagne en effet, dès 1890, la diffusion de lactionnariat au sein des ménages américains dont la population croit. En 1900, H.T. Warshow (1924, 16) considère quil y a environ 4 400 000 actionnaires sur le marché américain alors quen 1922 on en compte 14 400 000. Ainsi, en 1925, on dénombre 14 millions daméricains qui sont devenus actionnaires. La structure de la société se modifie. En conséquence, la classe moyenne5 sagrandit (H. T.
Warshow, 1924, 16-19). Ces ménages allouent une propension croissante de leur
4 Dans Twenty years of inside life in Wall Street; or, Revelations of the personal experiences of a speculator (1880). 5 A lépoque, les ménages qui reçoivent entre 1000 à 5000$ par mois sont considérés comme
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épargne à lachat de titres financiers, dont ils espèrent un revenu régulier. Cela permet le financement de la grande entreprise. La cotation en bourse et les échanges financiers sur le marché deviennent la norme. La panique de 1907, profondément financière, perturbe le début du 20e siècle et se traduit par un essor exceptionnel du crédit et des titres pour le
placement des liquidités des banques dans le système financier. Cette époque saccompagne également de lapparition dintermédiaires financiers (tels les trusts). Ils sont dune part à lorigine dinnovations financières, mais aussi en mesure de faire des placements rentables, car risqués. Pourtant, se manifestent déjà quelques limites du système, annonçant les motifs des crises à venir.
À lépoque le développement du capitalisme nest pas le même selon les pays. Mais il semble que ce soit la distinction de la propriété du contrôle dans les entreprises mais aussi lessor de la société à responsabilité limitée qui, progressivement, permettent linstauration du capitalisme financier comme quelque chose dinstitué. Et pourtant cest bien le crédit et ses excès qui vont déclencher les crises et perturber le cycle des affaires. De plus, la transformation du passif du bilan de la firme en titres financiers, permet aux prêteurs dinvestir tout en jouant une stratégie de diversification des titres ainsi que des risques sur le marché. Des statuts juridiques vont être mis en place pour tenter de limiter la responsabilité des actionnaires et favoriser le déploiement du marché financier. Nous touchons le cur du plaidoyer que livre Veblen quand il dénonce lessence du capitalisme financier. En effet, comme nous lavons dit, Veblen considère que les banques et le marché financier sont indifférenciés, ce qui rend la frontière entre crédit et capital plus fine. Le poids du financement devient une préoccupation majeure avec une prépondérance forte de la valeur actionnariale6.
6 Nous le verrons un peu plus loin, pour autant rappelons que le marché évolue très rapidement, mais
que ce sont les décennies suivant la crise de 1929 qui vont voir la figure de lactionnaire reléguée au second plan face aux contraintes et aux préoccupations liées à lévolution des principes de gestion de la firme. Ce sont les conséquences dune défiance envers les banques et la finance. Les principes actionnariaux laissent progressivement la place aux valeurs managériales. Cela donne lieu, dune part au réinvestissement croissant des profits dans le processus productif et dautre part, à la volonté de réduire
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a.2. Lhistoire de lessor du capitalisme industrialo-financier
Le Gilded Age correspond à lâge dor américain, entre 1865 et 1901, qui succède à la guerre de Sécession. Pourtant, les États-Unis connaissent une grande dépression entre 1873 et 1896 puis léconomie enclenche une période de reconstruction qui saccompagne dune prospérité démographique et économique, tirée par la réussite industrielle des chemins de fer mais aussi des banques. Lactivité économique culmine en 1902. Industrialisation et développement économique étant intrinsèquement liés, le tournant du siècle donne lieu à une impressionnante expansion. Ce pic de croissance ouvre une période de monopolisation de léconomie avec lélaboration de plans de concentration. Des choix de spécialisations fortes sont actés, autour de pools de brevets et de savoir-faire. En effet, lapparition des grandes entreprises a lieu entre 1870 et 1910 et elles sont les figures de proue de la croissance économique américaine, de leur révolution technologique ainsi que de la réorganisation des affaires. La firme devient un objet détude à part entière. Elles défient alors la théorie économique, qui doit désormais considérer leur place, intégrer la portée grandissante de leur compétition et de la culture dentreprise. En effet,
The main propositions of modern theory are established without reference to large firms (Jack High, 2011, 85)
Mais,
[ ] thanks to the work of business historians, the rise of big business in the United States is well understood and can be briefly summarized (J. High, 2011, 86)
Une référence classique sur le sujet est celle dAlfred Chandler avec The visible hand : the
managerial revolution in American business, ouvrage publié en 1977.
le prix daccès aux biens de consommation (comme la voiture), sous légide de figures comme Henry Ford. Cependant, cette vision est celle des Trente Glorieuses et de laprès crise de 1929.
