• Aucun résultat trouvé

CONSIDERER CES PROBLEMATIQUES SUR

L’INVESTISSEMENT ET LES STRUCTURES DE

L’ENTREPRISE ?

L’économie industrielle est une branche importante de l’analyse économique et l’entreprise n’est pas un agent lambda, puisqu’il nécessite des spécifications et une attention particulière dans la théorie et la modélisation économiques. Il s’agit de prendre conscience de l’implication de l’entreprise d’affaires, car comme le souligne Alfred Chandler à la fin des années 1970 :

“[…] the modern business enterprise took the place of market mechanisms in coordinating the activities of the economy and allocating its resources” (A.D. Chandler 1977 [1990], 1)

Au-delà du côté industriel il faut percevoir les rouages et les subtilités du financement de cette activité ; c’est ce à quoi s’attache la théorie financière de l’entreprise. Comme le souligne Bernard Guerrien, « En assimilant l’entreprise à un individu, il la vide évidemment de

toute substance. C’est pourquoi certains disent que l’entreprise de la microéconomie est une « boîte noire » » (juin 2005, dans Alternatives Economiques).

Bien entendu Cantillon en 1755 discute déjà de la notion d’entrepreneur. Mais la figure de l’entrepreneur et les caractéristiques de la grande firme américaine dont il est question ici sont toutes autres au tournant du 20e siècle et révèlent toute leur complexité, au

moment de cette prise de conscience. Un entrepreneur29 habile est nécessaire tout

comme une théorie autour de ses fonctions et de son nouveau rôle.

En effet, comme le souligne Francis Walker en 1876, il faut que l’entrepreneur assume les responsabilités de la production, puisse décider ce qui doit être fait, les quantités, les

29 Pour un panorama de l’histoire de l’entrepreneur en histoire de la pensée économique consulter

Introduction

l

Partie I

66

modèles, le mode de financement, les stratégies marketing et l’ensemble du processus de mise sur le marché et de vente des dits-produits. La grande firme s’invite durant cette décennie 1870 dans la théorisation économique. Au tournant du siècle l’entrepreneur est une figure centrale que l’on cherche à théoriser et à présenter dans les manuels destinés aux étudiants. J. High (2011, 91) souligne la synthèse faite par John R. Commons sur l’entrepreneur qui lui apparaît comme “ the speculating, progressive, organizing, inventive, economizing, agent of industry” (1893 [1963], 172). Il est ainsi davantage question de stratégies de positionnement des entreprises sur le marché financier plutôt que sur le marché des biens et services. En découle que les objectifs des parties-prenantes ne sont pas les mêmes, et comme nous l’avons déjà notifié dans l’introduction générale la caractéristique principale de l’entreprise d’affaires du tournant du siècle est bien une dissociation entre gestion et propriété du capital d’entreprise.

L’entreprise apparaît dans l’histoire de la pensée économique comme difficile à analyser et elle est longtemps restée comme une « boite noire », « un objet non ou mal identifié », notamment dans la vision néoclassique. On se questionne sur le fait qu’il faut étudier l’entreprise ou l’entrepreneur30. La firme moderne telle qu’on la connaît aujourd’hui

émerge à partir du 18e siècle. C’est alors qu’elle devient une entité propre, mue par des

volontés d’accumulation de patrimoine, de valeur, mais aussi d’incitation au progrès technique et à la coopération. En effet, pléthore de théories se sont développées analysant l’entreprise comme un tout, aux structures mouvantes. Le milieu du 20e siècle donne

naissance à l’avènement de nouveaux champs d’analyse, à savoir la théorie des organisations, des firmes et de la finance d’entreprise.

Pourtant l’enjeu central de l’évolution des entreprises avec les mutations du capitalisme financier est présent depuis 80 ans. A la fin du 19e siècle les grandes entreprises – bien

30 Bien sûr, Alfred Marshall se penche sur l’organisation de l’entreprise dans Principles of Economics (1890)

Introduction

l

Partie I

67

qu’étant apparues sur le marché depuis les années 1840 - se multiplient et parallèlement les marchés boursiers se développent, comme une résultante de la révolution industrielle.

