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Le phénomène de la justice réparatrice : étude d'une conférence familiale en milieu scolaire secondaire

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Texte intégral

(1)

Le phénomène de la justice réparatrice : étude d’une conférence

familiale en milieu scolaire secondaire

Thèse

MARIO MARCHAND

Doctorat en théologie pratique

Docteur en théologie pratique (D.Th.P.)

Québec, Canada

(2)
(3)

iii

RÉSUMÉ

La justice réparatrice vise à responsabiliser un individu qui a commis une offense envers une personne en lui demandant de réparer sa bévue. Les victimes directes et indirectes ainsi que la famille et les proches de l’offenseur participent au processus par le biais d’une conférence familiale. Cette forme de médiation, qui a fait ses preuves d’abord en milieu carcéral, est aujourd’hui adoptée dans certains milieux scolaires. Les statistiques prouvent que cette approche a des résultats spectaculaires chez les participants en termes de satisfaction et de baisse de la récidive. La pratique de la conférence familiale en milieu scolaire secondaire est au centre de notre recherche. Nous avons organisé une conférence familiale entre deux jeunes filles qui avaient de la difficulté à s’entendre depuis l’école primaire. Les mères de ces jeunes filles ont assisté à cette rencontre ainsi que la psychologue de l’école. Les données recueillies ont permis de vérifier ce que la justice réparatrice prétend accomplir.

Cependant tout n’est pas réglé pour autant. Notre étude démontre que le doute et la méfiance peuvent s’installer envers l’autre dans la démarche. Cette constatation nous a forcés à pousser cette question plus loin en regardant la typologie du doute et les bases de la confiance mutuelle dans une relation. Sur le plan spécifiquement théologique, notre cadre interprétatif touche les aspects du shalom et de l’alliance de Dieu. Nous soutenons que pour porter du fruit de repentance, le fautif doit rencontrer sur sa route des gens aimants et généreux d’actes de bonté, qui tissent des liens de confiance dans un milieu de vie favorable. La conférence familiale devient une marque de compassion envers le fautif. Nous estimons aussi que le doute d’une personne pourra s’estomper grâce au changement de comportement de l’offenseur. Par conséquent, ces résultats de recherche amènent une pratique de médiation renouvelée.

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v

ABSTRACT

The goal of restorative justice is to help someone who has committed an offense against another person to acknowledge the wrong that was done and make amends for it. The direct and indirect victims as well as the family and friends of the offender take part in the process through a family group conferencing. This type of mediation, which was first used in the penal system, has been adopted in some schools. Statistics show that this approach has been spectacularly successful in terms of participant satisfaction and low recidivism. The practice of family group conferencing in high schools is the focus of our study. A family group conferencing was set up between two girls who had had problems getting along with each other since elementary school. The girls’ mothers and the school psychologist took part. Data from the meeting showed the benefits of restorative justice.

At this point in the proceedings, it cannot be said that the conflict is settled. Our study shows that doubt about and mistrust of the other party can arise during the process. This realization led us to analyse in depth the types of doubt and the bases of mutual trust in a relationship. On a strictly theological level, our paradigm involves aspects of shalom and God’s covenant. We maintain that in order to bear fruit of repentance the offender must in return see loving people and generous acts of kindness, favorable conditions for creating bonds of trust. Thus, the family group conferencing becomes a way to show compassion to the wrongdoer. We also believe that a person’s doubt can be eased through an offender’s acts. The results of the study lead to a renewed practice of mediation.

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vii

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... v

TABLE DES MATIÈRES ... vii

LISTE DES TABLEAUX ... xiii

LISTE DES FIGURES ... xv

LISTE DES SIGLES... xvii

REMERCIEMENTS ... xxi INTRODUCTION ... 1 1. La problématique ...2 1.1. Les sanctions ...2 1.2. L’offenseur ...3 1.3. La victime ...3

1.4. L’implication des parents ...4

1.5. La justice réparatrice et la conférence familiale ...4

A. L’orientation de la recherche ...5

B. Question de recherche ...5

C. Objectifs de recherche ...6

2. Revue de la littérature ...6

3. La tradition chrétienne protestante évangélique ...11

3.1. La critique ...12

4. Le cheminement de la thèse ...15

CHAPITRE I : PANORAMA DE LA JUSTICE RÉPARATRICE DANS LE DOMAINE PÉNAL ET SCOLAIRE ... 17

1. La justice réparatrice en milieu pénal ...17

1.1. Les Maoris ...17

1.2. Les peuples autochtones d’Amérique ...18

1.3. La conférence familiale ...18

1.4. Les bienfaits de l’héritage autochtone sur les Nord-Américains ...19

(8)

1.6. Les fondements théoriques de la justice réparatrice ...21

2. Les Commissions de vérité et réconciliation ...26

2.1. La Commission de vérité et réconciliation d’Afrique du Sud (CVR) ...26

Les victimes ...27

Les offenseurs ...30

L’apartheid ...30

2.2. La Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) ...32

Vérité et réconciliation ...34

3. La justice réparatrice en milieu scolaire ...36

3.1. L’Amérique du Nord ...37

3.2. L’Angleterre ...40

3.3. L’Australie ...41

3.4. Différentes visions de la justice réparatrice ...43

3.5. La discipline sociale dans les écoles ...43

4. Le milieu scolaire québécois ...45

4.1. La Loi sur l’instruction publique ...46

4.2. Les aspects disciplinaires...48

4.3. Actions pour contrer la violence en milieu scolaire ...48

4.4. La Loi 56 pour prévenir l’intimidation et la violence à l’école ...49

CHAPITRE II : LES DIMENSIONS THÉOLOGIQUES DE LA JUSTICE ... 51

1. La théologie pratique ...51

1.1. Éléments historiques de la théologie pratique ...51

1.2. Une démarche de dialogue entre la théorie et la pratique ...52

1.3. Une démarche où la pratique est centrale ...53

1.4. Une démarche interdisciplinaire ...54

2. La justice dans la Bible ...55

2.1. Le Shalom ...56

2.1.1. Une justice relationnelle et morale ...56

2.1.2. L’alliance : la base du shalom ...58

2.2. La rétribution versus la réparation ...60

2.3. Le rituel devant la faute ...63

2.4. La repentance ...64

(9)

ix

2.6. L’homme incestueux de la lettre aux Corinthiens ...66

2.7. Une théologie de la réparation ...67

2.8. La réaction à la faute et l’Église ...69

CHAPITRE III: LA MISE EN ŒUVRE DE LA RECHERCHE SUIVANT LA MÉTHODE PHÉNOMÉNOLOGIQUE ... 75

1. Description du conflit à l’école secondaire Le Relais ...75

2. La pratique de la conférence familiale ...75

2.1. Le choix des offenses ...75

2.2. Les objectifs ...76

2.3. Les personnes impliquées ...76

2.4. Les conditions préalables pour tenir une conférence familiale...76

2.5. La préparation de la rencontre ...77

2.6. Le rôle du médiateur ...77

2.7. Le déroulement de la conférence familiale ...77

2.8. Les bienfaits de la médiation selon Lochart et Zammit ...80

3. La méthode de recherche ...81

3.1. Considérations générales ...81

3.2. La phénoménologie ...82

4. Le protocole de recherche ...86

4.1. Les participants ...86

4.2. Les formulaires de consentement des participants ...89

4.3. Les présupposés théoriques ...89

4.4. Le recueil des témoignages...89

4.5. La question de départ lors des entrevues individuelles ...90

4.6. Les liens de dépendance entre le chercheur et les participants ...90

4.7. Le recueil et le traitement des données tirées des interviews ...91

5. Difficultés rencontrées ...91

5.1. Les témoignages recueillis...91

5.2. La réparation ...91

5.3. Informations supplémentaires ...92

6. Les résultats de la recherche ...92

7. Synthèse des constituants du phénomène de la justice réparatrice ...99

(10)

