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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

FACULTE DE PHILOSOPHIE

B

&ûS

UL

THESE PRESENTEE

A L’ECOLE DES GRADUES DE L’UNIVERSITE LAVAL

POUR OBTENIR

LE GRADE DE DOCTEUR ES PHILOSOPHIE

PAR

J, LANGLOIS S,J. LICENCIE EN PHILOSOPHIE

DU SCOLASTICAT DE L’IMMACULEE-CONCEPTION (MONTREAL)

LA DELECTATION

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PROPOSITIONES DEFENDENDAE

I

Quarta figura in syllogismo est omnino rejicienda.

II

Casus est causa per accidens in his quae fiunt propter finem in minori parte.

III

Metaphysica est circa separata.

IV

Felicitas est operatio propria hominis secundum virtutem in vita perfecta.

Y

Servitudo naturalis est justa simpliciter.

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LA DELECTATION

Introduction

Il semble que les philosophes modernes les plus en vogue aient éliminé la délectation de leur vocabulaire. Proposant une philosophie de la contradiction, de l’absurde

et du désespoir ils s’intéressent bien davantage à la dou­ leur, à la souffrance, à la révolte* Jean-Paul Sartre écrit ’’La vie humaine commence de l’autre côté du désespoir.”

(Les Mouches, Oreste) Et les Marxistes :

’’S’il est vrai que le développement se fait par la mise à jour des contradictions internes, par le conflit des forces contraires, conflit destiné à les surmonter, il est clair que la lutte de classe du prolétariat est un phénomène parfaitement naturel, inévitable.” (Joseph Staline, Le Matérialisme Dialectique et le Matérialisme

Historique)

Il y a lieu de distinguer, il est vrai, comme 1’affirme Heiddeger, deux types d’existence, 1’existence banale et 1’existence authentique. Laissés à eux-memes la plupart des hommes ne dépassent pas le plan de la vie terre-à-terre et banale, celui du gagne-pain quotidien,

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II

-et s’il leur arrive d’accéder à un plan de vie supérieur ce sera par 1’adhésion souvent aveugle et irraisonnée, à une doctrine ou â un système que d’autres ont élaborés pour eux. A ce niveau, il y a place évidemment, pour le plaisir et la jouissance. Mais, comme la vie elle-même est sans profondeur, ces plaisirs et ces jouissances ne dépassent pas la surface de l’âme: on s’en lasse vite et le vide de la vie n’en est nullement comblé. On peut éprouver beaucoup de plaisirs sans jamais être heureux. L’on peut dire en ce sens, du monde moderne qu’il est pro­ fondément triste.

Et c’est pour échapper au vide de 1’âme, à la nausée du plaisir ou à la terreur du présent, que le pen­ seur moderne, avec Kierkegaard, rêve d’un ’’approfondisse­ ment dans l’existence”. (nPostcriptum"p. 37$) Mais voici que pour lui, ’’l’accès à l’existence authentique se fait par l’angoisse” (Heiddeger). Prenant conscience de son néant, de sa misère, du mal qui l’entoure de partout, le philosophe d’aujourd’hui, qui s’est détourné de la Sagesse antique, se replie sur lui-même et refusant de s’ouvrir à un monde supra-humain, il érige en système la négation et la noirceur. Fermé à toute doctrine qui sortirait l’homme de 1’angoisse, il demeure nécessairement désarmé devant

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Ill

-une réalité aussi simple et sereine que la délectation. Parce qu’elle est doctrine de vérité, d’équi­ libre et de santé morale, la philosophie thomiste étudie la délectation et lui assigne une place précise en toute vie authentiquement humaine.

Même sur le plan de 1' existence "banale” qui fatalement, demeure le partage d'un très grand nombre d'hommes, elle sait voir en elle quelque chose de noble et de grand. Par suite de l'attirance qu’elle exerce naturellement sur nous, la délectation peut constituer un ressort de 1'activité vertueuse. L'éducation et la forma­ tion à la vie morale doivent apprendre à ' 1'homme à mettre son plaisir dans 1’exercice de la vertu:

"Le plaisir semble etre absolument consubstantiel à notre espèce; aussi 1’éducation des jeunes gens utilise-t-elle pour les gouverner le plaisir et la peine. Ajoutons qu’il y a, semble-t-il, une importance considérable, au point de vue de la vertu morale, à tirer son plaisir des choses qui le méritent et à détester ce qu'on doit détester."

