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Le témoignage des enfants dans l'enceinte judiciaire pénale canadienne

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Academic year: 2021

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LE TÉMOIGNAGE DES ENFANTS DANS

L’ENCEINTE JUDICIAIRE PÉNALE

CANADIENNE

Mémoire

SAIFA NANDRASANA

Maîtrise en droit

Maître en droit (LL.M.)

Québec, Canada

©Saifa Nandrasana, 2015

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Résumé

Ce mémoire porte sur la question du témoignage des enfants dans le processus judiciaire pénal canadien et son impact sur l’équité procédurale. Dans le cadre de la réforme de 2006 du droit sur le témoignage des enfants, le système de justice pénale canadien a favorisé la participation des enfants dans la procédure judiciaire et facilité leur témoignage parce que la parole a toujours primé en matière de preuve. Pour réaliser les objectifs de cette réforme, le législateur a supprimé l’enquête de compétence qui permettait de déterminer l’habilité des enfants à témoigner. Toutefois, la suppression de cette enquête représente un danger pour l’équité d’un procès, compte tenu du fait qu’il existe des études en sciences sociales pertinentes qui démontrent que le témoignage de l’enfant demeure un outil dangereux en raison de la capacité des enfants à transformer la vérité. Notre travail consistera à examiner le contexte et les raisons qui ont conduit à la réforme de 2006. Nous porterons également notre attention sur les effets de cette réforme en analysant, d’une part, les modalités d’application de la réforme, c’est-à-dire avec ou sans réserve et, d’autre part, si les tribunaux canadiens ont suffisamment pris en compte le paramètre de l’équité d’un procès.

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Table des matières

Résumé ... iii

Remerciements ... vii

Avant-propos ... ix

Table des matières ... v

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE: LA RÉFORME DE 2006 DU DROIT SUR LE TÉMOIGNAGE DES ENFANTS AU CANADA ... 19

SECTION I: RÉTROSPECTIVE SUR LA RÉALITÉ INHÉRENTE AUX DIFFICULTÉS D’ACCEPTATION DU TÉMOIGNAGE DES ENFANTS AU CANADA, AUX ÉTATS-UNIS ET EN ANGLETERRE DEPUIS 1893 À AUJOURD’HUI ... 19

Par. 1. L’évolution du droit anglais ... 21

Par. 2. L’évolution du droit canadien ... 28

Par. 3. L’évolution du droit américain ... 32

SECTION 2: MISE EN PERSPECTIVE DES FAILLES DU TEST DE L’HABILITÉ À TÉMOIGNER DES ENFANTS TÉMOINS À L'AIDE DES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES ... 37

SECTION 3: L’ÉQUITÉ DU PROCÈS, UNE QUESTION OCCULTÉE LORS DE LA RÉFORME DE 2006 ... 50

CHAPITRE 1: LES BIENFAITS DE LA RÉFORME DE 2006 ... 55

SECTION 1: ANALYSE DE L’APPLICATION DES NOUVELLES CONDITIONS D’HABILITÉ À TÉMOIGNER DES ENFANTS À PARTIR D’UNE ÉTUDE JURISPRUDENTIELLE ... 55

Par. 1. Présentation de l’étude jurisprudentielle ... 57

Par. 2. Analyse des résultats ... 60

Par. 3. Appréciation critique des résultats ... 62

SECTION 2: LE DISCOURS DES JUGES FAVORABLES À LA RÉFORME DE 200672 CHAPITRE 2: LES LIMITES DE LA RÉFORME ... 87

SECTION 1: LES DISCOURS SUR LE PROJET DE LOI C-2 LORS DES TRAVAUX ET DÉBATS PARLEMENTAIRES ... 87

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Par. 1. Les partisans du projet de loi C-2 ... 87

Par. 2. Les oppositions au projet de loi C-2 ... 92

SECTION 2: LES OPINIONS CRITIQUES DES JUGES «RÉSERVÉS» SUR LA QUESTION DU TÉMOIGNAGE DES ENFANTS DANS LA JURISPRUDENCE POSTÉRIEURE À LA RÉFORME DE 2006 ... 95

Par 1. Les inquiétudes soulevées par les juges ... 96

a. Les incompatibilités ou contradictions et les incohérences dans la déclaration des enfants témoins ... 96

b. L’influence des émotions sur le témoignage des enfants ... 98

c. La mémoire et le rappel des souvenirs des enfants témoins ... 101

d. Les difficultés cognitives des enfants témoins ... 105

e. L’impact de l’influence sociale sur le témoignage des enfants ... 108

f. Les capacités verbales limitées ... 113

g. Les erreurs et les faux souvenirs ... 116

Par 2. Les mises en garde et instructions données au jury ... 120

SECTION 3: DISCUSSION SUR LES EXIGENCES DE L’ARTICLE 16.1 AU COURS DE L’ENQUÊTE DE COMPÉTENCE ET LORS DU CONTRE-INTERROGATOIRE DES ENFANTS TÉMOINS ... 126

SECTION 4: L’EXAMEN D’HABILITÉ À TÉMOIGNER DES ENFANTS AUX ÉTATS-UNIS ... 130

CONCLUSION ... 137

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Remerciements

J’adresse mes remerciements à toutes les personnes qui m’ont soutenue et aidée tout au long de mon parcours académique.

Je tiens particulièrement à exprimer ma gratitude envers mon directeur de recherche, le professeur Alexandre Stylios. Grâce à sa patience, à sa disponibilité et à ses conseils judicieux, il a su me guider pour mener à bien ce mémoire et m’a aidée à trouver les solutions pour avancer.

Enfin, je remercie les membres de ma famille, tout particulièrement ma mère Jeannine, mon conjoint Éric, ma belle-mère Nicole pour leur encouragement et leur foi en moi.

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Avant-propos

Le choix du sujet de ce mémoire m’a été inspiré par mon pays natal, Madagascar. C’est un pays beaucoup touché par la délinquance, notamment la délinquance juvénile. À titre personnel, le sujet de la jeunesse m’a toujours préoccupée. J’avais l’idée de faire une étude de droit comparé en matière de délinquance juvénile entre le Canada et Madagascar en analysant les outils de prévention et de sanction de la délinquance juvénile. Avec mon directeur de recherche, je me suis rapidement aperçu que je me heurtais à un double problème. Le premier concernait les sources documentaires, parce qu’il est difficile d’obtenir des documents provenant de Madagascar en raison des crises politiques et des crises économiques qui subsistent dans le pays et le paralysent. Le deuxième concernait la largeur du sujet. L’arrêt R. c. D.A.I., [2012] 1 R.C.S 149, qui évoque le témoignage des personnes déficientes mentalement dans un procès pénal canadien, a été le déclencheur de ma réflexion sur le témoignage de l’enfant. Une partie de cette décision aborde la question du témoignage de l’enfant.

Nous espérons avoir contribué à la connaissance et à la compréhension du droit sur le témoignage des enfants en apportant une approche différente du droit en question et une perspective critique des études réalisées à ce sujet – entre autres celles du Professeur Nicholas Bala. Nous espérons également avoir pu apporter un éclairage nouveau au droit sur le témoignage des enfants avec notre analyse des effets de la réforme de 2006 basée sur les recherches des études en sciences sociales et notre examen des décisions judiciaires qui ont suivi cette réforme.

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INTRODUCTION

Les enfants figurent parmi les plus grandes richesses de la société canadienne1. Ils y

occupent incontestablement une place cruciale et notamment dans l’enceinte judiciaire2.