CHAPITRE IV : INTERPRÉTATION THÉOLOGIQUE DES RÉSULTATS DE

RECHERCHE ... 101

Orientation ...101

Cadre interprétatif ...103

Le pardon ...103

1. Une emphase mise sur la responsabilisation du fautif ...105

1.1. La perception populaire ...106 1.2. La responsabilisation ...107 1.3. La volonté de Dieu ...108 1.4. La liberté ...109 1.5. La conscience ...109 1.6. Porter la responsabilité ...110 1.7. Prendre la responsabilité ...111

1.8. Apprendre à dire la vérité ...112

1.9. Les excuses et la réparation ...113

2. Les sentiments vécus ...114

3. Le soutien et l’appui des parents ...117

3.1. Tenir compte de l’inexpérience ...118

3.2. Des êtres en croissance et vulnérables ...119

3.3. Aller plus loin que le comportement ...120

4. La méfiance et le doute ...124

4.1. Le doute ...124

4.1.1. Le doute dans la Bible ...125

4.1.2. La typologie du doute ...127

4.1.3. Une analyse sémiotique du doute ...133

4.1.4. La confiance ...136

4.1.5. Une confiance à bâtir ...138

5. Les fruits de la repentance ...140

Méthode d’interprétation biblique ...140

La méthode d’interprétation d’un texte narratif ...141

5.1. La faute de l’apôtre Pierre ...143

(11)

xi CHAPITRE V : DISCUSSION SUR L’INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS DE

RECHERCHE ... 149

1. Au niveau de la médiation ...149

2. Au niveau individuel et familial ...153

3. Au niveau sociétal ...159 4. Au niveau de l’église ...166 CONCLUSION ... 171 A. Le savoir ...171 B. Le savoir théologique ...172 C. Le savoir-faire ...173 D. Le savoir-être ...174

Les pistes d’avenir ...176

Bibliographie ... 177

La justice biblique et réaction à la faute ...177

La justice réparatrice en milieu pénal ...177

Le milieu scolaire québécois et la justice réparatrice ...180

La théologie pratique ...181

La méthodologie de recherche ...183

L’interprétation théologique ...184

Le milieu évangélique et le cheminement du chercheur ...187

ANNEXE A ... 189 ANNEXE B ... 191 ANNEXE C ... 193 ANNEXE D ... 196 ANNEXE E ... 199 ANNEXE F ... 202

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(13)

xiii

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Les trois comités constitutifs de la CVR ... 28

Tableau 2 : Les fonctions de la vérité selon le contexte de la CVR ... 32

Tableau 3 : La justice biblique ... 72

Tableau 4 : La relation entre l’adulte et l’enfant ... 123

Tableau 5 : Les fondements du maintien de l’harmonie relationnelle ... 163

Tableau 6 : Responsabilités relationnelles ... 165

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(15)

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Fondamentalisme évangélique ... 13

Figure 2 : Une fenêtre de la discipline sociale ... 24

Figure 3 : Les pratiques de la justice réparatrice ... 25

Figure 4 : Continuum de pratiques réparatrices ... 38

Figure 5 : Modèle de régulation sociale ... 42

Figure 6 : Continuum de la discipline ... 44

Figure 7 : Échelle de sentiments humains ... 117

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LISTE DES SIGLES

CA: Comité d’amnistie

CDP: Comité des droits de la personne

CNEF: Conseil National des évangéliques de France CRNS: Centre National de la recherche scientifique CRR: Comité des réparations et des réhabilitations CRPA: Commission royale sur les peuples autochtones CVR: Commission de vérité et réconciliation

EHESS: École des hautes études en sciences sociales FGC: Family Group Conferencing

GEMMS: Groupe d’étude sur la médiation en milieu scolaire IIRP: International Institute for Restorative Practices

ONU: Organisation mondiale des Nations Unies VOM: Victim Offender Mediation

(18)
(19)

xix

À mon épouse Line que j’aime. Merci pour ta présence et pour ta façon de vivre.

À mes enfants Joël, Félix et Lili-Anne dont je suis fier. Je souhaite que votre foi en Dieu vous fortifie et vous réconforte chaque jour, mais serve aussi à changer le monde.

(20)
(21)

xxi

REMERCIEMENTS

Plusieurs personnes ont eu un apport à cet ouvrage et à ce que je suis aujourd’hui. Je remercie:

- Mon directeur de recherche, Raymond Brodeur, pour sa rigueur et son regard sur le phénomène de la justice réparatrice;

- Céline Roussin pour ses nombreux conseils au niveau de la recherche;

- David Miller pour sa supervision tout au long du doctorat; - Nicole Bérubé pour la relecture de ce travail;

- Notre cellule de quartier pour leurs prières dans ce projet; - Jean-Victor et Annie Brosseau d’avoir cru en moi;

- Éric Wingender qui, de son vivant, m’a poussé à aller plus loin;

- Tilman Martin, David Shantz, Stéphane Rhéaume et Maurice Cloutier qui m’inspirent comme pasteurs;

- Gaston et Gérard Jolin; votre amour pour Dieu m’a toujours fortifié.

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1

INTRODUCTION

La résolution des conflits m’a interpellé à la fin des années 90. Mon tout premier contact avec le sujet eut lieu aux États-Unis avec celui que l’on baptise le grand-père de la justice réparatrice, Howard Zehr.1 Ce qui m’a frappé dans ce cours sur la conférence familiale était la possibilité d’impliquer lors d’une médiation toutes les personnes affectées par une faute et d’arriver à une entente de réparation par le dialogue.2 Pendant mon enfance, les conflits étaient présents dans la communauté où je vivais ainsi qu’au sein de ma famille. Cette situation a eu un impact certain dans ma vie. Les sciences humaines sont catégoriques : la construction identitaire passe par une construction langagière.3Pour ma part, des carences à ce niveau ont engendrées son lot de conséquences dans le développement de ma personne. En ce sens, la justice réparatrice fut une découverte intéressante car elle travaille à bâtir des ponts, à créer et maintenir des relations positives. Aujourd’hui, je suis médiateur de quartier et j’aide à régler des conflits entre voisins. Je suis aussi consultant pour les commissions scolaires de la région de Québec pour prévenir la violence et l’intimidation.

Nous avons souvent entendu parler d’intimidation dans les écoles du Québec en 2012. Face à ce problème, le gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale, le projet de loi 56 visant à lutter contre l’intimidation.4 Des audiences publiques qui ont eu lieu en mars de la même année ont permis d’entendre plusieurs acteurs importants du milieu scolaire tels que les professeurs, les directions d’écoles, les syndicats et les comités de parents.

1 Traduit de l’anglais Restorative Justice dans le sens d’une justice qui restaure les personnes affectées par

une faute incluant la victime, et l’auteur.

2 Traduit de l’anglais Family Group Conferencing (F.G.C.), ce sont ici des médiations qui incluent

généralement plus que les personnes immédiates impliquées (le groupe est généralement mis en cercle). Une conférence familiale peut inclure les parents, les amis et les proches. Notre recherche sera basée sur l’expérience vécue des participants à une conférence familiale en milieu scolaire.

3 Cette construction langagière du Moi identitaire est tributaire des valeurs et des modes de pensée d’un

milieu de vie spécifique. En ce sens, la construction du Moi d’une personne peut être positive ou négative, voir : Robert Hurley, La critique biblique et la construction du vrai, La Bible du lecteur : théorie et

pratique de la stylistique affective en études bibliques. (Ste- Foy : Presses de l’Université Laval, 2010) 11.

