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Cinéma, nouveaux usages et modes de financement : vers une nécessaire évolution de la chronolgie des médias

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Academic year: 2021

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(1)

Cinéma, nouveaux usages et modes de financement :

vers une nécessaire évolution de la chronolgie des

médias

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Inès Soraya Benanaya

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Paris-Sud

Orsay,France

Master (M.)

(2)

Cinéma, nouveaux usages et modes de financement : vers

une nécessaire évolution de la chronologie des médias

Mémoire

Maîtrise en droit

Inès Benanaya

Sous la direction de :

Véronique Guèvremont, Université Laval

Sarah Dormont, Université Paris-Est Créteil

(3)

Résumé

Cette étude a pour objet la chronologie des médias française, et son avenir face aux évolutions technologiques du paysage audiovisuel et cinématographique. Mécanisme de l’exception culturelle, la chronologie des médias est une règle fixant des écarts temporels entre la sortie d’un film en salles et sa diffusion sur d’autres supports : vidéogrammes tels que les DVD et les Blu-rays, vidéo à la demande à l’acte « VàDA », télévision ou encore vidéo à la demande par abonnement « SVOD ». Elle constitue un pilier dans le financement de la production cinématographique française, mais l’apparition de nouveaux acteurs du numérique tels que les plateformes SVOD tendent à progressivement la déséquilibrer. Il convient dès lors de repenser le modèle tout en nous inspirant de modèles étrangers tels que la chronologie canadienne, afin de mieux prendre en compte ces évolutions.

(4)

Abstract

This study focuses on the french « media chronology », and its future against technological developments in the audiovisual and cinematographic industry. The « media chronology » system is a mecanism part of the cultural exception. It is a rule that sets time differences between the release of a film in theaters and its distribution on other media : videograms such as DVDs and Blu-rays, transactional video on demand (« VàDA »), television or subscription video on demand (« SVOD »). It is a real pillar in the financing of the French film production, but the emergence of new digital players such as SVOD plateforms unbalance it. It is therefore necessary to rethink the model while drawing inspiration from foreign models such as the Canadian media chronology, in order to take better account of these developments.

(5)

Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des abréviations, sigles, acronymes ... vii

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1 – La chronologie des médias, un système central dans l’industrie cinématographique française ... 9

I- Les origines de la chronologie des médias ... 9

A- Un mécanisme de l’exception culturelle ... 9

1. Une nécessité de légiférer ... 11

2. Un dispositif sécurisant l’économie de la filière audiovisuelle et cinématographique... 13

B- Un régime juridique aux nombreuses évolutions... 15

1. Un régime initialement réglementaire fixé par les pouvoirs publics ... 15

2. Un régime progressivement conventionnel sous l’influence de l’Union européenne ... 18

a) Une compatibilité avec le droit européen ... 18

b) Une préférence accordée à la voie conventionnelle ... 19

3. De nouveaux obstacles issus des évolutions technologiques ... 21

II- Le fonctionnement de la chronologie des médias ... 23

A- Un système fondé sur un mécanisme incitatif ... 23

1. Le système français ... 24

a) Des obligations légales d’investissement dans la création ... 24

i) Les services de cinéma ... 25

ii) Les services dits « généralistes » ... 26

iii) Les services de médias audiovisuels à la demande ... 27

b) Des contributions fiscales en faveur de l’État ... 28 c) Des engagements de programmation assurant la vitalité du cinéma français 29

(6)

2. Le système canadien... 31

B- Un système fondé sur des fenêtres de diffusion successives ... 34

1. Le système français : une fixation stricte des fenêtres de diffusion ... 35

a) L’accord du 6 juillet 2009 : un arrangement obsolète ... 35

b) Un nouveau consensus en 2018 ... 36

2. Le système canadien : une fixation plus souple des fenêtres de diffusion ... 40

Chapitre 2 – La chronologie des médias, un système à réformer pour l’industrie cinématographique française ... 43

I- Une rupture issue du numérique ... 43

A- L’irruption de nouveaux acteurs ... 43

1. Un nouveau modèle d’affaires centré sur l’exclusivité de contenus ... 44

a) Une double casquette : producteur et diffuseur ... 46

b) Une concurrence accrue... 48

2. Une intégration en demi-teinte au sein de la chronologie ... 50

a) Un dispositif incitatif très affaibli ... 51

b) Une chronologie fragmentée ... 54

B- Une modification des usages ... 56

1. De nouveaux usages de consommation ... 56

a) La consommation d’œuvres cinématographiques : d’une expérience collective à une pratique individuelle sans frontières ... 56

b) Des risques accrus de piratage suscités par de nouvelles attentes ... 58

2. Une numérisation modifiant les modes de production et d’exploitation en salles 61 II- Une refondation indispensable ... 65

A- Un nécessaire assouplissement du mécanisme ... 66

1. Une requalification de la notion d’œuvre cinématographique ... 66

2. Un panel d’expérimentations en faveur d’une adaptation de la chronologie ... 69

a) Une meilleure compréhension de l’impact des fenêtres de diffusion sur le marché audiovisuel et cinématographique ... 70

b) Une modulation des fenêtres de diffusion en fonction des résultats issus des expérimentations ... 73 B- Un meilleur traitement des plateformes de vidéo à la demande par abonnement . 76

(7)

1. Une incitation à la vertu ... 76

a) La directive « SMA » de 2018... 77

b) Une fenêtre de diffusion plus adaptée aux plateformes de SVOD ... 79

2. Une promotion par le développement de plateformes françaises ... 83

a) La SVOD : un atout pour la visibilité des œuvres ... 83

b) Un encouragement nécessaire ... 84

Conclusion ... 89

Bibliographie ... 93

Annexe A : La fréquentation des salles face au développement de la télévision ... 108

Annexe B : La chronologie des médias canadienne ... 109

Annexe C : La distribution géographique française des entrées en salles et des transactions iTunes de l’œuvre Master of the Universe de Marc Bauder... 110

(8)

AGCS ARP ATAWAD BLIC CNC CRTC CSA EOF FAI FNCF GATT OMC ORTF PAF SACD SMA SMAD SVOD

Liste des abréviations, sigles, acronymes

Accord Général sur le Commerce des Services

Société civile des Auteurs, Réalisateurs et Producteurs

« Anytime, Anywhere, Any device »

Bureau de Liaison des Industries Cinématographiques

Centre National du Cinéma et de l’image animée Conseil de la Radiotélévision Canadienne

Conseil Supérieur de l’Audiovisuel Expression Originale Française

Fournisseur d’Accès à Internet

Fédération Nationale des Cinémas Français

Accord Général sur les Tarifs douaniers et le Commerce

Organisation Mondiale du Commerce

Office de Radiodiffusion-Télévision Française

Paysage Audiovisuel Français

Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques

Services de Médias Audiovisuels

Services de Médias Audiovisuels à la Demande

(9)

TSA TSF TST-D TST-E TSV TVQ VàDA VPN VSD VSDP VSDT VSDTE

Taxe Spéciale Additionnelle

Télévision Sans Frontières (directive européenne)

Taxe progressive sur les services de télévision applicable aux distributeurs

Taxe sur les services de télévision applicable aux éditeurs

Taxe sur les éditeurs vidéo et les ventes de vidéogrammes

Taxe de Vente du Québec

Vidéo à la Demande à l’Acte Virtual Private Network

Vidéo Sur Demande (Canada)

Vidéo Sur Demande Primeur (Canada)

Vidéo Sur Demande Transactionnelle (Canada)

(10)

« Un film est quelque chose de très personnel, bien plus que le théâtre, car le film en lui-même, c’est quelque chose de mort. Le film ne se nourrit pas de la réaction du public. Un film ne vient pas à la vie parce qu’on le projette dans une salle. Finalement, et pour toujours, un film est aussi mort qu’un livre. Et potentiellement, éternellement vivant »1

(11)

Remerciements

Je remercie tout d’abord mes co-directrices de mémoire, Madame Sarah Dormont et Madame Véronique Guèvremont pour leur patience, leurs conseils, mais également leur intérêt constant accordé à mon projet.

