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DISCUSSION SUR LES EXIGENCES DE L’ARTICLE 16.1 AU COURS

SECTION I: RÉTROSPECTIVE SUR LA RÉALITÉ INHÉRENTE AUX DIFFICULTÉS

SECTION 3: DISCUSSION SUR LES EXIGENCES DE L’ARTICLE 16.1 AU COURS

INTERROGATOIRE DES ENFANTS TÉMOINS

Lors de l’application de l’article 16 de la loi de 1988, les tribunaux interprétaient cette disposition de manière rigoureuse. Lors de l’enquête de compétence, ils interrogeaient les enfants témoins sur leur compréhension de la nature du serment et leur connaissance de l’importance de l’obligation morale de dire la vérité. Cette enquête était trop complexe pour les enfants, surtout ceux qui ne savaient pas définir les concepts abstraits. Bien que les adultes n’étaient jamais interrogés sur leurs convictions religieuses ou les conséquences religieuses d’un serment, les enfants l’étaient. Ceci était injuste envers eux, car chaque enfant est différent et les juges n’auraient pas dû s’attendre à ce qu’ils arrivent tous à expliquer le serment ou les concepts abstraits. En outre, la capacité de communiquer la preuve a aussi été interprétée autrement par les tribunaux. Ils prétendaient que la capacité à communiquer signifiait plus qu’une simple habilité de base de s’exprimer. Les tribunaux l’interprétaient comme la capacité d’observer, d’interpréter ce que l’enfant a observé et de se souvenir d’événements vécus. Cette interprétation restrictive de l’art 16 de la loi de 1988

127 a fini par causer du tort aux enfants qui étaient capables de donner un témoignage honnête et sincère. Elle les a empêchés de témoigner. Cette situation a conduit à l’entrée en vigueur de l’art 16.1 de la Loi sur la preuve au Canada. Dans ce nouvel article, les enfants ne sont plus soumises à une enquête de compétence stricte. Les seules conditions pour qu’ils témoignent, sont de posséder les capacités de comprendre et de répondre aux questions. Contrairement à l’art 16, l’art 16.1 (7) de la Loi sur la preuve au Canada interdit explicitement de poser aux enfants des questions sur la nature d’une promesse, sur la vérité. Le tribunal ne mène une enquête que dans le cas où il y a un doute sur la capacité de l’enfant à témoigner. La modification apportée par le législateur sur l’art 16.1 (7) vise à modifier l’interprétation rigoureuse dans la jurisprudence, tel que cela a été fait pour l’art 16 de la loi de 1988. L’enfant de moins de quatorze ans ne doit ni prêter serment ni faire une déclaration solennelle, mais il doit simplement promettre de dire la vérité394. Selon le

législateur, faire la promesse de dire de la vérité était tout ce qui était exigé de la part d’un enfant capable de répondre aux questions, car faire une promesse a plus de sens pour un enfant et lui fait comprendre le sérieux de l’événement, donc le pousse à ne pas mentir395.

Pourtant, tout en admettant que les enfants ne puissent pas être interrogés sur leur compréhension des concepts tels que « la vérité » et « promesse », pour être admis en tant que témoin, le tribunal n’a pas totalement exclu ce type de questionnement, car il permet à la partie défenderesse de poser des questions de cet ordre lors du contre-interrogatoire396.

Dans l’arrêt R. v. J.S., [2007] B.C.J. 1374 (C.S.), la Cour a émis les propos suivant à ce sujet :

[26] At trial, an accused retains the ability to cross-examine a child witness on his or her understanding of a promise to tell the truth and to question, in argument, the reliability and credibility of a child witness. As courts have acknowledged, in R. v. M.S., supra at para. 31 and

Persaud, supra at para 51, an accused's right to cross-examine and call evidence is unaffected

by the amendments to s. 16.1. Further, an accused's ability to rely on the presumption of innocence remains intact as does the Crown's burden to prove its case beyond a reasonable doubt.

394 Art 16.1 (3) et (6) de la Loi sur la preuve au Canada. 395 Supra note 7, para 36.

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Si au cours de l’enquête de compétence les tribunaux veillent à ce que l’enfant puisse témoigner facilement en lui imposant des conditions moins rigoureuses, ce n’est pas le cas lors du contre-interrogatoire. En effet, lorsqu’il est temps pour les avocats de la défense de contre-interroger l’enfant témoin, ils ont le droit de lui poser des questions sur des concepts abstraits tels que le sens d’une promesse, de la vérité, etc. En faisant cela, ils peuvent ébranler la crédibilité de l’enfant et réduire la valeur de sa preuve aux yeux du jury. Ce qui est incongru. En outre, il est notable que les questions posées en contre-interrogatoire en vertu de l’art 16.1 ne font plus référence aux croyances et convictions religieuses de l’enfant, ni même à sa compréhension d’un serment, contrairement à celles faites pendant l’application de l’art 16 de la loi de 1988. Pourtant, les propos des dispositions de l’art 16.1 se contredisent et créent une confusion. Lesdits propos devraient être revus par le législateur, car il est illogique d’interdire une question pendant l’enquête de compétence et de l’autoriser par la suite, lors du contre-interrogatoire. Il est même insensé, car au final, l’intérêt de l’enfant n’est pas vraiment protégé, puisque les avocats de la défense peuvent à tout instant détruire sa crédibilité et réduire à néant sa preuve. Il ne faut pas oublier, au demeurant, que si le témoignage de l’enfant est la seule preuve existante dans une affaire, l’accusé peut s’en tirer à bon compte, car sans preuve valable, il n’y a pas d’accusation ni de condamnation. Dans l’arrêt R. v. Persaud397, le juge Epstein a fait les observations

suivantes concernant la possibilité pour l’avocat de la défense de contre-interroger l’enfant témoin sur sa connaissance des concepts abstraits :

[64] In this case, the legislation is confined to the issue of child witness capacity. There is no restriction on the right to cross-examine a witness during the course of witness testimony. The witness's knowledge of the concept of a promise to tell the truth can be raised and can go to the weight of the evidence. The legislation goes no further than merely to allow a child witness to participate in the trial process and not be disqualified as under the old legislation. If there is any impairment of a Charter right at all, such impairment is minimal. Any evidence that the applicant may have wanted to raise for full answer and defence can still be raised. The right to cross-examine is fully retained but is exercised during witness testimony rather than at a capacity inquiry398.

