• Aucun résultat trouvé

La quête spensérienne: le traducteur et l'allégorie de l'erreur et du désespoir à l'intérieur du livre 1 de La Reine des fées

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La quête spensérienne: le traducteur et l'allégorie de l'erreur et du désespoir à l'intérieur du livre 1 de La Reine des fées"

Copied!
418
0
0

Texte intégral

(1)

La quête spensérienne :

le traducteur et l’allégorie de l’erreur et du désespoir à

l’intérieur du livre I de la Reine des fées

Par

Stéphane Desjardins Sous la direction de Annick Chapdelaine

Département de langue et littérature françaises Université McGill, Montréal

Mai 2011

Thèse soumise à l‘Université McGill en vue de l‘obtention du grade de Ph.D. en langue et littérature françaises

(2)

Table des matières

Résumé/abstract 6

Remerciements 8

Introduction 9

1. The Faerie Queene, son auteur et son projet 10

1.1 Edmund Spenser : l‘homme 10

1.2 Edmund Spenser : le poète 13

1.3 Le « poète du poète » 16 1.4 Influence et réception 17 1.4.1 Renaissance 18 1.4.2 XVIIIe siècle 22 1.4.3 Époque romantique 24 1.4.4 Époque victorienne 28 1.4.5 XXe siècle 30 1.5 Destin à l‘étranger 31

1.6 The Faerie Queene et son projet 37

1.6.1 L‘œuvre et son genre 37

1.6.2 Le projet 42

1.7 Spenser aujourd‘hui 47

2. Des personnages en quête : héros vertueux face à l’adversité 49 2.1 La sainteté : unité thématique de la quête 49 2.2 La quête des personnages : initiatrice des autres quêtes 55 2.3 Les trois visages de l‘héroïsme : foi et vertu chrétienne, protestante et

universelle 57

2.3.1 Croix-Rouge 57

2.3.1.1 Le débutant 58

(3)

2.3.1.3 Le mélancolique 63

2.3.2 Una 64

2.3.3 Arthur 68

2.4 De l‘erreur au désespoir : l‘adversité d‘allégorie en allégorie 71

2.4.1 Erreur 71

2.4.2 Archimago 76

2.4.3 Duessa 79

2.4.4 Sansfoy, Sansjoy et Sansloy 87

2.4.5 Abessa, Corceca et Kirkrapine 89

2.4.6 Luciféra 91

2.4.7 Orgoglio 93

2.4.8 Désespoir 99

2.4.8.1 Le désespoir : concepts et définition 100 2.4.8.2 De l‘erreur au désespoir : le parcours préalable à

l‘épisode 103

2.4.8.3 Trévisan et Terwin : prédécesseurs de Croix Rouge 106 2.4.8.4 Désespoir : rhétorique et argumentation diabolique

108

2.4.8.5 Una : vérité, grâce et rédemption 111

2.4.9 Le dragon 113

3. Un lecteur en quête : de l’interprétation allégorique à l’engagement

profond 118

3.1 Le pacte allégorique 119

3.2 Le lecteur et la lettre à Raleigh 125

3.3 Le lecteur au fil du récit 128

4. La quête du poète : le défi épique 134

4.1 Le projet ambitieux de Faerie Queene 135

(4)

4.2.1 Le poète et ses personnages 137

4.2.2 Le poète et son lecteur 139

4.2.3 Interventions directes 143

4.2.3.1 Proèmes 143

4.2.3.2 Introductions des chants 145

4.3.3.3 Invocations de la Muse 149

5. Une quête abandonnée : la translation française de Spenser 152

5.1 La translation 152

5.2 Historique de la translation 153

5.2.1 Legouis 156

5.2.2 De Reul 158

5.2.3 Poirier 160

5.3 Quelques hypothèses susceptibles d‘expliquer l‘abandon du projet 163

5.3.1 Longueur et étendue du poème 164

5.3.2 Langue 167

5.3.3 Aspect poétique du poème 169

5.3.3.1 La traduction de la poésie 170

5.3.3.2 Traduire la poésie spensérienne 178

5.3.3.2.1 L‘intraduisibilité 178

5.3.3.2.2 Le recommencement 179

5.3.3.2.3 Le poème en tant qu‘expérience 180

5.3.3.2.4 Le rapport de destin à destin 181

5.3.3.2.5 La difficulté de traduction 183

5.3.3.2.6 La traduction poétique 184

5.3.3.2.7 Vi-lisibilité et effet de poésie 185 5.3.4 Négligence de l‘aspect épique et narratif du poème 186 5.3.5 Négligence de l‘aspect allégorique du poème 188

(5)

Conclusion

Une seule et même quête : la quête spensérienne 191

La Reine des fées, livre 1 194

Chant I 198 Chant II 217 Chant III 232 Chant IV 247 Chant V 264 Chant VI 282 Chant VII 298 Chant VIII 316 Chant IX 333 Chant X 351 Chant XI 374 Chant XII 393 Bibliographie 407

(6)

Résumé

Divisée en (5) cinq chapitres et accompagnée de notre traduction du livre I de The

Faerie Queene, notre thèse porte sur l'échec du projet de translation de Spenser

en français et sur la justification d'un nouveau projet de traduction axé sur le respect de la quête, une composante essentielle de l'œuvre spensérienne, pourtant négligée par les traducteurs français. Au chapitre 1, nous réamorçons la

translation de Spenser en examinant l'auteur et son œuvre, son influence et sa

réception, son destin à l'étranger, tout en jetant un regard sur le genre de The

Faerie Queene, sa forme et son projet. Dans ce chapitre qui nous sert

d'introduction, nous retenons notamment l'expression « poète du poète », qui se trouve au cœur de l'erreur de perception de Spenser. Au chapitre 2, nous examinons de plus près la trame narrative du livre I en analysant les héros et adversaires qui peuplent le récit. Nous établissons ainsi la quête des personnages, le véritable noyau de The Faerie Queene. Au chapitre 3, nous abordons à nouveau cette même quête, mais du point de vue du lecteur. Nous nous détachons donc du récit pour observer davantage la dimension allégorique de l'œuvre et la position engagée du lecteur face à l'œuvre. Au chapitre 4, nous abordons la quête du point de vue du poète. Nous examinons le défi que présente The Faerie Queene, notamment en termes de genre, et les interventions de Spenser dans le récit. Une fois ces trois aspects de la quête bien établis, nous examinons, au chapitre 5, en quoi les différents projets de translation français ont échoué, en quoi ils ne respectent pas la quête, telle que nous l'avons démontrée. Nous nous attardons à diverses hypothèses pouvant expliquer cet échec ainsi qu'à la question de la traduction de la poésie. À travers cette analyse, nous établissons les bases de notre propre projet de traduction, qui respecte à la fois l'esprit des théories de la traduction de la poésie et celui de l'œuvre spensérienne. Suit notre traduction du livre I, en accord avec ces principes.

(7)

Abstract

Divided in (5) chapters and followed by our translation of Book I of The Faerie

Queene, our thesis is about the failure of the translation project of Spenser in

French and the justification of a new project focusing on the quest, an essential aspect of Spenser's poem, despite the fact it has been neglected by the French translators. In Chapter 1, we bring the translation of Spenser back to life by examining the author and his work, his influence and the reception of his work, and his fate outside the boundaries of England, while taking a look at the genre of

The Faerie Queene, its form and its project. In this chapter, which serves as an

introduction to our thesis, we pay particular attention to the expression "poet's poet", which is at the heart of the problem of perception of Spenser's work. In Chapter 2, we take a closer look at the narrative of Book I by analysing the heroes and adversaries of the story. By doing so, we establish the quest of the characters, the true core of The Faerie Queene. In Chapter 3, we take another look at the subject of the quest, but from the point of view of the reader. We thus detach ourselves from the story to focus on the allegorical dimension of the poem and the engaged position of the reader toward the poem. In Chapter 4, we look at the quest from the point of view of the poet. We look at the challenge that The Faerie

Queene poses, in terms of genre, and at the interventions of Spenser within the

story. Once these three aspects of the quest are well established, we take a look, in Chapter 5, at how the different French projects of translation failed, at how they didn't respect the quest, as we demonstrated. We consider different hypotheses that could explain this failure and the question of translation of poetry. Through this analysis, we establish the bases for our own project of translation, which respects both the spirit of the theories of translation of poetry and the spirit of Spenser's text. Our translation of Book I follows, written according to these principles.