4 Gouvernement du Québec. Projet de loi visant à lutter contre l’intimidation et la violence à l’école,

[http://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fre/products/61007] (consulté le 14 mars 2012). Le projet de loi fut adopté par l’Assemblée nationale le 12 juin 2012. Essentiellement, la Loi 56 oblige les écoles publiques et privées à se doter d’un plan d’action pour contrer l’intimidation.

(24)

Ces personnes sont venues dire à nos élus que les problèmes sous-jacents à cette violence pouvaient être par exemple le manque de rigueur et de discipline de la part des parents. D’autres pointent du doigt le laxisme des milieux scolaires. Certains réclament une approche plus punitive et plus sévère. Les élèves qualifiés de « durs » deviennent les ennemis à mettre aux pas dans nos écoles.

Les relations humaines représentent un défi constant. L’individu quel qu’il soit est confronté régulièrement à ses besoins et à ceux des autres. L’humain doit tenir compte des personnes qu’il côtoie notamment lorsqu’il commet un impair, une offense, une maladresse, une faute. Le « mal » est présent dans les relations humaines. C’est une réalité fondamentale et universelle dont toutes les grandes religions font état. L’apôtre Paul, il y a presque deux millénaires disait dans l’une de ses lettres inclue dans le Nouveau Testament et adressée aux Romains : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien » (Rm 12.21). Mais de quel bien s’agit-il? Nous croyons pertinent d’examiner plus en profondeur la question d’un mieux «vivre ensemble » précisément en milieu scolaire secondaire. L’approche punitive est-elle la seule voie que le Québec devrait suivre pour diminuer les actes d’intimidation dans son réseau scolaire? Des spécialistes de la question pensent que non. Pour certains, il existe d’autres façons de faire dont celle de la justice réparatrice. L’objet de cette recherche portera sur cette approche émergente que nous voulons mieux connaître.

1. La problématique

1.1. Les sanctions

La Loi sur les jeunes contrevenants ainsi que le Code criminel prévoit des sentences en fonction du geste qui a été commis.5 Selon Brodeur et Landreville, la peine est donnée dans un but utilitaire et vise à protéger la société.6 Le message envoyé par la punition est

5 Gouvernement du Canada. La Loi sur les jeunes contrevenants, [http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/Collection-R/

LoPBdP/CIR/8613-f.htm] (consulté le 17 mai 2011, mis à jour le 26 septembre 2012).

6 Jean-Paul Brodeur et Pierre Landreville, Finalités du système de l’administration de la justice pénale et

(25)

3

que le geste commis n’est pas acceptable et que la loi doit être respectée. Dans le même esprit, l’univers scolaire a également ses règles de vie. Le non-respect de ses lois engendre des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la suspension dans des situations plus sérieuses comme dans les cas de violence physique ou possession de drogues par exemple.

Les sanctions prévues aux codes de vie peuvent être toutefois appliquées sans discernement. À titre d’exemple, l’histoire relatée dans les médias de ce jeune de 6e année de Québec, qui a été expulsé de son école au printemps 2009 pour avoir eu un couteau en sa possession. On rapporte que cet enfant était intimidé par un groupe de jeunes depuis un bon moment déjà sans avoir trouver de soutien. Avait-on pris le temps de voir le contexte de cette situation?

1.2. L’offenseur

La suspension et les sanctions n’encouragent pas nécessairement le contrevenant à admettre ses torts. Le dialogue ainsi rompu, il n’a pas l’occasion d’entendre la peine, la souffrance, la douleur de la victime puis de tenter de réparer les dommages causés. Bien souvent, il reste aux prises avec un sentiment de honte. L’étiquette de malfaisant lui collera à la peau.7 Cette stigmatisation de l’entourage ne risque-t-elle pas d’annuler le but visé qui est de promouvoir un comportement plus responsable?

1.3. La victime

À l’automne 2011, les médias rapportaient le suicide d’une jeune fille de 15 ans, victime d'intimidation répétée à l'école secondaire qu'elle fréquentait, à Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie. À notre connaissance, très peu d’information est offerte aux intervenants dans les écoles sur le besoin des victimes. Selon Wemmers et Cyr, les besoins des victimes sont identifiés comme suit : affectivité, sécurité, information, implication, et

7

Suzan Sharpe, Restorative Justice : A vision for Healing and Change (Edmonton : Edmonton Offender Victim Services, 1998), 33.

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dédommagement.8 Les victimes ont généralement de grands besoins. Plusieurs vivent de la peur, du stress et des troubles psychologiques. Après une victimisation, les personnes peuvent se sentir vulnérables et être atteintes dans leur sentiment de sécurité. Elles désirent être tenues au courant du processus d’enquête, de sa finalité et savoir si elles peuvent jouer un rôle actif dans la poursuite de la cause qui les concerne. Toutefois, elles sont habituellement exclues du processus. Enfin, les victimes ne sont généralement pas dédommagées ou remboursées quant aux pertes encourues à cause d’un délit. En plus de ne pas obtenir une réparation monétaire des torts causés, le système fait en sorte que les victimes ne reçoivent généralement pas d’excuses de l’offenseur.

1.4. L’implication des parents

Tant du côté de l’offenseur que de la victime, il appert que les familles et les proches ne sont pas impliqués dans les processus de résolution de conflits en milieu scolaire. Ils n’ont pas d’espace de parole et de façon de participer au dénouement de la situation. Dans son plan d’action pour contrer la violence à l’école, le gouvernement a pour objectif de créer un milieu scolaire agréable.9 Cela peut se faire notamment par l’encadrement, le soutien, la collaboration avec les professeurs, la surveillance et par l’établissement et le renforcement des liens avec les familles.10 Les familles sont donc sollicitées afin de participer aux enjeux liés à la réussite de leurs enfants en milieu scolaire.

1.5. La justice réparatrice et la conférence familiale

La justice réparatrice se pose comme une réponse à la problématique que nous venons de décrire. Par le biais de la conférence familiale en milieu scolaire, l’offenseur pourra réparer le tort qui a été causé en impliquant toutes les personnes affectées par une offense. Pour Zehr, l’offense crée une obligation de réparation envers la victime et ses

8 Jo-Ann Wemmers et Katie Cyr, Les besoins des victimes dans un processus de médiation, Centre

International de Criminologie Comparée. No 40 (Université de Montréal : Montréal, 2004), 6-8.

9 Gouvernement du Québec. La violence à l’école : ça vaut le coup d’agir autrement, [http://www.mels.

gouv.qc.ca/sections/publications/publications/EPEPS/Formation_jeunes/ViolenceEcole_F.pdf (consulté le 20 février 2010, mis à jour le 26 septembre 2012), 10.

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5

proches.11 Cette médiation est volontaire et se veut un lieu de prise de parole. Là, les parties en cause sont appelées à se raconter et à trouver ce qui n’a pas fonctionné et ce qui aurait dû être dit ou fait autrement. Ces personnes auront aussi à déterminer quelle sera la meilleure voie pour restaurer ce qui a été brisé. La justice réparatrice prétend être un des moyens de répondre à une faute. Cette approche encourage l’offenseur à prendre la responsabilité de ses actes. Pour ce faire, on prendra le temps de bien comprendre le contexte de la situation. Le processus veut répondre aux besoins des victimes en les impliquant dans la démarche.

A. L’orientation de la recherche

L’esquisse du projet de thèse nous a permis de situer dès le départ notre orientation de recherche. Nous pouvons dire quelques années plus tard que notre intuition ne nous a pas trompés. Nous parlions déjà de la réaction à l’offense : « La conférence familiale est une forme de médiation mise en place suite à une offense ».12 Notre recherche se fait dans une école secondaire. Il est naturel en contexte de laïcité de voir des disciplines telles que les sciences de l’éducation, la sociologie ou la psychologie évoluer dans le milieu des écoles. Dans notre projet, nous allons faire intervenir la réalité théologique et tenter d’amener un éclairage distinct concernant la réponse à une faute.

