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Veblen n’est pas le seul à s’ancrer dans cette branche d’analyse et il poursuit en cela Marx et c’est également le cas pour Hilferding. Pour autant, les marchés n’ont en effet pas connaissance en détail de cette structure financière des firmes. Il peut résulter de cette opacité de la structure une déconnexion entre la valeur fondamentale (fair value) et la valorisation boursière. Alors même que la recherche de financement par les entreprises - qu’il soit bancaire ou financier - dans un contexte d’économie-monde est un enjeu majeur, la superposition de ces diverses valeurs perturbe la vision que l’on peut avoir du marché.

De plus, selon la position de la partie-prenante, interne ou externe à l’entreprise, l’opérateur dispose d’informations différentes36. Cela renvoie donc à l’articulation entre

la structure financière et la structure de gouvernance sur lesquelles reposent les décisions d’investissement et de financement ; il faut satisfaire les actionnaires et investisseurs tout en faisant les bons choix pour l’orientation managériale de long terme. Elles sont centrales au bon fonctionnement de l’entreprise et incombent à sa direction, à sa gouvernance.

L’entreprise est un agent institutionnel qui, en tant qu’organisation productive et lucrative, élabore une stratégie objectivant de maximiser son profit. C’est l’un des rudiments que l’on enseigne en microéconomie aux jeunes étudiants en licence. Or l’entreprise est bien plus que cela, puisqu’elle recouvre de nombreuses préoccupations : productive, de marché, financière, de compétitivité, d’image de marque ... en cela elle

36 En effet, le comportement prédateur de certains insiders les amène à conserver les résultats de

l’entreprise qu’ils connaissent en tant qu’agent privilégié. L’insider cherche à préserver son contrôle dans l’entreprise et ses bénéfices face à un outsider qui peut aussi bien être le petit actionnaire que l’investisseur extérieur.

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est une vraie construction sociale mais aussi une institution économique, faisant appel à des systèmes d’information et de communication internes comme externes. Pour autant, elle n’est toujours pas un objet d’étude stabilisé. Elle est donc un acteur de marché qui, par ailleurs, cherche à créer de la valeur, lever des fonds et à maximiser son profit individuel au-delà du bénéfice issu de l’activité productive. L’entreprise valorise au maximum ses actifs sur le marché dans une volonté d’accroissement du rendement financier, qui est l’un des traits essentiels du fonctionnement capitaliste. Elle entretient alors des relations complexes avec le marché tout en cherchant à dépasser les barrières et habitudes qui lui sont assignées dans le capitalisme. La capitalisation reflète la valeur de l’entreprise, sans distinguer - pour l’outsider - le rendement productif du retour spéculatif, touché par les actionnaires de l’entreprise.

Aujourd’hui, nous connaissons bien l’exemple de la shareholder value qui introduit la tendance à la dépossession des réels opérateurs de l’entreprise, au profit des actionnaires, alors même qu’ils représentent des “absentee owners”, aux pratiques parfois contradictoires avec la pérennité de l’entreprise. Pour Veblen, ces riches magnats financiers gaspillent et deviennent petit à petit des géants de la bureaucratie du capitalisme rendant inefficace le système.

“The spectacularly wasteful competition among enterprising pioneers has now run its course and has worked out in a system of collusive management in behalf of these larger absentee owners who have acquired title to (virtually) all that is left.” (Veblen, 1923 [1997], 193)

Ce sujet est ainsi toujours une question d’actualité concernant la nature de l’entreprise. En effet, cette dernière peut à la fois se présenter comme une « machine à profits » mais aussi comme ayant dépassé ce concept éculé du 20e siècle. Elle affiche désormais la

volonté de dépasser ses fonctions initiales en conciliant préoccupation économique, sociale, de gestion, éthique, écologique ... L’instauration de ces concepts éthiques introduit la problématique de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) par exemple. L’entreprise est multidimensionnelle en tant qu’agent actif et de coordination

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sur le marché. Les modes de régulation institutionnelle du capitalisme sont en jeu ici. La préoccupation de la domination des « capitaines de finance » sur les « capitaines d’industrie », les questions d’asymétrie d’information ainsi que la répartition des bénéfices entre les parties prenantes, ont ressurgit dans l’opinion publique et dans les sphères politiques depuis la crise des subprimes. En effet, partout les journaux des années 2007-2008 crient au scandale autant concernant les principes de gestion d’entreprise que le rapport au marché de ces dites-entreprises. En effet, les dividendes des entreprises françaises au second semestre s’élèvent à toujours 35 milliards d’euros et connaissent une croissance de 10% par rapport à 201537.

Avec l’apparition de la théorie des organisations, la théorie de la firme ou encore des parties prenantes, la boite noire a été ouverte dans les années 1970’ permettant de rapprocher théorie et réalité du mode de fonctionnement de l’entreprise. C’est dans le tournant néolibéral des années 1980 et dans le développement des instruments financiers que l’on va chercher des réponses et un appui idéologique pour expliquer les dérives. Depuis le retournement mondial, les chercheurs réactualisent les principes et mécanismes théoriques des grands historiens de la pensée sur l’instabilité et les crises. Ils se remémorent les krachs boursiers, les manipulations financières de marché et questionnent la valorisation financière pour décrypter l’actualité qui les entoure. Aujourd’hui on comprend que la pluridisciplinarité est centrale et qu’il faut l’utiliser pour entendre l’entreprise comme un réseau, un nœud de contrats et non plus uniquement un ensemble complexe de techniques et de modes d’organisation. La reconstruction de la firme peut alors paraître à jamais utopique, mais elle reste - dans un contexte de mondialisation financière - un enjeu stratégique pour l’aiguillage de l’économie.

Pour nous, il s’agit de « rendre justice » à Thorstein Veblen, économiste de la théorie financière de l’entreprise, qui propose également une théorie de l’instabilité. Son analyse permet d’entrevoir les changements qui ont lieu au tout début du 20e siècle aux États-

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Unis et qui s’entrecroisent avec toutes les préoccupations contemporaines: la performativité de l’entreprise38 (la captation du goodwill), la répartition de la richesse

créée (le goodwill de monopole), la hiérarchisation et la répartition des pouvoirs dans l’entreprise et sur le marché (la séparation entre actionnaires et gestionnaires).

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