Des efforts considérables ont été accomplis jusqu’à ce jour par les organismes internationaux afin d’améliorer la situation « des 2,2 milliards d’enfants dans la planète »3,

de faire respecter leurs droits et leurs besoins. De nos jours, nombreux d’entre eux se retrouvent impliqués dans le méandre du système judiciaire. Certains font l’objet de poursuites pénales. D’autres sont engagés dans les affaires familiales où ils assistent à un litige relatif à leur tutelle ou aux droits de visite ; d’autres encore sont cités à comparaître à titre de simple témoin dans les affaires de violence conjugale ou encore de nature purement criminelle. Il arrive également que l’enfant se retrouve sur le banc des accusés. Bien que le taux d’exploitation sexuelle des enfants ait baissé de manière générale au Québec et à Montréal, certaines catégories d’infractions sexuelles contre les enfants telles que « l’incitation à des contactes sexuels » et le « leurre des enfants au moyen d’ordinateur » restent en hausse4. Les enfants qui sont victimes d’infractions sexuelles peuvent être des

témoins indispensables lors d’un procès. Dans le cadre des procédures judiciaires, le témoignage de l’enfant est un moyen de preuve régi par des normes particulières. Il constitue certes, comme tout témoignage, un instrument mis à la disposition du système de justice pour prouver les faits auxquels il se rattache. Ce genre de preuve peut être admis sous certaines conditions et sous d’autres non. « Les principes fondamentaux du droit de la preuve peuvent être formulés simplement. Tout élément de preuve pertinent est admissible, sous réserve du pouvoir discrétionnaire d’exclure tout ce qui risque de causer un préjudice indu, d’induire en erreur le juge des faits, de prolonger démesurément les procédures, ou ce

1 Michel Huard, L’enfant abusé: psychologie et droit, Cowansville, Québec, Yvon Blais, 1992, préface. 2 Rachel Grondin, L'enfant et le droit pénal, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 1.

3 Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), « La situation des enfants dans le monde 2014 en

chiffres. Chaque enfant compte. Dévoiler les disparités, promouvoir les droits de l’enfant » (janvier 2014), en

ligne: unicef.ca

<http://www.unicef.ca/sites/default/files/imce_uploads/UTILITY%20NAV/MEDIA%20CENTER/PUBLICA TIONS/FRENCH/sowc_2014_fr.pdf>, p. 1.

4 Shannon Brennan, Statistiques sur les crimes déclarés par la police au Canada, 2011, Ontario, Canada,

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qui devrait par ailleurs être exclu pour des motifs clairs de droit ou de principe »5. Il va de

soi que le témoignage d’un enfant est irrecevable s’il porte préjudice aux objectifs du procès pénal6. De ce fait, certaines preuves peuvent être exclues si elles sont visées par une

règle d’exclusion telle que la règle des confessions ou la règle interdisant le ouï-dire7. Les

commentaires du juge en Chef dans l’affaire Mitchell énoncent parfaitement le rôle des règles de preuve :

[30] … Les règles de preuve n’ont rien d’« immuable et n’ont pas été établies dans l’abstrait » (R. c. Levogiannis, 1993 CanLII 47 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 475, p. 487). Elles s’inspirent plutôt de principes larges et souples, appliqués dans le but de promouvoir la recherche de la vérité et l’équité. Les règles de preuve devraient favoriser la justice, et non pas y faire obstacle. Les différentes règles d’admissibilité de la preuve reposent sur trois idées simples. Premièrement, la preuve doit être utile au sens où elle doit tendre à prouver un fait pertinent quant au litige. Deuxièmement, la preuve doit être raisonnablement fiable ; une preuve non fiable est davantage susceptible de nuire à la recherche de la vérité que de la favoriser. Troisièmement, même une preuve utile et raisonnablement fiable peut être exclue à la discrétion du juge de première instance si le préjudice qu’elle peut causer l’emporte sur sa valeur probante8.

Bien que les preuves pertinentes et fiables soient généralement admissibles, il existe des cas où elles ne le sont pas. Ces cas peuvent se présenter, par exemple, si le témoignage d’un enfant fait obstacle à la recherche de la vérité et conduit à un procès non équitable. Les règles d’admissibilité des preuves sont nécessaires et essentielles, car elles « déterminent quels éléments de preuves donnés par un témoin habile peuvent être consignés au dossier de la cour »9. Par ailleurs, elles s’appliquent à toutes les preuves données par n’importe

quel témoin.

Un témoignage est constitué de toute déclaration orale ou écrite faite par une personne ayant la connaissance personnelle d’un fait10. C’est donc une déclaration qu’un individu

rapporte concernant un événement passé qu’il a vu ou vécu personnellement et qui fait l’objet d’une poursuite judiciaire pénale. Tandis qu’un témoin est toute personne susceptible de faire une déposition sur les faits qu’elle a pu expérimenter ou percevoir. Peut faire office de témoin « toute personne susceptible de fournir des renseignements utiles sur

5 R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, para 99. 6 R. v. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S 577, p. 608. 7 R. c. D.A.I, [2012] 1 RCS 149, para. 17.

8 Mitchell c. M. R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, para. 30. 9 Supra note 7, para. 17.

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3 les faits dont est saisie la justice ou sur la personnalité d’un accusé »11. La juge

L’Heureux-Dubé évoque la tâche d’un témoin dans un processus judiciaire dans les commentaires suivants :

« L’un des principaux objectifs du système accusatoire est la recherche de la vérité. Afin de faciliter cette recherche, toute personne doit, sur demande, comparaître devant les tribunaux pour témoigner au sujet de faits et d’événements qui relèvent de sa connaissance ou de son expertise. Cette exigence -- certains la qualifieraient de devoir -- remonte très loin dans l’histoire de la common law et se retrouve maintenant sous forme législative dans les lois sur la preuve fédérales et provinciales »12.

Lorsqu’une personne est appelée comme témoin devant une cour de justice, la première condition pour que son témoignage soit admis comme preuve est qu’elle soit habile à témoigner. L’habilité à rendre témoignage est « la qualité légale permettant à une personne de déposer en justice à la demande d’une partie au litige »13. Elle repose sur l’aptitude de

fournir un témoignage pertinent, fiable et honnête dans le but de faire sortir la vérité. En d’autres termes, « l’habilité porte sur la question de savoir si un témoin éventuel a l’aptitude de faire une déposition devant une cour de justice, car il est évident que les tribunaux n’entendront pas un témoin inhabile »14. D’emblée, une personne n’a pas

l’habilité à témoigner si elle n’a pas la capacité requise. Tel est le cas d’un enfant qui n’est pas capable de reconstruire ses souvenirs sur l’événement qui s’est réellement produit. Un enfant témoin incapable de communiquer les faits, de comprendre les questions qui lui sont posées ou d’y répondre de façon intelligible n’est vraisemblablement pas habile à témoigner. En vertu de l’article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada, on entend par enfant toute personne de moins de 14 ans. L’incapacité à témoigner peut alors survenir en raison de l’âge ainsi que d’une infirmité mentale ou physique. À souligner que la question de l’habilité à témoigner touche tous les témoins qui doivent rendre témoignage, donc autant un adulte qu’un enfant. Selon l’article 3 de la Loi sur la preuve au Canada, « nul n’est inhabile à témoigner pour cause d’intérêt ou de crime ». Cela signifie

11 Marcel Lemonde, « La protection des témoins devant les tribunaux français » (1996) 4 Revue de science

criminelle et de droit pénal comparé, 815-821, p. 815.

12 R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, p. 295.

13Jacques Dellemare et Louise Viau, Droit de la preuve pénale, Montréal, éditions Thémis, 1987, p. 199. 14 Supra note 7, para. 16.