Aristote^

Ethique a Nicomaque,

L.X, c. 1. Trad. Voilquin

Mais la philosophie thomiste est capable, elle aussi, d'un approfondissement dans l'existence. Pour elle, l'accès à la véritable existence se fait par la découverte

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IV

-l’homme et du monde. "Sapientis est ordinare”: comme le dit le Philosophe, au début de la Métaphysique, ”le propre du Sage est d’ordonner.” En recherchant la nature de chaque chose et son ordination à l’ensemble de l’Univers, le Sage peut juger de chacune. St quand il s’agit des opérations soumises à la volonté humaine, non seulement il connaît l’ordre qui les régit, mais il l’établit.

A ce niveau de 1’existence vraie, vécue en profondeur, la délectation demeure, dans la philosophie thomiste, une réalité importante. Parachèvement de l’ac­ tivité elle s’allie avec le plein épanouissement de 1’être humain. Sans être elle-même le Souverain Bien elle accom­ pagne la possession de ce bien et couronne ainsi 1’ultime perfection à laquelle 1’homme puisse atteindre. La Sagesse véritable magnifie les joies profondes que procure la pra­ tique de la vertu et exalte entre toutes, la délectation spirituelle très pure de la contemplation.

C’est l’étude de cette doctrine de la délecta­ tion que nous voudrions essayer de mener à bien sous la conduite du Philosophe et du Docteur Angélique.

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V

-Il nous a semblé avantageux pour en unifier l’exposé, de 1Tordonner en fonction d’un problème signalé par Aristote au Livre X de l’Ethique et apparemment lais­

sé par lui sans réponse :

•' -y— f 11 O Tt J>OV St ckd. "Th V S oV V T b du poV jA-fcôd. S.À. To ' c C v ~l hV h obVhiV / r- y cçttC £ v TtO TÎApoVTl .

"Dans la vie désire-t-on l’opéra­ tion à cause de la délectation ou la délectation à cause de l’opération?

Laissons cela pour l’instant.’’ c.5, 1175 a là.

(Nous traduisons)

Nous étudierons d’abord la nature de la délecta­ tion. Il nous apparaîtra qu’elle est un mouvement de l’âme en possession du bien. Ainsi serons-nous amenés à baser notre recherche sur la considération du biën:^,objet de la délectation. Nous nous arrêterons d’une façon sommaire, au bien et à son action sur l’appétit. Nous distinguerons les divers mouvements de l’appétit à son égard et nous ob­ tiendrons ainsi ce qui est propre à la délectation et l’op­ pose aux autres actes, amour et désir. Puis nous devrons ajouter un nouvel élément à notre étude : la délectation est, en effet, propre aux êtres doués de connaissance. Ceci constituera un premier chapitre dans lequel nous aurons considéré la délectation d’une façon commune aux deux appé­ tits, sensible et rationnel.

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VI -Pour passer aux espèces de délectation nous nfaurons qu’à nous demander comment se divise le bien. La division du bien entraîne, en effet, une division de l’appétit et conséquemment une division des délectations. Le bien de l’appétit sensitif est appelé bien délectable

et celui de l’appétit rationnel, bien honnête. La pos­ session du bien délectable engendre la délectation dite corporelle, celle du bien honnête, la délectation dite ’’de l’âme” ou joie.

Rendus à ce point nous serons en mesure d’a­ border notre problème principal. Nous commencerons par

établir, dans le troisième chapitre, de la façon la plus nette possible, les relations entre opération et délecta­ tion. Pour cela nous verrons d’abord la définition de la délectation donnée par Aristote dans la Rhétorique. Puis les causes de la délectation: ceci nous mettra en présen ce du second terme de la comparaison, 1 ’opération. Alors nous pourrons discuter la question du ’’pourquoi”.

Il ne nous restera plus, pour achever, qu’à dégager les normes de moralité que notre étude nous aura permis d’établir.

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VII

-PLAN DU TRAVAIL

"La délectation est-elle pour 1Topération ou l’opération pour la délectation?"

Aristote, Ethique X, c.5,1175 a 1Ô Saint Thomas, I-II, q. 4, a, 2 c.

Chapitre I: La Délectation sous sa raison conmune I - La délectation, mouvement de l’appétit

Qu’est-ce que la délectation? Une opération vitale - une passion - un mouvement de 1’appétit.

II - Mouvement de 1’appétit en possession du bien

Les divers mouvements de l’appétit. La délectation par rapport à l’amour et au désir.