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Ce sont tout dabord les chemins de fer et lindustrie du télégraphe qui vont développer une large structure afin de répondre à des besoins de réseaux complexes ainsi quà la production de services dans un pays si étendu. La baisse des coûts, induite par laccroissement de la taille de la firme, permet de toucher davantage de consommateurs et de créer un grand marché national. Les années 1870 voient lapparition, entre autres, de la Standard Oil pour le pétrole et de la Cargenie Steel pour le milieu de lacier. Ils acquièrent des positions dominantes dans leur secteur respectif et se développent de la même façon, sur les deux décennies suivantes, les industries de lélectricité, du sucre et du tabac. En effet, cest en 1877 que les États-Unis voient apparaître leur première grande combinaison industrielle à forte capitalisation. La Standard Oil contrôle alors plus de 90% du raffinage et de la commercialisation du pétrole aux États-Unis (Burton Hendrick, 1919 [2002], 11).
Après avoir dans un premier temps rejeté lidée de consolidation, les combinaisons commerciales reprennent avec la grande fusion de 1895-1897. En 1900, les entreprises de pétrole et dacier dirigées par Rockfeller et Carnegie atteignent des capitalisations respectivement entre 122 millions de dollars et 1.4 milliard. De même, lU.S Steel Company fait partie de ces 1% de grandes firmes qui, en 1909, assurent 44% de la production industrielle. Or, la situation monopolistique apparaît comme une menace concernant le modèle de réussite américain. La composante « management professionnel » sétend7 dans lentreprise et les banquiers comme les promoteurs agents
actifs des consolidations - y trouvent une position confortable. Lindustrie est efficace et ils empochent les bénéfices. Les divisions opérationnelles de la firme sont facilitées. Les
trusts se développent et contribuent à la structuration du marché du début du 20e siècle.
En effet, les Money trusts sont des agents financiers majeurs à fort pouvoir de marché. Ce sont des sociétés dinvestissement en partie spéculatives, qui utilisent démesurément les facilités bancaires, notamment de prêts, et vont créer des déconnexions fortes entre la
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valeur réelle des entreprises et celle de marché. Des engagements financiers ne pourront alors pas être honorés. Parmi eux, on trouve J.P. Morgan, présent à la fois dans le milieu bancaire mais
aussi sur le marché entrepreneurial. Il a le pouvoir de choisir quelle entreprise peut émettre des actions sur le marché pour se financer. Ces magnats vont imposer leur pouvoir et créer une opposition entre visée industrielle et financière. En effet, les grands magnats qui avaient le contrôle des chemins de fer, des industries du pétrole ou dacier ont concentré les capitaux disponibles grâce à lintroduction en bourse et à une forte cotation de ces entreprises sur les marchés. Ils peuvent dès lors effectuer des opérations financières, quels quen soient les dommages pour léconomie réelle. Ces débuts à la bourse et ces grandes opérations de fusion monopolisent le marché. Les transactions dactions sont principalement réalisées entre les capitalistes eux-mêmes qui possédaient compétences et connaissances dans les affaires et le système, puisquils le créent. Des managers professionnels sont embauchés pour effectuer la maintenance des structures. Des innovations organisationnelles sont introduites, créant une division du travail entre la fonction du gestionnaire et celle du propriétaire. Le fait de déléguer les tâches fait émerger une propriété indirecte qui sincarne dès la décennie 1880 dans la figure du manager. Capitalistes dentreprise, industriels actifs dans une démarche productive dune part, capitalistes financiers et spéculatifs dautre part, saffrontent sur le marché financier, en quête du profit. La question de la responsabilité sociale de lentreprise et du partage des richesses est alors soulevée.
Ces agents institutionnels forts sont ce que Veblen appelle des vested interests, i.e. des intérêts établis. Tout vested interest est un actionnaire, mais tout actionnaire nest pas un
vested interest. Lattente que chacun a dans lentreprise est différente selon quil soit un
insider ou un outsider. Les administrateurs actifs i.e. les gestionnaires à responsabilité illimitée font face aux actionnaires à responsabilité limitée. Pour autant, ces capitalistes
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actifs doivent également être contrôlés8 car des incidents of ownership9 ont lieu, face à la
personnification de lentreprise.
a.3. Les mutations des structures de la grande entreprise
Il faut percevoir que le rôle des affaires dans lhistoire économique américaine est central car il est vecteur de changements institutionnels, de développement et de progrès économiques. Bien sûr, en retour les affaires peuvent saccompagner dun large potentiel de dérives, quil faut contenir. La question est alors de savoir comment financer la croissance de ces grandes entreprises. Surtout que les finances de la nation dépendent du milieu des affaires et de leur contrôle. Il apparaît ainsi central de saisir autant pour les gouvernants, que les hommes daffaires et les étudiants quelles sont les forces économiques privées et publiques en présence, qui affectent la vie économique américaine.