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qu’ordinairement, tout individu est présumé habile à témoigner15. En effet, il s’avère que

« toute personne susceptible de fournir une preuve pertinente et admissible est, en principe, habile à rendre témoignage »16. Cependant, sont exceptionnellement considérées comme

inaptes à donner un témoignage « les personnes souffrant d’une incapacité mentale ou physique, de même qu’un enfant en bas âge qui n’est pas suffisamment développé pour rapporter les faits […] »17. Une personne peut venir témoigner de son plein gré ou peut être

contrainte à le faire lors d’un procès pénal. La contraignabilité est « l’obligation légale de rendre témoignage à la demande d’une partie au procès »18. Elle fait référence à « l’état

d’une personne qui est astreinte à venir témoigner à la demande du ministère public ou de la défense »19. Ainsi, toute personne apte à témoigner peut être contrainte de venir devant le

tribunal pour rendre compte de ce qu’elle sait sauf dans deux circonstances. La première est fondée sur le privilège de non-incrimination de l’accusé ou du coaccusé20. La seconde

concerne la règle s’appliquant au conjoint de l’accusé21. Selon la juge Charron de la Cour

suprême, les fondements de cette règle s’expliquent ainsi : « La première justification de cette règle est qu’elle favorise les confidences entre époux et protège l’harmonie conjugale ». La seconde est qu’elle empêche « l’indignité d’avoir à forcer le conjoint d’une personne accusée à participer aux poursuites dirigées contre l’accusé »22.

En matière de protection de la jeunesse, familiale ou criminelle, les enfants peuvent être astreints par la Cour à venir témoigner. Toutefois, dans une procédure judiciaire pénale canadienne, le témoignage d’un enfant peut être soumis à un régime quelque peu spécial. Bien que ce ne fût pas toujours le cas, le témoignage des enfants est devenu une question complexe. C’est un domaine qui a subi beaucoup de changement et d’adaptation. Il a su évoluer au fil du temps. Le premier système judiciaire qui a reconnu les droits d’un enfant

15 Supra note 7, para 16. 16 Supra note 13, p. 203.

17 Bernard Gratton, « Aspects juridiques concernant la preuve de l’existence d’abus sexuels en matière de

protection de la jeunesse, familiale ou criminelle » (1992), 23 R.D.U.S. 305, p. 315.

18 Pierre Béliveau et Martin Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 14e, Montréal,

Thémis, 2007, p. 500.

19Supra note 13.

20 Art 11 c) de la Charte des droits et libertés canadiennes. Voir aussi R. c. Primeau, [1995] 2 R.C.S. 60; R. c.

S (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451.

21 Art 4(1) de la Loi sur la preuve au Canada. 22 R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043, para 38.

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5 de s’exprimer et d’être entendu fut celui de l’Angleterre. Ensuite, le Canada a suivi son exemple et enfin, les États-Unis.

Considérant le témoignage d’un adulte comme le seul élément de preuve qui importait, le système judiciaire anglais avait de la difficulté à accepter le témoignage des enfants. Il percevait leur témoignage comme une preuve non fiable. Les enfants étaient considérés par le droit anglais comme des inaptes. Cependant, la perception de la société anglaise a changé et a progressé pour prendre en compte les besoins des enfants. L’Angleterre a mené des travaux ardus pour corriger la négligence commise envers les droits d’un enfant témoin. Leurs législations nationales ont été assouplies afin que les enfants puissent accomplir leur tâche de témoin avec succès.

En voyant les modifications apportées aux normes anglaises, le Canada n’a pas attendu longtemps pour faire les suivies. Le système pénal canadien a été initialement conçu pour les adultes et non pour les enfants23. De ce fait, leurs besoins n’ont jamais suscité d’intérêt.

En outre, le témoignage des enfants n’a pas toujours été bien vu en raison des préjugés sociaux qui régnaient par le passé. Il fut un temps où les enfants abusés ne faisaient pas bonne impression dans les cours criminelles. Les tribunaux pensaient qu’un enfant ne pouvait pas servir de témoin. À l’évidence, « l’opinion publique a longtemps cru qu’un enfant était incapable de témoigner, car on pensait qu’il n’était pas crédible et qu’il fabulait »24. Tout ce que l’enfant raconte ne pouvait être ipso facto que des inventions

sorties de leur imagination. Les enfants étaient traités comme des incompétents et très peu d’efforts ont été faits pour accueillir leurs déclarations. Leur habilité à témoigner a été longuement sous-estimée au Canada. Les juges dédaignaient systématiquement leurs témoignages.

23 Voir: Nicholas Bala, « Child Sexual Abuse Prosecutions in Canada: A measure of Progress » (1997) 1

Annals Health Law 177-196; Nicholas Bala, « Child Witness In the Canadian Criminal Courts, Recognizing Their Capacities and Needs » (1999) 5:2 Psychology, Public Policy and Law 323-354; Nicholas Bala et al., « A Legal & Psychological Critique of the Present Approach to the Assessment of the Competence of Child Witnesses » (2000) 38:3 Osgoode Hall Law Journal 409-451; Nicholas Bala, Angela Evans et Emily Bala, « Hearing the voices of children in Canada’s criminal justice system: Recognizing Capacity and Facilitating Testimony » (2010) 22 Child and Family Law Quarterly 21-45.

24 Monique Tremblay, Le témoignage des enfants en droit criminel canadien : Éviter la double victimisation,

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Les courants de pensée ont spectaculairement fluctué. La réalité des enfants victimes d’abus a éveillé la curiosité et le sentiment de parent protecteur de la société canadienne25.

Désormais, elle porte un regard neuf vis-à-vis des déclarations d’un enfant. Les attitudes et les comportements du système de justice ont également changé peu à peu. À vrai dire, « le changement de mentalité s’est échelonné sur une longue période de temps et les règles applicables face au témoignage des enfants se sont développées de manière différente de celles appliquées au témoignage des adultes »26. Reconnaissant que les enfants sont

capables de raconter les faits tout comme les adultes, et qu’en conséquence, ils peuvent être crédibles, l’appareil judiciaire canadien a voulu donner une chance au témoignage des enfants. Les décisions judiciaires ont manifesté ces remaniements d’état d’esprit dans les discours des juges notamment dans ceux de la juge McLachlin par exemple, en déclarant que :

D’autre part, l’attitude du droit envers les témoignages d’enfants a récemment changé en ce qu’on estime maintenant qu’il est peut-être erroné de leur appliquer les mêmes critères qu’à ceux des adultes en matière de crédibilité. On porte maintenant plus attention aux perspectives particulières aux enfants. Ces derniers peuvent voir le monde différemment des adultes ; il n’est donc guère surprenant qu’ils puissent oublier des détails qui, comme le moment et l’endroit, sont importants aux yeux de l’adulte. Le juge Wilson l’a reconnu dans l’arrêt R. c. B. (G.), 1990 CanLII 114 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 30, aux pp. 54 et 55 où, quant aux arguments visant le traitement du témoignage de la plaignante par le juge de la cour d’appel, elle dit ceci :

... Il me semble qu’il laisse entendre simplement que les juges devraient adopter une position fondée sur le bon sens lorsqu’ils traitent du témoignage de jeunes enfants et éviter de leur imposer les mêmes normes exigeantes qui sont applicables aux adultes. Toutefois, cela ne veut pas dire que les tribunaux ne devraient pas apprécier soigneusement la crédibilité des témoins enfants et, contrairement à ce que les appelants soutiennent, je n’interprète pas ses motifs comme suggérant que la norme de preuve doive être réduite à l’égard des enfants. Il s’est plutôt soucié du fait qu’une faille, comme une contradiction, dans le témoignage d’un enfant ne devrait pas avoir le même effet qu’une faille semblable dans le témoignage d’un adulte. J’estime sa préoccupation bien fondée et ses observations tout à fait à propos. Il se peut que les enfants ne soient pas en mesure de relater des détails précis et de décrire le moment ou l’endroit avec exactitude, mais cela ne signifie pas qu’ils se méprennent sur ce qui leur est arrivé et qui l’a fait. Ces dernières années, nous avons adopté une attitude beaucoup plus bienveillante à l’égard du témoignage des enfants, réduisant les normes strictes du serment et de la corroboration et, à mon avis, il s’agit d’une amélioration souhaitable. Évidemment, il faut apprécier soigneusement la crédibilité de chaque témoin qui dépose devant la Cour, mais la norme de « l’adulte raisonnable » ne convient pas nécessairement à l’appréciation de la crédibilité de jeunes enfants.