III - Délectation et connaissance

Tous les êtres atteignent leur bien mais tous ne se délectent pas: pourquoi? La délectation est propre aux êtres doués de connaissance. Saisie du bien et connaissance de cette saisie. La délectation con­ sisterait-elle dans cette connaissance? (Le problème du "sens" de la douleur).

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VIII

-Chapitre II: Les espèces de biens et de délectations De même qu'il y a différentes espèces de connais­

sance et d’appétit, y a-t-il différentes espèces de délectation?

I - La division du bien et de l’appétit. II - Le bien du sens ou bien délectable. III - Le bien de la raison ou bien honnête»

IV - La division de la délectation.

V - La délectation corporelle ou délectation proprement dite,

VI - Bien honnête et délectation.

Chapitre III: Opération et Déle ctation I - La définition de la délectation

II - Les causes de la délectation» L’opération» III - La question du ’’pourquoi”.

Conclusion

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CHAPITRE PREMIER

LA DELECTATION SOUS SA RAISON COMMUNE

Nous savons tous ce que c’est qu’éprouver du plaisir ou ressentir de la douleur. Cette connaissance expérimentale, nous l’acquérons dès les premiers ins­ tants de notre vie et le sentiment de l’agréable et du désagréable demeure pendant longtemps une des seules choses que soit capable de manifester l’être humain. Le plaisir fait partie de ces opérations vitales, incommuni­ cables, qui constituent pour ainsi dire, la trame de toute vie animale et humaine.

Nous savons tous ce qu’est le plaisir dans notre vie et pourtant, si nous essayons d’exprimer notre expé­ rience, si nous voulons donner une définition du plaisir nous éprouvons une grande difficulté. Ne nous surprenons pas de cette différence, elle est tout-à-fait normale. Comme l’écrit en effet, RL Charles de Koninck,

”il y a une première connaissance de l’âme présupposée à toute autre qui se compare assez justement à la prose de monsieur Jourdain ; il n’y a ici de difficulté que dans le mot, la chose signifiée étant connue de tous... La notion première de la vie, celle à laquelle on devra toujours revenir, nous vient d’abord et principalement de 1’expérience interne de vivre.

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Vivre, c'est toucher, goûter, sentir, entendre, voir;... La vie nous est d'abord connue dans la conscience de l'exercice même de ces opérations."

("Introduction à 1 'étude de l'âme" dans le "Précis de Psychologie Thomiste" de M. l’abbé S. Cantin, Bd. Univ. Laval, pp. X et XIII)

Cette double constatation nous apporte le point de départ dont nous avons besoin dans l'étude que nous entreprenons. Notre première connaissance nous donne de la délectation une définition nominale: le mot "délectation" ou "plaisir" désigne quelque chose d’assez bien caractérisé dans notre vie que nous ne confondons pas avec nos autres actions vitales telles que manger, voir ou penser. Voilà ce qui est "le plus connu pour nous". Essayons maintenant de passer du plus connu au moins connu, du "quid nominis" au "quid rei", de la

définition nominale â la définition réelle. Nous savons que la chose existe ("an est"): nous nous demanderons ce qu'elle est ("quid sit"? )

I - La déle ctation, mouvement de 1'appétit.

Nous remarquons que dans et par ses opérations le vivant - nous pouvons dire plus exactement, le vivant humain puisque nous prenons comme point de départ, notre

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-propre expérience - entre en relations avec d’autres êtres que lui-même et qui sont les objets de ces opé­ rations. Ces rapports sont très particuliers: ils varient selon les espèces d’opération et constituent ainsi une caractéristique pouvant nous révéler la nature de l’opération et de la puissance qui l’exerce.

Selon l’expression d’Aristote, l’objet est le ’’vis-à-vis” de l’opération, ce qui lui fait face et se tient devant elle, son opposé (” *v-n - ” cf. Références et textes supplémentaires à la fin de ce travail, n. 1). Si nous analysons les rapports entre l’objet et l’âme, nous voyons qu’ils sont de deux sortes. En étant ce sur quoi porte l’opération,

l’objet, en premier lieu, spécifie la puissance de l’âme et son opération. C’est là son role essentiel d’objet en tant même qu’objet: tout objet quel qu'il

soit, constitue- ce à quoi est ordonnée de sa nature, une puissance de l’âme et qui sert à définir cette puis­ sance en la faisant ce qu’elle est. Mais l’objet exerce en même temps, une autre fonction d’où résultent des rapports d’un autre genre entre l’âme et lui. A l’égard de certaines puissances l’objet remplit le rôle de patient car, ces puissances agissent sur lui, le façonnent, le transforment. Il constitue le terme ou le but de leur