(8)

Remerciements

J‘aimerais tout d'abord remercier Annick Chapdelaine pour la direction de mon mémoire et de ma thèse, et plus particulièrement pour son appui inestimable, sa lecture très minutieuse, et ses nombreux conseils. Je la remercie également pour les nombreuses occasions qu'elle m'a offertes de présenter mon projet à ses étudiants.

J‘aimerais également remercier Kenneth Borris de m‘avoir fait découvrir Spenser et m‘avoir communiqué sa passion pour son œuvre.

Pour terminer, j'aimerais remercier parents et amis de m'avoir soutenu au fil des ans, en particulier ma conjointe, Ive Cartier, qui m'a offert son appui inconditionnel et indispensable au cours des dernières années de mon projet, sans doute les plus ardues. Si, à travers ma propre quête, j'ai voulu m'identifier au chevalier de la Croix Rouge, elle a été sans contredit ma Una.

(9)

Introduction

L‘objectif de cette thèse est principalement de présenter une traduction complète du livre I de The Faerie Queene. Le projet se justifie d‘abord par le fait qu‘il n‘a jamais encore été réalisé en langue française et par l‘échec du projet de

translation française de Spenser. Nous sommes d‘avis qu‘une erreur de perception

de l‘œuvre spensérienne a été commise et que celle-ci a mené à l‘abandon du projet de traduction. En effet, en présentant The Faerie Queene en extraits et en attirant l‘attention du lecteur français principalement sur sa forme poétique, les artisans de la translation française de Spenser ont négligé un aspect de l‘œuvre que nous croyons essentiel : la quête. Face à ce poème, tous sont en quête : personnages, auteur et lecteurs. Chacun est donc sollicité à vivre pleinement l‘expérience que propose l‘œuvre, un parcours qui se veut difficile, mais formateur. De l‘erreur au désespoir, personnages, auteur et lecteurs évoluent et grandissent au fil des aventures du poème. Le traducteur, à la fois lecteur et auteur, se doit d‘approcher l‘œuvre au même titre, à savoir être lui-même en quête. La traduction que nous proposons respecte cet objectif et, par son caractère complet, permet à tous de revivre la quête proposée par l‘original.

(10)

1. The Faerie Queene, son auteur et son projet

En 1923, Émile Legouis, professeur à la Sorbonne, faisait paraître en France le premier livre en français portant exclusivement sur Edmund Spenser et son œuvre. Legouis commence son ouvrage par une présentation du poète :

Spenser est peut-être le moins lu des poètes célèbres. L‘Angleterre le cite infailliblement parmi ces quatre ou cinq plus grands poètes et le range par tradition dans cette première ligne où figurent Chaucer, Shakespeare et Milton, pour ne parler que des classiques. Cependant elle-même le pratique peu. Pour définir sa grandeur négligée, il est coutume de l‘appeler « le poète du poète », par quoi il faut entendre que son public est aussi restreint que choisi. À l‘étranger sa fortune est plus spéciale encore. La gloire lui est accordée par manière d‘acquit. Mais son chef-d‘œuvre, La Reine

des Fées, n‘y a nulle part été traduit dans son intégrité, ni même,

que je sache, de façon étendue.1

Sans même peut-être l‘avoir désiré, par ses affirmations, Legouis a donné le ton à toute l‘entreprise de traduction de Spenser en France qui a succédé à son propre travail. Nous y reviendrons en détail au chapitre cinq. Pour l‘instant, retenons les grandes lignes de la présentation de Spenser par Legouis, cherchons à les comprendre, les expliquer et, au besoin, les rectifier. Notre but n‘est aucunement de discréditer Legouis puisque, nous le verrons, là où il a peut-être fait erreur, il a surtout été victime de son temps, facteur dont il est lui-même conscient.

1.1 Edmund Spenser : l’homme

L‘information que nous détenons à propos de la vie de Spenser est incomplète. Sa biographie telle que nous la connaissons est parsemée de manques et d‘incertitudes.2 Il est coutume de placer sa naissance en 1552, mais puisque son registre de naissance a péri dans un incendie, cette date demeure dans le domaine

1 É. Legouis, Edmund Spenser, p. V.

(11)

de la vraisemblance, et non celui de la certitude.3 Étrangement, on lit sur son monument funéraire l‘inscription suivante :

Here lyes (expecting the Second Coming of our Saviour Christ Jesus) the body of Edmond Spenser, the Prince of Poets in his tyme; whose Divine Spirit need noe othir witnesse then works which he left behinde him. He was borne in London in the yeare 1510. And Died in the year 1596.4

Toutefois, la date de 1510 ne concorderait pas avec les propres écrits du poète. De même, nous savons qu‘il est mort le 13 janvier 1599 à Westminster.

L‘année 1552 fait naître Spenser sous le règne d‘Edward VI. Le poète reçoit donc un baptême protestant, vit les quelques prochaines années de sa vie sous le règne de Mary, et dès l‘âge de six ans devient sujet d‘Élisabeth.5 Au pouvoir jusqu‘à sa mort en 1603, la reine vierge est pratiquement la seule figure de royauté que Spenser a connue, ce qui fait de lui un poète de la Renaissance pleinement élisabéthain et renforce la célébration et l‘hommage qu‘il lui rend dans son oeuvre.

Élisabeth Tudor n‘est toutefois pas la seule femme de la vie de Spenser à porter ce prénom. Du peu d‘informations que nous détenons sur la famille du poète, nous savons que sa mère se prénommait également ainsi.6 De plus, sa deuxième et dernière femme portait elle aussi ce prénom : Élisabeth Boyle.7 Il ne s‘agit là que d‘une coïncidence, mais à remarquer le rôle crucial que jouent les noms des personnages dans son œuvre, il est évident que Spenser était conscient de la répétition, et de l‘importance, de ce nom dans sa propre vie.

Quant au père de Spenser, il est probable qu‘il ait été un certain John Spenser, un tisserand membre d‘une guilde de marchand, ou bien un autre John Spenser, un simple journalier, ou encore un autre Spenser.8 Quoi qu‘il en soit, nous savons que la famille du poète avait de modestes moyens. Leur « pauvreté »

3 Ibid.

4 Judson 1945 : 207 dans R. Mohl, « Edmund Spenser » dans Spenser Encylopedia, p. 671. 5 R. Mohl, « Edmund Spenser » dans Spenser Encylopedia, p. 668.

6 Ibid. 7 Ibid, p. 670. 8 Ibid, p. 668.

(12)

demeure par contre relative et incertaine.9 Chose certaine, Spenser n‘est pas né gentilhomme, mais l‘est plutôt devenu, sans les armes, grâce à la vertu d‘avoir étudié à l‘université.10

D‘ailleurs, Spenser a reçu, malgré sa situation socio-économique, une impressionnante formation.11 Bachelier en 1573 et Maître en 1576, un grand choix de carrière s‘offrait à lui. Tandis que la majorité de ses camarades diplômés ont opté pour des postes au sein de l‘Église, Spenser a plutôt commencé une carrière qui l‘a mené à occuper divers postes administratifs et gouvernementaux, notamment ceux de secrétaire et d‘aide auprès d‘hommes influents, dont Sire Henry Sidney, le Dr. John Young, évêque de Rochester, le Comte de Leicester et Arthur, Lord Grey de Wilton.12

En 1580, après un premier mariage à Machabyas Chylde qui a donné naissance à deux enfants, Katherine et Sylvanus, et après avoir acquis une certaine reconnaissance à la cour, Spenser a été amené par ces postes administratifs à quitter l‘Angleterre pour l‘Irlande, pays qui l‘a accueilli pratiquement jusqu‘à sa mort, à l‘exception d‘occasionnelles visites en terre natale.13 Pour récompenser les efforts de Spenser au sein du gouvernement, on lui a par la suite accordé un château ainsi qu‘une terre expropriée de 3028 acres à Kilcolman, dans la province de Munster.14

En ce pays, Spenser a été témoin de la violence entre Anglais et Irlandais, et en tant qu‘administrateur, son travail consistait principalement au maintien de la paix.15 Fait à noter, autant les dures réalités de ces luttes que les beautés du paysage irlandais se retrouvent dans l‘écriture de Spenser, les uns témoignant de la discorde et d‘un univers tordu, les autres offrant un monde de rêve et de féerie.16

9 Ibid, p. 669. 10 Ibid, p. 668.

11 M. H. Abrams, « Edmund Spenser » dans Norton Anthology of English Literature, p. 614. 12 R. Mohl, « Edmund Spenser » dans Spenser Encylopedia, p. 669.