25 Voir: Alison Harvison Young, « Recent Canadian Developments in the Treatment of Children and Their

Evidence in Criminal Sexual Abuse Cases» (1992) 1 Annals of Health Law 157-176; Alison Harvison Young, « Child Sexual Abuse and the Law of Evidence: Some Current Canadian Issues » (1992) 11:1 Canadian Journal of Family Law 11-40; Nicholas Bala et al., « A Legal & Psychological Critique of the Present Approach to the Assessment of the Competence of Child Witnesses » (2000) 38:3 Osgoode Hall Law Journal 409-451; Nicholas Bala, Angela Evans et Emily Bala, « Hearing the voices of children in Canada’s criminal justice system: Recognizing Capacity and Facilitating Testimony » (2010) 22 Child and Family Law Quarterly 21-45.

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Comme le juge Wilson l’a souligné dans l’arrêt B. (G.), ces changements dans la façon dont les cours traitent les témoignages d’enfants ne signifient pas qu’ils ne devraient pas être soumis à la même norme de preuve que les témoignages des adultes dans des affaires criminelles. Protéger la liberté de l’accusé et se prémunir contre l’injustice d’une déclaration de culpabilité d’un innocent requièrent que le verdict de culpabilité repose sur un fondement solide, que le plaignant soit un adulte ou un enfant. Les changements signifient en fait que nous abordons les témoignages d’enfants non pas en nous fondant sur des stéréotypes rigides, mais sur ce que le juge Wilson a appelé la règle du « bon sens », en tenant compte des forces et des faiblesses qui caractérisent les témoignages rendus dans une affaire donnée27.

La sensibilisation du public et des professionnels judiciaires a, sans équivoque, provoqué un chamboulement dans la considération des droits de l’enfant. D’ailleurs, la juge L’Heureux Dubé (dissidente) nous parle des métamorphoses d’attitudes de l’organe judiciaire dans l’arrêt R. v. Marquard28 en s’exprimant comme suit :

L’idée que, intrinsèquement, les témoignages d’enfants ne sont pas fiables est maintenant totalement écartée (R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531 ; R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 3 ; R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122). Cela correspond à un courant plus général de l’évolution du droit de la preuve suivant lequel les tribunaux se sont écartés de la tendance à considérer le témoignage de certaines catégories de témoins comme intrinsèquement peu digne de foi (Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811, à la p. 823). Nous reconnaissons maintenant qu’en général, les jurés sont en mesure d’apprécier le témoignage et la crédibilité de tous les témoins, dont ceux des enfants. En conséquence, la pratique consiste de plus en plus à admettre les témoignages et, en l’absence de raisons de principe évidentes exigeant leur exclusion, à laisser au jury le soin de déterminer le poids à leur accorder (R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577). Comme l’a signalé le juge Wilson dans R. c. B. (G.), précité, aux pp. 14 et 15, c’est cette prise de conscience qui a entraîné l’abrogation de la règle de common law exigeant la corroboration du témoignage des complices dans Vetrovec, précité, et l’abrogation de la disposition législative exigeant la corroboration du témoignage du plaignant dans les cas de viol. L’abrogation de l’exigence de corroboration à l’art. 16 de la Loi a également contribué à élargir le rôle du jury à l’égard du témoignage d’enfants et d’autres témoins dont l’habilité à témoigner est contestée29.

Actuellement, les enfants participent activement en tant qu’acteurs dans le processus judiciaire. Ils sont davantage appelés à témoigner dans les procès pénaux puisqu’ils sont souvent les seuls témoins présents dans une affaire où il n’existe aucune autre preuve. Plusieurs études montrent, de surcroît, que le nombre des enfants qui témoignent devant les tribunaux a beaucoup augmenté30. À noter qu’au cours des trois dernières décennies, le

27 R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, pp. 133-134. 28 [1993] 4 R.C.S. 223.

29 Ibid, p. 256.

30 Voir: Nicholas Bala et al., « Children’s Conceptual Knowledge of Lying and its Relation to Their Actual

Behaviors: Implications for Court Competence Examinations » (2002) 26:4 Law and Human Behavior 395-415; Nicholas Bala et al., « Intuitive Lie Detection of Children’s Deception by Law Enforcement Officials and University Students » (2004) 28:6 Law and Human Behavior 661-685; Stephen J. Ceci et Maggie Bruck,

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nombre d’enfants qui servent de témoin dans les affaires judiciaires pénales était estimé à 100 000 en Amérique du Nord31. La contribution des enfants dans l’arène juridique n’est

donc pas superflue.

On peut dire que les instances canadiennes ont accompli leur part des choses lorsqu’elles ont implanté des régimes exceptionnels pour gouverner le témoignage des enfants. En effet, diverses mesures ont été entreprises grâce à la volonté accrue et concrète à aider les enfants à témoigner dans les meilleures conditions possibles. Dans le but de réaliser cet objectif, l’institution judiciaire a réellement fait des efforts considérables. Elle a adapté les règles en place afin que les enfants reçoivent un traitement égal aux adultes témoins. Les organismes de la justice ont agi avec tact et souplesse en constatant les problèmes liés au témoignage des enfants. Le parlement canadien ne voulait pas rester les mains croisées en constatant le désarroi des enfants témoins. Il a su soutenir les enfants victimes et témoins ordinaires en proposant les solutions qu’il estime convenables à leur développement physique et mentale. Plus précisément, il a apporté à plusieurs reprises des réformes sur les règles relatives au témoignage des enfants. Reste à savoir si ces modifications ont vraiment atteint l’essence de leur existence.

Aux États-Unis aussi, le témoignage des enfants était difficilement reconnu comme preuve. Il était traité avec méfiance. Sans entrer dans le détail, une seule réforme majeure a été faite à leurs dispositions afin de faciliter le témoignage des enfants. Par la suite, une mesure d’accommodation a été réalisée par rapport à l’enquête de compétence d’un enfant témoin pour favoriser sa participation dans le processus judiciaire. Ces accommodations l’ont aidé. Toutefois, les tribunaux américains restent sceptiques à l’encontre de sa preuve. Ils sont restés moins flexibles.

L'enfant-témoin : une analyse scientifique des témoignages d'enfants, traduit de l'anglais par Michel Gottschalk, Bruxelles, De Boeck Université, 1998.

31 Voir: Nicholas Bala et al., « Intuitive Lie Detection of Children’s Deception by Law Enforcement Officials

and University Students » (2004) 28:6 Law and Human Behavior 661-685; Maggie Bruck, Stephen J. Ceci et Helene Hembrooke, « Reliability and Credibility of Young Children's Reports from Research to Policy and Practice » (1998) 53:2 American Psychologist 136.

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9 Sur la scène internationale, le droit de l’enfant de raconter son histoire et d’être entendu a été reconnu et prévu par la Convention internationale des droits de l’enfant, dont le Canada est signataire depuis 1991. Cette Convention dispose que :

« Article 12

1. Les États partis garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer

librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute

procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation appropriée, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation national. »

Il va sans dire que la parole de l’enfant est maintenant considérée comme un mode de preuve efficace mais aussi fragile, car il est très répandu que les enfants ont une propension au mensonge et aux fausses allégations. À présent, ladite parole a sa place dans le processus judiciaire : qu’il soit témoin ordinaire ou victime ou même auteur d’une infraction, l’enfant est invité à intervenir à tout instant.

Généralement, si le système de justice décide d’entreprendre une réforme de la loi, c’est qu’il y a des raisons de croire que la loi en vigueur ne remplissait pas entièrement sa fonction. Une modification est menée, car il existe des failles ou des problèmes qui doivent être résolus. C’était le cas de la loi de 1988 régissant le témoignage des enfants au Canada. L’absence d’uniformité dans sa lecture et son application chaotique ont poussé les législateurs à envisager une réforme. Comme nous le décrirons en détail plus tard, l’art 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada a vu le jour afin de s’assurer que le droit des enfants de se faire entendre dans les procédures judiciaires pénales soit accompli. L’application de cette nouvelle loi doit également refléter les objets d’un procès pénal, notamment la recherche de la vérité et l’équité procédurale.