Je remercie également Madame Alexandra Bensamoun de m’avoir permis d’intégrer le Master 2 Propriété intellectuelle fondamentale et technologies numériques de Paris-Sud, et de pouvoir ainsi bénéficier d’une telle expérience outre-Atlantique avec l’Université Laval.

De plus, je remercie mes camarades de Master 2 pour leurs encouragements et leur bonne humeur tout au long de cette année franco-canadienne.

Enfin, je remercie Monsieur Marc Le Roy pour le temps qu’il m’a accordé, ses précieuses réponses à mes nombreuses interrogations, et son enthousiasme à transmettre à étudiants, professionnels, non-professionnels, juristes ou non juristes, son intérêt pour le passionnant sujet qu’est la chronologie des médias.

(12)

Introduction

En 2017, le 70e édition du Festival de Cannes a suscité une vague de polémiques au sein de l’industrie du septième art. Thierry Frémaux, délégué général de la prestigieuse compétition, annonçait en effet la sélection officielle des films Okja de Bong Joon-ho et The

Meyerowitz Stories de Noah Baumbach2, tous deux produits par la société américaine de service de vidéo à la demande par abonnement (« SVOD ») Netflix.

La Fédération nationale des cinémas français (« FNCF ») contestait vivement ce choix : selon elle, Cannes ne pouvait accepter que des œuvres produites par un acteur spécialisé dans une exploitation uniquement dématérialisée, en ligne, soient sélectionnées à un tel évènement cinématographique3.

Une œuvre cinématographique est qualifiée par sa sortie en salles de cinéma. Or, le modèle d’affaires de Netflix, mais également des autres services SVOD, est d’accepter une sortie en salles des films qu’elles produisent dès lors que celle-ci peut se combiner à une sortie simultanée en ligne, sur leur plateforme de vidéo à la demande par abonnement (ou pratique dite du « day-and-date »). Une telle diffusion simultanée n’est pourtant pas permise par l’une des pièces maîtresses de la réglementation française de l’industrie du cinéma : la chronologie des médias. Dès lors, selon la FNCF, la sélection des deux films produits par Netflix n’a pas lieu d’être dans une compétition destinée aux œuvres cinématographiques.

2 Catherine MORIN-DESSAILLY, Entre stratégies industrielles, soutien à la création et attentes des publics :

les enjeux d’une nouvelle chronologie des médias, Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, n°688, Sénat, session extraordinaire de 2016-2017, Paris, 2016, p. 5 [En ligne] <http://bit.ly/2UHudVf> (consulté le 25 janvier 2019)

3 FNCF, Communiqué de presse, Paris , 14 avril 2017, [En ligne]

<http://www.fncf.org/updir/3/CP%20FNCF%20Netflix%20Cannes%202017.pdf> (consulté le 25 janvier 2019) : « Si les salles de cinémas ne remettent pas en cause la liberté de programmation du premier festival de cinéma du monde, ni le fait que de nouveaux acteurs internationaux viennent légitimement, comme Amazon, contribuer au développement et au financement du Cinéma, elles contestent ce choix (…). En effet, si les films du Festival de Cannes contrevenaient à la réglementation en vigueur sur la chronologie des médias, par exemple en étant diffusés sur internet simultanément à une sortie en salles, ils seraient passibles de sanctions par le CNC. Qu’en sera-t-il demain, si les films du Festival ne sortaient pas en salle, remettant ainsi en cause leur nature d’œuvre cinématographique ? De plus, Netflix, qui vient de fermer ses bureaux en France, montre qu’il contourne depuis plusieurs années la réglementation française et les règles fiscales (TVA et TSA). Ces règles fondent le cycle vertueux et le financement d’un écosystème exemplaire pour le cinéma de notre pays, qui permet aujourd’hui à la plupart des films français et étrangers de la Sélection officielle d’exister ».

(13)

La chronologie des médias est un mécanisme fondateur du cinéma français. Elle consiste à ordonner la vie d’une œuvre cinématographique selon un calendrier de diffusion bien précis. En d’autres termes, des délais variant de quatre mois à trois ans sont fixés entre la sortie d’un film en salles de cinéma, et sa diffusion successive sur d’autres supports variés : DVDs, Blu-rays, télévision, ou encore diffusion en ligne. Au terme de cette chaîne de diffusion, chaque exploitant qui souhaite diffuser l’œuvre en question se voit attribuer une fenêtre d’exploitation spécifique, dont il bénéficie à titre exclusif pendant une certaine période. Autrement dit, la pratique du « day-and-date » est proscrite.

Les salles de cinéma sont grandement avantagées par la chronologie des médias en se voyant attribuer une première fenêtre d’exploitation, leur assurant ainsi première exclusivité pour la diffusion d’un film. En effet, ce mécanisme s’est initialement mis en place pour protéger la salle de la croissante menace que représentait la télévision dans les années soixante.

Si aujourd’hui télévision et cinéma cohabitent plutôt harmonieusement, il n’en va pas de même pour les nouveaux grands acteurs du numérique, à savoir les plateformes de SVOD telles que le géant américain Netflix. Pointées du doigt par l’industrie cinématographique, qui voit en elles une nouvelle menace pesant sur les salles, ces plateformes se voient reléguées au rang de dernière fenêtre d’exploitation au sein de la chronologie des médias. A ce titre, elles ont l’obligation d’attendre parfois jusqu’à trois ans afin de pouvoir diffuser un film initialement sorti en salles de cinéma en France sur leur plateforme. Las d’attendre un délai relativement long pour pouvoir diffuser, ces nouveaux acteurs établissent des stratégies afin de contourner la chronologie des médias, et s’aligner sur leur modèle d’affaires fondé sur une exploitation d’œuvres via Internet, de la manière la plus rapide qu’il soit.

Par la production d’Okja et de The Meyerowitz Stories sélectionnés à Cannes, Netflix effectue un premier pas vers une sortie de la réglementation calendaire du cinéma, démontrant par cela ses failles. En effet, les deux films sélectionnés au festival cannois ne seront pas, contrairement à l’idée de la FNCF, disponibles simultanément sur deux canaux

(14)

de diffusion, à savoir les salles et Internet. Ils seront uniquement visibles en ligne, sur la plateforme SVOD4.

La société américaine est bien fondée à agir de la sorte : la chronologie des médias ne s’applique qu’aux œuvres cinématographiques, à savoir les œuvres sortant en salles de cinéma. Dès lors qu’un film ne sort pas publiquement au cinéma, il n’est pas censé suivre la chronologie d’exploitation imposée.