On constate ainsi quen 1900, sur une étude de 68 firmes, 31 némettent et ne font circuler quun seul type daction. Cette forme de pratique annihile la possibilité de dupliquer la structure financière de lentreprise ainsi que ses actionnaires (H.T. Warshow, 1924, 23). Par ailleurs, la décennie 1910 donne lieu à une baisse du nombre dentreprises et parallèlement entre 1900 et 1923 lémission dactions augmente, tout comme la valeur nominale globale des échanges financiers qui émanent dun besoin de financement des entreprises. De même, alors quauparavant il nexistait quun listing de NYSE concernant les émissions de capital, The Commercial and Financial Chronicle publie un nouveau recensement des actions sur la période 1919-1923. Les sources de financement pour les entreprises se diversifient.
8 Cest lobjet des memorandum of association.
9 Cela renvoie ici aux droits liés à la propriété dans la défense dintérêts patrimoniaux, et aux avantages
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De plus, ces activités commerciales et financières à grande échelle, ces "big business", ont vécu une révolution managériale. Cela explique la complexité des relations avec la société et ce, tout au long du 20e siècle, mais aussi la fascination déconomistes et de
gestionnaires autour de ces questions qui sont théorisées et débattues de manière continue. Les principes de gestion de lentreprise influent sur leurs prises de décisions, leurs opérations, leurs résultats. Par ailleurs, il apparaît quinvestiguer le rôle du business aux États-Unis, est une manière de réfléchir à la résolution des problèmes sociaux. En effet alors que les actes des agents doivent être dirigés vers le « bien commun » de la nation, lentreprise est une institution majeure du marché dont lorientation des comportements, doit être approfondie.
Lune des conséquences de cette émergence de grandes entreprises est lapparition de formation professionnelle au sein de luniversité. Ces mutations des structures de lentreprise et des modalités de financement qui y sont liées interrogent grandement les universitaires qui vont dans le sens dune promotion dun idéal collectif et de principes moraux qui se veulent universels. En retour, les instances universitaires et la formation professionnelle qui sont amenées à évoluer du fait de la création décoles dédiées, publiques ou privées. LEcole étant une institution centrale, elle apporte à la fois une réponse aux besoins posés par le système capitalisme, mais aussi idéologique afin de développer la culture et le sens critique des jeunes américains.
H.T. Warshow souligne en 1924 que malgré létendue de lactionnariat, il nexiste toujours pas danalyse statistique sur la distribution des actions aux États-Unis. Il faut attendre la publication des travaux de Berle et Means pour obtenir un panorama documenté de la situation. Laugmentation des dividendes, la diffusion de la propriété et corrélativement la possibilité de contrôle de lentreprise avec un actionnariat minoritaire apparaissent en même temps, aux environs des années 1910-1916. En sus de léclatement de la propriété, la séparation des fonctions de lentreprise entre propriété et gestion est inhérente aux mutations de ces années. Cela met en évidence les risques de concentration
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massive du pouvoir économique dans les mains dune seule personne. Comme le soulignent Andrei Shleifer et Robert W. Vishny, le regroupement dentreprises permet deffectuer a form of arbitrage by rational managers operating in inefficient markets (2003, 296). Cest en effet ce qui donne lieu à des situations dabus de la part de spéculateurs et de promoteurs peu scrupuleux. Mais la situation évolue très rapidement et les années 1930 seront loccasion de nouveaux bouleversements importants :
« Les marchés financiers continuent dévaluer leurs actions et de financer de nouvelles entreprises, mais ils nont plus un rôle crucial dans léconomie. Les meilleurs observateurs prédisent alors, avec regret ou satisfaction, la fin de la domination dun capitalisme financier qui na pas su satisfaire les besoins de la société (voir [Polanyi, 1944] et [Schumpeter, 1942]). » (Pierre-Cyrille Hautcoeur, 2008)
Pour autant, nous venons de le développer, le tournant du siècle est celui de la mutation du milieu des affaires, de la dispersion de lactionnariat et de la séparation entre propriété et management, comme résultante de laugmentation de la taille des entreprises. Cest en concomitance à ce développement des business enterprise quapparaît la pratique du goodwill dont la propriété devient un réel enjeu.
b. Le contexte politique, législatif et institutionnel
Ce phénomène de age of big business a profondément modifié les institutions sociales, commerciales, politiques et juridiques du pays. Il faut donc considérer des paramètres bien plus larges que ceux du seul contexte économique.