Notre étude a pour objet de passer en revue les effets de la réforme de 2006 du droit sur le témoignage des enfants en mettant en relief les bienfaits, mais aussi les limites de cette réforme. Nous allons traiter dans une perspective juridique et critique tant les points bénéfiques que néfastes de la réforme en question.

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10

Depuis ces 34 dernières années, le législateur, les médias aussi bien que les psychologues se sont tous considérablement préoccupés du bien-être de l’enfant. D’ailleurs, en raison de ces préoccupations, l’intervention du législateur s’est fait sentir et s’est reflétée par l’établissement des règles spécifiques relatives aux droits de l’enfant. Mais rares sont ceux qui se sont penchés sur les effets de la réforme de 2006 du droit sur le témoignage des enfants.

La réforme de 200632 a-t-elle réellement et entièrement rempli son rôle ?

Nos hypothèses plaident certes pour la nécessité de la réforme, mais son résultat est incertain. Selon nos analyses, la réforme a été bénéfique, mais elle comporte aussi des caractéristiques néfastes. Les démarches entreprises par la communauté judiciaire pour régler les difficultés liées au témoignage des enfants ont abouti à une réforme dont les résultats sont mitigés. Les tribunaux n’arrivent pas à être unanimes sur la manière de percevoir son efficacité étant donné la possibilité de risque que peut représenter le témoignage des enfants pour l’équité d’un procès. Certaines décisions considèrent que la réforme marque une nouvelle ère pour les enfants témoins. D’autres, certes minoritaires, soutiennent que la réforme présente des points négatifs qui ne méritent pas d’être laissés sous silence. La réforme a-t-elle véritablement pris en considération tous les intérêts en jeu soulevés par la question du témoignage de l’enfant dans le procès pénal canadien ?

En principe, la réforme est censée non seulement aider les enfants témoins, mais elle doit aussi favoriser la recherche de la vérité et cela sans nuire à l’équité procédurale. Le fondement de l’existence de l’appareil judiciaire pénal canadien est de trouver la vérité. D’ailleurs, la promesse de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité est un symbole fort du système de justice pénale. La vérité judiciaire correspond à la réalité objective des faits33. Autrement dit, dans une procédure judiciaire, il s’agirait de regarder les faits en

s’abstenant de prendre parti pour l’accusé ou le plaignant. La vérité est essentielle dans le

32 Article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada, S.C. 1893, Ch 31.

33 Sonia Benbelaïd-Cazenave, « Le recueil de la parole des mineurs victimes: «en quête» de vérité » (2012)

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11 monde judiciaire afin que justice soit rendue. Elle participe et encourage la bonne administration de la justice. D’une manière générale, la justice est connue comme étant « un principe philosophique, juridique et moral fondamental signifiant que les actions humaines doivent être sanctionnées ou récompensées […] en fonction de leur mérite au regard du droit, de la morale et autres sources prescriptives de comportements »34. On peut

dire que la « justice est un principe à portée universelle »35. Pour éviter que l’anarchie et

que les crimes de toutes sortes règnent, les autorités ne peuvent faire autrement qu’appliquer ce principe. La justice est « un besoin, un idéal souvent jugé fondamental pour la vie sociale et la civilisation »36. Elle permet à toute institution de maintenir l’ordre et

l’équité. En effet, « en tant qu’institution, sans lien nécessaire avec la notion, elle est jugée fondamentale pour faire respecter les lois de l’autorité en place, légitime ou pas. La justice est souvent supposée reposer sur l’établissement de la vérité »37. En d’autres termes, la

raison d’être de la justice elle-même est de trouver la vérité. Le juge Fish (dissident) exprime cette idée de trouver la vérité et la justice en soulignant que :

« [65] […] [TRADUCTION] Le but d’un procès criminel est de faire régner la justice. La recherche de la justice est-elle synonyme de recherche de la vérité ? Il semblerait que oui dans la plupart des cas. La vérité et la justice finissent fort heureusement par émerger de façon simultanée. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il ne faut pas non plus conclure à l’échec du processus judiciaire si celui-ci n’aboutit pas en même temps à la justice et à la vérité. [...] [L] e droit opte pour le moindre de deux maux et permet de clore l’affaire en l’absence de certains éléments de preuve. Il est certes admirable d’atteindre la vérité, mais pas à n’importe quel prix. « La vérité est comme toute bonne chose : parfois on la chérit à l’excès, on la recherche trop ardemment, on la paie trop cher. […] »38.

Il est indéniable que l’objectif fondamental de la justice est la recherche de la vérité selon une procédure équitable. La réforme apportée en 2006 a-t-elle vraiment véhiculé ces valeurs ?

34 Marc Louis Bourgeois, « Les quatre vérités: philosophique (aletheia), scientifique (apodicité ), juridique

(l’intime conviction), humaine (biosociopsychopathologie) » (2012) 170 Annales Médico-Psychologiques 88– 92, p. 90.

35 Ibid.

36 Supra note 34. 37 Supra note 34.

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12

En effectuant cette réforme, l’organisation judiciaire canadienne espérait vivement faire éclater la vérité, notamment dans les affaires impliquant un enfant témoin. Mais qu’est-ce donc la vérité si on aborde le contexte d’un témoignage d’enfant dans un procès pénal ? Selon l’angle d’approche, la vérité peut être définie de plusieurs façons. Toutefois, dans cette étude, la définition de la vérité adoptée est celle des partisans de la théorie de la vérité-correspondance, qui soutiennent qu’« un énoncé est vrai si celui-ci correspond/ ou est conforme à la réalité »39. Dans ce sens, la qualification d’un énoncé vrai dépend de

l’existence d’un fait (ou d’un objet) auquel l’énoncé correspond. Par définition, un énoncé est « un porteur de la vérité qui est rendu vrai ou (faux) par une correspondance avec les faits dans le monde »40. Tandis que la réalité renvoie à un « fait existant et indépendant »41.

Elle est le caractère de ce qui existe dans le monde, alors que la vérité est le caractère de ce que l’on dit42. Par ce fait, la vérité et la réalité sont très étroitement liées. La vérité est alors

une propriété d’un énoncé43. En d’autres termes, la vérité se définit par sa correspondance

ou sa conformité à une réalité indépendante44. En matière de témoignage d’enfant, la vérité

est l’énoncé qui est conforme à ce qui est, c’est-à-dire qu’elle est liée à la connaissance personnelle d’un fait ou d’un événement. En apercevant un fait, un individu croit à ce qu’il a perçu. Le témoignage consisterait alors et simplement à retranscrire sa perception. Par définition, la perception est une « opération psychologique complexe par laquelle l’esprit, en organisant les données sensorielles, se forme une représentation des objets extérieurs et prend connaissance du réel »45. En d’autres mots, la perception est une capacité sensorielle,

une aptitude à recueillir et à traiter les informations. Dans le cas d’un enfant, le problème qui se pose concerne justement sa perception d’un fait. Est-ce que sa perception correspond réellement à l’événement survenu pour que l’on puisse qualifier son histoire de vérité,

39 Voir: Aristote, Métaphysique, traduit par Lukasiewicz, Paris, Pocket, 2002; Bertrand Russell, « On the

nature of truth and falsehood », dans Bertrand Russell, Philosophical essays, London, Geaorge Allen and Unwin, 1966; Henri Bergson, La pensée et le mouvant. Essais et Conférences. (Articles et conférences datant de 1903 à 1923), Chicoutimi, Bibliothèque Paul-Émile Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi, 2003.

40 Christian Sachse, « Lien entre la logique et la philosophie – la vérité », en ligne: unil.ch

<http://www.unil.ch/webdav/site/philo/shared/enseignement/support_de_cours/cours-sachse-10-11/methodologie/02_-_Theories_de_la_verite.pdf>, p.11.

41 Ibid. 42 Ibid.

43 Supra note 40, pp. 11-12.

44 Marian David, « The correspondance theory of truth », en ligne: (2002) dans Stanford Encyclopedia of

Philosophy 1095- 5054 < http://plato.stanford.edu/entries/truth-correspondence/>, p. 2.