Une telle stratégie de la part de Netflix n’a fait qu’amplifier les critiques, mais également les inquiétudes s’agissant de la vitalité des salles de cinéma en l’absence de toute sortie publique d’un film. Le Festival de Cannes s’est dès lors empressé de répondre :

Le Festival (…) est conscient de l’inquiétude suscitée par l’absence de sortie en France de ces films en salles. Le Festival de Cannes a demandé en vain à Netflix d’accepter que ces deux films puissent rencontrer les spectateurs des salles françaises et pas uniquement ses seuls abonnés. De fait, il déplore qu’aucun accord n’ait pu être trouvé. Le Festival est heureux d’accueillir un nouvel opérateur ayant décidé d’investir dans le cinéma, mais veut redire tout son soutien au mode d’exploitation traditionnel du cinéma en France et dans le monde. En conséquence (…) dorénavant, tout film qui souhaitera concourir en compétition à Cannes devra préalablement s’engager à être distribué dans les salles françaises. Cette disposition s’appliquera dès l’édition 2018 du Festival (…) 5

Si le Festival a ainsi clos ponctuellement le débat, ce dernier est loin d’être terminé. En effet, en 2019 le film Roma d’Alfonso Cuarón, également produit par la plateforme américaine, se voit récompenser aux prestigieuses compétitions des Oscars et de la Mostra de Venise. La même année, lors de la 72e édition du Festival de Cannes, Netflix annonce l’acquisition des droits d’Atlantique de Mati Diop (Grand Prix du Jury) et de J’ai perdu mon

corps de Jérémy Clapin (Grand Prix de la Semaine de la Critique), déviant dès lors les

derniers avertissements de la compétition française, puisque ces deux films seront désormais disponibles presque partout dans le monde sur la plateforme, sauf en France6. Le géant de la

4 Catherine MORIN-DESSAILLY, supra note 2

5 FESTIVAL DE CANNES, Communiqué de presse, Cannes, 10 mai 2017, [En ligne] <

https://www.festival-cannes.com/fr/infos-communiques/communique/articles/communique-de-presse-du-festival-de-cannes> (consulté le 2 février 2019)

6 Alexandre BERNARD, « Netflix provoque le Festival de Cannes en rachetant les droits de deux films primés »

(2019) Le Figaro [En ligne] < http://www.lefigaro.fr/festival-de-cannes/netflix-provoque-le-festival-de-cannes-en-rachetant-les-droits-de-deux-films-primes-20190528> (consulté le 20 mai 2019)

(15)

SVOD a également prévenu ses abonnés de la sortie sur sa plateforme de The Irishman de Martin Scorsese en septembre 2019.

En contournant ainsi la chronologie des médias, Netflix démontre les premières fissures de celles-ci. Françoise Nyssen, ancienne Ministre de la Culture, la considère même « décalée par rapport aux usages (…), décalée par rapport à l’évolution du paysage

audiovisuel »7. L’heure est en effet à un Internet de plus en plus rapide, où les consommateurs souhaitent pouvoir visionner des films en tout temps, sur tous supports, sans attendre, au risque de se détourner vers la contrefaçon via piratage et streaming illégal.

Les nouvelles exigences d’un public en quête constante de nouveauté et de rapidité en termes de consommation audiovisuelle ont bien été assimilées par le modèle d’affaires des plateformes SVOD. Ces dernières croissent d’ailleurs de manière exponentielle, proposant de plus en plus de contenus dits exclusifs, réservés à leurs abonnés. De nouveaux acteurs ont en effet récemment fait leur entrée dans l’industrie de la vidéo à la demande : Amazon Prime Video, Hulu, Disney + dont la sortie est prévue pour fin 2019, et un nouvel acteur du groupe américain AT&T réunissant HBO et Warner, « HBO Max », annoncé pour printemps 20208.

Une telle situation inquiète. En effet, si de tels nouveaux acteurs issus du développement numérique contournent la chronologie des médias, ils ne suivent pas non plus les mêmes règles que les diffuseurs traditionnels, à savoir les obligations de contributions financières et de diffusion (quotas et restrictions), éléments phares du régime de l’exploitation calendaire.

Troisième pays producteur de films cinématographiques au monde, après les États-Unis et l’Inde, la France est considérée comme l’industrie la plus dynamique d’Europe,

7 MINISTERE DE LA CULTURE, « Discours de Françoise Nyssen, ministre de la Culture, prononcé à

l’occasion de la réception en l’honneur des films français sélectionnés au 71e Festival de Cannes, le mercredi

18 avril 2018 » (2018) [En ligne] < http://www.culture.gouv.fr/Presse/Archives-Presse/Archives-Discours- 2012-2018/Annee-2018/Discours-de-Francoise-Nyssen-ministre-de-la-Culture-prononce-a-l-occasion-de-la- reception-en-l-honneur-des-films-francais-selectionnes-au-71e-Festival-de-Cannes-le-mercredi-18-avril-2018> (consulté le 3 juin 2019)

8 Marcus DUPONT-BESNARD, « Game of Thrones, Friends : HBO Max sort l’artillerie lourde pour titiller

Netflix » (2019) [En ligne] < https://www.numerama.com/pop-culture/532599-game-of-thrones-friends-hbo-max-sort-lartillerie-lourde-pour-titiller-netflix.html> (consulté le 10 juillet 2019)

(16)

notamment grâce à son dispositif législatif et financier mis en place par les pouvoirs publics9. Si les plateformes SVOD déséquilibrent actuellement les piliers de la filière cinématographique française, il convient de procéder à une réforme. Dès lors, ce projet de mémoire tend à répondre à la question suivante : Comment la chronologie des médias,

produit de l’exception culturelle, peut-elle s’adapter face à l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux usages dans la filière cinématographique ?

Une telle problématique peut se subdiviser en quatre questions de recherches :

- Comment une réforme de la chronologie des médias peut-elle permettre de rééquilibrer la filière cinématographique française ?

- Comment renforcer le financement de l’industrie cinématographique française, et inciter les nouveaux diffuseurs à respecter les mêmes obligations de contribution que les acteurs traditionnels de la filière ?

- Comment protéger les œuvres face aux risques de piratage, inhérents au développement du numérique et à un Internet aujourd’hui sans frontières ?

- Comment assurer le respect de l’exception culturelle, et partant de la diversité culturelle prônée par les politiques publiques françaises, à travers de tels nouveaux acteurs ?

Une refonte de la chronologie des médias doit intervenir tout en prenant en compte

le fait qu’en France, les œuvres audiovisuelles et cinématographiques disposent d’une protection spécifique et ne sont pas des biens marchands comme les autres : c’est la notion « d’exception culturelle ». Si la chronologie des médias doit être reconfigurée et assouplie, elle ne doit donc pas l’être au détriment de ce principe, la chronologie des médias ayant été initialement instaurée pour protéger le cinéma. Certaines solutions adoptées par certains États (dont les Etats-Unis ou le Canada qui adoptent une chronologie des médias en fonction des studios de production et des seules notions d’offre et de la demande) ne sont dès lors pas transposables en France si l’on souhaite respecter le principe d’exception culturelle. Il

(17)

convient par conséquent de trouver une solution adaptée à notre vision singulière de la filière cinématographique.

Nous pensons qu’une telle réforme de la chronologie des médias ne peut également pas se passer d’une prise en compte des plateformes de vidéo à la demande par abonnement, en termes d’obligations mais également en termes de considération. S’agissant dans un premier temps de leurs obligations d’investissement comme de diffusion (quotas et restrictions, par exemple), un écart s’est aujourd’hui creusé entre anciens et nouveaux acteurs. Il convient d’estomper ces écarts en incitant les plateformes à contribuer au financement du cinéma mais également à sa vitalité, afin d’assurer une véritable concurrence à armes égales entre ces différents protagonistes. Sans cette dernière, c’est l’industrie entière qui se voit déstabilisée. Une telle incitation ne peut se passer de contreparties attrayantes pour les plateformes, ce à quoi le délai aujourd’hui fixé ne répond pas.

S’agissant ensuite de leur réputation, si les plateformes sont aujourd’hui décriées par la critique, leur rapide croissance n’est pourtant que le reflet de la demande des consommateurs qui désirent avoir un accès de plus en plus rapide aux œuvres. Nous sommes dès lors convaincus que les plateformes SVOD ne sont pas une véritable menace pour l’industrie cinématographique : elles indiquent seulement les fragilités de la chronologie des médias qui, initialement pensée pour faire face à la croissance des télévisions dans les années soixante, n’est aujourd’hui plus en phase avec son temps.