« Les créations de sociétés ont été multipliées par vingt entre 1870 (date à laquelle déjà plusieurs milliers étaient enregistrées chaque année) et 1925 » (T.W. Guinname, R. Harris, N.R. Lamoreaux et J.L. Rosenthal, 2008, 87)

Le tournant du siècle connaît une autonomisation de la finance et des relations économiques comme sociales. Hilferding souligne que la société se trouve confrontée à une nouvelle étape de l’“organized capitalism”, un capitalisme industriel et financier entretenu autour des grandes entreprises qui transforment l’économie. Ces mutations sont accompagnées par l’institutionnalisation d’une nouvelle vision du capital ainsi que par de nouvelles pratiques qui donnent lieu à l’élaboration d’une analyse pécuniaire des institutions en présence. Une réflexion autour de nouvelles structures légales prend place. En effet, il s’agit de définir les enjeux de la propriété et de la conservation du capital, de la délégation de la gestion ainsi que de la limitation de la responsabilité des capitalistes31.

C’est pourquoi, les sociétés à responsabilités limitées32 se répandent massivement aux

États-Unis et au Royaume-Uni durant la décennie 1860 car elles sont perçues comme l’organisation d’entreprise la plus efficace pour accumuler du capital, mais en retour instable quant aux investissements de long terme. Ainsi une juridiction – nécessaire – accompagne l’évolution de la structure de marché des entreprises qui s’étend au tournant du siècle. La législation souhaite limiter le risque de perte face à l’ensemble des moyens financiers et de production engagés et mis à la disposition dans l’entreprise. Pour autant, remarquons que :

« Si les entreprises pluripropriétaires n’ont cessé de s’étendre en nombre et en taille, elles ont été sujettes à des problèmes de gouvernance persistants et la société anonyme n’est pas une panacée. Même aux États-Unis, la plupart des sociétés sont restées des sociétés en nom collectif (SNC) au moins un siècle après le vote des lois libéralisant l’accès aux sociétés anonymes (SA). À la fin

31 En effet, les managers apparaissent comme responsables du résultat de l’entreprise et donc des

résultats financiers devant les actionnaires.

Introduction

l

Partie I

68

du XIXe et au début du XXe siècle, les pays européens ont créé des formes

alternatives que nous appellerons ici des sociétés à responsabilité limitée (SARL). Chaque fois qu’une telle forme a été offerte aux entrepreneurs (en Allemagne avec la G mb H en 1892, en Angleterre avec la PLLC en 1908, et en France en 1925), elle est rapidement devenue beaucoup plus populaire que la société anonyme. À cet égard, la situation des États-Unis est singulière puisque les entreprises n’ont pas vraiment eu accès à ce type de société avant la seconde moitié du XXe siècle. » (T.W. Guinname, R. Harris, N.R.

Lamoreaux et J.L. Rosenthal, 2008, 74)

Ainsi, en 1900, ces sociétés en nom collectif sont toujours majoritaires malgré le succès en Europe des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée.

« Néanmoins, les données du recensement de l’industrie indiquent qu’en 1900, plus d’un demi-siècle après les lois sur les sociétés anonymes, les sociétés en nom collectif constituaient toujours plus de 60 % des entreprises multipropriétaires. [...] C’est seulement au lendemain de la guerre, quand la société anonyme a bénéficié d’avantages fiscaux substantiels, que la proportion de sociétés en nom collectif a amorcé un déclin rapide. » (Ibid, 2008, 87)

Le tournant du siècle permet de distinguer l’entreprise de la personne morale. La société par actions prend aussi des formes hybrides permettant à certains initiés – les propriétaires de l’entreprise - de bénéficier des situations privilégiées face à la responsabilité des simples créditeurs externes de la firme.

