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Chapitre 1 – La chronologie des médias, un système central dans l’industrie

A- Un système fondé sur un mécanisme incitatif

1. Le système français

Chaque diffuseur français est soumis à des obligations de contribution, bénéfiques à la vitalité de l’industrie : des obligations légales d’investissement dans la création (a), des obligations fiscales (b), mais également des engagements de programmation à respecter (c).

Même s’il existe des crédits d’impôts et une forme d’investissement privé à travers les SOFICA, nous n’étudierons ici que les obligations d’investissement fixées par la loi, et les taxes permettant d’alimenter le fonds de soutien du CNC.

a) Des obligations légales d’investissement dans la création

Cette obligation d’investissement a été édictée par les articles 27 et 33 de la loi du 30 septembre 1986 dite loi « Léotard », pour tous les éditeurs de services français qui programment plus de cinquante-deux œuvres cinématographiques par an.

Les diffuseurs doivent à ce titre respecter des obligations de financement et de réinvestissement dans le cinéma qui prennent la forme de préfinancements de films. En effet, les chaînes qui souhaitent acquérir des films pour enrichir leurs grilles de programmations, doivent le faire par préachat, c’est-à-dire par achat de droits de diffusion d’un programme au producteur bien que celui-ci ne soit pas achevé. En d’autres termes, le diffuseur va bénéficier de droits en exclusivité sur l’œuvre cinématographique avant-même sa création. Ce préachat permettra le financement de la fabrication du programme tout en le réservant au diffuseur : c’est la notion d’« avance sur recettes »78.

77 Aurore BERGE, Rapport d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à

l’ère numérique, n°1292, Assemblée Nationale, Paris, 2018, p. 41

Il convient toutefois de préciser que ces contributions ne sont pas considérées comme des aides d’État79, et ne sont donc pas de même nature que les aides reversées au

CNC80 que nous étudierons dans une seconde partie.

Ces obligations de financement vont différer en fonction du statut du diffuseur sur le marché français. On distingue ainsi les services de télévision dit de cinéma (i) des services de télévision dit « généralistes » (ii), et les services de médias audiovisuels à la demande (iii).

i) Les services de cinéma

Un service de cinéma peut être défini comme un service de télévision81 dont l’objet principal est la programmation d’œuvres cinématographiques et d’émissions consacrées au cinéma et à son histoire82. En France, tel est le cas du bouquet Canal +, mais aussi du groupe OCS et de Ciné +. La contribution de ces chaînes est régie par un décret en date du 27 avril 201083.

S’agissant de Canal +84, celui-ci a l’obligation de consacrer à l’acquisition de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques européennes 12,5 % de son chiffre d’affaires, dont 9,5 % pour les œuvres d’expression originale française (« EOF »). Au terme de ces obligations, Canal + a investi en 2018 114,06 millions d’euros dans la production cinématographique française (153,69 en 2017)85. Quant à Orange Ciné Séries (OCS)86 et

79 CJUE, 5 mars 2009, UTECA c. Administración General del Estado, aff. C-222/07, Rec. 2009 80 V. infra Chapitre 1, II, B, 1, b) p. 36

81 Article 2 al. 4 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 telle que modifiée par la loi n°2009-258 du 5 mars

2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision : « Est considéré comme service de télévision tout service de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par l’ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme principal est composé d’une suite ordonnée d’émissions comportant des images et des sons ».

82 Article 6-2 du décret n°90-66 du 17 janvier 1990. V. également CSA, Les chiffres clés de la production

cinématographique en 2017 (2019) [En ligne]

83 Décret n°2010-416 du 27 avril 2010 relatif à la contribution cinématographique et audiovisuelle des éditeurs

de services de télévision et aux éditeurs de services de radio distribués par les réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel

84 Ses obligations étant régies par un accord professionnel passé entre la chaîne et les organisations

professionnelles du cinéma le 7 mai 2015

85 CNC La production cinématographique en 2018, Paris, 2019 [En ligne] <https://www.cnc.fr/cinema/etudes-

et-rapports/etudes-prospectives/la-production-cinematographique-en-2018_959126> (consulté le 20 mars 2019)

86 Ses obligations étant régies par un accord professionnel passé entre la chaîne et les organisations

Ciné +87, ceux-ci doivent financer à hauteur de 27 % de leur chiffre d’affaires pour des œuvres européennes, dont 22 % pour des œuvres EOF. Leur contribution financière équivaut respectivement à 27,27 et 18 millions d’euros en 2018, contre 37,59 et 19,83 en 201788.