B. Question de recherche

À notre connaissance, le modèle de la conférence familiale, issu de la justice réparatrice, n’existe pas dans les écoles secondaires au Québec. Il nous est apparu pertinent de formuler notre question de recherche en ces termes : Comment l'eidos (l'essence) du phénomène13 de la justice réparatrice, comme réponse à une faute commise par un élève en milieu scolaire secondaire, peut-il être relu et interprété théologiquement? Nous sommes intéressés à découvrir quels sont les constituants de l’expérience de la

11 Howard Zehr, Changing Lenses : a New Focus For Crime and Justice (Scottdale : Herald Press, 1990),

186.

12 Voir l’esquisse du projet de thèse de mai 2009, disponible sur demande.

13 « Le phénomène » doit être compris comme ce qui apparaît et se manifeste à la conscience, (voir la

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conférence familiale en milieu scolaire. Que vivent les personnes affectées par l’offense? Qu’est-ce que cela signifie sur le plan théologique?

C. Objectifs de recherche

Nous aimerions comprendre la synthèse des constituants du phénomène de la justice réparatrice à travers la conférence familiale pour en dégager les structures, la signification et le sens pour les participants.

Nous désirons connaître ce que vivent les personnes affectées par l’offense, incluant aussi l’auteur de la faute.

Nous voulons découvrir ce que ces expériences pourraient vouloir signifier sur le plan théologique.

Le sujet de recherche est un sujet important et s’inscrit dans une tradition de recherche. Des chercheurs travaillent sur la question de la justice réparatrice et tentent d’en démontrer la pertinence. En lien avec notre question de recherche, une revue de la littérature vous est proposée dans les pages suivantes.

2. Revue de la littérature

Le domaine de la résolution des conflits en milieu scolaire au Québec a plus de trente ans. Fondé en 1976, l’Institut Pacifique de Montréal fait figure de proue avec le programme de résolution des conflits « Vers le pacifique ».14 Cette démarche enseigne l’importance de tenir compte des autres dans les relations interpersonnelles. Ce programme est certainement le plus utilisé actuellement dans les écoles du Québec. Il vise à développer des habiletés sociales chez les enfants afin de prévenir la violence. Cet objectif se réalise par la mise en place d’ateliers en classe et par la médiation par les pairs. L’écoute et l’empathie sont des vertus qui y sont véhiculées. Selon une analyse sommaire de recherche, le programme semble faire ses preuves. Pour soutenir cette affirmation nous

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7

avons consulté le Rapport final d’évaluation des impacts du programme Vers le pacifique pour les quatre années de sa mise en œuvre (2001-2005). Cette étude fut réalisée en milieu scolaire primaire, avec groupes témoins échelonnés sur une longue période de temps. Cette recherche a démontré que les élèves ayant participé à ce programme développent davantage d’habiletés sociales que ceux qui n’ont pas bénéficié de cette approche.15 Toutefois, dans ce modèle, l’implication des parents ou des proches est absente comparativement au modèle des conférences familiales, d’où l’originalité de cette recherche sur la justice réparatrice en milieu scolaire.

La justice réparatrice est peu connue au Québec par rapport au reste du Canada ainsi qu’à d’autres pays dans le monde. La démarche de la conférence familiale nous vient du milieu pénal. Selon Zehr, alors que le système de justice pénale considère que le mal infligé à une personne est un crime contre l’état qui doit être puni, la justice réparatrice parle plutôt d’une violation envers une personne.16

Morris et Maxwell (2001), (2002), Barton (2003), Roche (2003), Crawford et Newburn (2003), Mclaughlin et al. (2003), Bazemore and Schiff (2005) sont des auteurs qui présentent les principes théoriques, l’historique et les différents modèles de la pratique de la justice réparatrice. Dans la présentation de son modèle, Barton (2003) mentionne l’importance de prendre soin des participants. Roche (2003), lui, aborde la question des risques de la justice réparatrice dans une démarche de médiation où le contrevenant n’aurait pas de remords par exemple.

Weitekamp and Kerner (2002), font la démonstration de la satisfaction des participants suite au processus. D’autres auteurs relèvent que le taux de satisfaction des participants est élevé et la récidive est généralement inférieure au système pénal actuel. Nugent, Williams et Umbreit, (2003); Latimer, Dowden et Muise, (2005); Sherman et Strang, (2007); Shapland et col., (2007); Robinson et Shapland, (2008). Johnson et Van Ness (2008) veulent réaffirmer certaines valeurs dans le processus de médiation dont la

15 Université de Montréal, GEMMS. Rapport final d’évaluation des impacts du programme Vers le

pacifique pour les quatre années de sa mise en œuvre (Montréal, 2009), 63.

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compassion et la transformation des individus. Ils considèrent la possibilité que l’une des parties refuse la médiation et se questionnent sur l’issue d’un tel refus. Face à cette question, Walgrave (2008) recommande d’avoir une approche maximaliste. Il préconise que le système judiciaire et carcéral soit complètement transformé pour qu’un juge, par exemple, puisse imposer une sentence de réparation à un contrevenant qui refuserait de participer à une médiation. Même idée pour une victime qui refuserait de prendre part au processus. Il mentionne de plus dans son ouvrage la place des excuses dans la médiation et l’importance de soutenir le contrevenant pour éviter la récidive.

En milieu scolaire, la justice réparatrice est utilisée par certains auteurs dont Brenda Morrison pour prévenir la violence. Face au problème de la violence et de l’intimidation à l’école, Morrison met en cause un certain nombre d’éléments dont le manque d’implication des différents acteurs de l’école à la participation des décisions, la formation des professeurs au niveau de la gestion de classe, l’ambiguïté et l’absence de consensus au niveau du personnel de l’école pour faire face aux mauvais comportements et enfin l’approche punitive et autoritaire.17

Une étude s’échelonnant de 2005 à 2008 faite par l’entreprise de Ted Wachtel, International Institute for Restorative Practices (IIRP), dans six écoles secondaires aux États-Unis, deux au Canada et deux en Angleterre, démontre notamment une réduction des suspensions, des sanctions disciplinaires ainsi que des incidents violents.18 Cette étude sous forme de recensement de statistiques avait pour but de prouver que la mise en place de processus de justice réparatrice a une incidence sur le climat de l’école.

Une recherche qualitative produite en 2004 par le Youth Justice Board for England and Wales dans 20 écoles secondaires et six écoles primaires montre un taux de satisfaction de 89% des parties affectées qui ont participé à un cercle de médiation familiale. Un accord fut obtenu dans 92% des cas. Finalement 93% des participants ont trouvé le

17 Brenda Morrison, Restoring Safe School Communities (Leichhardt : Federation Press, 2007), 17-18. 18 International Institute for Restorative Practices. Improving School Climate [http://www.iirp.edu/pdf/-

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9

processus juste et équitable.19 En plus de recommander la mise en place des processus de justice réparatrice en milieu scolaire, le document suggère trois voies importantes pour la réussite de la démarche soit l’établissement d’une vision commune, un engagement des employés et la construction des relations à l’intérieur et à l’extérieur des murs de l’école.20

Depuis 2004, un policier de l’Ontario met sur pied des conférences familiales. Ce dernier fut récompensé en 2011 pour avoir mis en place plus de 130 conférences familiales à Hamilton. Ces résultats sont spectaculaires. En 2009, par exemple, 213 adolescents ont participé à la démarche et 91% n’ont pas récidivé.21

Une conférence familiale semble avoir un impact important pour les participants. À titre d’exemple, mentionnons l’histoire de cinq jeunes gradués du secondaire d’un village aux États-Unis qui avaient volé 5 ou 6 dindes et les avaient fait entrer dans leur école pour ensuite les poursuivre et les brutaliser. Ayant participé à un cercle incluant 35 personnes, les jeunes ont pu exprimer leurs remords. L’un d’eux a même dit qu’il avait honte de marcher dans la rue. À la fin de la rencontre, le gardien a pris la parole pour lui dire de ne pas avoir honte lorsqu’il le verrait car il se rappellerait plutôt son état repentant que ce qu’il avait fait de mal.22

L’approche punitive est encore beaucoup utilisée dans nos écoles. Le milieu scolaire est régi par un code de vie, c’est-à dire par un ensemble de règles qu’un établissement se donne. À l’école secondaire Roger-Comtois de Loretteville, par exemple, l’institution se réfère au code criminel pour dire quelles sont les fautes inadmissibles dans l’établissement. Les principales fautes qui peuvent être reprochées sont : menace, insulte, agression physique et sexuelle, intimidation, vandalisme, taxage jusqu’à la possession de

19 Youth Justice Board for England and Wales. National Evaluation of RJ in School Programme

[http://www.yjb.gov.uk/Publications/Resources/Downloads/nat%20ev%20of%20rj%20in%20schoolsfullfv. pdf] (consulté le 20 février 2010, mis à jour le 27 septembre 2012).