13 Ibid, p. 670.

14 M. H. Abrams, « Edmund Spenser » dans Norton Anthology of English Literature, p. 616. 15 R. Mohl, « Edmund Spenser » dans Spenser Encylopedia, p. 670.

(13)

En 1591, après un voyage en Angleterre qui lui a permis de publier The

Faerie Queene, Spenser revient en Irlande un homme riche : la reine lui accorde

dorénavant une impressionnante pension de 50 livres par an pour ses services.17 Toujours actif dans la sphère publique, Spenser s‘est remarié en 1594, a eu un enfant qu‘il a nommé Peregrine possiblement l‘année suivante, a joué un rôle politique de plus en plus grand face aux troubles civils en Irlande, et a finalement été nommé shérif du comté de Cork en 1598, un parcours qui aurait très bien pu le mener à la chevalerie, si sa vie n‘avait été écourtée.18

Alors qu‘il recevait le titre de shérif, sa propriété a été incendiée lors d‘une attaque rebelle.19 Se réfugiant à Cork avec sa famille, Spenser est par la suite retourné en Angleterre pour régler quelques affaires concernant la crise en Irlande.20 Il a alors subitement trouvé la mort, laquelle s‘explique le plus plausiblement par l‘épuisement causé par les événements récents.21 Il a été enterré auprès de Chaucer, à l‘abbaye de Westminster, et l‘on nomme à présent cet endroit le « coin de poètes ».22

1.2 Edmund Spenser : le poète

La carrière poétique de Spenser suit remarquablement bien sa carrière administrative : alors qu‘il acquérait succès et réputation dans l‘une, l‘autre suivait de près. Il va sans dire, toutefois, que Spenser était poète avant tout, et que son parcours d‘écrivain mérite davantage d‘attention. De même, malgré la réussite de sa carrière au sein du gouvernement, le succès de celle-ci ne peut égaler la grandeur de sa carrière d‘écrivain.

À une époque où la littérature de langue anglaise n‘en était qu‘à ses débuts, n‘ayant pas encore acquis de prestige à l‘étranger, et alors que certains la

17 R. Mohl, « Edmund Spenser » dans Spenser Encylopedia, p. 670. 18 Ibid.

19 Ibid. 20 Ibid, p. 671. 21 Ibid.

(14)

mettaient même en doute23, le jeune Spenser, consciemment et délibérément, décide qu‘il deviendra le grand poète anglais de son époque.24 Après s‘être exercé à la traduction de poèmes pour un volume de propagande anticatholique, Spenser est prêt à passer à une autre étape.25 Sa première œuvre, The Shepheardes

Calender, publiée en 1579, en témoigne. Puisque le genre pastoral était

traditionnellement considéré un prélude à une plus grande œuvre d‘un poète national, Spenser annonçait, par le choix du genre de son poème, ses ambitions.26 En effet, Virgile lui-même avait suivi ce parcours : partir du genre pastoral pour évoluer vers l‘épopée.27

Bien qu‘accueilli favorablement, The Shepheardes Calender a reçu plusieurs critiques, notamment quant à la langue. Spenser y utilise une langue délibérément archaïque, d‘une part pour rendre hommage à son véritable maître littéraire, Chaucer, d‘autre part pour présenter un aspect rustique, lequel sied bien au genre.28 Sire Philip Sidney (1554-1586), l‘une des figures les plus importantes de l‘époque élisabéthaine, était de ceux qui n‘approuvaient pas ce retour en arrière langagier.29 Ce jugement, lequel a été énoncé avant l‘arrivée de The Faerie

Queene, se retrouve dans A Defence of Poetry, possiblement écrit en 1580, puis

publié en 1595.

Quoi qu‘il en soit, Spenser faisait son entrée dans les cercles littéraires.30 Des correspondances avec son bon ami Gabriel Harvey nous indiquent non seulement qu‘il s‘était lié d‘amitié avec Daniel Rogers, un proche de Sidney, mais également qu‘il n‘en était pas à sa première œuvre.31 Nous ne savons si la chose est vraie, mais Spenser aurait à son actif, à cette époque, bon nombre d‘œuvres (Dreames, Legendes, Court of Cupid, une traduction de Moschus, Pageants,

Sonetts, un traité intitulé The English Poete, My Slomber, The Dyning Pellicane,

23 M. H. Abrams, « The Sixteeth Century » dans Norton Anthology of English Literature, p. 469. 24 Ibid, p. 614.

25 Ibid. 26 Ibid, p. 615.

27 M. H. Abrams, « The Faerie Queene » dans Norton Anthology of English Literature, p. 623. 28 M. H. Abrams, « Edmund Spenser » dans Norton Anthology of English Literature Norton, p.

614.

29 Ibid.

30 R. Mohl, « Edmund Spenser » dans Spenser Encylopedia, p. 669. 31 Ibid.

(15)

Epithalamanion Thamesis, Nine Comedies et Stemmata Dudleiana), ce qui ferait

de lui un jeune auteur très prolifique.32

Alors que sa carrière au sein du gouvernement l‘occupait passablement au cours des années 1580, Spenser se consacrait également à la poésie, travaillant notamment à The Faerie Queene, prêt à être publié dès 1589.33 Grâce à l‘aide de Sire Walter Raleigh, doté d‘une grande influence auprès de la reine, Spenser est revenu en Angleterre et a réussi à y publier les trois premiers livres de l‘ouvrage en 1590. Cette publication a joué un rôle déterminant pour Spenser, qui s‘est vu mériter non seulement la faveur d‘Élisabeth, mais également une pension à vie.34 Aucun poète n‘avait, jusqu‘alors, reçu tel montant de la part du trône, et Spenser lui-même n‘avait jusqu‘alors reçu pareille somme pour ses services auprès du gouvernement.35 Pour Spenser, la publication de Faerie Queene dépassait bien entendu les considérations financières. Reconnu immédiatement comme un chef-d'œuvre, comme le travail remarquable de toute une génération, le poème a apporté la gloire à son auteur.36

Les éditeurs anglais étaient donc dès lors très enclins à publier d‘autres œuvres du poète, certaines des œuvres de jeunesse, qui trouvaient maintenant un public, certaines écrites ou rassemblées pour des occasions particulières, certaines des initiatives d‘éditeurs, tandis que Spenser lui-même semble avoir participé à la publication de quelques-unes. On voit ainsi se publier, en plus de la deuxième édition de Faerie Queene augmentée de trois livres (1596), Complaints (1591),

Daphnaïda (1591), Amoretti et Epithalamion (1595), Colin Clout Come Home Again (1595), Fowre Hymnes (1596) et Prothalamion (1596).37

L‘œuvre du poète, dans l‘ensemble, peut être placée sous le signe du renouveau poétique. Tandis qu‘il était prolifique dans la quantité d‘œuvres qu‘il produisait, Spenser l‘était tout autant en matière d‘expérimentation :

Spenser was a prolific experimenter who went on to make further innovations in his later poems: the special rhyme scheme

32 Ibid. 33 Ibid, p. 670.

34 M. H. Abrams, « Edmund Spenser » dans Norton Anthology of English Literature, p. 615. 35 R. Mohl, « Edmund Spenser » dans Spenser Encylopedia, p. 670.

36 Ibid. 37 Ibid.

(16)

for the Spenserian sonnet; the remarkably beautiful adaptation of the Italian canzone forms for the Epithalamion and

Prothalamion; and the nine-line stanza of The Faerie Queene,

with its hexameter (six-stress) line at the end, are best known. Spenser is sometimes called the ―poet‘s poet‖ because so many later English poets learned the art of versification from him. In the nineteen century alone his influence may be seen in Shelley‘s Revolt of Islam, Byron‘s Childe Harold’s Pilgrimage, Keats‘s Eve of St. Agnes, and Tennyson‘s The Lotus-Eaters.38

1.3 Le « poète du poète »

L‘épithète « poet‘s poet », malgré sa popularité, n‘est pas à prendre à la légère. Elle est lourde de sens et peut s‘avérer trompeuse.

