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L’ÉQUITÉ DU PROCÈS, UNE QUESTION OCCULTÉE LORS DE LA

SECTION I: RÉTROSPECTIVE SUR LA RÉALITÉ INHÉRENTE AUX DIFFICULTÉS

SECTION 3: L’ÉQUITÉ DU PROCÈS, UNE QUESTION OCCULTÉE LORS DE LA

Lors de la réforme de 2006 du droit sur le témoignage des enfants, les discours des partisans du projet de loi C-2 de même que ceux de l’opposition étaient centrés sur les nouvelles règles de l’article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada et la possibilité de faciliter davantage l’application des mesures d’accommodations existantes en vue d’encourager la participation des enfants dans un procès pénal. Cependant, un paramètre important n’a pas été abordé lors des travaux et débats parlementaires sur le projet de loi C- 2, il s’agit de l’équité du procès, cette question qui a été complètement occultée.

L’équité procédurale était-elle un paramètre négligeable ou un paramètre essentiel qu’il fallait prendre en compte lors de la réforme de 2006 ?

La notion d’équité du procès renvoie à la notion d’un procès juste, impartial, respectant l’égalité entre les parties et où la justice est rendue de manière rapide et efficace tout en respectant les autres principes favorisant la bonne administration de la justice171. Le procès

équitable signifie que chaque partie doit avoir la possibilité de se faire entendre et de défendre ses intérêts de la même manière, qu’une partie ne doit pas avoir plus de pouvoir que l’autre, qu’il ne doit pas y avoir de favoritisme172.

L’équité d’un procès constitue donc un paramètre essentiel qui aurait dû être soulevé lors de la réforme de 2006 en raison non seulement de l’approche moderne du droit de la preuve, mais aussi de l’approche rationaliste traditionnelle du droit de la preuve.

171 Supra note 49, p. 880. 172 Supra note 38, para 22.

51 L’approche moderne du droit de la preuve est basée sur un droit de la preuve constitutionnalisé par la Charte canadienne des droits et libertés et l’équité du procès fait justement partie du droit de la preuve. D’ailleurs, le juge en Chef dans l’arrêt R. c. D.A.I173,

fait les commentaires concernant l’équité d’un procès :

[68] La Charte canadienne des droits et libertés garantit la tenue d’un procès équitable à toute personne accusée d’un acte criminel. Ce droit ne peut pas être enfreint ; un procès inéquitable n’est jamais acceptable.

[69] Il n’est ni nécessaire ni sage d’aborder le vaste sujet de ce qui constitue un procès équitable. On cherchera en vain des définitions exhaustives dans la jurisprudence. L’approche retenue par les tribunaux consiste plutôt à déterminer si des règles ou des faits particuliers rendent un procès inéquitable.

L’appareil judiciaire ne tolère pas un procès inéquitable, car tout comme la recherche de la vérité, l’équité du procès fait partie des objectifs du procès pénal174. Dans le cadre du

témoignage d’un enfant, la question de l’équité d’un procès ne peut être écartée parce qu’elle touche toutes les parties dans un procès pénal. Un procès n’est pas équitable, par exemple, si les tribunaux admettent un témoignage non fiable ou non pertinent d’un enfant témoin, donc qui porterait préjudice soit à l’intérêt de l’accusé ou à celui de la société de trouver la vérité. Soulignons que le problème du témoignage des enfants n’est pas un problème récent, il a déjà été mentionné dans les décisions antérieures à la réforme de 2006. Dans l’arrêt R. c. Rockey175 par exemple, il a été discuté qu’il ne serait pas prudent de

considérer le témoignage d’un enfant qui n’était pas habile à communiquer les faits. La partie défenderesse a évoqué cet argument pour défendre le droit de l’accusé à un procès équitable. Dans cette décision, la juge McLachlin a défini la capacité à communiquer les faits en disant « qu’il n’est pas nécessaire que le témoin soit capable de définir le mot “promesse” dans un sens technique ; ce qu’il faut c’est que le témoin comprenne l’obligation de dire la vérité pendant son témoignage »176.