20 Ibid.

21Gouvernement de l’Ontario. [http://news.ontario.ca/mcscs/fr/2011/02/un-policier-de-hamilton-

recompense-pour-son-travail-aupres-des-jeunes.html] (consulté le 27 septembre 2012).

22 Lorraine Amstutz Stutzman et Judy H. Mullet, The Little Book of Restorative Discipline for Schools :

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drogues.23 La réaction à l’offense est graduée, allant de l’avertissement verbale, aux excuses, au retrait de la classe, à la suspension jusqu’à l’expulsion. Pour Morrison, la société occidentale est moins tolérante face aux « faiseurs de troubles » dans nos écoles :

Yet, an unfortunate irony remains; for with this rising tide of violence in our schools and society, we have become less tolerant and more punitive and excluding. The zero-tolerance policies introduced to address petty crime on the streets of New York now pervade our schools. And while not all schools hold explicit zero-tolerance policies, the language and the mind-set of zero tolerance is clearly with us.24

Pour Stutzman et Mullet: « …zero tolerance approach may result in a high level of suspensions without full comprehension of how behaviour needs to and can be changed… ».25 La justice réparatrice va plus loin que l’approche de tolérance zéro. Selon eux, la recherche a démontré que l’utilisation d’une conférence familiale a une incidence sur le rétablissement et la réintégration d’élèves suspendus.26

On constate à la lumière de cette revue de littérature que des personnes font autrement que d’utiliser systématiquement la punition et l’exclusion et que cela semble donner des résultats intéressants. Pour notre part, la pratique de médiation en milieu scolaire est notre champ d’intervention. Nous aimerions dans cet ouvrage apporter des éléments de réflexions en vue d’améliorer notre terrain d’intervention. Pour ce faire, nous allons mettre en œuvre une expérience de conférence familiale pour en dégager les constituants et en mesurer les impacts. Quelles sont les forces et les défis que ce processus de médiation peut apporter à la société québécoise? Mais auparavant, nous trouvons pertinent d’apporter une autre dimension, celle de la tradition chrétienne, dans laquelle se situe le chercheur.

23 Informations prises dans le code de vie de l’école Roger-Comtois de Québec.

24 Brenda Morrison. Building Safe and Healthy School Communities : RJ and Responsive Regulation

[http://www.safersanerschools.org/library/au05_morrison.html ] (Consulté le 20 février 2010, mis à jour le 27 septembre 2012).

25 L. Amstutz Stutzman et J. H. Mullet, The little Book…, p. 72. 26 Ibid., 49.

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11 3. La tradition chrétienne protestante évangélique

La tradition chrétienne du chercheur est protestante évangélique. Nous croyons pertinent d’en présenter les grandes lignes. De façon générale, les évangéliques se réclament de l'héritage des réformes protestantes et des mouvements de réveils qui ont suivi.27 Les membres du Conseil national des évangéliques de France (CNEF) par exemple partagent une même conviction évangélique fondamentale comme l’exprime la Déclaration de foi de l'Alliance Évangélique.28 Il est mentionné sur leur site Internet qu’ils peuvent avoir des sensibilités théologiques diverses sur des points jugés non essentiels. Ils se reconnaissent aussi dans les affirmations de la Déclaration de Lausanne et du Manifeste de Manille.29 Il est intéressant de voir que le mouvement évangélique englobe autant l’Alliance évangélique européenne que l’Alliance évangélique mondiale. Selon les statistiques du CNEF, en 2012, les évangéliques représentent environ 550 millions de personnes sur la planète soit, le quart des deux milliards de chrétiens.

Pour les évangéliques, le rapport aux Textes sacrés est central dans la manière de voir la vie et le monde. On dit que la Bible est l’autorité suprême pour guider le croyant.

L’exégète Witherington III classe l’évangélisme populaire en trois courants théologiques. Ces traditions s’arriment avec les Écritures Saintes de la façon suivante : la sotériologie augustinienne-luthérienne-calviniste, l’eschatologie dispensationaliste et la pneumatologie wesleyenne-pentecôtiste.30 De façon générale, les présupposés de bases rattachés à la confession de foi protestante évangélique sont les suivantes :

-L’être humain est pécheur et a besoin du pardon de Dieu;

-Il doit croire que Jésus a payé la dette de nos péchés à la croix du calvaire et qu’il est ressuscité des morts;

-Il doit accepter ce Salut;

27 Conseil national des évangéliques de France [http://www.lecnef.org] (consulté le 27 septembre 2012). 28 Ibid.

29 Ibid. Ces déclarations ont pour objectif de décrire ce qu’est le mouvement évangélique.

30 Ben Witherington III, The Problem with Evangelical Theology : Testing the Exegetical Fondations of

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-Il doit vivre selon la volonté de Dieu.31

Il serait simpliste et réducteur de limiter l’essentiel de la foi évangélique à ce descriptif. Mais un mouvement critique à l’égard des évangéliques nous porte à croire que cette énumération est évocatrice d’une théologie qui suscite des questionnements.

3.1. La critique

Les protestants évangéliques peuvent être mal perçus par la société et par d’autres traditions chrétiennes.32 Selon Info-secte, les évangéliques américains sont les précurseurs d’une foi victorieuse.33 C’est la théologie de la prospérité. Pour le journaliste Hugo Stamm, spécialiste des religions depuis trente ans, la société actuelle est en manque de repères et cette crise du sens est reprise par les évangéliques qui prônent le retour aux valeurs traditionnelles. On leur reproche leur vision du monde un peu trop restrictive : le divorce, l’avortement et l’homosexualité étant réprouvés. La figure 1 montre ironiquement un professeur de science demandant aux étudiants d’ouvrir leur manuel la Bible.

31 Texte situé à l’endos de la revue chrétienne évangélique En contact, fondé et édité par Charles Stanley,

Ministère en Contact, St-Lambert, oct. 2009.

32 Le mouvement évangélique [http://www.info-sectes.ch/index-evangelique.html] (consulté le 27 sep-

tembre 2012).

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13 Fondamentalisme évangélique

Figure 1

Selon Stamm, l’argent semble aussi jouer un rôle central dans les Églises évangéliques. Ce qui lui fait dire que certains évangéliques ont une vision plus matérialiste que spirituelle.

Info-sectes présente également un reportage sur le mouvement des églises pentecôtistes au Brésil et l'église universelle du royaume de Dieu, l'une des plus riches.34 Ce reportage est suivi d'une interview avec Jesus Garcia-Ruiz, anthropologue, spécialiste des faits religieux au C.N.R.S. à l'École des hautes études en science sociale (EHESS).35 Selon Garcia-Ruiz, le télévangélisme venant des États-Unis a changé la donne. Un vrai marché de la religion s'est développé en Amérique du Sud et il s'exporte depuis les années 80 en Afrique (Angola, Mozambique, Côte d'Ivoire). Ces Églises jouent sur le registre des

34 Le mouvement évangélique [http://www.info-sectes.ch/index-evangelique.html] (consulté le 27 sep-

tembre 2012).