45 Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), « Perception » (consulté le 19 mai 2014),

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13 puisque ladite vérité se constitue par sa correspondance à la réalité ? Un enfant peut dire qu’il a vu ou perçu une chose, mais il peut l’avoir interprétée erronément ou mal comprise. Dans la procédure judiciaire, cette perception peut être vérifiée à l’aide d’un interrogatoire ou d’un contre-interrogatoire. D’ailleurs, lorsque le juge s’interroge sur la fiabilité d’un témoignage, il se questionne sur la perception qu’a l’enfant de ce qui s’est réellement passé, puisque la fiabilité fait référence à l’authenticité, à la précision du témoignage de l’enfant par rapport à l’événement original. Il est essentiel que la perception de l’enfant reflète la vérité, et ce, dans l’intérêt de la justice. Lorsqu’on parle de justice et de vérité, cela pose inévitablement la question de l’intérêt de la société à ce que le procès soit équitable. Le respect de l’équité procédurale constitue un des objectifs du système de justice pénal canadien. Par ailleurs, il faut souligner que maintenir l’équilibre entre la recherche de la vérité et l’équité d’un procès est primordial pour la bonne administration de la justice. La juge L’Heureux-Dubé évoque les divers droits qui doivent être protégés dans un processus judiciaire de la façon suivante :

« Les principes de justice fondamentale […] doivent traduire une diversité de droits, dont ceux de l’accusé et ceux de la société […]. Le processus judiciaire vise certes à dégager la vérité, mais, comme l’a répété notre Cour dans l’arrêt L. (D.O.), précité, les principes de justice fondamentale commandent l’équité du processus pénal. Ce processus doit, en effet, permettre au juge des faits “de découvrir la vérité et de rendre une décision équitable” tout en accordant à l’accusé la possibilité de présenter une pleine défense (R. c. Seaboyer, précité, à la p. 608) »46.

Au-delà de l’intérêt de la justice à rechercher la vérité, les intérêts de l’enfant à vivre sereinement et à grandir sans risque doivent être pris en compte, aussi bien que celui de l’accusé à un procès équitable. L’équité se manifeste, par exemple, lorsque l’accusé reçoit une sentence juste et méritée. Outre les droits de l’accusé, les droits des témoins et des victimes doivent également être considérés lors d’un procès pénal. Le juge Ronsthein dans l’arrêt Bjelland énonce tous les intérêts en jeu dans un procès en affirmant que :

« [22] S’il est vrai que l’accusé doit subir un procès équitable, le procès doit être équitable tant du point de vue l’accusé que de celui de la société dans son ensemble. Au paragraphe 45 de l’arrêt R. c. Harrer, 1995 CanLII 70 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 562, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a indiqué ce qu’on entend par procès équitable :

Au départ, un procès équitable est un procès qui paraît équitable, tant du point de vue de l’accusé que de celui de la collectivité. Il ne faut pas confondre un procès équitable avec le procès le plus avantageux possible du point de vue de l’accusé : R. c. Lyons, 1987 CanLII 25

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(CSC), [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 362, le juge La Forest. Il ne faut pas l’assimiler non plus au procès parfait ; dans la réalité, la perfection est rarement atteinte. Le procès équitable est celui qui répond à l’intérêt qu’a le public à connaître la vérité, tout en préservant l’équité fondamentale en matière de procédure pour l’accusé.

[Je souligne.] »47.

Dans le cadre d’une affaire faisant intervenir un enfant, trois intérêts doivent être pris en compte : celui de l’accusé à un procès équitable, celui de la justice à trouver la vérité et enfin le double intérêt de l’enfant soit d’être protégé contre son agresseur et contre un éventuel trouble psychologique découlant de la procédure judiciaire48. Dans l’arrêt Find, le

juge en Chef met en relief justement ces intérêts en soutenant que :

« Un procès équitable ne doit toutefois pas être confondu avec un procès parfait, ni avec le procès le plus avantageux possible du point de vue de l’accusé. Comme je l’ai dit dans R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, par. 193, « [l] e procès équitable tient compte non seulement du point de vue de l’accusé, mais également des limites pratiques du système de justice et des intérêts légitimes des autres personnes concernées […]. La loi exige non pas une justice parfaite, mais une justice fondamentalement équitable »49.

En plus de la recherche de la vérité et l’équité procédurale, il faut certes que le procès vise à protéger les enfants. Vivant dans une société libre et démocratique censée être sécuritaire pour ses enfants, on ne peut laisser passer les infractions commises à leur encontre. De ce fait, afin de protéger les enfants, la société ne doit pas fermer les yeux concernant les actes agressifs et cruels faits aux jeunes en bas âge. Il faut indiscutablement leur accorder une protection digne de ce nom. Protéger un enfant contre son agresseur et les autres personnes qui peuvent potentiellement le devenir fait partie des préoccupations des instances pénales canadiennes. Pour un enfant victime d’un abus, savoir que l’auteur de son agression ne peut plus lui faire du mal peut l’encourager à avancer dans sa vie personnelle. Cette connaissance peut lui procurer un sentiment de réconfort et lui faire réaliser qu’il n’est pas seul, qu’il peut compter sur le système judiciaire pour lui rendre justice. En effet, « dans les pays dits civilisés, la justice est là pour arbitrer les litiges, sanctionner les coupables et dire

47Supra note 38, para. 22.

48 Voir: Jacinthe Dion et al., « L’influence des habiletés cognitives, de l’âge et des caractéristiques de

l’agression sexuelle sur la déclaration des présumées victimes » (2006) 30 Child Abuse & Neglect 945-960; Nicholas Bala, « Double Victims: Child Sexual Abuse and The Canadian Criminal Justice System » (1990) 15:12 Queen’s Law Journal 3-32; Nicholas Bala, John Philippe Schuman et Kang Lee, « Developmentally Appropriate Questions for Child Witnesses » (2000) 25 Queen’s Law Journal 251-304.

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15 dans chaque espèce où est la vérité »50. Le geste de réprimer son agresseur apprend à

l’enfant victime que l’appareil judiciaire ne cautionne pas les infractions ou la violence envers les enfants et l’encourage à dénoncer ce genre d’action. Ce geste lui affirme que la société le soutient et est prête à défendre son droit. Il peut aussi pousser l’enfant à vaincre ses traumatismes, car il est connu que l’abus physique ou mental peut laisser une séquelle chez la personne victime51. Le juge Cory énonce clairement l’impact d’un abus sur un

enfant en s’exprimant comme suit :

[20] […] Toute forme de voies de fait commise contre un enfant est susceptible de le traumatiser. Les voies de fait d’ordre sexuel risquent encore plus d’avoir des effets nocifs. Le traumatisme sera encore plus grand lorsque l’auteur de l’infraction est le père, la mère, un tuteur ou une autre personne en situation d’autorité. Le souvenir des événements sera extrêmement pénible pour tout enfant et, plus la jeune personne est sensible, plus grandes seront les difficultés qu’elle éprouvera. Il s’ensuit qu’il faut encourager toute mesure qui peut être prise pour atténuer l’effet traumatisant pour l’enfant52.

Savoir que son agresseur a été sanctionné et condamné peut aider l’enfant victime à se reconstruire et à tourner la page. Par ailleurs, la peine ne doit pas seulement être équitable pour l’enfant, il faut qu’elle le soit également pour l’accusé. La sentence est équitable pour la personne accusée si elle équivaut à la valeur de ses agissements ignominieux. À noter que l’accusé ne doit pas recevoir une peine qui va au-delà de ce que la loi a prévu pour l’infraction qu’il a commise, car ce serait injuste et inéquitable. Outre la protection de l’enfant contre son agresseur, il faut aussi le préserver contre les troubles comportementaux et les détresses psychologiques qui peuvent découler de l’acte de témoigner dans une salle d’audience53. Il semble apparemment que témoigner et être contre-interrogé constituent les

aspects les plus horrifiants pour les enfants dans la plupart des procès54. De nombreux

auteurs avancent, par ailleurs, qu’être confronté à la procédure judiciaire peut provoquer

50 Pierre Hugonet, La vérité judiciaire, Paris, Librairies Techniques, 1986, p. 9. 51 R. c. F (W.J.), 1999 3 R.C.S. 569, pp.578-579.