Utilisée pour la première fois, à propos de Spenser, dans l‘anthologie de poésie anglaise de Leigh Hunt, Imagination and Fancy, en 1844, la citation est attribuée à Charles Lamb qui l‘aurait lancée lors d‘une conversation, ne l‘ayant jamais mise à l‘écrit (ce qui rend impossible la distinction entre singulier et pluriel : poet’s ou poets’). L‘épithète a eu un succès immédiat, devenant monnaie courante.39

Près d‘un siècle plus tard, C.S. Lewis, initiateur de l‘intérêt moderne porté à Spenser, l‘a remise en question dans son ouvrage The Allegory of Love (1936), objectant que l‘épithète avait causé des dommages incalculables40 :

It led readers to expect ‗some quintessential ―poeticalness‖ in the lowest and most obvious sense of the word – something more mellifluous than Shakespeare‘s sonnets, more airy than Shelley, more swooningly sensuous than Keats, more dreamlike than William Morris‘.41

Remarquant d‘autres qualités de l‘œuvre spensérienne, telle que la vigueur et l‘énergie narrative de Faerie Queene, Lewis propose une révision du « titre »

38 M. H. Abrams, « Edmund Spenser » dans Norton Anthology of English Literature, p. 615. 39 P. Alpers, « The Poet‘s poet » dans Spenser Encylopedia, p. 551.

40 Ibid.

41 C.S. Lewis, Allegory of Love, p. 317 dans P. Alpers, « The Poet‘s poet » dans Spenser

(17)

attribué au poète42 : « Spenser is so called in virtue of the historical fact that most of the poets have liked him very much ».43

Cette nouvelle définition de l‘épithète, plus prudente, restreint la portée des propos de Hunt, qui reprend la phrase de Lamb, au départ peut-être innocente. Dans son introduction à sa sélection de Spenser, Hunt déclare :

his ‗great characteristic is poetic luxury‘ and that of all poets he ‗is the farthest removed from the ordinary cares and haunts of the world‘. You must not go to him, Hunt tells his reader, for story, stylistic economy, pathos, or mirth. ‗But if you love poetry well enough to enjoy it for its own sake,‘ you will be rewarded: ‗Take him in short for what he is, whether greater or less than his fellows, the poetical faculty is so abundantly and beautifully predominant in him above every other, though he had passion, and thought, and plenty of ethics, and was as learned a man as Ben Jonson, perhaps as Milton himself, that he has always been felt by his countrymen to be what Charles Lamb called him, the ―Poet‘s Poet‖.‘44

Comme l‘a soulevé Lewis, cette ligne de pensée littéraire a été des plus dommageables. En effet, celle-ci a même été reprise en France par Legouis, comme nous l‘avons vu, et par les artisans de la traduction française de Spenser, ce qui a contribué, comme nous le verrons, à l‘échec du projet. Il est plutôt difficile de blâmer Legouis, puisque le blâme, à l‘époque, tombe non seulement sur la perception française de Spenser, mais bien sur un regard que l‘Angleterre elle-même pose sur son poète, avant l‘arrivée de Lewis. La réception de Spenser, d‘époque en époque, malgré ses vagues et ses changements, se cristallise en vérité autour de certains éléments de réputation, dont certains s‘effacent difficilement.

1.4 Influence et réception

Puisqu‘il est historiquement juste que Spenser a été apprécié des poètes, il est possible de retracer le parcours de sa réception au fil des siècles en s‘arrêtant un moment sur certains d‘entre eux, chez qui il a exercé une certaine influence.

42 P. Alpers, « The Poet‘s poet » dans Spenser Encylopedia, p. 551.

43 C.S. Lewis, Allegory of Love, p. 320 dans P. Alpers, « The Poet‘s poet » dans Spenser

Encyclopedia, p. 551.

(18)

À des fins de clarté, rassemblons-les par époque et par courant : la Renaissance (1579-1660), le XVIIIe siècle (1660-1800), l‘époque romantique (1785-1830), l‘époque victorienne (1830-1901), et le XXe siècle. À chacune de ces périodes correspondent certaines tendances générales dans la perception de Spenser et de son œuvre, lesquelles sont issues d‘opinions personnelles propres à certains poètes ou critiques. Certains suivent la vague ou l‘initient, tandis que d‘autres présentent une position bien à eux. Quoi qu‘il en soit, le grand nombre de ceux que nous nommerons ici démontre bien à quel point Spenser ne suscitait aucunement l‘indifférence.

1.4.1 Renaissance (1579-1660)

Les deux plus célèbres oeuvres de Spenser sont également celles qui ont été les plus fréquemment imitées. Chacune à leur façon, pour des raisons différentes, The

Shepheardes Calender et The Faerie Queene sont devenus très tôt de véritables

modèles littéraires.45

Dès sa publication en 1579, le calendrier a lancé une mode dans l‘expérimentation du genre pastoral et de ses formes. The Faerie Queene, pour sa part, a donné au genre épique une autorité et une identité anglaises :

Even though going out of fashion in the seventeenth century, it provided a native model for translations of foreign epics, for England‘s new heroic poetry, and for poets who wished to revive and supplement it during the troubled reign of Charles I.46

Parmi ceux qui ont été influencés par le calendrier en matière d‘expérimentation poétique, soit dans le but de tester de nouvelles formes de versification, de nouveaux thèmes pastoraux, ou une nouvelle diction, on peut nommer Micheal Drayton et son The Shepheards Garland (1593) et Thomas Lodge, auteur de Phillis (1593). À ceux-ci on peut également ajouter Henoch Clapham et John Davies of Hereford qui ont surtout repris les noms des personnages spensériens dans leur œuvre. S‘ajoute également à eux bon nombre

45 P. J. Klemp, « Imitations and adaptations, Renaissance » dans Spenser Encyclopedia, p. 395. 46 Ibid.

(19)

de poètes dont la carrière tout entière, durant le règne Stuart, a été basée sur l‘œuvre de Spenser : William Browne auteur de Shepheards Pipe (1614) et de

Britannia’s Pastorals (1613-16), Phineas Fletcher, auteur de Piscatorie Ecglogs et Sylva Poetivea (1633), Robert Farley, lequel a écrit, comme d‘autres, son propre

calendrier, Kalendarium Humanae (1638), Francis Quarles, auteur de

Shepheardes Oracles (1646) et William Basse, auteur de Pastorals (1653).47

Pour sa part, The Faerie Queene a d‘abord servi de modèle de diction, de style et de syntaxe aux traducteurs épiques de l‘époque, mais a également su inspirer des créations originales, telles que celles de Richard Barnfield, Cynthia (1595), Samuel Daniel, Civil Wars (1595), Micheal Drayton, Poly-Olbion (1612), Patrick Gordon, First Book of the Famous Historye of Penardo and Laissa (1615), Phineas Fletcher, Purple Island (1633) et William Davenant, Gondibert (1650). Certains autres ont même utilisé les techniques spensériennes dans le but de créer un nouveau genre d‘épopée religieuse. C‘est le cas de Christ Victorie,

and Triumph (1610) de Giles Fletcher, de Life and death of Mary Magdalene

(1620) de Thomas Robinson, de Davideis (1656) d‘Abraham Cowley, et même de

Paradise Lost (1667) de Milton. Toutes ces épopées « received their authority

from The Fairie Queene, which taught aspiring epic poets that English was a dignified language for serious narratives. »48 En dehors de la sphère épique, The

Faerie Queene a également donné naissance à d‘autres formes de poésie originale,

telles que le Tale of Two Swannes (1590) de William Vallans, le Spencers Squiers

Tale (1616) de John Lane et le Faerie Leveller (1648) demeuré anonyme.49 À toutes ces initiatives originales, il faut également ajouter les imitations directes, telles que celle d‘Anthony Copley, A Fig for Fortune (1596), celle de Ralph Knevet, Supplement of The Faerie Queene (1633), et The Faerie King (1650) de Samuel Sheppard.50

Une telle liste, non exhaustive, frappe par sa longueur et son caractère imposant. Toutefois, ces noms d‘auteurs et ces titres d‘œuvres ne deviennent

47 Ibid. 48 Ibid, p. 396. 49 Ibid. 50 Ibid.

(20)

importants que lorsqu‘on prend un moment pour s‘intéresser à ce qu‘ils témoignent de l‘influence réelle de l‘œuvre de Spenser.