De tels acteurs à la demande possèdent d’ailleurs de nombreux avantages : leur attractivité détourne le public des offres illégales, agissant ainsi à titre de rempart contre la consommation illégale d’œuvres et le piratage. De plus, les plateformes peuvent permettre de donner de la visibilité à des œuvres dont le succès n’était pas assuré. Roma, d’Alfonso Cuarón, en est, comme nous le verrons, un bon exemple.

Il pourrait également être intéressant de requalifier la notion d’œuvre cinématographique, point de départ de la chronologie des médias. En effet, si seules les œuvres sorties en salles doivent respecter cette chronologie, les œuvres produites par les plateformes SVOD et ne passant pas par cette case contournent le sacrosaint mécanisme. En repensant cette notion, les plateformes ne pourraient dès lors échapper à leurs obligations.

(18)

Enfin, nous pensons que la chronologie des médias doit être assouplie afin de permettre d’expérimenter au sein de l’ordre et de la durée des fenêtres de diffusion. Aujourd’hui, de telles expériences sont interdites au sein du mécanisme français dont la rigidité impose de suivre strictement le calendrier fixé. Expérimenter et diffuser dans un ordre moins ordonné permettrait pourtant de comprendre comment notre mécanisme actuel peut évoluer vers un modèle viable qui assurerait à chaque œuvre une certaine rentabilité sans nécessairement respecter le délai de quatre mois habituellement réservé aux salles de cinéma10. En effet, si certes la projection en salles de cinéma doit être protégée afin d’assurer aux œuvres une premier financement grâce à la taxe prélevée sur chaque billet vendu, celle-ci présente également certains inconvénients qu’il convient de régler.

Le mécanisme de la chronologie des médias est particulier, puisqu’il lie exploitation cinématographique et investissement dans la filière : si un diffuseur souhaite bénéficier d’une fenêtre exclusive d’exploitation, il n’a en théorie d’autre choix que de financer la filière. Une telle interdépendance rend la chronologie des médias potentiellement fragile. Celle-ci peut en effet être comparée à un château de cartes : si le moindre mouvement est mal exécuté, et notamment si l’un des maillons de la chaîne s’écroule, c’est l’entière construction qui peut s’abattre11. Là est l’intérêt de notre recherche : de par son caractère actuel et le risque encouru

par l’industrie du septième art, des solutions doivent être apportées afin de réformer et rééquilibrer la chronologie des médias telle qu’elle existe en France.

Afin de répondre aux problèmes posés par ce calendrier de diffusion, la recherche menée dans ce mémoire propose une approche historique. Il est en effet essentiel de saisir la raison d’être de la chronologie des médias et les motivations ayant poussé à sa construction afin de mieux appréhender le mécanisme et ses enjeux.

Sans utiliser une approche comparative, nous ferons des incursions ponctuelles en droit canadien afin de comprendre la spécificité de la chronologie française face à ses

10 C’est d’ailleurs ce que réclame depuis quelques années Pascal Rogard, directeur de la Société des Auteurs et

Compositeurs Dramatiques française (SACD)

11 Marc LE ROY, « Netflix fera-t-il exploser le modèle audiovisuel français ? » (2014) La Revue des Médias

[En ligne] <https://larevuedesmedias.ina.fr/netflix-fera-t-il-exploser-le-modele-audiovisuel-francais> (consulté le 16 janvier 2019)

(19)

consœurs étrangères. Nous nous demanderons également si la France peut s’inspirer d’un tel modèle.

De plus, ce mémoire s’inscrit dans une perspective de réforme. Comme évoqué précédemment, nous étudierons les possibilités qui peuvent s’offrir à la chronologie des médias afin que celle-ci prenne mieux en considération l’émergence des plateformes de vidéo à la demande et les nouveaux usages issus du numérique. Une telle prise en compte doit toutefois être équilibrée, et continuer de protéger équitablement les diffuseurs traditionnels tels que les chaînes de télévision et la salle de cinéma.

Dans le cadre de cette recherche, nous utiliserons l’analyse exégétique12

traditionnelle par le biais de l’étude des différentes sources juridiques françaises et canadiennes qui entourent le cadre de la chronologie des médias. Notre recherche sera également fondée sur la théorie du droit, cette analyse permettant de mieux comprendre la technicité du mécanisme étudié, ainsi que son efficacité face aux nouveaux diffuseurs et aux évolutions technologiques, ce, en interprétant les sources juridiques et en prenant du recul sur ces dernières par l’étude de la doctrine.

Ce mémoire s’articule autour de deux parties distinctes. Dans un premier temps, nous essayerons d’appréhender la chronologie des médias à travers son origine et son cadre juridique, faisant d’elle un pilier fondateur de l’industrie cinématographique française (I). Nous verrons toutefois, dans un second temps, qu’un tel mécanisme ne peut subsister face aux nouvelles menaces issues du développement du numérique, et qu’une réforme est nécessaire (II).

12 Celle-ci peut être définie comme une méthode de recherche visant à recueillir et agencer des données

juridiques, interpréter le droit positif, ainsi qu’analyser des sources juridiques fiables. V. à ce titre Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, Le droit et le savoir, Ottawa, Division de l’information, 1983, p.71-80

(20)

Chapitre 1 – La chronologie des médias, un système

central dans l’industrie cinématographique française

Le cinéma n’est pas un métier sans risques. Industrie aléatoire où le succès d’un film ne se prévoit pas, il est apparu essentiel de protéger ses différents intervenants par le biais de financements sûrs, et d’une exploitation audiovisuelle la plus paisible possible. Dans ce cadre, la chronologie des médias joue un rôle particulièrement important. Véritable fondement de la filière cinématographique, elle permet aujourd’hui de rentabiliser une œuvre, tout en instituant un cercle dit vertueux dans le financement du septième art.

Dans ce premier chapitre, nous étudierons la chronologie des médias à travers ses origines (I), mais également son fonctionnement (II), en comparant ponctuellement sa situation avec sa consœur canadienne. Il est essentiel de comprendre, à ce stade préliminaire, que la chronologie des médias constitue un cadre stable pour le cinéma, sans lequel les risques de déséquilibres seraient constants.

I-

Les origines de la chronologie des médias

La chronologie des médias est un mécanisme essentiel au sein de l’industrie cinématographique française. S’inscrivant dans la notion d’exception culturelle, paradigme de la politique publique française (A), la chronologie fut établie dans les années quatre-vingt. Au fil des années, son régime juridique connut de nettes évolutions (B).

A- Un mécanisme de l’exception culturelle

« Le cinéma est une industrie ». Telle est la conclusion d’André Malraux dans son essai Esquisse psychologique du cinéma parue en 1939. « Technique, industrie, commerce,

propagande, divertissement, magie… Mais surtout un art ! » lui réplique Denis Marion

quelques années plus tard13.

Si le cinéma et la culture ont aujourd’hui un caractère économique les qualifiant d’industries, ils forment indéniablement un art qu’il est nécessaire de protéger : là est le

(21)

postulat de la notion d’exception culturelle14, qui repose sur l’idée que la culture, et dès lors le cinéma, doivent être affranchis de la libéralisation, principe dominant des échanges économiques internationaux actuels15. La culture ne peut donc être intégralement soumise aux règles du marché de l’offre et de la demande.