A ce titre, Canal + prend une place singulière dans la chronologie des médias puisqu’il occupe la place de premier contributeur au cinéma français. Il bénéficie dès lors de la première fenêtre de la « sacrosainte » chronologie, considéré pour certain comme le « Grand argentier du cinéma français »89, voire comme bénéficiaire d’un « droit de vie ou de mort »90 sur la production cinématographique française. Toutefois, force est de constater que les contributions de ces services au financement de la filière sont en baisse.

ii) Les services dits « généralistes »

S’agissant des services ne répondant pas à la qualification de services de cinéma (les chaînes TF1, M6, C8, ou encore W9 par exemple), le décret du 2 juillet 201091 dispose que lorsque ceux-ci diffusent au moins cinquante-deux films par an, ils doivent consacrer chaque année au moins 3,2 % de leur chiffre d’affaires à la production d’œuvres cinématographiques européennes, dont 2,5 % aux œuvres d’expression originale française.

Ces dépenses prennent également la forme de préachats92. Les taux varient

néanmoins pour le groupe France Télévisions (France 2, France 3, France 4) qui pour sa part doit contribuer à hauteur de 3,5% de son chiffre d’affaires, ce qui constitue une des conditions pour pouvoir diffuser sur France 4 des films le mercredi soir93.

87 Ses obligations étant régies par une convention du 31 décembre 2012 88 CNC, supra note 85

89 Julien BRUNET, « Netflix et le marché français : entre tradition et modernité » (2014) 15 Juris art 35 90 Autorité de la concurrence, décision n°12-DCC-100 du 23 juillet 2012

91 Décret n°2010-747 du 2 juillet 2010 relatif à la contribution à la production d’œuvres cinématographiques et

audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre

92 Articles 3 et 4 du décret n°2010-747 du 2 juillet 2010 relatif à la contribution à la production d’œuvres

cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre.

93 V. à ce titre le point II de l’article 10 du décret n°90-66 du 17 janvier 1990 et l’arrêté du 9 mai 2012 pris pour

Ainsi, en 2018, les chaînes en clair ont investi 121,24 millions d’euros dans la production cinématographique, contre 151,77 en 201794, témoignant encore une fois d’une forte diminution de leur contribution en peu de temps.

iii) Les services de médias audiovisuels à la demande

La contribution financière des diffuseurs a récemment été étendue aux services de médias audiovisuels à la demande français par le décret Services médias audiovisuels à la demande (« SMAD ») du 12 novembre 201095.

S’agissant dans un premier temps des services à l’acte tels que la VàDA, ceux-ci doivent contribuer à hauteur d’au moins 15 % de leur chiffre d’affaires à des œuvres cinématographiques européennes, dont au moins 12 % pour le développement de la production d’œuvres cinématographiques EOF96.

En ce qui concerne les services de vidéo à la demande par abonnement, l’article 5 du décret SMAD dispose que les opérateurs dont le chiffre d’affaires annuel net est supérieur à dix millions d’euros doivent injecter 15 % de leur chiffre d’affaires dans le financement des productions européennes. Ils doivent également contribuer à hauteur de 12 % s’agissant des œuvres d’EOF lorsqu’ils ne proposent pas annuellement au moins dix œuvres cinématographiques de longue durée dans un délai inférieur à trente-six mois et égal ou supérieur à vingt-deux mois après leur sortie en salles en France. En cas de sortie d’œuvres sur leurs plateformes dans un délai inférieur à vingt-deux mois après la sortie en salles, ou entre vingt-deux et trente-six mois, l’opérateur se verrait appliquer d’autres chiffres. Toutefois, aucun service par abonnement français n’est soumis à ces délais à l’heure actuelle, puisqu’aucun ne possède un chiffre d’affaire annuel supérieur à dix millions d’euros.