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émotions et prônent, comme nous l’avons mentionné plus haut, «la théologie de la prospérité». Certains de leurs temples sont gigantesques.

Enfin, pour terminer cette section, un reportage tourné en Suisse critique sévèrement le mouvement évangélique.36 On y voit le pasteur Chabloz se rendre au Palais fédéral Suisse pour prier avec certains députés chrétiens évangéliques. Cette pratique, justifiée pour certains, est inadmissible pour d’autres. Le conseiller national Josef Zisyadis dénonce la théologie des évangéliques, qu’il juge trop impérialiste en voulant imposer une morale conservatrice qui relève davantage du domaine privé. Zisyadis est aussi en opposition avec cette vision d’être en attente de la fin du monde. Enfin, et ce qui est le plus important et pertinent pour nous, il trouve les évangéliques bien timides lorsque vient le temps de parler des droits de l’homme, des immigrants et des exclus de la société.

Pour nous, la critique la plus importante est celle à l’effet que nous sommes peu concernés par les problèmes sociaux. Comme le Moi interprétant demeure bien souvent tributaire de la communauté interprétative à laquelle il appartient, je ne peux en faire abstraction.37 Le défi évangéliqueest donc de s’ouvrir à la différence, à la diversité de pensée et à la souffrance humaine. L’inscription du chercheur au programme de théologie pratique de l’Université Laval est un exemple de cette ouverture. La prise de conscience d’un changement de comportement du chercheur, à ce niveau, s’est produite en partie à l’intérieur du Séminaire III. Le point de départ se fit à la lecture de Koester, qui nous rappelle que dans la communauté chrétienne: « …que chacun respecte la différence de l’autre, que tous s’aiment et que tous se servent les uns les autres… ».38 À la lumière de la critique du protestantisme évangélique, un déplacement majeur s’est donc opéré pour le chercheur. Dans le contrat d’apprentissage au début des études doctorales, un des objectifs de l’étudiant était d’acquérir une plus grande maturité, au niveau des attitudes

36Temps présent, Magazine de reportages, émission présentée le 9 mars 2006

[http://www.rts.ch/emissions/temps-present/religion/1314591-au-nom-de-dieu-et-de-la-patrie.html] (con- sulté le 27 septembre 2012).

37 R. Hurley, La critique biblique…, p.12.

38 Helmut Koester, Paul and his World : Interpreting the New Testament in its Context (Minneapolis,

Fortress, 2007). 11. Traduction française du premier chapitre. Texte remis par le professeur, Robert Hurley dans le cadre du Séminaire III (Faculté de théologie : Université Laval, automne 2011), 16.

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15

notamment, en étant plus réceptif à ce que l’autre dit, réceptif même à la critique.39 Nous souhaitons donc prendre une certaine distance avec cette perception négative du mouvement évangélique et nous coller à un héritage chrétien soucieux de vouloir transformer la société.

4. Le cheminement de la thèse

Compte tenu de l’expérience et de la tradition du chercheur, voici comment nous voulons développer l’odos de la thèse. Au premier chapitre, nous allons présenter un panorama de la justice réparatrice au niveau pénal et scolaire. Le chapitre deux sera consacré aux dimensions théologiques de la justice. Le chapitre trois exposera la mise en œuvre de la recherche suivant la méthode phénoménologique ainsi que les résultats de l’expérience. Puis, nous tenterons une interprétation des résultats de recherche au chapitre quatre, suivi d’une discussion au chapitre cinq. Enfin, nous terminerons par la conclusion qui reprendra l’essentiel de notre parcours.

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(39)

17

CHAPITRE I : PANORAMA DE LA JUSTICE RÉPARATRI-

CE DANS LE DOMAINE PÉNAL ET SCOLAIRE

Nous aborderons ce chapitre sous quatre angles différents : la justice réparatrice au sein du système pénal de justice, les commissions de vérité et de réconciliation et la justice réparatrice en milieu scolaire. Enfin, pour tenter de comprendre le contexte actuel des écoles, nous avons examinés quelques ouvrages décrivant la situation au niveau du réseau scolaire québécois.

1. La justice réparatrice en milieu pénal

Pour bien comprendre les concepts de base de la démarche nous devons présenter les origines et les aspects théoriques de la justice réparatrice. L’historiographie nous permet de bien comprendre les origines de cette approche.

1.1. Les Maoris

Afin de répondre aux besoins d’une victime, le peuple Maori de Nouvelle-Zélande détenait une forme de tradition restauratrice.40 Lors d’une rencontre entre les parties impliquées, les dommages pouvaient être présentés et réparés. La honte « Whakama » que pouvait ressentir le fautif était pour eux la plus grande punition. Non seulement était-il important de rétablir le respect « Mana », d’abord à la victime et aussi à sa famétait-ille, mais également à la famille de la personne coupable. L’ordre social pouvait ainsi être rétabli dans la communauté. La compensation était aussi au cœur des lois du peuple maori : leur système de gouvernance étant basé sur la « Tikana », sorte de justice et d’équité qui guidait les relations entre les individus. Les rencontres de médiation impliquaient la communauté et chacun avait droit de parole. Le but était d’arriver à un consensus concernant la réparation.

40 Jim Consedine, Restorative Justice : Healing the Effects of Crime (Lyttelton : Ploughshares publications,

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1.2. Les peuples autochtones d’Amérique

Plusieurs similitudes avec le peuple Maori existent dans la tradition autochtone d’Amérique.41 Pour les autochtones, la justice fait partie intégrante du processus de socialisation et de fonctionnement du groupe. Cette justice cherche à préserver l’harmonie au sein de la communauté. La punition est moins importante que le respect des normes du groupe. La réparation et la réconciliation sont à la base de cette culture. La personne fautive doit aussi avoir une attention pour la victime et sa famille. Les « anciens » de la communauté sont impliqués lors d’une offense plus grave. Les cercles de guérison ou « Healing Circles » ou « Peace Circles » sont pratiqués dans certaines communautés autochtones. Ce type de médiation est comparable au modèle de la conférence familiale que nous allons maintenant décrire.

1.3. La conférence familiale

La conférence familiale que nous connaissons aujourd’hui nous vient de l’héritage des anciens peuples. Consedine situe le début des conférences familiales dans le monde moderne en Nouvelle-Zélande, en 1989, avec l’adoption de la Loi des enfants, des jeunes et de leur famille (Children, Young Persons and Their Families Act).42 Désormais cette loi établit une nouvelle manière de traiter les mineurs : au lieu de les inculper devant les tribunaux, à l’aide de la police et des services de protection de l’enfance, la loi accorde à la famille de l’enfant l’autorité principale pour la prise de décision. Cela signifie qu’elle doit déterminer, avec la participation de la victime et des autres groupes d’appui de la communauté, la sanction appropriée pour l’enfant. Cette loi fut adoptée grâce à l’insatisfaction des Maoris aborigènes qui se considéraient de plus en plus privés de leur responsabilité envers leurs propres enfants. Le traditionnel système de justice occidental ne convenait pas. Avec leurs relations familiales et parentales fortes, les Maoris utilisaient les réunions « whanau » ou conférences familiales comme un moyen de traiter certains problèmes avec leurs enfants. Un peu comme Zehr, Consedine met en opposition le système pénal et l’approche de la justice réparatrice. Bien que son livre soit davantage

41 J. Consedine, Restorative Justice ..., p. 156-168. 42 Ibid., 97-107.

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19

historique, il nous dit, par exemple, que lorsqu’un enfant qui a commis un méfait participe à une conférence familiale, il prend généralement la responsabilité de ses actes dans 95% des cas et qu’une entente avec la victime survient entre les parties dans 90% des cas.43 Il insiste sur la tradition du peuple aborigène comme source d’inspiration du mouvement de justice réparatrice en Nouvelle-Zélande.