La notion d’exception culturelle, dont le terme revient à l’ancien ministre de la Culture Jack Lang16, connaît ses premières moutures dans les années quatre-vingt lors des négociations commerciales multilatérales du Cycle de l’Uruguay. Lancées en 1986 dans le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (« GATT »), elles aboutissent aux Accords de Marrakech le 5 avril 1994 créant l’Organisation Mondiale du Commerce (« OMC »). Ces négociations portaient sur l’extension des principes de libre-échange du GATT, habituellement réservés au commerce de marchandises, au secteur des services par l’adoption d’un Accord général sur le commerce des services (« AGCS »). Parmi ces principes, les clauses de traitement national17 et de la nation la plus favorisée, applicables initialement aux marchandises, suscitaient de vives inquiétudes. En effet, selon la clause de traitement national, les marchandises étrangères et nationales doivent être traitées de manière égale. La clause de la nation la plus favorisée18, quant à elle, postule qu’un État doit accorder aux produits d’un autre État un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde à un produit similaire d’un État tiers.

Les œuvres cinématographiques et audiovisuelles étant qualifiées de services depuis un arrêt de l’ancienne Cour de justice des Communautés européennes en 197419,

celles-ci se voyaient directement concernées par les négociations du Cycle de l’Uruguay. Or, appliqués au secteur de l’audiovisuel, les principes de traitement national et de clause de la nation la plus favorisée revenaient à attribuer d’éventuelles subventions à des majors tels que des producteurs américains si de telles aides étaient attribuées à des producteurs nationaux. De plus, si des avantages étaient accordés à des pays en voie de développement afin de leur

14 Aude TINEL, « Qu’est-ce que l’exception culturelle ? » (2000) Revue du marché commun de l’Union

européenne 78

15 Ibid.

16 Joelle FARCHY, La fin de l’exception culturelle ?, Paris, CNRS Editions, 1999, p.7

17 Article 3 de l’Accord général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT), 1947 ; article 17 de l’Accord

général sur le Commerce des Services (AGCS), 1994

18 Article premier du GATT ; article 2 de l’AGCS 19 CJUE, 30 avril 1974, Sacchi, aff. 155/73, Rec. 409

(22)

permettre une certaine visibilité culturelle, de tels avantages devaient être accordés à tous les autres États20. Partant, la France ressentit la nécessité de légiférer afin de protéger la culture, et notamment le secteur audiovisuel (1). Ce dernier s’est à ce titre vu doté d’un mécanisme protecteur de son financement : la chronologie des médias (2).

1. Une nécessité de légiférer

La France, attachée aux mécanismes de soutien à la production culturelle a dès lors manifesté, au sein de la Communauté européenne, sa volonté de défendre la culture dont les œuvres audiovisuelles et cinématographiques. Elle récusait en effet l’application de tels principes de libres échanges à des services ayant une dimension symbolique et une identité culturelle forte21 : la notion d’exception culturelle est née.

Malgré ces protestations, le domaine audiovisuel ne se vit pas exclure de l’AGCS. Un compromis fut néanmoins trouvé afin que l’Union européenne ne prenne aucun engagement quant à la libéralisation de ce secteur22.

Si la France souhaite protéger la culture avec autant de vigueur, c’est qu’elle lui accorde depuis bien longtemps un vif soutien. De Louis XIII créant l’Académie française, Louis XIV, l’Opéra et la Comédie française23, mais également Beaumarchais et la création

d’un droit d’auteur personnaliste et romantique unique en son genre, la culture a toujours occupé une place prépondérante dans l’Hexagone.

L’exception culturelle française se matérialise également en 1969 par la création du Ministère de la Culture sous l’égide d’André Malraux, associant l’État au financement de la création, mais également dans les années quatre-vingt-dix par la loi sur le prix unique du livre24, refusant d’abandonner le prix des biens culturels aux lois destructrices du marché25. L’industrie audiovisuelle et cinématographique n’y échappe pas : est créé par la loi du 25

20 Joelle FARCHY, « Exception et diversité culturelle » (2014) 14 Juris art 33

21 Serge REGOURD, L’exception culturelle, Paris, PUF, Collection « Que sais-je », 2004, p. 18 22 Joelle FARCHY, supra note 20

23 Claude ESCLATINE, « Exception culturelle française : étatisme ou chance historique ? » (2013) 65

Géoéconomie 183

24 Loi n°81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, JO du 11 août 1981

(23)

octobre 1946 le Centre national de la cinématographie, devenu Centre national du cinéma et de l’image animée26 (« CNC ») en 2009, véritable soutien à la production.

La notion d’exception culturelle s’est toutefois progressivement transformée en « diversité culturelle », préférée au précédent terme jugé trop protectionniste pour certains27, ou encore trop marqué par une conception franco-française pour d’autres28. Cette diversité peut être définie comme le respect d’une pluralité d’identités caractérisant les différentes sociétés, constituant ainsi un patrimoine commun de l’humanité dont la survie est nécessaire29. La diversité culturelle conduit en effet à élargir les choix offerts à chacun, mais aussi à développer la croissance économique, tout en étant un moyen d’accéder à une existence intellectuelle, affective, morale et spirituelle satisfaisante30.

Par cette notion, il est désormais nécessaire de maintenir une offre culturelle variée et accessible31, notamment en ce qui concerne les œuvres audiovisuelles et

cinématographiques.

Le respect de la diversité culturelle se traduit aujourd’hui par un ensemble de dispositifs visant à favoriser la création, production, distribution et diffusion des œuvres culturelles32, notamment par l’adoption de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle par l’UNESCO le 2 novembre 2001, puis de la Convention prise par le même organisme sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles le 20 octobre 2005.

En accord avec de tels objectifs de soutien à la culture, mais également de maintien de la diversité, des règlementations spécifiques et protectrices du septième art ont émergé

26 Pascal KAMINA, supra note 10, p.67 27 Laurence FRANCESCHINI, supra note 25

28 Véronique GUEVREMONT (dir.), Mémoire de la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions

culturelles présenté au Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications dans le cadre de son Appel aux observations lancé le 24 septembre 2018, 2019, p. 9

29 Article premier de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, 2 novembre 2001 30 Ibid. Article 3

31 Marie-Christine PIATTI, « L’exception culturelle en tension : protectionnisme économique ou protection

culturelle ? » (2017) 49 Juris art 31

32 Pierre LESCURE, Rapport, Mission « Acte II de l’exception culturelle », Contribution aux politiques

(24)

afin d’en assurer vitalité et sécurité financière : c’est le cas notamment du mécanisme dit de chronologie des médias.

2. Un dispositif sécurisant l’économie de la filière audiovisuelle et cinématographique

La chronologie des médias peut être définie comme un calendrier régissant la diffusion de films, dès leur sortie en salles de cinéma, sur différents supports : vidéogrammes (supports physiques tels que les DVD et les Blu-rays), vidéo à la demande payante à l’acte (« VàDA »)33, télévision gratuite ou payante, vidéo à la demande par abonnement (« SVOD »)34 et télévision de rattrapage (ou « catch up TV »)35. Elle définit pour chaque diffuseur une fenêtre exclusive d’exploitation. Ce mécanisme ne s’applique qu’aux œuvres cinématographiques, à savoir des œuvres audiovisuelles exploitées en salles après obtention d’un visa d’exploitation36. Ainsi, la chronologie ne commence qu’au moment où un film sort

en salles. A contrario, si celui-ci ne connaît aucune sortie publique au cinéma, il ne se verra pas appliquer ce calendrier, laissant son exploitation beaucoup plus libre.