Ainsi, nous apprenons que William Collins (1721-59), par exemple, trouvait dans The Faerie Queene une véritable créativité poétique et qu‘il admirait Spenser avant tout pour le choix de son langage poétique.51 En fait, il aspirait à devenir comme Spenser « a poet of ‗strong and circumstantial imagery‘, of ‗tender and pathetic feeling‘, with ‗a most melodious flow of versification and a certain pleasing melancholy in his sentiments‘ ».52 Thomas Chatterton (1752-70), quant à lui, admirait Spenser pour sa prosodie, sa diction et la couleur historique qu‘il a su donner à son œuvre.53 Le premier poète spensérien en importance, Micheal Drayton (1563-1631), reprenait lui aussi la diction spensérienne et désirait suivre le modèle de carrière poétique de Spenser, évoluant du genre pastoral à l‘épopée. Après avoir réussi à suivre son maître sans l‘imiter de trop près, il a reçu l‘honneur d‘être inhumé aux côtés de Spenser.54

Cette admiration presque sans taches trouve un contre-exemple en Ben Jonson (1572?-1637) pour qui le style spensérien est objet de critiques. Bien qu‘il soit conscient de la grandeur de Spenser, ce dramaturge voit son tempérament heurté au contact de l‘œuvre du poète le moins dramatique des poètes anglais.55 Joseph Hall (1574-1656), pour sa part, exclut Spenser de ses critiques. Alors qu‘il critique lui aussi la poésie contemporaine, s‘attaquant à ses faiblesses morales et stylistiques, il exclut Spenser du lot, le plaçant au-dessus, moralement et esthétiquement, de ses contemporains, le préférant même à l‘Arioste et à Du Bartas.56

Une pareille admiration ne veut pourtant pas dire que l‘œuvre de Spenser est pleinement saisie par ceux qu‘elle influence et ceux qui choisissent de l‘imiter. Le travail des frères Fletcher, Phineas (1582-1650) et Giles (1586-1623), est révélateur en ce sens, puisque déjà leurs imitations semblent avoir perdu de vue

51 A. Johnston, « Collins, William » dans Spenser Encyclopedia, p. 177.

52 J. Warton ed 1806 2 :29 dans A. Johnston, « Collins, William » dans Spenser Encyclopedia, p.

177.

53 D. S. Taylor, « Chatterton, Thomas » dans Spenser Encyclopedia, p. 144. 54 R. F. Hardin, « Drayton, Micheal » dans Spenser Encylcopedia, p. 224-226. 55 A. Barton, « Jonson, Ben » dans Spenser Encyclopedia, p. 411.

(21)

une partie de l‘essence initiale de l‘œuvre spensérienne, ce qui indique que, même à une époque rapprochée du vivant de l‘auteur, son œuvre n‘est pas à l‘abri d‘interprétations fautives, partielles ou réductrices :

One reason for these poets‘ notably narrow borrowing from Spenser may be that they had already begun to lose sight of Spenser‘s own medieval and Renaissance influences. (…) Not understanding the spirit, they were too often left with only the letter.57

La lettre est en effet l‘un des principaux éléments d‘imitation. L‘influence de Spenser se repère souvent, le plus facilement, par l‘utilisation de la stance spensérienne, autant chez les poètes mineurs, tels que Robert Aylett (1583?-1655?)58, que chez de plus ambitieux personnages, tels que Richard Fanshawe (1608-66), qui a traduit un livre de l‘Énéide en utilisant la stance.59

Si ce n‘est à la stance que l‘on s‘attache, c‘est parfois à un autre élément stylistique précis. Tandis, par exemple, que Henry Peacham (1578-1644?), qui a poursuivi l‘imitation de Spenser jusqu‘à tard au XVIIe siècle, s‘attarde

principalement aux personnifications emblématiques60, Edmund Waller (1606-87) retient avant tout de Spenser l‘éloge héroïque.61 D‘autres, s‘arrêtant moins sur le détail ou une particularité de l‘œuvre, choisissent plutôt de s‘inscrire dans la même tradition que Spenser. William of Tavistock Browne (1591?-1643?), par exemple, en recréant dans son œuvre un schéma narratif complexe de romance inséré dans un environnement idéalisé, s‘inscrit parfaitement dans la tradition spensérienne.62 John Bunyan (1628-88), quant à lui, inscrit son Pilgrim’s

Progress (1678) aux côtés de The Faerie Queene, dans la longue tradition de

l‘allégorie narrative.63 Quelque peu original sans être le seul à voir cet aspect dans l‘œuvre de Spenser, Abraham Cowley (1618-67) voit en elle l‘attrait qu‘elle présente à l‘imagination d‘un enfant64, tandis que Kenelme Digby (1603-65) voit

57 R. F. Hardin, « Fletcher, Phineas and Giles » dans Spenser Encyclopedia, p. 309. 58 N. Flinker, « Aylett, Robert » dans Spenser Encyclopedia, p. 77.

59 P. Davidson, « Fanshawe, Richard » dans Spenser Encyclopedia, p. 300. 60 A. R. Young, « Peacham, Henry » dans Spenser Encyclopedia, p. 536. 61 W. L. Chernaik, « Waller, Edmund » dans Spenser Encyclopedia, p. 726.

62 S. Chaudhuri, « Browne, William of Travistock » dans Spenser Encyclopedia, p. 116. 63 B. A. Johnson, « Bunyan, John » dans Spenser Encyclopedia, p. 120-121.

(22)

en Spenser un véritable monstre de savoir, inégalé par aucun autre poète à l‘exception de Virgile.65

Enfin, nous terminons ce premier tour d‘horizon par un exemple de taille, John Milton (1608-74). Dryden a un jour déclaré à la fois que Spenser était l‘« Original » de Milton, et que Milton était le fils poétique de Spenser.66 La relation, en fait, semble avoir été de nature pédagogique : Spenser était le maître, Milton, l‘élève.67 Imitateur dans ses premières œuvres, empruntant le vocabulaire, les archaïsmes et l‘alexandrin à Spenser, Milton a de plus en plus affiché ses propres couleurs, adaptant au besoin sa propre image de Spenser pour la conformer à ses opinions nouvelles.68 En fin de parcours, alors que ses apprentissages spensériens étaient tout à fait assimilés, Milton ne reconnaissait plus l‘origine spensérienne de ses acquis.69 Ainsi, chez Milton, influence et imitation prennent un tout autre sens : Milton est redevable de Spenser, mais le produit littéraire de Milton est pleinement indépendant.

1.4.2 XVIIIe siècle (1660-1800)

Après Milton et avant Shakespeare, Spenser a été l‘auteur de la Renaissance anglaise le plus imité au XVIIIe siècle.70 À la suite d'une période où les imitateurs étaient peu nombreux, le poème de Matthew Prior (1664-1721), « An Ode, Humbly Inscrib‘d to the Queene » (1706), a initié une nouvelle vague d‘imitation qui a connu son plus grand moment d‘intensité entre 1746 et 1758 : des 250 imitations répertoriées durant le siècle, 50 datent de cette période, dont 19 portants sur The Faerie Queene.71 Les imitations en question sont de types très diversifiés. On trouve des imitations allégoriques, de nouveaux chants ou des chants de substitution, des chants de continuation, des poèmes bucoliques ou de

65 A. Stiebel, « Digby, Kenelme » dans Spenser Encyclopedia, p. 219

66 Dryden 311 dans J. D. Guillory, « Milton, John » dans Spenser Encyclopedia, p. 473. 67 J. D. Guillory, « Milton, John » dans Spenser Encyclopedia, p. 473.

68 Ibid. 69 Ibid, p. 475.

70 R. C. Frushell, « Imitations 1660-1800 » dans Spenser Encyclopedia, p. 396. 71 Ibid.

(23)

saison, des élégies, des œuvres d‘ordre politique ou satirique, des poèmes scolaires ou éducatifs, ainsi que des imitations de la main d‘auteurs majeurs.72

Ne voulant pas nous arrêter sur chacune de ces catégories, étant donné le nombre impressionnant d‘exemples, nous nous contentons ici de présenter quelques généralisations qui peuvent être faites à propos des imitations et des adaptations produites entre 1660 et 1800 :

First, the imitations follow the changing styles and emphases of eighteenth-century poetry generally. Secondly, received opinion about the best imitations still holds true: but the names of Croxall, Edwards, Mendez, Mickle, Thompson, and West – and perhaps even Downman and Wilkie – should be added to such worthy imitators as Akenside, Beattie, Burns, Shenstone, and Thomson, for belletristic or historical reasons, or both.