Nous l’avons déjà indiqué, l’entrée en bourse des entreprises est progressive aux États- Unis. Sont d’abord cotées sur le marché financier, les banques puis les sociétés de chemin de fer (1830 pour la première), celles de sidérurgie, de construction de canaux, les industries du pétrole et de la chimie33. C’est entre 1884 et 1901 que les entreprises

intègrent massivement l’organisation boursière. Les structures de marché mutent très rapidement et en conséquence la nature de leurs activités, sous l’égide des grands capitalistes industriels américains comme John Davison Rockefeller, Andrew Carnegie ou la famille Vanderbilt qui, stratégiquement, cherchent à accroitre la valeur capitalisée de leurs entreprises fusionnant petit à petit entre elles.

33 Rappelons cependant qu’il faut attendre la première guerre mondiale pour que les États-Unis

Introduction

l

Partie I

69

“At that time (late nineties) there were a large number and variety of established business concerns doing business primarily in certain of the key industries, notably steel, ore, coal, and railways. Many of these concerns were in a moderately bad way financially, for one reason and another. They were, not uncommonly, unable to command such a volume of credit as was needed in the conduct of their business. They were commonly over-capitalized in excess of their market value as going concerns and notably in excess of the value of their tangible assets. So they were carrying overhead charges somewhat in excess of what their current earnings would warrant; and their earnings were declining rather than otherwise” (Veblen, 1923 [1997], 334)

L’objet d’étude « firme » s’est ainsi beaucoup transformé durant le 20e siècle. La question

de son identité et de son manque d’unité ne sont pour autant pas résolus. Rejaillissent de manière récurrente les préoccupations concernant la vision de la structuration, des modes d’incitations et de contrôle de l’entreprise ainsi que du décalage entre théorie et empirie. On passe de la firme-point à une analyse plus en détail des inputs, de leurs allocations, des outputs et de la gestion du marché. Comme à l’époque de Veblen, il n’existe aujourd’hui pas de définition consensuelle de l’entreprise, du modèle de sa gouvernance et de ce que l’on en attend. L’entreprise prend des formes trop diverses, notamment aujourd’hui avec les efforts de flexibilisation, la sous-traitance, les franchises … Le travail de synthétisation des années 1970’ avec les travaux sur les coûts de transaction et les théories de l’information n’élimine pas les conflits dans la définition de la firme. Ces concepts sont très divers et, à l’heure de la mondialisation, de la prééminence des firmes et du marché, cela apparaît pourtant comme inévitable et problématique. Pourtant, l’histoire de la pensée économique recèle d’écrits concernant les spécificités de l’entreprise et tous les grands économistes s’y sont intéressés (Marx, Marshall, Hilferding, Schumpeter…).

Nous nous appuyons sur une littérature publiée par Veblen entre 190434 et 1923 qui nous

permet d’analyser le lien entre des thématiques indissociables à l’époque que sont :

34 Veblen développe sa théorie du capital entre 1904 The Theory of Business Enterprise ([1996], 115-7, 133) et 1908

On the nature of capital; bien que ce dernier soit davantage théorique. Comme le souligne Gagnon (2007) l’œuvre de Veblen poursuit cette analyse (jusqu’en 1923) : « La réflexion de Veblen se déroule en deux temps ; d’abord

Introduction

l

Partie I

70

l’évolution de la structure de marché aux États-Unis, du poids de l’engagement des parties prenantes ainsi que des modes de financement de l’économie, orientée vers un capitalisme de marché industrialo-financier. Veblen développe une démonstration autour de la logique capitaliste à laquelle il adjoint une logique de gestion.

Nous positionnons ainsi l’institutionnalisme, à travers l’impulsion moderne de Veblen, comme le premier mouvement à dresser une histoire de l’entreprise d’affaires et à en faire une institution économique centrale pour l’analyse. Un cadre analytique et délimité, qui sera également à la base des théories managériales, car l’entreprise y est perçue comme une organisation permettant la coordination.

3. LA PLACE DE VEBLEN DANS CES

Documents relatifs