52 R. c. F. (C.C.), [1997] 3 R.C.S. 1183, p. 1193. 53 Supra note 48.

54 Voir: Nicholas Bala, « Double Victims: Child Sexual Abuse and The Canadian Criminal Justice System »

(1990) 15:12 Queen’s Law Journal 3-32; Nicholas Bala, John Philippe Schuman et Kang Lee, « Developmentally Appropriate Questions for Child Witnesses » (2000) 25 Queen’s Law Journal 251-304; Stéphanie Bujold, L’enfant victime d’abus sexuel devrait-il témoigner?, Essai de maîtrise en psychologie, Université Laval, 1998.

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chez un enfant victime la sensation d’une seconde victimisation55. Autrement dit, parler de

son intimité devant des étrangers et dans un milieu qui lui est inconnu peut causer un second traumatisme chez l’enfant. Ce second traumatisme se manifeste par la présence d’un trouble psychologique qui affecte son développement mental ou comportemental :

Le témoignage cause non seulement une détresse psychologique, mais il entraîne aussi une victimisation secondaire chez l’enfant. La victimisation secondaire ou « retraumatisation » se définit comme l’expérience de revivre le crime en racontant son histoire. La détresse de l’enfant exacerbée par la présence de l’abuseur et de personne inconnue. La victimisation secondaire ressemble à une humiliation publique, c’est une autre forme d’abus. La victimisation secondaire est l’impact le plus souvent associé au témoignage de l’enfant en cour […]56.

Précisons que notre recherche s’est nourrie d’études en psychologie et en sciences sociales portant sur le témoignage et parfois, plus largement, sur le comportement discurcif de l’enfant. Nous avons également procédé à une large étude de la jurisprudence depuis 2006 (date de la réforme) afin d’analyser les effets de la réforme dans le discours judiciaire. Nous avons ainsi recensé soixante-dix (70) décisions judiciaires dans le domaine pénal uniquement qui ont abordé de front la question du témoignage des enfants de moins de 14 ans, qui témoignent désormais sur promesse de dire la vérité au Canada.

Ce mémoire se divise en trois parties : le chapitre préliminaire sera consacré à l’étude du contexte et des raisons qui ont conduit à la réforme de 2006. Il s’agira en premier lieu d’examiner les difficultés relatives à l’acceptation du témoignage des enfants au Canada, aux États-Unis et en Angleterre depuis 1893 jusqu’à aujourd’hui. Ensuite, nous mettrons en exergue les failles du test d’habilité à témoigner des enfants par le biais des études en sciences sociales. Enfin, nous aborderons la question de l’équité du procès lors de la réforme de 2006 pour constater qu’elle a été occultée.

55 Voir: R. c. Levogiannis, (1993), 85 C.C.C. (3d) 327 (C.S.C.), pp. 483-484. Voir notamment David La Rooy,

Lindsay Malloy et Michael Lamb, « The development of memory in childhood » dans Michael Lamb et al., Children’s Testimony: A Handbook of Psychological Research and Forensic Practice, 2nd edition, Chichester,

Angleterre, John Wiley, 2011.

56 Voir Stéphanie Bujold, L’enfant victime d’abus sexuel devrait-il témoigner ?, Essai de maîtrise en

psychologie, Université Laval, 1998, p. 26 et s. Voir notamment R. c. L. (D.O.), 1993 4 R.C.S. 419, p.443-445; R. c. F (W.J.), 1999 3 R.C.S. 569, pp.578-579.

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17 Le premier chapitre aura pour objet l’étude des bienfaits de la réforme de 2006. Nous analyserons l’application des nouvelles conditions d’habilité à témoigner des enfants à partir d’une étude de la jurisprudence postérieure à 2006. Par la suite, nous porterons notre attention sur les discours des juges qui ont bien accueilli la réforme et qui l’ont mise en œuvre.

Le deuxième chapitre traitera des limites de la réforme de 2006. Plus précisément, nous verrons les discours sur projet de loi C-2 lors des travaux et débats parlementaires. Puis, nous étudierons les opinions critiques des juges plus prudents ou « réservés » sur la question du témoignage des enfants dans la jurisprudence postérieure à la réforme de 2006. Ensuite, nous procéderons à une discussion sur les exigences de l’article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada au cours de l’enquête de compétence et lors du contre-interrogatoire des enfants témoins. Enfin, nous nous pencherons sur l’examen d’habilité à témoigner des enfants aux États-Unis.

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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : LA RÉFORME DE 2006 DU DROIT

SUR LE TÉMOIGNAGE DES ENFANTS AU CANADA

Dans les pages suivantes, nous aborderons les difficultés d’acceptation du témoignage des enfants au Canada, aux États-Unis et en Angleterre depuis les années 1893 jusqu’à aujourd’hui. Nous mettrons aussi en relief les failles du test de compétence des enfants témoins à travers les études des sciences sociales. Enfin, nous verrons la question de l’équité du procès lors de la réforme de 2006.

SECTION I : RÉTROSPECTIVE SUR LA RÉALITÉ INHÉRENTE AUX DIFFICULTÉS D’ACCEPTATION DU TÉMOIGNAGE DES ENFANTS AU CANADA, AUX ÉTATS-UNIS ET EN ANGLETERRE DEPUIS 1893 À AUJOURD’HUI

À l’origine, le témoignage des enfants était régi par la common law aussi bien en Angleterre, au Canada, qu’aux États-Unis57. Cette question commune était à la base décidée

par les juges de common law en 1779 et la réponse apportée disposait « qu’aucun témoignage ne pouvait être légalement admis excepté celui sous serment »58. Un enfant ne

pouvait prêter serment que s’il était capable de répondre aux questions démontrant ainsi sa compréhension de « la nature et des conséquences du serment »59. Seuls les adultes étaient,

à cette époque, considérés comme des témoins crédibles et fiables au regard du système de justice. On ne leur imposait pas les exigences strictes de l’enquête de compétence destinées aux enfants. Ils n’avaient pas à définir le serment ni à évoquer leur spiritualité. Les enfants,

57 Voir: Bala, Nicholas et al, « A Legal & Psychological Critique of the Present Approach to the Assessment

of the Competence of Child Witnesses » (2000) 38:3 Osgoode Hall Law Journal 409-451, p. 412; Bala, Nicholas et al, « The Competency of Children to Testify: Psychological Research Informing Canadian Law Reform » (2010) 17 International Journal of Children’s Rights 1-25, p. 54. Voir notamment R. v. Brasier (1779) 1 Leach 199; 168 ER. Cette décision se basait sur la présomption d’incompétence des enfants et par ce fait, l’admissibilité de leur témoignage dépendait de leur intelligence, de leur appréciation de l’obligation de dire la vérité et de la différence entre dire la vérité et un mensonge. Ces critères étaient vérifiés à l’aide d’un test.

58 Ibid.

59Voir: Nicholas Bala et al, « A Legal & Psychological Critique of the Present Approach to the Assessment of

the Competence of Child Witnesses » (2000) 38:3 Osgoode Hall Law Journal 409-451, p. 412; Nicholas Bala et al, « The Competency of Children to Testify: Psychological Research Informing Canadian Law Reform » (2010) 17 International Journal of Children’s Rights 1-25, p. 54.