Les normes et les barrières institutionnelles entre industrie et finance tombent. Bien que ce lien ne soit pas nouveau10, le recours au marché des capitaux est exacerbé pour
financer lampleur importante de lindustrie et de ses innovations. Entreprise, institutions
10 Voir à ce propos lintroduction par R.Arena, A. Cartapanis et V. Dutraive du numéro spécial de la
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de formation, instituts universitaires, normes comptables, principes de gouvernance, perception de la responsabilité sociale ... se transforment rapidement.
La grande taille de lentreprise implique un pouvoir financier fort et de nouveaux besoins. En particulier, la nécessité de former le personnel encadrant aux nouvelles tâches de gestion et de management de la firme apparaît fondamentale. Cette exigence se traduit par lapparition décoles privées et de leurs diplômes spécialisés, écoles à lorigine détachées puis rattachées à luniversité. Cette évolution saccompagne de confrontations entre différentes visions de la société qui défendent des intérêts opposés, y compris en interne à luniversité.Cest pourquoi luniversité en tant quinstitution non pécuniaire se voit lobjet de confrontations de différentes visions de la société et de la défense dintérêts opposés. Luniversité doit retranscrire et accompagner les changements de la société, ou bien contrer lévolution de la structure américaine des affaires. Linstitution universitaire est vue comme un catalyseur des avantages et des inconvénients de lexpansion des concentrations dentreprises. Elle sinterroge sur la pertinence et les conséquences du fait quelle devienne un lieu de légitimation de lélite financière (Anne Ollivier-Mellios, 2004, 76).
Durant lère progressiste11 (1890-1920), se constitue la défense dune vision de la société
démocratique et orientée vers dautres préoccupations que le financier. Cest la toile de fond du début du 20e siècle, notamment de la panique de 1907 et de ses effets. Cette ère
et ses valeurs doivent amener un vent de réformes et de régulation face à une crise qui provoque une baisse de la production, une forte augmentation des importations, du chômage, des faillites et des collusions dintérêts autour délites bancaires et financières. Confronté au monopole de largent, il faut promouvoir lintérêt général. Les médias vont être particulièrement actifs dans ces dénonciations, les journaux progressistes de lépoque surnommés les muckrakers jouent la posture sociale du dénonciateur et encouragent à plus de régulation des milieux financiers.
11 Cest une ère qui souhaite entrer en rupture avec la période précédente. Théodore Roosevelt en est
une figure importante (1901-1909) et va même devenir le candidat en 1912 du parti qui se créé dans cette mouvance, le parti progressiste.
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Une prise de conscience et des tentatives de limitation des comportements anticoncurrentiels sorganisent à la fin du 19e siècle. Diverses Cours Suprêmes sont saisies
pour dénoncer la pratique des big business entre 1878 et 1914, alors même que le contexte du début de 20e siècle profile une reprise de la croissance et une baisse du niveau général
des prix.
Déjà, les années 1870 sont un tournant et la révolution managériale du début du siècle prend sa source dès 1880. Morgen Witzel (2007, 31) considère dailleurs que le management moderne a appris beaucoup de ces trois décennies de mutations fondamentales, à grande échelle. En retour, le secteur comptable réagit et cherche à sadapter entre 1890 et 1914. Bien sûr, une comptabilité est déjà en place à lépoque des mercantilistes, mais elle prend dès lors une autre dimension, bien plus centrale pour le fonctionnement économique, et cherche à se normaliser du fait de lévolution du capitalisme12.
Cette période progressiste organise les conditions de faisabilité de commissions et dactes à lencontre de la formation de ces marchés économiques et financiers imparfaits qui ont pris place.
Capital et intérêts se concentrent et donnent naissance en 1890, en réaction à ces mutations des stratégies de marché, au Sherman Antitrust Act. Dès 1908 est adopté dans le Massachussets lAnti-Stock-Watering-Law qui est la preuve dune réactivité gouvernementale en termes de surveillance, une sorte de tutelle pour annihiler une partie de possibles manipulations financières sur le marché boursier13. Par ailleurs, la Federal
Trade Commission Act naît en 1913. Cest une agence cherchant à combattre les pratiques commerciales déloyales. La même année, est publié le rapport du Pujo Committee. Linvestigation a lieu entre mai 1912 et janvier 1913, au congrès afin de travailler sur ces
12 Werner Sombart (1902 [1916]) souligne dailleurs le lien consubstantiel entre comptabilité et
capitalisme dès le début du 20e siècle. Il travaille sur les besoins de la comptabilité en partie double,
besoins nés de la révolution industrielle et du financement externe de lentreprise.
13 De la même façon, à partir de 1912 les systèmes de comptabilité commencent à raisonner avec les