Enfin, s’agissant des services de télévision de rattrapage, ces derniers sont soumis aux mêmes obligations d’investissement que les chaînes dont ils sont issus97.

94 CNC, supra note 85

95 Décret n°2010-1379 du 12 novembre 2010 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande 96 Joelle FARCHY, François MOREAU, Rapport, L’économie numérique de la distribution des œuvres et le

financement de la création, Paris, CSPLA, 2016, p. 30

b) Des contributions fiscales en faveur de l’État

La fiscalité joue elle aussi un rôle important dans le financement du cinéma français, et est directement liée au rôle du CNC. Organisme dépendant du Ministère de la Culture, le CNC permet en effet de soutenir la création à travers un panel de taxes liées à la distribution d’œuvres de toutes nationalités98. Le principe est le suivant : taxer les acteurs qui tirent un

bénéfice de la diffusion d’œuvres cinématographiques, et reverser le produit de ces taxes au sein d’un fond de soutien (le compte de soutien à l’industrie cinématographique et audiovisuelle du CNC)99. Ce produit se verra redistribué à la filière sous formes d’aides automatiques, à vocation industrielle100, et sélectives, dont l’objectif est plus artistique101.

La première de ces taxes, la taxe spéciale additionnelle (ou « TSA »), correspond à une taxe de 10,72 % prélevée sur chaque billet de cinéma. Elle est prévue à l’article L.115-1 du Code du cinéma et de l’image animée.

Est également prévue une taxe dite « TST-E », ou taxe sur les services de télévision applicable aux éditeurs. Cette taxe correspond à un taux de 5,65 % des recettes publicitaires des diffuseurs, mais également des recettes issues des appels surtaxés et SMS, et du produit de la contribution à l’audiovisuel public et autres ressources publiques pour les chaînes non privées. Cette taxe est prévue par les articles L.115-6 à L.115-13 du Code du cinéma et de l’image animée.

Ensuite, une taxe est applicable aux distributeurs de programmes, à laquelle sont principalement assujettis les fournisseurs d’accès à Internet pour leurs offres d’accès à des services audiovisuels. Il s’agit de la taxe progressive sur les services de télévision applicable aux distributeurs (ou taxe dite « TST-D ») assise sur les recettes issues des abonnements à ces derniers.

98 Dominique BOUTONNAT, Rapport sur le financement privé de la production et de la distribution

cinématographiques et audiovisuelles, Paris, 2018, p. 5

99 Joelle FARCHY, François MOREAU, supra note 96 p. 32

100 C’est-à-dire en vue de développer la création mais également la diffusion dans son ensemble. V. Dominique

BOUTONNAT, supra note 98

101 En vue de promouvoir un certain type de création, sélectionné selon des critères précis et plus subjectifs.

Enfin, il existe une taxe prélevée sur les éditeurs vidéo et les ventes de vidéogrammes (« TSV »), à hauteur de 2 % du chiffre d’affaires du distributeur de vidéos physiques ou de vidéos à la demande. Cette taxe vidéo a néanmoins été étendue en 2013102 puis en 2016103 aux services de médias audiovisuels à la demande, même lorsque ceux-ci sont situés à l’étranger, s’ils mettent à disposition du public français à titre onéreux (taxe dite « Netflix ») ou gratuit (taxe dite « Youtube ») une œuvre cinématographique ou audiovisuelle. Ces deux taxes ont été promulguées par un décret du 20 septembre 2017104 par le biais de l’article 1609 sexdecies B du Code général des impôts. Ces services de médias à la demande ont dès lors une obligation de contribution à hauteur de 2 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France. Entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2018, cette taxe appliquée

à des services tels que Netflix représente, selon l’ancienne Ministre de la Culture Françoise Nyssen « un signal fort. Nous pouvons faire entrer ces acteurs dans le cercle vertueux du

financement de la création »105.

c) Des engagements de programmation assurant la vitalité du cinéma français

En vertu des articles 27 et 33 de la loi « Léotard »106, les éditeurs de services, spécialisés ou non dans le cinéma, ont également l’obligation de respecter certains quotas de diffusion afin de garantir la vitalité de la production française face aux programmes étrangers : la diffusion de 60 % minimum d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes, dont 40 % d’œuvres EOF107.