L’Australie a suivi la Nouvelle-Zélande de près dans l’établissement d’un modèle de justice réparatrice sur son territoire. Avec la collaboration du criminaliste John Braithwaite et du service de police, la ville de Wagga-Wagga a mis sur pied un modèle de conférence familiale. Le professeur américain Ted Wachtel est l’un de ceux qui explique dans son livre Real Justice comment tout a débuté. Le texte est un récit historique mais aussi théorique car quelques modèles de base de la justice réparatrice y sont développés. Nous les verrons plus loin, dans la section sur les fondements théoriques. Wachtel relate comment le policier Terry O’Connell débuta les conférences familiales en Australie en 1991 chez les jeunes contrevenants (la médiation se faisait en Nouvelle-Zélande par un travailleur social).44 L’auteur a fait le voyage jusqu’en Australie à l’époque pour s’inspirer de ce qu’il voyait pour ensuite revenir et démarrer ses propres projets aux États-Unis en 1994.45

1.4. Les bienfaits de l’héritage autochtone sur les Nord-Américains

On situe généralement le début de la justice réparatrice dans le monde occidental en 1974 à Elmira en Ontario.46 Un juge accepta l’idée de Mark Yantzi et Dave Worth, deux protestants mennonites, d’organiser une rencontre entre deux malfaiteurs et leurs victimes. Le but de cette proposition était de responsabiliser les fautifs face à la gravité de la situation et ne pas seulement les envoyer en prison pour « faire du temps ». Accompagnées d’un médiateur, les deux personnes ont frappé aux portes des gens qu’ils avaient vandalisés. Certains les ont laissés entrer pour discuter de la situation. Au total, 22 personnes avaient été offensées. Ces dernières ont pu exprimer les conséquences de

43 J. Consedine, Restorative Justice ..., p. 104-105.

44 Ted Wachtel, Real Justice (Pipersville : Piper’s Press, 1997), 22. 45 Ibid., p. 62.

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l’acte criminel dans leur vie. Une vieille dame a verbalisé, par exemple, la peur qu’elle vivait au quotidien depuis qu’ils avaient brisé une fenêtre avec une pierre au milieu de la nuit. De plus, la plupart des dommages n’étaient pas couverts par les assurances. Les deux hommes ont pu exprimer leurs regrets et indemniser les victimes après avoir trouvé du travail. Howard Zehr est l’un des premiers auteurs à aborder toute la question des besoins des victimes, des contrevenants et de la communauté à la suite d’un méfait. Il présente la justice réparatrice comme un changement de paradigme. Aux États-Unis, le début du mouvement a démarré avec le VORP (Victim Offender Reconciliation Program, débuté à Elkhart, Indiana en 1977-78).47 Ce programme implique des rencontres de médiation entre une victime et un offenseur.48

Les progrès en Amérique du Nord ont aussi inspiré d’autres auteurs, ailleurs sur la planète. Ainsi, les années 70 furent fertiles en réflexion concernant le système de justice pénal. L’auteur britannique Nil Christie, notamment, a écrit un article percutant au milieu des années 1970 dans le British Journal of Criminology, article encore amplement cité sur l’insatisfaction des parties impliquées lorsqu’un délit est commis. Pour Christie, l’État vole le conflit aux personnes affectées et, du même coup, prend leur parole.49 La justice réparatrice viendrait redonner cette voix.

1.5. La justice réparatrice aujourd’hui

La justice réparatrice est maintenant présente dans plusieurs pays à travers le monde. La Déclaration de Vienne sur la criminalité et la justice : relever les défis du XXIe siècle (2000) a encouragé « l’élaboration de mesures, de procédures et de programmes de justice réparatrice qui respectent les droits, les besoins et les intérêts des victimes, des délinquants, des collectivités et de toutes les autres parties ».50 En août 2002, le Conseil économique et social de l’ONU a adopté une résolution appelant les États Membres à

47 H. Zehr, Changing Lenses…, p. 159. 48 Ibid.

49 Nil Christie, Conflicts as Property (Londres : British Journal of Criminology, no 17, 1977), 1.

50 Nations Unies. Déclaration de Vienne sur la criminalité et la justice: relever les défis du XXIe siècle,

Dixième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, Vienne, 10-17 avril 2000, A/CONF.184/4/Rev.3, para. 29.

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21

mettre en œuvre des programmes de justice réparatrice.51 En 2005, le onzième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants exhortait les États Membres à admettre la nécessité d’affiner encore les politiques, procédures et programmes de justice réparatrice par des solutions de rechange aux poursuites criminelles.52 Également, le cadre législatif de l’Union européenne insiste sur l’offre de la justice réparatrice et sur l’établissement d’une législation sur le plan national.53 L’Union européenne encadre aussi le recours à la justice réparatrice par l’établissement de normes visant à protéger les victimes.54

Au Canada, certaines provinces, dont le Manitoba et l’Ontario, ont emboîté le pas autant chez les adultes que chez les jeunes. Au Québec, un programme de médiation existe pour les jeunes contrevenants dans un contexte de mesures non judiciaires.55 Pour les adultes, il n’y a pas de modalités de justice réparatrice présentement.

1.6. Les fondements théoriques de la justice réparatrice

Bien qu’il y ait quelques variantes dans les fondements théoriques de la justice réparatrice, nous aimerions simplifier la démarche en nous concentrant sur quelques auteurs reconnus au sein de la discipline.

51 Nations Unies. Office contre le crime et la drogue

[http://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/Programme_justice_reparatrice.pdf] (consulté le 27 septembre 2012).

52 Nations Unies. Déclaration de Bangkok : Synergies et réponses : Alliances stratégiques pour la

prévention du crime et la justice pénale, Onzième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime

et le traitement des délinquants, Bangkok, 18-25 avril 2005, para. 32.

53 En 2001, l’Union européenne a publié une décision-cadre énonçant que les États membres devraient

promouvoir la médiation dans les affaires pénales, voir la décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, art.10. [http://europa.eu/legislation_ summaries/justice_freedom_security/judicial_cooperation_in_criminal_matters/jl0027_fr.htm] (consulté le 27 septembre 2012). Voir aussi Union européenne. [http://ec.europa.eu/justice/funding/jpen/awp_jpen- 2009_fr.pdf (consulté le 27 septembre 2012).

54 Union européenne. [http://ec.europa.eu/justice/policies/criminal/victims/docs/com_2011_275_fr.pdf]

(consulté le 27 septembre 2012).

55 Les organismes de justice alternative du Québec possèdent une expertise en matière de justice pénale

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1.6.1. Une médiation axée sur un processus et une finalité

Pour Zehr, les éléments essentiels de la justice réparatrice sont:

1- Focus on the harms and consequent needs of the victim, as well as the communities and the offenders;

2- Address the obligations that result from those harms (the obligations of the offenders, as well as the community’s and society’s);

3- Use inclusive, collaborative processes;

4- Involve those with a legitimate stake in the situation, including victims, offenders, community members, and society;

5- Seek to put right the wrongs.56

Nous discernons qu’il y a ici une démarche qui met l’accent sur la blessure et les besoins des parties affectées par la situation (processus). Nous voyons aussi cette obligation de réparation (finalité). Nous sommes devant une démarche inclusive et collaboratrice. Finalement, on cherche à redresser les torts. Nous croyons aussi utile d’ajouter à cette liste les questions que Zehr nous convie à nous poser face à la situation :

1-Who has been hurt? 2-What are their needs?