Une telle chronologie a été instaurée en considération des coûts de production des œuvres. En effet, les œuvres cinématographiques coûtent très cher, tandis que leurs recettes sont très incertaines. L’État est donc intervenu, au titre de l’exception culturelle, afin de sécuriser ces financements et soutenir la production nationale en instaurant un tel calendrier. En effet, si un acteur souhaite diffuser un film et disposer d’une fenêtre exclusive d’exploitation, il est tenu de contribuer au financement de la filière par le biais d’investissements et de contributions fiscales37. De plus, afin d’éviter que l’industrie ne se

dirige, pour des soucis de rentabilité, vers un star system ou une production plus ciblée vers des blockbusters au détriment d’une diversité culturelle38, l’État instaure des obligations de

quotas de diffusion d’œuvres françaises et européennes pour les diffuseurs, en contrepartie

33 Service de vidéos disponible en ligne, où le consommateur paye un prix pour visionner chaque œuvre

proposée au sein du service. Exemple : MyTFI VOD ou iTunes Video

34 Service de vidéos disponible en ligne, où le consommateur paye un prix d’abonnement pour accéder à un

contenu illimité d’œuvres présentées à travers un catalogue. Exemple : Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney +

35 Service de télévision à la carte, où le consommateur accède gratuitement aux programmes diffusés par une

chaîne de télévision après leur diffusion. Exemple : MyTF1 Replay ou M6 Replay

36 Article L.211-1 du Code du cinéma et de l’image animée 37 V. infra Chapitre 1, II, B, p. 31

(25)

d’une fenêtre au sein de la chronologie. La diversité culturelle est dès lors dirigée au bénéfice de la France, qui y voit un moyen de promouvoir sa production nationale.

L’un des principes essentiels de ce mécanisme consiste en une maximisation de la valorisation des œuvres dans le temps39. En effet, le caractère de nouveauté d’une œuvre lui

assure une grande valeur marchande : plus tôt un diffuseur dispose de l’œuvre, plus il peut espérer obtenir un fort retour sur investissement, puisque l’œuvre attirera un grand nombre de consommateurs. L’exploitation commence dès lors avec la salle, puisque celle-ci constitue le mode où les consommateurs sont prêts à payer le plus cher. Puis, l’exploitation sera segmentée en fonction des demandes des consommateurs, n’ayant pas tous la même impatience et n’étant pas disposés à payer la même somme. La succession de chacune des fenêtres se fera donc selon des consentements à payer décroissants, la « frustration » de chacun des consommateurs générant du revenu. Par ce mécanisme, les consommateurs n’ont dès lors d’autres choix que d’aller voir un film en salles de cinéma, ou bien attendre un certain délai plus ou moins long.

En assurant à chaque support de diffusion une fenêtre exclusive d’exploitation, les diffuseurs sont assurés d’une jouissance paisible de l’œuvre qu’ils sont contraints de financer (s’ils souhaitent diffuser une telle œuvre). La chronologie permet ainsi d’éviter toute concurrence ou « cannibalisation » de chacun des exploitants, tout en assurant le préfinancement des œuvres. Elle est donc perçue comme un juste équilibre entre diffusion et financement de la création, répondant à la notion d’exception culturelle française.

Si un tel équilibre s’est vu institué, c’est parce que la filière cinématographique se voyait menacée. L’irruption de la télévision a en effet suscité une vague d’inquiétude chez les acteurs de l’industrie, y voyant un obstacle à la vitalité des salles de cinéma. Le mécanisme de la chronologie des médias s’est dès lors lentement imposé, son régime juridique évoluant progressivement au fil des années.

39 Pierre LESCURE, supra note 32 p. 90

(26)

B- Un régime juridique aux nombreuses évolutions

La chronologie des médias doit son origine aux nombreuses évolutions technologiques ayant affecté les modes de diffusion d’une œuvre, et notamment la télévision. A la fin du vingtième siècle, cette dernière menaçait en effet de plus en plus les salles de cinéma, et il s’est avéré nécessaire pour les pouvoirs publics de contrer cette concurrence par le biais d’un régime réglementaire, mettant en place un calendrier de diffusion des œuvres cinématographiques (1). L’Union européenne s’est également emparée du sujet, en insufflant quant à elle un régime conventionnel (2). Toutefois, les évolutions technologiques ne se sont pas arrêtées à la télévision, et de nouvelles menaces sont apparues, bouleversant le mécanisme déjà mis en place (3).

1. Un régime initialement réglementaire fixé par les pouvoirs publics

Au cours des années soixante, l’apparition de la télévision et sa démocratisation au sein des foyers français provoquent une chute de la fréquentation des salles de cinéma, faisant basculer la consommation audiovisuelle et cinématographique d’une pratique collective à individuelle. En effet, alors qu’en 1960 le nombre d’entrées en salles en France s’élevait à 354,6 millions, dix ans plus tard celui-ci est quasiment divisé par deux, chutant à 184,4 millions concomitamment à la multiplication des postes de télévision au sein des ménages40.

La chute de la fréquentation des salles et la généralisation de la diffusion télévisuelle ont impacté le financement de la filière cinématographique. En effet, à l’époque un film ne se rentabilisait presque uniquement que par les revenus générés par son exploitation au cinéma. La baisse de fréquentation engendrait dès lors une diminution des recettes des salles, mais également un danger pour les fonds d’aides à la production attribués par le CNC, puisque ceux-ci étaient exclusivement financés par une taxe sur les billets d’entrées en salle41. « Est-ce trop demander que le film reste l’exclusivité des salles de cinéma et que le public, s’il veut voir ce spectacle paye un prix d’entrée ? », écrivait le

producteur Henri Deutschmeister de la société Franco London films, dans le

40 V. Annexe A p.108

41 Grégoire GILBERT, Notre cher cinéma. Du parlant à la télédiffusion 1930-1975, tome 1, Paris, L’Harmattan,

(27)

« Film français » le 30 mai 195842. Véritable déferlante, la télévision est dès lors apparue comme un fléau pour le cinéma français.

Si la filière cinématographique a subi un tel préjudice, elle y a partiellement contribué. En effet, l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française (« ORTF »), unique diffuseur télévisuel à cette époque, bénéficiait d’un grand nombre de films vendus à prix bas par l’industrie du cinéma. Roger Sallard, ex-président de Gaumont, le souligne lors d’une conférence donnée à la Sorbonne en 196943 :

Les gens du Cinéma ont apporté un concours de fait très important au développement de la Télévision, en mettant notamment à sa disposition le trésor de leurs stocks de films, loués pour des prix dérisoires et qui constituaient un élément fondamental du programme.

Face à une telle menace, les organisations professionnelles de la filière demandèrent, au sein d’une commission instituée en janvier 1957 et présidée par le conseiller d’Etat Heilbronner, la réduction du nombre de films diffusés à la télévision. Elles fixèrent cette limitation à cinquante-deux films annuellement télédiffusés, et réclamèrent la suppression de ces diffusions en fin de semaine. Peinant toutefois à obtenir gain de cause, la FNCF assigna l’ORTF devant le Tribunal de commerce de la Seine le 6 mars 196344,

considérant que la diffusion des films par l’organisme télévisuel constituait un acte de concurrence illicite et un abus de position dominante. La Fédération sera néanmoins déboutée par un jugement en date du 8 mars 1965, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris rendu le 17 mars 196745.

Afin d’apaiser les tensions entre les deux acteurs, la commission des relations cinéma-télévision du Bureau de Liaison des Industries Cinématographiques (« BLIC »)46,

42 Ibid.

43 Cité dans Grégoire GILBERT, Notre cher cinéma. Du parlant à la télédiffusion 1930-1975, tome 1, Paris,

L’Harmattan, 2008, p. 241

44 Ibid. p. 243 45 Ibid.

46 Organisme défendant les intérêts du cinéma français, et regroupant les différentes organisations

(28)

présidée par Roger Sallard, essaya d’instaurer pour usage de faire patienter l’ORTF pendant un délai de cinq ans entre la sortie d’un film en salles en France et sa diffusion à la télévision. Un tel délai était assis sur une convention du 14 mars 1972 conclue entre le Ministre des affaires culturelles et l’ORTF47. Celle-ci imposait également un temps d’antenne

consacré à la diffusion de films inférieur à 10 %, une télédiffusion interdite le samedi et une contribution au fonds de soutien du CNC à hauteur de cinq millions de francs par an. Cette obligation d’investissement de l’ORTF, en contrepartie d’une possibilité de diffusion d’œuvres cinématographiques, constituait un premier trait de l’actuelle chronologie des médias48. L’ORTF n’a néanmoins pas respecté ces engagements.