Third, most imitators were college men (…). There is no doubt that encouragement came from the teachers of fathers or other Spenser imitators (…). [N]early all imitators were young men who were attracted to Spenser (…) in a spirit of stanzaic experimentation and poetical adventurousness, away from the strictures and conventions of couplet verse.

Finally, many imitators of Spenser‘s stanza still have the couplet feel, and imitations of Pope or of the ancient are occasionally combined with Spenser imitations throughout the century.73

Pour ce qui est des romantiques en particulier, notons qu‘ils ont tous été des lecteurs sérieux de Spenser, certains durant leur vie entière, quelques-uns allant même jusqu‘à le vénérer. Certains ont vu leur œuvre influencée par lui, et certains l‘ont même imité avant 1800.74 Toutefois, il ne faut pas croire que seuls les romantiques et les préromantiques ont été influencés par Spenser. Le nombre et la variété d‘imitations produites au XVIIIe siècle nous indiquent que plusieurs écrivains se souciaient de lui, le considérant un enseignant moral et utile. Le fait est qu‘il était lu, commenté et imité durant tout le siècle, et non seulement sa deuxième moitié.75 72 Ibid, p. 397. 73 Ibid, p. 399. 74 Ibid, p. 398. 75 Ibid, p. 399.

(24)

Parmi les témoignages de ceux que Spenser a influencés, on retrouve celui de John Dryden (1631-1700) qui, emballé par l‘alexandrin et la renaissance d‘un vocabulaire perdu, célèbre le génie, la connaissance et les harmonies diverses des vers spensériens, tout en le censurant pour avoir omis de suivre la règle aristotélicienne d‘unité d‘action, pour ces héros sans différences, sa diction dépassée et son choix de stance.76 Il n‘est d‘ailleurs pas le seul à s‘attaquer à la stance spensérienne. Règle générale, soit la strophe est critiquée, comme le fait Samuel Johnson (1709-84) qui n‘approuve pas non plus le vocabulaire obscur utilisé par Spenser77, soit la strophe est faite sienne, comme c‘est le cas de James Thomson (1700-48) qui reprend l‘allitération, l‘assonance, le rythme interne, la répétition tout en présentant sa propre version de la stance, ce qui illustre bien l‘adaptabilité de la méthode spensérienne.78 Alexander Pope (1688-1744) résume bien ce mélange de critiques et d‘admiration que l‘on retrouve à l‘époque : ―[Spenser] is like a mistress whose fault we see, but love her with ‗em all‖.79

1.4.3 Époque romantique (1785-1830)

Les plus célèbres Romantiques, Blake, Wordsworth, Coleridge, Byron, Shelley et Keats, ont tous été influencés, à leur façon et à divers degrés, par Spenser. Certains le critiquent sévèrement, comme William Blake (1757-1827) qui présente par contre dans son œuvre de nombreuses allusions à celle de Spenser.80 Certains, en fin de compte, malgré l‘admiration, utilisent peu la stance spensérienne, comme c‘est le cas de William Wordsworth (1770-1850).81 Il commente d‘ailleurs la stance ainsi :

The Spenserian stanza is a fine structure of verse; but that is also almost insurmountably difficult. (…) In him the stanza is seen in its perfection… Spenser never gives way to violent and conflicting passion, and… his narrative is bare of circumstances,

76 R. Berry, « Dryden, John » dans Spenser Encyclopedia, p. 228.

77 C. L. Johnson, « Johnson, Samuel » dans Spenser Encyclopedia, p. 410. 78 J. Sambrook, « Thomson, James » dans Spenser Encyclopedia, p. 686-687

79 A. Pope ed 1956 I:316 dans D. W. Doeksen, « Pope, Alexander » dans Spenser Encyclopedia, p.

555.

80 R. F. Gleckner, « Blake, William » dans Spenser Encyclopedia, p. 95. 81 W.J.B. Owen, « Wordsworth, William » dans Spenser Encyclopedia, p. 735.

(25)

slow in movement, and (for modern relish) too much clogged with description… One great objection… is the poverty of our language in rhymes.82

Samuel Taylor Coleridge (1772-1834), pour sa part, présente peu de références directes, tout en étant saturé par le langage et les situations spensériens.83 Démontrant un intérêt vif, mais non systématique, pour Spenser, Lord Byron (1788-1824) reprend non seulement le moule de la stance, mais également un protagoniste quasi-spensérien dans une de ses œuvres, Childe Harold’s

Pilgrimage (1812).84 Percy Bysshe Shelley (1792-1822), quant à lui, vient à Spenser non seulement grâce à un grand intérêt pour la redécouverte de romances, mais également parce que ses prédécesseurs et contemporains avaient eux aussi été influencés par lui.85 Enfin, John Keats (1795-1821) a commencé et terminé sa carrière poétique par de l‘imitation spensérienne :

Towards the end of his creative life (…) Keats reaffirmed a stance associated with Spenser, the poet who was uniquely responsible for first setting his poetic career in motion, and whose presence is felt here and there all along the way like – appropriately – an undersong.86

À ces grands poètes il faut ajouter trois personnes d‘influence qui ont chacune modelé la perception générale de Spenser à l‘époque : Charles Lamb (1775-1834), William Hazlitt (1778-1830) et Leigh Hunt (1784-1859).

Hazlitt est à l‘origine de l‘affirmation suivante : « Of all modern poets, (…) Spenser is the most poetical ».87 Il voit en Spenser « a poet of ‗effiminate‘ temperament, of luxurious enjoyment and unrestrained indulgence, of an ease apparently detached from the common interests of life, and always on the brink of voluptuousness. »88 Cette perception est un tournant majeur dans la réception de Spenser. Si de telles idées faisaient peu à peu leur chemin avant l‘époque

82 W. Wordsworth 2 :58-59 dans W.J.B. Owen, « Wordsworth, William » dans Spenser

Encyclopedia, p. 736.

83 T. McFarland, « Coleridge, Samuel Taylor » dans Spenser Encyclopedia, p. 170. 84 M. G. Cooke, « Byron, George Gordon, Lord » dans Spenser Encyclopedia, p. 125. 85 S. Curban, « Shelley, Percy Bysshe » dans Spenser Encyclopedia, p. 644.

86 M. Allott, « Keats, John » dans Spenser Encyclopedia, p. 416.

87 D. Bromwich, « Hazlitt, William » dans Spenser Encyclopedia, p. 350. 88 Ibid, p. 349.

(26)

romantique, Hazlitt, suivi de Lamb et de Hunt, les ont le mieux synthétisées, de sorte que cette perception s‘affirme pleinement et gagne en popularité.

Dévoué à la poésie de Spenser, Lamb semble avoir repris, et raccourci, l‘affirmation de Hazlitt pour formuler la célèbre épithète « poet‘s poet ».89 Sa dévotion s‘est également manifestée par une certaine pression qu‘il exerçait sur Coleridge et Wordsworth. Alors qu‘il encourageait le premier à écrire une épopée dans la lignée de Spenser et Milton, il poussait le second à rédiger davantage de critique spensérienne, deux projets qu‘il n‘a lui-même pas réalisés.90 Toutefois, la contribution de Lamb à la réception de Spenser, plus particulièrement à l‘élaboration du Spenser qu‘on retrouve au XIXe siècle, un poète du délice et du rêve, est autre, et tient principalement aux dangers de la poésie et à l‘échec de l‘allégorie, tels que perçus à cette époque :

The dangers emerge in the very imagery that seems to make The

Faerie Queen safe for children. The airy-fairy Spenser is

distilled from only one side of the logic of association, while complications seep from the other side. Freeing the dream, for instance, reveals a connection with enchantment and delusion. Freeing the female reveals the adult sensuality hidden in the maiden, as her honey-tongued sweetness matures into licence and luxury.