Les SMAD sont eux aussi soumis à ces mêmes obligations de quotas108. De plus, l’article 13 du décret du 12 novembre 2010 impose à ces derniers de réserver « sur leur page

d’accueil (…) une proportion substantielle des œuvres, dont l’exposition est assurée autrement que par la seule mention du titre, à des œuvres européennes ou d’expression

102 Loi n°2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 103 Loi n°2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 104 Décret n°2017-1364 du 20 septembre 2017

105 Julien LAUSSON, « La « taxe Youtube » devient réalité : à quoi sert-elle ? » (2017) [En ligne]

<https://www.numerama.com/politique/291356-la-taxe-youtube-devient-realite-a-quoi-sert-elle.html> (consulté le 3 avril 2019)

106 Loi « Léotard » du 30 septembre 1986, supra note 54 107 Article 27 2° de la loi « Léotard », supra note 54

108 Article 12 du décret n°2010-1379 du 12 novembre 2010 relatif aux services de médias audiovisuels à la

originale française, notamment par l’exposition de visuels et la mise à disposition de bandes annonces »109.

Ces quotas s’accompagnent également de certaines restrictions de programmation. Un décret du 17 janvier 1990110 dispose en effet à son article 10 que les éditeurs de services ne peuvent diffuser d’œuvre cinématographique de longue durée le mercredi soir, le vendredi soir, le samedi ainsi que le dimanche avant 20h30. Une exception est néanmoins aménagée s’agissant des films d’art et d’essai, pouvant être diffusés les mercredi et vendredi soir après 22h30. L’objectif est en effet de préserver les créneaux sur lesquels les salles réalisent le plus de recettes, et ainsi protéger la salle111. Toutefois, certaines chaînes bénéficient de

dérogations. C’est le cas pour France 4 qui, en contrepartie d’un investissement plus important (3,5 % contre 3,2 % pour les autres chaînes généralistes) peut diffuser des œuvres cinématographiques le mercredi en première partie de soirée. Certaines chaînes spécialisées dans le cinéma en bénéficient également, par exemple les services de patrimoine cinématographique112 diffusant des films ayant plus de trente ans ; ceux-ci ne sont soumis

qu’à une interdiction de diffusion le samedi soir, et peuvent diffuser des films en noir et blanc le dimanche. Il convient néanmoins de noter que ces restrictions de diffusion ne concernent pas les services non-linéaires dont la vidéo à la demande par abonnement.

De tels quotas de diffusion s’inscrivent dans la lignée des objectifs poursuivis par la notion de diversité culturelle. Ils permettent en effet d’assurer une prédominance de la production nationale sur les œuvres étrangères (et notamment américaines) en assurant sa promotion sur les différents canaux de diffusion.

109 Article 13 du décret n°2010-1379 du 12 novembre 2010 relatif aux services de médias audiovisuels à la

demande

110 Décret n°90-66 du 17 janvier 1990 relatif à la diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles 111 Aurore BERGE, supra note 77

112 « Un service de patrimoine cinématographique est un service de cinéma qui diffuse exclusivement des

œuvres cinématographiques au moins 30 ans après leur sortir en salles en France (Ciné + Classic )», CSA, Les chiffres clés de la production audiovisuelle en 2017, Paris, 2019 [En ligne] <https://www.csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Panorama-Toutes-les-etudes-liees-a-l-ecosysteme-

audiovisuel/Les-chiffres-cles/Les-chiffres-cles-de-la-production-audiovisuelle-2017> (consulté le 18 mars 2019)