Veblen est un témoin privilégié des grands bouleversements de marché des années 1890-1929. Il y répond par une analyse reliant crédit, actions, goodwill et capitalisation, à lémergence, au développement et à lélaboration de stratégies de la part des grandes entreprises qui cherchent à fusionner. Cela lui permet denvisager la compréhension de lévolution des structures de lentreprise car il mobilise ces concepts, centraux dans ses développements, afin dexpliquer lévolution de la gestion et de la comptabilité de la firme. Cest pourquoi nous nous intéressons au point de vue de Veblen.
Veblen ébauche une théorie du capital par lobservation du capitalisme réel au tournant du siècle dernier ; ensuite il élabore une réflexion plus générale sur les formes historiques des processus industriels de production qui ont conduit à lentreprise daffaires, en montrant que la capitalisation dactifs (soient-ils tangibles ou intangibles) repose sur le pouvoir de contrôle quoffrent ces actifs sur lensemble de la communauté. » (M.A. Gagnon, 2007, 4). The Vested Interest (1919) insisterait davantage sur la mise en place des trusts et holdings comment symbole de volonté de création de goodwill pour les affaires (Veblen, 1919, 74, 78, 139-40). Il ajoute que lactif intangible renvoie aux vested interests à sécuriser, a marketable right to get something for nothing (Veblen, 1919, 100).
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Dans ce contexte, le poids des « capitaines de finance » est plus important, ce qui leur permet dinfluencer la valorisation sur le marché grâce à des « montages financiers ». Le capitaliste détient un titre à droit négociable, un capital avec une contrepartie inexistante, intangible dont lidée est que la créance nest que la somme des flux espérés et éventuellement dun pouvoir de marché. Le droit de propriété du titre se retrouve dans la valeur financière. Le capitaliste introduit alors une analyse autour des questions de choix de la part de stratèges financiers, darbitrages autour dactifs financiers, ainsi que de diversification de portefeuilles grâce aux instruments financiers tels les common et preferred
shares, debentures,... La question est de savoir dans quelle mesure cette structure perturbe linvestissement global et sa nature.
Les écrits de Veblen sur ces questions ont déjà été largement commentés notamment par Dirlam (1958), Bolbol & Lovewell (2001), Cornhels (2004), Ganley (2004), Gagnon (2007a) ou encore Cochrane (2011). Pour autant, il sagit pour nous de présenter différemment Veblen dans la théorie du capital du tournant du siècle. En effet, nous souhaitons montrer dune part que Veblen est un pionnier de la théorisation du goodwill (chapitre 1).
Si lon considère le bilan comptable simplifié dune entreprise, il se présente tel que :
Le passif est constitué de lensemble des ressources dont lentreprise dispose, du mode de financement le moins risqué au plus risqué. Le passif est évalué sur la base de la
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capitalisation des revenus alors que lactif est évalué au coût de remplacement de linvestissement.
Faisons désormais apparaître le goodwill « véblenien » dans ce bilan35.
1. Considérons une entreprise capitaliste qui réalise un investissement matériel. Lapport en capital provient du crédit ainsi que de lémission dactions ordinaires.
2. Puis, lentreprise effectue un second investissement du même montant que le premier. Elle finance ce nouvel investissement par lémission dactions privilégiées.
35 Bien que Veblen nadopte pas cette démarche ou présentation comptable dans ses écrits pour mettre
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3. Une fois la distribution des revenus effectuée, on constate quil reste un solde positif de earnings capitalisées non distribuées. Le passif est alors supérieur à lactif, il faut donc inscrire une contrepartie à lactif. La distribution de ces earnings permet lémission dactions ordinaires supplémentaires. Ce goodwill autorise lémission de nouvelles actions ordinaires, à hauteur de son montant.
Le goodwill apparait à lactif du bilan et sassimile aux actions ordinaires. Ces dernières couvrent aussi pour part le premier investissement matériel. La détermination comptable du goodwill passe par lévaluation du passif du bilan et il renvoie à la différence entre la valeur de marché de lentreprise et sa valeur nette comptable.
Dautre part, cette redéfinition du goodwill que nous établissons dans une perspective de clarification de la pensée « véblenienne », nous amène à linsérer a posteriori dans la filiation de la théorie de linvestissement aujourdhui représentée par la figure de James Tobin. Il est alors à considérer comme un des premiers théoriciens de la corporate finance. Cest sur cette seule base que lon va assimiler le goodwill « véblenien » au windfall profit chez Keynes (chapitre 2). Veblen détient déjà une définition similaire à celle de Keynes,
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en percevant comme faisant partie de ce goodwill toute capacité intangible proférant un avantage pour une entreprise tel un brevet, une franchise (1904 [1996], 139). Or, Veblen ajoute dans On the nature of capital: Investment, Intangible Assets, and the Pecuniary Magnate:
Intangible assets are immaterial items of wealth, immaterial facts owned, valued, and capitalized on an appraisement of the gain to be derived from their possession (Veblen, 1908b, 105-106)
Et parallèlement:
The ownership of the material equipment gives the owner not only the right of use over the community's immaterial equipment, but also the right of abuse and of neglect or inhibition (Veblen, 1908b, 105-106)
Ses propos sont très contemporains au regard dun vocabulaire tourné vers les instruments financiers, la valorisation de lentreprise, ses dérives et les retournements des cycles. Veblen considère lanalyse financière comme un instrument dévaluation et de contrôle du travail des managers.
Nous vivons actuellement dans une société dans laquelle lévaluation monétaire et financière des biens, services, institutions etc. semble centrale. Lentreprise néchappe pas à ces considérations, à ces besoins et contraintes et à la dépendance auprès de ces agents oligarchiques à lépoque. Ainsi, la gestion financière mobilise le triptyque rentabilité/solvabilité/liquidité en sus de lobjectif évident de chiffres daffaires. Lidée est donc que pour assurer le développement dune entreprise, il faut des investisseurs dont le seul intérêt est la rentabilité, disposant de liquidités disponibles, de capitaux à investir. Tout acte décisionnel implique un flux financier et avec lui de potentiels risques, inadéquations avec lactivité, répercussions sur la valeur de marché de lentreprise, ou encore changements dans les performances et diagnostics.
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