These dangers have been the perennial concern of the most significant negative tradition of Spenser‘s criticism, which Lamb‘s generation lodges in the palpable undercurrent of suspicion flowing from the unstable metaphors of Coleridge, Hazlitt, and, despite his escapism, Hunt. (…)

But for the early Romantic generation, allegory had lost much of its remedial power to increasing fears of abstraction or of the senses, both, curiously, involved with the supposed tyranny of the eye. As either didactic child‘s poet or enchanting optical despot, Spenser cannot win.91

Pour protéger Spenser de telles attaques, ciblant l‘allégorie et son aspect moralisateur, le XIXe siècle a eu tendance à vouloir produire une version de The

89 M. Eaves, « Lamb, Charles » dans Spenser Encyclopedia, p. 423. 90 Ibid.

(27)

Faerie Queene exempte d‘allégorie et de mission didactique : Lamb s‘y refuse,

prônant la capacité morale de la littérature.92

Plus influant encore par son travail de journaliste, de reporter, de critique, d‘éditeur, d‘essayiste, de romancier, de dramaturge et de poète, Hunt a joué un rôle capital dans la réception de Spenser à l‘aube du XIXe siècle.93 Son enthousiasme se plaçait toutefois presque exclusivement sur l‘enchantement poétique de Spenser, sur tout ce qui peut toucher l‘imagination et les sens, tandis que l‘allégorie et la trame narrative semblent sans importance94 :

This exclusive love of Spenserian intoxication both characterized and helped develop the most prominent feature of Spenserian criticism among the 2nd generation romantics. Though Wordsworth and Coleridge liked Spenser‘s dreaminess, they also stressed his moral truth; but Hazlitt, in an 1818 claim seconded by Keats, Reynolds, and most young poets clustered around Hunt, urged readers to imbibe in Spenser‘s luxury by not ‗meddling‘ with his allegory. (…) More generally, the bias in Hunt‘s criticism toward brief, colourful scenes helped enhance Spenser‘s popularity among England‘s early nineteenth-century reading public.95

La perception de Hunt n‘est toutefois pas demeurée unidimensionnelle. Un penchant pour le réalisme l‘a finalement conduit vers une conception de Spenser qui unit l‘enchanteur à un poète politique, confrontant la souffrance terrestre dans son art. Ainsi, Spenser est le poète suprême de la joie et de la tristesse.96 La réaction générale de Hunt est donc significative en plusieurs sens :

It affected the second-generation Romantics most directly in shaping their love of Spenser‘s imaginative and sensuous beauties. Its complex formulation of the real/ideal Spenser influenced the younger Romantics even more subtly and helps explain to us their typical appropriations of Spenser. (…) Hunt‘s response, in its popularization of Spenserian enchantment, also suggests one cause of Spenser‘s increasing appeal throughout the early nineteenth century. Yet this same recognition of his charm led to a relative decline in his popularity among Victorian

92 Ibid, p. 425.

93 G. Kucich, « Hunt, Leigh » dans Spenser Encyclopedia, p. 382. 94 Ibid.

95 Ibid, p. 383. 96 Ibid.

(28)

readers, (…) who saw a trivial Spenser in Hunt‘s rhapsodic praise and vowed resistance.97

1.4.4 Époque victorienne (1830-1901)

On retrouve chez les victoriens un scénario très semblable à celui que décrit Legouis, en France, au début du XXe siècle :

The Victorians regularly set Spenser beside Chaucer, Shakespeare and Milton at the summit of the English Parnassus both as a poet and as a national hero, the first great figure in a specifically English literary renaissance. After the accolades, more often than not, came a lament that Spenser was now little read. 98

Un tel scénario s‘explique bien entendu par la vague idéologique développée par les romantiques qui a servi à préparer le terrain pour les victoriens, mais également par un véritable dédain contemporain pour toute poésie allégorique. Thomas Macaulay écrit en 1831 :

even Spenser himself, though assuredly one of the greatest poets that ever lived, could not succeed in the attempt to make allegory interesting. (…) Of the persons who read the first Canto, not one in ten reaches the end of the First Book, and not one in a hundred perseveres to the end of the poem.99

Pour défendre Spenser face à une telle situation, les victoriens ont développé deux approches : la première reprend la perception traditionnelle de Spenser, celle de poète chrétien sage, sérieux et moral, qui en fusionnant beauté et édification a surpassé les limites de l‘allégorie; la seconde est quant à elle une vision romantique et esthétique.100 Tandis que durant les années 1830, les principaux défenseurs de Spenser appartenaient à la première catégorie, les lecteurs pour qui l‘essence de la poésie se trouve avant tout dans le plaisir, et non dans l‘instruction, ont développé la deuxième.101

97 Ibid, p. 384.

98 J. L. Spear et C. Krueger, « Victorian Age » dans Spenser Encyclopedia, p. 715.

99 T. Macaulay 451-2 dans J. L. Spear et C. Krueger, « Victorian Age » dans Spenser

Encyclopedia, p. 715.

100 J. L. Spear et C. Krueger, « Victorian Age » dans Spenser Encyclopedia, p. 715. 101 Ibid.

(29)

D‘un côté comme de l‘autre, croire que The Faerie Queene pouvait accomplir le mieux l‘un ou l‘autre de ces objectifs grâce à des épisodes isolés a abouti à la création d‘anthologies, d‘éditions de sélections, et même des réécritures en prose, conformes à la conception de la narration de l‘époque.102 Il ne faut pas croire que dénaturer de la sorte l‘œuvre de Spenser était signe d‘un certain désintérêt. Au contraire, à cette époque, Spenser était à l‘honneur. Il occupait toujours une place de choix chez plusieurs poètes, les exemples en sont nombreux.

Pour Nathaniel Hawthorne (1804-64), Spenser était en fait une partie intégrante du tissu même de sa vie de tous les jours, ce qui s‘est reflété dans son œuvre par un fond spensérien profond et varié.103 Elizabeth Barrett Browning (1806-61) a pour sa part assimilé plusieurs qualités de la poétique spensérienne qui était pour elle source d‘une admiration sans bornes.104 Son mari, Robert Browning (1812-89) forge un véritable dialecte formé de poésie du passé, et tisse ainsi un lien entre son œuvre et la tradition protestante anglaise.105 Alfred, Lord

Tennyson (1809-92), au style parfois spensérien, réussit quant à lui à se sentir le plus contemporain lorsqu‘il est médiéval, et le plus psychologique et agnostique lorsqu‘il est spensérien, preuve qu‘il a su développer et assimiler un sens très profond des sentiments propres à Spenser.106 On parle également d‘assimilation dans le cas de Herman Melville (1819-91), puisque celui-ci a intégré, de façon romantique et impressionniste, Spenser dans sa propre œuvre.107 Melville est en effet représentatif de la tendance victorienne à sélectionner chez Spenser images ou morceaux de sagesse qui concordent avec la propre vision du poète.108

En somme, nous voyons chez les victoriens une plus forte tendance à l‘assimilation et la sélection : tandis que The Faerie Queene voit le jour en anthologie, les poètes sont influencés par une sélection de l‘œuvre, par des passages ou des caractéristiques précises, qu‘ils rapprochent davantage de leur

102 Ibid.

103 P. Schirmeister, « Hawthorne, Nathaniel » dans Spenser Encyclopedia, p. 348. 104 K. R. Moer, « Browning, Elizabeth Barrett » dans Spenser Encyclopedia, p. 116. 105 H. F. Tucker, « Browning, Robert » dans Spenser Encyclopedia, p. 117.

106 W. D. Shaw, « Tennyson, Alfred, Lord » dans Spenser Encyclopedia, p. 682-683. 107 R. L. Hirsch, « Melville, Herman » dans Spenser Encyclopedia, p. 465.

(30)

propre identité poétique. D'une part, le lien entre le poète et Spenser semble plus intense et profond, d‘autre part on perd de vue l‘œuvre spensérienne dans son ensemble. On n‘a plus affaire à de l‘imitation comme c‘était le cas à la Renaissance ou au XVIIIe siècle, mais à une tout autre étape de la réception spensérienne.

1.4.5 XXe siècle

L‘influence de Spenser au XXe siècle touche moins de poètes et d‘écrivains qu‘aux époques précédentes, toutefois, pour les cas où elle se fait ressentir, son rôle est déterminant.

Nous pouvons d‘emblée mentionner Charles M. Doughty (1843-1926), qui ne connaît d‘égal quand vient le temps de se déclarer disciple de Spenser. L‘étendue de l‘influence spensérienne sur Doughty est vaste, allant de détails de diction jusqu‘à l‘usage extensif d‘allégories.109

À l‘exception de Shelley et de Blake, William Butler Yeats (1865-1939) ne connaît d‘autre plus grande source d‘inspiration que Spenser. Cherchant d‘abord à l‘imiter, puis à projeter en lui les conflits de ses propres pensés, Yeats finit par adapter l‘attitude de Spenser à l‘égard de ses patrons aristocrates à ses propres besoins, enrichissant ses expressions d‘allégeance envers ses propres patrons, surtout en mode élégiaque.110

Mentionnons également Virginia Woolf (1882-1941), qui malgré le peu d‘allusions qu‘elle en a fait dans son œuvre, comprenait et appréciait grandement Spenser :

Spenser may not have moved her as profoundly as some other writer did, but she clearly found in him a poet whose sense of language and whose concern with the expectations of his audience in many ways mirrored her own.111

À ces quelques exemples il faut ajouter un genre entier issu de The Faerie

Queene: la littérature fantastique. En effet, le poème est considéré comme le

109 B. Farley et W. Blissett, « Doughty, Charles M. » dans Spenser Encyclopedia, p. 222. 110 G. Bornstein, « Yeats, William Butler » dans Spenser Encyclopedia, p. 738.