3-Whose obligations are these? 4-Who has a stake in this situation?

5- What is the appropriate process to involve stakeholders in an effort to put things right?57

Les questions posées dans le processus sont donc les suivantes : Qui a été blessé? Quels besoins cela a-t-il créé chez les personnes impliquées? Qui doit réparer les torts causés? Qui est impliqué? Quelle est la meilleure démarche pour amener une entente de réparation entre les parties?

56 Howard Zehr, The Little Book of Restorative Justice (Intercourse : Good Books, 2002), 32-33. 57 Ibid., 38.

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23

1.6.2. La honte réintégrative

Selon le criminaliste John Braithwaite une personne qui a commis une faute et qui participe à une conférence familiale peut vivre une émotion importante, soit celle de la honte.58 Pour l’auteur, il est important de séparer l’action répréhensible de la personne qui l’a commise. C’est le comportement qui est visé et non la personne. Pour Braithwaite, cette conduite inacceptable sera le centre des discussions tout au long de la conférence familiale. L’individu qui a commis une faute aura le support de ses proches dans le but de réparer les torts causés. Par ce processus, on veut éviter de stigmatiser la personne et on cherche sa réintégration dans la communauté.59 L’entourage sera également présent pour supporter la victime.

1.6.3. Une fenêtre de la discipline sociale

Selon Zehr, la question de la punition versus la restauration est au cœur de la problématique actuelle. Sans vouloir opposer ces concepts, nous en discuterons tout au long de cet ouvrage. D’un point de vue sociologique, McCold et Watchtel cherchent à démontrer à la figure 2 qu’une société qui est faible à soutenir une personne qui a commis un méfait et où le respect des règles est important aura une approche punitive élevée.60 Il n’est pas faux de penser que dans ces sociétés le taux d’incarcération prédominera. Cette figure nous montre que l’inverse est aussi possible : une société mettant moins l’emphase sur le respect des règles, mais davantage sur le soutien, aura une approche plus permissive. Nous avons en tête ici les peuples où les peines d’incarcération sont moins longues et où l’on insiste davantage sur la réhabilitation. Pour les auteurs, l’approche réparatrice inclut un soutien fort et le respect des lois établies. En d’autres mots, on lance le message que ce que la personne a fait n’est pas acceptable socialement, mais au lieu de punir, on désire la soutenir et la supporter.

58 John Braithwaite, Crime, Shame, and Reintegration (Cambridge : University Press, 1989), 98. 59 Ibid., 98-101.

60 Paul McCold et Ted Wachtel, « Restorative Justice in Every Life. » dans Restorative Justice and Civil

Society sous la direction de J.Braithwaite et H.Strang, (Cambridge : Cambridge University Press, 2001),

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Une fenêtre de la discipline sociale

Figure 2

Au Québec, une tendance populaire voudrait une approche punitive plus forte incluant de plus longues sentences. Le gouvernement fédéral actuel semble aller dans le même sens. Par conséquent, il n’est pas étonnant de voir des coupures dans l’aide apportée aux prisonniers : mentionnons l’abolition récente, annoncée en avril 2012, des subventions à Option-Vie, cet organisme travaillait à la réinsertion sociale des détenus.61

1.6.4. Les pratiques de la justice réparatrice

À la figure 3, McCold et Watchtel divisent les pratiques de la justice réparatrice en trois grandes sections : l’aide aux victimes, le support à l’offenseur et le soutien à la communauté.62 On peut voir ici que plus on s’éloigne du centre, moins la pratique est réparatrice pour les parties. Par exemple, l’aide aux victimes (en haut à gauche) est vue par les auteurs partiellement réparatrice, tandis que la médiation entre la victime et

61 Canoe.ca [http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/politiquefederale/archives/2012/04/20120424-213717.

html] (consulté le 27 septembre 2012).

62 Paul McCold et Ted Wachtel, « Restorative Justice Theory Validation. » Restorative Justice: Theoretical

Foundations sous la direction de E.G.M. Weitekamp et K. Hans-Ju rgen (Cullompton : Willan Publishing,

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25

l’offenseur n’incluant pas les proches (au centre gauche) est qualifiée de presque entièrement réparatrice car cela n’implique que les antagonistes. Nous voyons dans le centre que l’utilisation de la conférence familiale est pleinement réparatrice, car toutes les personnes affectées par la situation sont encouragées à participer à la médiation.

Figure 3

1.6.5. Des règles et un vocabulaire particulier

Des règles bien spécifiques orientent le fonctionnement de ce modèle de médiation. La conférence familiale est dirigée par un médiateur. Une seule personne parle à la fois, les autres écoutent. Il y a là un langage bien particulier. On parle de faute, d’excuse et de rétablissement de la situation. La prise de parole est un point central du processus. Pranis mentionne l’importance de raconter son récit pour les personnes affectées (story telling). Le récit aide notamment la personne à se « connecter » avec les participants, àencourager l’introspection et à redonner du pouvoir.63 Les victimes ne restent pas dans leur état de

63 Kay Pranis, The Little Book of Circle Processes: a New/Old Approach to Peacemaking (Intercourse :

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victime, affaiblies, rejetées. La justice réparatrice veut leur redonner de l’emprise sur la situation.

1.6.6. Les valeurs

Les chaises placées en cercle favorisent la discussion et le rétablissement des relations. Le tout se fait dans le respect et l’écoute mutuelle. Les valeurs rattachées à la conférence familiale sont : « ...l’amour, l’honnêteté, l’humilité, le respect, la confiance, le partage, le courage, l’inclusion, l’empathie et le pardon ».64 Selon Pranis, on devrait honorer la présence, la dignité et la contribution de chaque personne dans le processus. L’emphase est mise sur l’interconnexion, le support émotionnel et spirituel des participants ainsi que l’équité dans le droit de parole.65

2. Les Commissions de vérité et réconciliation

Les Commissions de vérité et réconciliation telles que la Commission de vérité et réconciliation d’Afrique du Sud (CVR) découlent de la justice réparatrice. Nous tenterons dans les pages qui suivent d’expliquer les tenants et les aboutissants de la CVR d’Afrique du Sud, mais aussi celle du Canada.

2.1. La Commission de vérité et réconciliation d’Afrique du Sud (CVR)

Selon Leman-Langlois, une Commission de vérité est habituellement chargée de « faire la vérité » sur un sujet particulier, ou une époque, en entendant des témoins, en faisant enquête, en analysant des documents et en consultant des experts.66 Pour l’auteur, cela représente tout un défi. Pensons simplement aux archives qui ont peut-être été détruites, aux témoins disparus ou muets, aux ressources humaines et financières limitées, etc. Dans son article, Leman-Langlois explore trois aspects de ce qui s’est passé en Afrique du Sud.

64 K. Pranis, The Little Book…, p. 24-25. 65 Ibid., 6-7.

66 Stéphane Leman-Langlois, La vérité réparatrice dans la Commission vérité et réconciliation d’Afrique

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Premièrement, le récit des victimes d’abus de l’apartheid, ensuite leurs agresseurs, puis enfin, l’époque de l’apartheid.

Les victimes

Le témoignage des victimes a été central à la Commission de vérité et réconciliation d’Afrique du Sud. Nous voyons, au tableau 1, trois comités constitutifs de la CVR.67 Le premier comité (Comité des droits de la personne) était chargé de colliger les témoignages écrits et, dans au moins 2 000 cas, oraux recueillis durant des audiences publiques. Le deuxième (Comité de l’amnistie) devait évaluer les demandes d’amnistie d’offenseurs qui voulaient témoigner de leurs crimes, tandis que le troisième (Comité des réparations et de la réhabilitation) était voué à la compensation de la souffrance des victimes.

Références

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