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quant à eux, étaient laissés pour compte. Les règles de common law constituaient davantage un fossé entre le droit des enfants de s’exprimer et de se faire entendre par l’appareil judiciaire. Elles étaient fondées sur un préjugé ancré dans la société. Le préjugé en question spécifiait qu’un enfant ne pouvait qu’émettre des récits imaginaires qu’il prend comme réels et qu’en conséquence, il n’est pas compétent pour être un bon témoin. Ce manque de confiance envers la capacité d’un enfant à témoigner a duré longtemps. En 1800, la parole des enfants n’avait pas encore de « valeur juridique » importante, car les professionnels judiciaires croyaient que ladite parole était le fruit d’une fabulation. L’opinion répandue dans la communauté judiciaire était que les enfants qui ne pouvaient pas expliquer le sens d’un serment étaient moins enclins à dire la vérité en tant que témoins et, de ce fait, n’étaient pas autorisés à témoigner60. Les intérêts des enfants abusés étaient loin d’être le

centre d’attention de l’institution judiciaire en ce temps. Les enfants devaient surmonter les conditions relatives au test de compétence chaque fois qu’ils voulaient témoigner. Or, ces conditions constituaient des obstacles complexes difficiles à franchir pour l’ensemble des enfants. Pour être un témoin habile, il fallait non seulement qu’un enfant démontre ses connaissances et ses compréhensions de la signification d’un serment, mais aussi sa foi en un être supérieur qui punissait les témoins mentant sous serment61. En d’autres mots,

l’enfant devait d’une part donner le sens du serment et d’autre part savoir qu’il recevrait une rétribution divine s’il mentait sous serment. Ainsi, lorsque les juges canadiens ou anglais déterminaient l’habilité d’un enfant, ils évaluaient sa compréhension du serment et ses observations des règles religieuses. À noter que la perception de la common law selon laquelle, en principe, les enfants n’étaient pas suffisamment fiables pour servir de témoin, était le reflet d’une croyance très répandue à l’époque62. À cause de cette croyance, les

déclarations des enfants abusés sexuellement ont donc été examinées avec scepticisme et suspicion. Les opinions psychiatriques, médicales et psychologiques de la fin du XIXe et du

début du XXe siècle renforçaient ces opinions préconçues63. Les dispositions appliquées

60 Ibid.

61 Christianne Dubreuil, Le témoignage des enfants en droit pénal et en droit civil, Montréal, Éditions Thémis,

1991, p. 14 et s.

62 Nicholas Bala et al., « The Competency of Children to Testify: Psychological Research Informing Canadian

Law Reform » (2010) 17 International Journal of Children’s Rights 1-25, p. 55.

63 Ibid. Les recherches des auteurs, des psychologues à cette époque n’arrangeaient pas la situation des

enfants. Elles tendaient plus à démontrer que les enfants n’étaient pas susceptibles de relater la vérité ni des événements réels, que tout ce qu’ils pouvaient rapporter n’était que fabrication.

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21 aux États-Unis concernant les enfants témoins allaient également dans le sens de ce qui se faisait au Canada et en Angleterre. La position de la Cour était que la compétence d’un enfant témoin dépendait de sa capacité et de son intelligence, de son appréciation de la différence entre la vérité et un mensonge, tout comme son obligation de dire la vérité64. Les

juges américains n’étaient pas ouverts à l’idée d’accepter le témoignage d’un enfant. D’une manière générale, l’examen d’habilité à témoigner était déroutant et bouleversant aussi bien pour un enfant anglais, canadien qu’américain. Ils devaient démontrer à tout moment leur niveau de croyance religieuse et connaître le serment, chose qui était très difficile à réaliser pour les plus jeunes.

Nous étudierons successivement l’évolution des droits anglais, américains et canadiens.

Par. 1. L’évolution du droit anglais

La première réforme du droit au témoignage des enfants a été réalisée en Angleterre en 188565. Ce pays a troqué les règles étroites de la common law contre des normes qui

défendaient les intérêts des enfants victimes d’abus. L’innovation de leur loi a eu lieu en raison des voix qui se sont élevées pour briser le tabou des violences sexuelles faites aux enfants. L’opinion publique a critiqué le système judiciaire en place et a pris conscience qu’il était nécessaire d’aider les enfants à signaler les abus dont ils avaient été victimes et à se faire entendre. En 1933, le parlement anglais a réadopté ces normes afin de mieux répondre aux besoins des enfants victimes d’abus sexuel et il les a nommées section 38(1) of the Children and Young Persons Act 193366. Cette loi imposait deux critères pour qu’un

enfant puisse témoigner sans être assermenté : « l’enfant possédait une intelligence suffisante et qu’il comprenait l’obligation morale de dire la vérité »67. Ce changement a

permis à des enfants ne pouvant pas démontrer leur compréhension du serment de témoigner sans être assermentés dans les causes d’abus sexuel, mais leur témoignage ne

64 Supra note 62, p. 54 et s. 65 Supra note 62, p. 55.

66 Voir Adrian Keane, The Modern Law of Evidence, 4th edition, London, Butterworths, 1996; John Spencer et

Michael Lamb, Children and Cross-Examination. Time to change the rules ?, Oxford, Hart Publishing, 2012.

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menait pas directement à une condamnation s’il n’était pas corroboré par d’autres preuves68. La parole des enfants était, bien entendu, vue avec méfiance et scrutée à la loupe.

Les juges anglais trouvaient que la parole des enfants n’avait pas sa place dans une enceinte judiciaire. Les tribunaux restaient beaucoup sur leurs gardes et n’avaient aucunement confiance aux enfants témoins. Durant les années 1980, la société anglaise a fortement critiqué les dispositions relatives au témoignage des enfants, notamment les règles de corroboration et les exigences strictes du test de compétence69. La société anglaise a haussé

la voix, car elle trouvait que ces dispositions nuisaient aux intérêts des enfants victimes d’abus sexuel et de maltraitance. Le parlement anglais avait entendu ces critiques et, par conséquent, avait réagi en réalisant une nouvelle réforme de loi en 1988. Autrement dit, à cause des commentaires et des ouvrages de la doctrine70 ainsi que de la sensibilisation des

organisations tenant à cœur la protection des enfants maltraités, l’Angleterre a adopté une nouvelle loi régissant les enfants témoins dans la procédure judiciaire pénale en 1988. Cette réforme consistait, d’un côté, à changer l’examen d’habilité à témoigner des enfants et, d’un autre côté, à abolir la distinction qui existait entre un témoignage sous serment ou non fait par un enfant71. Lorsqu’il a effectué ces modifications, le législateur anglais avait un

objectif en tête : faciliter le témoignage des enfants abusés. Cette nouvelle loi s’appelait section 33A of the Criminal Justice Act 198872. En vertu de cette loi, un enfant âgé de

moins de 14 ans qui ne comprenait pas la nature du serment pouvait témoigner sans être assermenté si le tribunal estimait que l’enfant était incapable d’offrir un témoignage intelligible :

In criminal cases, therefore, a child aged 14 or more should be treated as competent to give sworn evidence and it seems that the only exception, which is considered below, is if he or she is unable to understand the nature of the oath by reason of unsound mind. Under the mandatory terms of s 33A(1), the evidence of any child under 14 years of age must be given unsworn, and

68 Supra note 62.

69 John Spencer et Michael Lamb, Children and Cross-Examination. Time to change the rules?, Oxford, Hart

Publishing, 2012, p. 1 et p. 7.

70 Dans les recherches psychologiques, considérables auteurs ont commencé à émettre que les enfants sont

aptes à rapporter les faits auxquels ils ont assistés ou vécus personnellement selon leur développement mental et physique. De ce fait, ils peuvent être crédibles au même titre que les adultes.

71 Laura Hoyano et Caroline Keenan, Child Abuse: Law and Policy, Across Boundaries, Oxford, New York,

University Press, 2007, p. 600.

72 Voir: Adrian Keane, The Modern Law of Evidence, 4th edition, London, Butterworths, 1996, p. 111;

Nicholas Bala et al, « A Legal & Psychological Critique of the Present Approach to the Assessment of the Competence of Child Witnesses » (2000) 38:3 Osgoode Hall Law Journal 409-451, p. 440 et s.

Références

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