(31)

premier ouvrage majeur du genre pour le monde occidental, genre qui établit l‘univers fantastique comme étant un deuxième monde, parallèle et autonome.112

Tandis qu‘au XIXe siècle nous pouvons mentionner les œuvres de William Morris, Wood beyond the World (1894), The Well at the World’s End (1896) et celle de George MacDonald, Phantastes (1858), nous ne pouvons passer à côté des œuvres de Clive Staple Lewis (1898-1963) et de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) au XXe siècle.

Alors que l‘influence spensérienne peut sembler évidente chez Lewis à l‘intérieur d‘une œuvre ouvertement allégorique et chrétienne telle que Chronicles

of Narnia (1950-1956), elle se trouve également, de façon peut-être un peu plus

dissimulée, chez Tolkien. Si l‘on retrouve dans The Lord of the Rings (1954-55) une écriture très largement inspirée du mode héroïque anglo-saxon, notamment influencée par Beowulf, l‘œuvre est redevable de Spenser sur le plan conceptuel, pour avoir repris en la figure des elfes l‘idée spensérienne de fée, laquelle est reliée à la croyance chrétienne en une fin heureuse.113

On retrouve bien entendu d‘autres exemples au cours du siècle, et même jusqu‘à aujourd‘hui, autant dans le domaine sérieux, comme c‘est le cas de The

Beginning Place (1980) d‘Ursula K. LeGuin, que dans le domaine de la parodie,

par exemple The Incomplete Enchanter (1941) de L. Sprague de Camp et Fletcher Pratt ainsi que Glorianna (1978) de Micheal Moorcock.114

1.5 Destin à l’étranger

Autant la réception de Spenser varie d‘époque en époque et de poète en poète, autant elle varie d‘un pays à l‘autre, lorsque Spenser sort des frontières de l‘Angleterre. Malgré quelques tangentes facilement observables, le destin de Spenser à l‘étranger est sujet au cas par cas, en particulier en dehors des ex-colonies, dans les pays où la langue est un obstacle et l‘œuvre spensérienne nécessite une traduction.

112 C. Spivack, « Fantasy Literature » dans Spenser Encyclopedia, p. 300. 113 Ibid, p. 301.

(32)

Regardons tout d‘abord du côté des pays où ce n‘est pas le cas : les États-Unis (jusqu‘au XXe siècle) et le Canada.

La première référence directe à Spenser aux États-Unis se trouve en 1643 dans le poème d‘Anne Bradstreet, « In Honour of Queen Elizabeth ».115 Spenser a par la suite poursuivi son entrée dans les milieux universitaires, puisque nous savons qu‘autant au XVIIe siècle qu‘au XVIIIe siècle, les étudiants de Harvard et de Yale démontraient une certaine familiarité avec sa poésie.116

Durant les années 1820 et 1830, le destin de Spenser allait toujours aussi bien, puisque les écrivains et les peintres américains cherchaient alors des façons d‘appliquer le romantisme aux paysages naturels du pays, et que Spenser offrait d‘intéressantes solutions au problème.117 En effet, le concept du monde parallèle des fées permet de joindre au descriptif une dimension morale :

The efforts of the American pre-Romantics, Bryant, Cooper, and the artists of the Hudson River school to idealize the New World natural landscape caused them to follow Spenser‘s suggestion and to seek landscape not only for the picturesque and sublime, but moral qualities as well. For this there is no better model than Fairyland, where there was a direct correspondence between the physical conditions of the regions of faery and the spiritual conditions of the individual soul. The same moral structure, though not always fully realized in the allegories of Hawthorne, brought him to the ranks of the most powerful writers of his century, and became a link between the romance tradition of English poetry and the prose romance as it developed in America.118

Alors que cette tendance jouait en faveur de Spenser, la première édition américaine de ses œuvres était publiée en 1839.119

Une autre tendance se développait au cours de ces années, celle de présenter Spenser en prose, dans une édition destinée à un public enfant. Ainsi, les familles bien nanties du XIXe siècle ont fait en sorte que l‘œuvre lue à la maison se taille une place à l‘école publique.120

115 J. P. Krieg, « Americas to 1900 » dans Spenser Encyclopedia, p. 27. 116 Ibid.

117 Ibid. 118 Ibid, p. 29. 119 Ibid, p. 27. 120 Ibid, p. 28.

(33)

Malgré tout, l‘édition américaine de Spenser, ses deux réimpressions en 1848 et 1853, ainsi que sa deuxième édition en 1855, ont réussi avant tout à aller chercher un public dans la classe intellectuelle.121 À l‘exception de Shakespeare, Spenser est devenu le sujet de dissertation par excellence dans la sphère des études de la Renaissance.122

Un tel intérêt pour la recherche est ce qui caractérise en partie la fortune de Spenser au Canada. Si l‘influence de Spenser en littérature vaut très certainement la peine d‘être notée, c‘est avant tout dans les départements de littérature anglaise des universités que Spenser joue un rôle de premier plan. Derrière les sommités que sont A.S.P. Woodhouse et A.C. Hamilton, qui ont joué un rôle instrumental dans la création et le maintient de la renaissance spensérienne moderne, on peut également nommer les Spensériens suivants : A. Kent Hieatt, William Blissett, Ronald B. Bond, Thomas H. Cain, René Graziani, Patricia Parker, David R. Shore et, bien entendu, Northrop Frye.123

L‘influence de la recherche universitaire se fait même ressentir dans la production littéraire, puisque les principaux poètes influencés par Spenser sont issus de ce milieu : James Reaney, un élève de Frye, auteur de A Suit of Nettles (1958) et Hugh Hood, un élève de Woodhouse, auteur de Around the Mountain (1967).

On retrouve également une influence spensérienne, légère ou indirecte, dans certains poèmes de Margaret Avison, dont « Dispersed Titles » tiré de

Winter Sun (1960), de même que certains poèmes de Jay Macpherson dont « The

Old Enchanter » tiré de The Boatman (1957) et « Masters and Servants » tiré de

Welcoming Disaster (1974).124 Même scénario du côté de certains autres modernistes : Malcolm Lowry dans October Ferry to Gabriola (1970), Robertson Davies, A.M. Klein dans « Yehuda Ha-Levi, His pilgrimage » (1941), Ralph

121 Ibid. 122 Ibid.

123 D.M.R. Bentley, « Canada » dans Spenser Encyclopedia, p. 132. 124 Ibid.

Références

Documents relatifs

• Inscrire systématiquement leurs appuis, notamment financiers, dans des approches renforçant les capacités de leadership et de gouvernance des États pour assurer un pilotage du

In light of these enormous financial commitments, especially the negative impact on States’ ability to engage in more structural and preventive interventions, the members of the

D’une part, des modérés comme La Fayette souhaitent que le roi conserve son pouvoir et le partage avec l’Assemblée nationale.. D’autre part, des révolutionnaires plus

Au cours de l’année 1792, les relations sont très tendus entre la France et les monarchies voisines, qui craignent que la Révolution arrive chez eux.. Les nobles français, qui

L’ouverture des Etats généraux convoqués par Louis XVI à Versailles le 5 mai 1789 provoque une série de grands bouleversements en France : l’Assemblée nationale voit le jour,

Ils bénéficient de la complicité d'une partie de l'armée, d'une partie du personnel politique, y compris des membres du gouvernement (dont Barras), le 18 brumaire an VIII (9

Sous son autorité, la France se modernise rapidement, grâce au franc, au Code civil, aux lycées… Mais Napoléon est avant tout un homme de guerre.. Grâce à son armée de

Les connaissances phonologiques et plus particulièrement la conscience phonémique associées à l’acquisition des premières connaissances alphabétiques (connaissance des