L’éclatement de l’ORTF par la loi du 7 août 1974 a toutefois fait ressurgir les négociations entre les organisations professionnelles du cinéma. Des accords furent en effet trouvés avec les trois nouvelles chaînes publiques : la diffusion d’œuvres cinématographiques n’interviendra pas certains jours de la semaine, le nombre de films diffusés annuellement sera réduit, et les prix augmenteront pour l’acquisition d’un film49.

Le paysage audiovisuel français voit également naître dans les années quatre-vingt la première chaîne de télévision à péage : Canal +. Sous l’égide d’André Rousselet, un accord est signé le 9 mars 1984 avec le BLIC sur les relations entre cette chaîne et le cinéma. Canal, « voiture-balais du Cinéma »50 selon Rousselet, sera un service de télévision complémentaire aux salles puisqu’il pourra diffuser bon nombre de films, en échange d’une participation au financement du cinéma français à hauteur de 25 % de son chiffre d’affaires (par l’achat des droits de diffusion des films) contre un délai d’attente de douze mois après la sortie d’un film en salles.

La nouvelle chaîne connaîtra toutefois des difficultés avec l’élargissement du paysage audiovisuel français (PAF), mais aussi l’apparition des cassettes VHS au milieu des années quatre-vingt. Une telle nouvelle évolution au sein du mode de diffusion des œuvres

47 Grégoire GILBERT, supra note 41 p. 246

48 Baptiste SALVAN, La chronologie des médias face aux nouveaux usages : un changement de modèle

inéluctable ?, Mémoire de fin d’études, FEMIS, 2018, p. 15

49 Grégoire GILBERT, Notre cher cinéma. A la conquête du modèle français 1975-2006, tome 2, Paris,

L’Harmattan, 2008, p. 40

(29)

cinématographiques conduit dès lors les pouvoirs publics à véritablement réglementer sur l’ordre de diffusion des films51 : là est la véritable naissance de la chronologie des médias

réglementaire.

Le délai de cinq ans dont bénéficiait l’ORTF est en effet entériné à titre de règlementation par les arrêtés ministériels du 2 avril 1980, ainsi que par la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle52 et son décret d’application du 4 janvier 198353. L’usage est ainsi rendu obligatoire. Intervient plus tardivement la loi dite « Léotard » du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication54 et son décret d’application du 26 janvier 198755 fixant le délai de diffusion d’un film à la télévision à trois ans, et deux pour

les œuvres coproduites par les chaînes56.

Si la chronologie des médias a été réglementée par les pouvoirs publics français dans les années quatre-vingt, l’Union européenne est également intervenue, lui préférant un régime conventionnel.

2. Un régime progressivement conventionnel sous l’influence de l’Union européenne

Cette volonté de règlementer la chronologie de diffusion des films est également partagée par l’Union européenne. Déclarant sa compatibilité avec le droit communautaire (a), elle lui préfère toutefois un régime conventionnel (b).

a) Une compatibilité avec le droit européen

Dans un arrêt Cinéthèque57 rendu en 1985, la Cour de justice a jugé qu’un tel calendrier de diffusion n’était pas incompatible avec le principe communautaire de la libre-circulation des marchandises. En effet, elle a considéré que la règlementation s’appliquait

51 Sarah BERLAND, « La chronologie des médias : un mécanisme à contretemps ? » (2006) 136 Gazette du

Palais 11

52 Loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle

53 Décret n°83-4 du 4 janvier 1983 portant application des dispositions de l’article 89 de la loi n°82-652 du 29

juillet 1982 sur la communication audiovisuelle

54 Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JO du 1er octobre 1986 55 Décret n°87-36 du 26 janvier 1987 pris pour application des articles 27-I et 70 de la loi n°86-1067 du 30

septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant pour certains services de télévision le régime de diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles

56 Nicoletta PERLO, L’évolution du droit public du cinéma en France et en Italie, Thèse, Université

Aix-Marseille III, 2011, p. 295

(30)

indistinctement aux œuvres fabriquées sur le territoire national et à celles importées d’un État membre, et que les entraves qui en résultaient n’excédaient pas ce qui était nécessaire à la réalisation de l’objectif d’intérêt général que constitue l’encouragement à la création cinématographique.

Le Comité des ministres considérait déjà, en 198758, que les nouvelles technologies pouvaient venir affecter le marché cinématographique et la diffusion. A ce titre, il recommandait de donner priorité, par la conclusion d’accords cette fois-ci, aux salles de cinéma dans l’exploitation des œuvres cinématographiques, ainsi que « de respecter la

hiérarchie de principe suivante des modes de diffusion :

- salles,

- vidéogrammes, - télévision ; »59

S’ensuivit l’adoption de la directive « Télévision sans frontières », adoptée par le Conseil européen le 3 octobre 1989, et consacrant le mécanisme de la chronologie des médias. Son article 7 disposait ainsi qu’un délai de deux ans devait être respecté entre la sortie d’un film en salles et sa diffusion à la télévision, « sauf accord contraire entre les

détenteurs de droits et l’organisme de radiodiffusion télévisuelle »60. Le délai pouvait

néanmoins être rabaissé à un an dans le cas d’une œuvre coproduite par cet organisme. L’Union semblait alors à cette époque privilégier une intervention étatique à la voie d’accords, pensés comme exceptions à ce délai de deux ans.

b) Une préférence accordée à la voie conventionnelle

La directive « Télévision sans frontières » fut néanmoins révisée en 199761 afin de supprimer les délais en matière de diffusion télévisuelle, et renvoyer à la négociation d’accords entre les parties concernées. Son article 7 modifié disposait dès lors que les États membres devaient simplement veiller à ce que les diffuseurs ne proposent pas d’œuvres

58 Recommandation n° R (87) 7 du Comité des ministres aux Etats membres relative à la distribution des films

en Europe, 20 mars 1987

59 Ibid.

60 Directive 89/552/CEE du Parlement européen et du Conseil, 3 octobre 1989, L. 298/23 61 Directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, 30 juin 1997, L. 202/60

(31)

cinématographiques en dehors des délais convenus avec les ayants droit62. Le conventionnalisme est ainsi consacré.

De tels accords entre les professionnels de l’industrie virent le jour à la fin des années quatre-vingt-dix entre représentants du cinéma et diffuseurs, afin de fixer certains délais63, confirmant en France le consensualisme préconisé par l’Union. La loi « Léotard » du 30 septembre 1986 se voit donc modifiée afin de tenir compte de ce nouveau régime par la loi du 1er août 2000. Selon son article 70-1 modifié,

les contrats conclus par un éditeur de services de télévision en vue de l’acquisition de droits de diffusion d’une œuvre cinématographique prévoient le délai au terme duquel la diffusion de celle-ci peut intervenir. Lorsqu’il existe un accord entre une ou plusieurs organisations professionnelles de l’industrie cinématographique et un éditeur de services portant sur les délais applicables à un ou plusieurs types d’exploitation télévisuelle des œuvres cinématographiques, les délais de diffusion prévus par cet accord s’imposent à l’éditeur de services.