L’art 16.1. a certes et incontestablement amélioré la situation des enfants en les rendant présumés habiles à témoigner, mais est-ce suffisant ?

397 Supra note 146.

129 En créant la nouvelle disposition, le législateur voulait protéger les enfants en essayant de faciliter l’acceptation de leur témoignage. Cet article énonce que même si l’enfant témoin ne peut être interrogé sur sa compréhension du sens du terme « promesse de dire la vérité » lors de l’enquête de compétence, l’avocat de la défense peut interroger l’enfant à ce sujet au cours du contre-interrogatoire. Par définition, le contre-interrogatoire est l’interrogatoire réalisé par la partie adverse qui peut avoir pour objectifs d’essayer de tirer des éléments à l’avantage de la partie qui contre-interroge ou encore de décrédibiliser le témoin. C’est un droit fondamental de common law et non un privilège. Le juge Cory définit le contre- interrogatoire comme suit :

Le contre-interrogatoire a une importance incontestable. Il remplit un rôle essentiel dans le processus qui permet de déterminer si un témoin est digne de foi. Même lorsqu’il vise le témoin le plus honnête qui soit, il peut permettre de jauger la fragilité des témoignages. Il peut servir, par exemple, à montrer le handicap visuel ou auditif d’un témoin. Il peut permettre d’établir que les conditions météorologiques pertinentes ont pu limiter la capacité d’observation d’un témoin, ou que des médicaments pris par le témoin ont pu avoir un effet sur sa vision ou son ouïe. Son importance ne peut être mise en doute. C’est le moyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véracité. Il faut autoriser le contre-interrogatoire pour que l’accusé puisse présenter une défense pleine et entière. La possibilité de contre-interroger les témoins constitue un élément fondamental du procès équitable auquel l’accusé a droit. Il s’agit d’un principe ancien et bien établi qui est lié de près à la présomption d’innocence399.

Ainsi, les réponses données par l’enfant affecteront le poids ou la crédibilité du témoignage de l’enfant, mais non son admissibilité400. Bien que cette disposition favorise, d’une part, le

respect du témoignage d’un témoin, elle donne la possibilité, d’autre part, de se méfier à nouveau de l’enfant, de remettre en question son honnêteté. En doutant de la fiabilité et de la crédibilité d’une preuve, le juge de fait va pouvoir remettre en question par la même occasion sa valeur probante. Rappelons que la fiabilité est relative au degré d’authenticité qui existe entre l’événement original et le rapport qui décrit ce qui est effectivement arrivé. Elle correspond à la précision et à la cohérence du témoignage avec la réalité, ou du moins selon l’état actuel des connaissances. Dans l’arrêt R. c. Genest401, la question de la fiabilité

d’un témoin a été soulevée. La partie appelante soulevait qu’un témoignage n’aurait pas dû être cru pour les raisons suivantes :

399 R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, p. 663. 400 Supra note 136, p. 11 et s.

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« […] Provenant d’un témoin tel qu’elle est, insatisfaisante au niveau de l’honnêteté, de la véracité et de l’impartialité, éminemment fragile au niveau de la fiabilité de ses facultés personnelles d’observation, rétention, compréhension et communication et entaché de contradictions sur les faits essentiels, ne pouvait, sans de très graves risques d’erreur, servir de pierre angulaire à une preuve présomptive valable »402.

La crédibilité, quant à elle, renvoie à la volonté ou à l’intention d’un témoin en rapport avec la formulation d’un énoncé vrai ou mensonger403. C’est le caractère d’une chose ou d’une

personne qui mérite qu’on la croie. Autrement dit, elle fait référence à l’honnêteté de la personne. C’est ce qui rend un témoignage vraisemblable. Elle consiste en un ensemble de facteurs dont le juge des faits tient compte pour décider du poids qu’il accorde à un témoignage. Ainsi, la crédibilité peut comprendre l’évaluation de la capacité du témoin d’observer, de se souvenir d’un événement ou de le raconter.

Les dispositions de l’art 16.1 posent donc un dilemme pour l’intérêt des enfants témoins. Le fait qu’elles soient contradictoires peut amener des confusions et pourrait anéantir l’intention du législateur en apportant la réforme – celle de faciliter le témoignage des enfants, de les protéger contre les infractions criminelles et sexuelles. Elles peuvent même détruire l’essence de l’existence de la réforme – faciliter l’acceptation de la preuve des enfants. Ces contradictions méritent sans tarder éclaircissement de la part du législateur. Il doit décider une fois pour toutes si oui ou non les tribunaux peuvent encore poser des questions abstraites aux enfants et préciser que cela est valable à n’importe quel stade de la procédure.

SECTION 4 : L’EXAMEN D’HABILITÉ À TÉMOIGNER DES ENFANTS