L’approche traditionnelle et rationaliste du droit de la preuve est fondée sur le principe que la décision qui doit être rendue doit être la décision la plus exacte possible à partir de

173 Supra note 7, para 68 – 69.

174 Supra note 6, p. 608. Voir aussi notre introduction. 175 R. c. Rockey, [1996] 3 R.C.S. 829.

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méthodes rationnelles prévue par la loi177. Ces méthodes rationnelles sont basées sur une

appréciation prudente et rationnelle de la preuve, c’est-à-dire en considérant la pertinence et la fiabilité de la preuve178. Dans cette approche rationaliste qui existe encore aujourd’hui, le

juge du procès tient un rôle important, notamment celui de « filtreur » de la preuve179. Il

détermine si un témoin est compétent ou pas, s’il est contraignable ou non. Il vérifie si un témoignage est admissible ou pas en se basant sur les règles d’admissibilité des preuves. Autrement dit, il évalue si un témoignage est pertinent ou pas, s’il est fiable ou pas. Les rôles que tient le juge du procès sont très importants à des fins de respect de l’équité du procès et il exerçait ses rôles en matière de témoignage d’enfant par l’entremise de l’enquête de compétence automatique. Dans le cas du témoignage des enfants, l’enquête de compétence automatique constituait la règle pendant l’application de l’ancien article 16. Toutefois, cette enquête de compétence a été supprimée par la réforme de 2006 afin de faciliter le témoignage des enfants. Depuis la réforme de 2006, l’enquête est devenue une exception, c’est-à-dire qu’une demande doit être expressément faite auprès du juge pour qu’elle ait lieu. En outre, la demande doit être motivée. La suppression de l’enquête de compétence n’est pas restée sans conséquence pour autant. En raison de cette suppression, le juge du procès a perdu en quelque sorte son pouvoir de « filtreur » prévu dans l’approche rationaliste et il ne peut plus exercer son rôle efficacement. Il ne peut plus contrôler et vérifier systématiquement par un moyen efficace la fiabilité et la pertinence d’un témoignage, de même que l’habilité à témoigner de l’enfant témoin ou sa perception de la vérité. Sans enquête de compétence, par quel autre moyen le juge du procès peut-il accomplir ses tâches ? En d’autres termes, la suppression de l’enquête de compétence pourrait représenter un danger pour l’équité du procès, d’autant plus que les recherches en sciences sociales et en psychologie ne cessent de montrer que le témoignage d’un enfant constitue un outil dangereux, compte tenu de la capacité de l’enfant à transformer la vérité. La réforme de 2006 a donc occulté doublement le paramètre de l’équité du procès.

177 William Twining, Theories of evidence: Bentham and Wigmore, London, Weidenfeld & Nicolson, 1985,

pp. 15-16.

178 Ibid.

53 Après la réforme de 2006, la question de l’équité du procès n’a été abordée qu’avec parcimonie dans les décisions qui confirment la constitutionnalité de l’article 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada180. Cette question a également été mentionnée dans une des études

du professeur Nicholas Bala181. Dans la décision R. v. J.Z.S.182 par exemple, le juge de la

Cour d’appel de la Colombie-Britannique D.M. Smith n’a évoqué que discrètement l’équité du procès en affirmant :

55 Whiles enhancing the receipt of probative and relevant evidence, s.16.1 does not restrict the traditional safeguards for ensuring an accused’s right to a fair trial: the opportunity for the accused to see and cross-examine a child witness, to call evidence, to be presumed innocent until proven guilty, and to have the Crown prove the alleged offence beyond a reasoble doubt […]183.

En faisant référence à la question de l’équité du procès après la réforme de 2006, les tribunaux canadiens et le professeur Nicholas Bala reconnaissent indirectement l’importance de la question de l’équité du procès dans le contexte du témoignage des enfants même s’ils n’ont pas réalisé une étude minutieuse et approfondie à ce sujet. Soulignons que les arguments que les tribunaux avancent concernant la constitutionnalité de l’article 16.1 et sur l’équité du procès n’ont pas été confirmés à ce jour par la Cour suprême du Canada.

Sans reconnaître le fondement du principe de la présomption d’incompétence d’un enfant témoin sous l’ancien article 16 de la loi de 1988, nous soutenons qu’il aurait été souhaitable de ne pas supprimer l’enquête de compétence, mais simplement de l’améliorer, et ce, dans un souci de respect de l’équité procédurale, parce que l’enquête de compétence constitue un moyen sûr permettant au juge de contrôler la fiabilité du témoignage des enfants. Il faut comprendre qu’à partir du moment où l’enfant témoigne, le risque pour l’équité procédurale est présent et il sera difficile de revenir en arrière, car le mal sera déjà fait, peu importe que l’enfant comprenne ou pas la promesse de dire la vérité et peu importe le poids qu’accordera le juge des faits au témoignage de l’enfant.

180 Voir : R. v. J.S., [2007] B.C.J. No 1374; R. v. J.Z.S., [2008] B.C.J. No 1915; R. v. Persaud, [2007] O.J.

No 432.

181 Supra note 136. 182 [2008] B.C.J. No 1915. 183 Ibid, para 55.