Ainsi, la source de la chronologie des médias n’est plus l’État : celui-ci veille simplement à faire respecter la chronologie souhaitée par les professionnels. Il s’agit dès lors non plus d’une régulation étatique, mais d’une autorégulation64 par les acteurs du secteur et

seulement confortée par les pouvoirs publics.

Néanmoins, bien qu’un tel conventionnalisme soit privilégié, persiste en France un régime règlementaire entre la sortie d’un film en salle et sa sortie sur vidéogrammes. C’est en effet ce que dispose le décret du 4 janvier 198365 modifié par le décret du 24 novembre

200066. Des dérogations au délai sont possibles par le ministre de la Culture, avec avis préalable d’une commission du CNC pour les films ayant de faibles résultats67.

62 Edouard TREPPOZ, « Juridique – Œuvre cinématographique – Diffusion : quelles mutations pour la

chronologie des médias ? » (2013) 1 Juris art 38

63 Accord du 8 janvier 1998 entre diffuseur hertzien en clair et organisme professionnel ; accord BLIC/ARP/TPS

du 15 mars 1999 ; accord BLIC/BLOC/ARP/Canal + du 20 mai 2000

64 Edouard TREPPOZ, supra note 62

65 Décret n°83-4 du 4 janvier 1983 supra note 53

66 Décret n°2000-1137 du 24 novembre 2000 modifiant le décret n°83-4 du 4 janvier 1983 portant application

des dispositions de l’article 89 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle

(32)

Un tel régime dû toutefois s’adapter à de nouveaux acteurs issus des évolutions technologiques progressives : les services non-linéaires, ou services de vidéo à la demande où le contenu est demandé par l’utilisateur68.

3. De nouveaux obstacles issus des évolutions technologiques

Après la menace de la télévision, l’émergence du numérique fit apparaître de nouveaux canaux de diffusion tels que la VàDA et la télévision de rattrapage. Face à ces évolutions, en 2007, la directive Services de Médias Audiovisuels69 (« SMA ») est venue réaffirmer le conventionnalisme de la chronologie des médias, et l’étendre à ces services de médias audiovisuels à la demande. Son article 3 quinquies prévoit en effet que « les États

membres veillent à ce que les fournisseurs de services de médias qui relèvent de leur compétence ne transmettent pas d’œuvres cinématographiques en dehors des délais convenus avec les ayants droits ». De tels services sont définis par la nouvelle directive SMA

de 2018 comme des services fournis par un fournisseur de services de médias70 pour le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur demande individuelle sur la base d’un catalogue de programmes sélectionnés par le fournisseur de services de médias71.

Il peut dès lors s’agir de services de paiement à l’acte tels que la VàDA, de SVOD (non existants en France à l’époque), ou de télévision de rattrapage.

Des négociations sont intervenues entre fournisseurs d’accès à internet (« FAI ») et acteurs de l’industrie du cinéma72, résultant en un accord du 20 décembre 2005 et créant une

fenêtre spécifique à ce nouveau mode de consommation d’œuvres. Cet accord devait être renouvelé en décembre 2006, mais faute de consensus au vu des nombreux intérêts divergents

68 Alexandre JOUX, « Services linéaires/services non linéaires » (2017) 1 La Revue européenne des médias et

du numérique

69 Directive « Services de Médias Audiovisuels » 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil, 11

décembre 2007, L. 332/27

70 Un fournisseur de services de médias est défini comme une personne physique ou morale qui assume la

responsabilité éditoriale du choix du contenu audiovisuel du service de médias audiovisuels et qui détermine la manière dont il est organisé. V. à ce titre l’article premier 1 d) de la Directive 2010/13/UE tel que modifié par la Directive 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018.

71 Article premier 1 g) de la Directive 2010/13/UE tel que modifié par la Directive 2018/1808 du Parlement

européen et du Conseil du 14 novembre 2018. V. également l’article 2 al. 6 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 telle que modifiée par la loi n°2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

72 Patrick BOIRON, « VOD et chronologie des médias : un mariage impossible ? » (2007) 135 Gazette du Palais

(33)

entre les professionnels, il n’a pu être reconduit73. Les FAI souhaitaient en effet aligner le délai de la fenêtre accordée à la VàDA sur celui des vidéogrammes, ce qui n’était pas du goût de tous.

Face à ce défaut de consensus, la loi Hadopi I du 12 juin 200974 vint effrayer les acteurs de l’industrie cinématographique et audiovisuelle, en prévoyant à son article 17 d’aligner le délai d’exploitation de la VàDA sur celui de la vidéo physique en l’absence d’accord professionnel conclu avant le mois de juillet de la même année, et ainsi mettre en œuvre un principe de neutralité technologique. Les professionnels se sont ainsi entendus par accord le 6 juillet 2009, confirmé par un arrêté en date du 9 juillet 200975.

Ce dernier accord a toutefois été récemment réformé car considéré de nombreuses fois comme obsolète face aux nouvelles évolutions technologiques, et notamment de l’arrivée de la vidéo à la demande par abonnement. La chronologie des médias actuelle est ainsi soumise à un nouvel accord professionnel pris le 21 décembre 2018 et confirmé par arrêté du 25 janvier 201976. Elle demeure dès lors un mécanisme soumis aux négociations

professionnelles et encadré par les pouvoirs publics, et dont les délais sont strictement fixés.

73 Ibid.

74 Loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur

Internet, JORF n°0135 du 13 juin 2009

75 Arrêté du 9 juillet 2009 pris en application de l’article 30-7 du code de l’industrie cinématographique 76 Arrêté du 25 janvier 2019 portant extension de l’accord pour le réaménagement de la chronologie des médias

(34)

II-

Le fonctionnement de la chronologie des médias

La chronologie des médias institue un lien fondamental entre l’exploitation d’une œuvre cinématographique et l’investissement des diffuseurs au sein de la filière. En effet, un diffuseur qui souhaiterait bénéficier d’une fenêtre exclusive d’exploitation doit respecter certaines conditions, telles que le financement de l’industrie et le respect de certaines obligations propres à la diffusion (quotas ou restrictions de programmation par exemple). Une telle interdépendance est toutefois dangereuse pour la chronologie des médias. En effet, si l’un ou l’autre côté de la balance s’effondre, le mécanisme se déséquilibre.

Le système de diffusion chronologique est dès lors fondé sur deux éléments principaux. D’une part, un mécanisme incitatif afin d’obtenir des différents diffuseurs un comportement bénéfique à la survie de l’industrie (A). D’autre part, une succession de fenêtres de diffusion encadrées par des accords professionnels (B).

A- Un système fondé sur un mécanisme incitatif

La chronologie des médias a été instaurée dans l’objectif de permettre à chaque diffuseur de bénéficier au mieux de la rentabilité d’un film en disposant d’une fenêtre exclusive d’exploitation. Celle-ci n’est toutefois accordée qu’en contrepartie d’un comportement bénéfique à la vitalité de la filière cinématographique, ou autrement dit un comportement « vertueux ». En effet, si un diffuseur souhaite acquérir une œuvre pour enrichir son offre de contenu, il ne pourra le faire qu’à la condition de financer la création en amont, à travers des « avances sur recettes » propres au modèle français, mais également de respecter certaines contraintes propres à la programmation : quotas et restrictions de diffusion. Un tel comportement permettra au diffuseur d’acquérir une fenêtre exclusive d’exploitation au sein de la chronologie des médias proportionnelle à son investissement : plus il adoptera une posture bénéfique à la filière, plus sa fenêtre de diffusion sera avancée, proche de la sortie en salles de l’œuvre.

La vertu et la chronologie des médias sont dès lors indissociables, faisant de cette dernière un principe essentiellement fondé sur le comportement des diffuseurs, mais

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