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-opération et ces puissances sont en conséquence appe­ lées "puissances actives". A l’égard des autres puis­ sances au contraire, l'objet exerce un rôle d’agent en ce sens que pour agir, ces puissances doivent recevoir de lui, une pré-détermination initiale. A ce point de vue et en ce sens particulier, ces puissances sont dites "passives". Les puissances végétatives sont des puis­ sances actives, les facultés de connaissance et d'appé­ tit sont qualifiées de puissances passives. Pour réunir dans une seule formule les deux rôles de l’objet à

l’égard des puissances actives et passives, nous pour­ rions dire qu’à l’égard des puissances actives, 1 ’objet remplit le rôle de terme spécificateur et qu'à l'égard des puissances passives il exerce celui de principe spécificateur.

Maintenant, parmi les facultés dites passives, une diversification ultérieure est possible. Parce

qu’une puissance est dite passive s ’ ensuit-il que son opération puisse être appelée une passion de l'âme? Trouvons-nous le même degré de passivité dans toutes les puissances "passives"?

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Pour éviter toute équivoque faisons d'abord une remarque importante. Même les puissances passives sont "actives" sous un certain rapport. Au point de vue de l'opération, selon l'enseignement du Docteur Angélique, toutes les puissances de l'âme sont actives. L'expres­ sion "puissance passive" ne caractérise que la relation de la puissance à son objet mais non celle de la puis­ sance à son opération: une fois actuée par son objet,

la puissance passive pose son opération et sous ce rapport, elle est active. C'est dans le sens d'actuation préala­ ble par l'objet sur le plan intentionnel, que la sensa­ tion et 1'intellection sont appelées des "quoddam pati". Il reste toutefois possible de distinguer une plus ou moins grande passivité dans l'activité des puissances dites passives.

La connaissance consiste à posséder en soi la forme intentionnelle de la chose connue. Aussi les

facultés de connaissance sont-elles appelées des "facultés d'appréhension": elles "appréhendent" leur objet c'est-à-dire le prennent en elles pour s'unir à lui. D'où l’on voit que le mouvement de la connaissance se parfait et s'achève par la présence immatérielle dans l'âme, de la

chose connue et l'assimilation de la faculté cognitive à cette chose.

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-— 6

-Tout autre est le mouvement de 1Tappétit. L’appétit se porte vers l’objet aimé et désiré. L’acte qui semble le plus caractéristique de l’appé­ tit est le désir: or, désirer une chose,? c’est

tendre vers elle dans son existence concrète pour la posséder selon ce qu’elle est en elle-même. Si l’on

compare la relation de l’âme à l’objet selon la

connaissance et l’appétit, l’on dira que dans la con­ naissance cette relation s’établit selon que l’objet peut exister dans la faculté cognitive, et dans 1’ap­ pétit , selon que la faculté tend à une possession réelle de l’objet. On dira alors que le mouvement de la connaissance s’achève dans l’esprit ou dans l’âme, mais que celui de 1’appétit s’achève dans les c hoses.

On voit dès lors qu’il y a moins de passi­ vité dans 1 ’opération cognitive que dans le mouvement appétitif. L’appellation de passion - au sens très large de ’’motion reçue de l’objet” - convient davan­ tage â l’appétit qu’à la connaissance. On peut dire de la connaissance qu’elle est un ”quoddam pati”; on

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-ne pourrait pas dire qu'elle est u-ne passion. (Note 1 ci-dessous ; cf. également Références et Textes à la fin, n. 2).

Appliquons ceci à la délectation. L'acte de connaissance comporte moins de passivité que le mouvement de l’appétit et il ne saurait être appelé une passion. Or, notre première connaissance de la délectation et de son objet nous montre assez nettement,

Note 1: Au sens très large le mot "passion" (du grec iî aÔuv ) signifie simplement une réception qui meut à agir. On appelle "passives" les puissances qui reçoivent de leur objet cette détermination. Cependant toute réception de cette sorte ne s-uffit pas pour que l'opération qui en résulte,

soit qualifiée de passion: il y a une nuance entre le "quoddam pati" et la "passion" au sens très large:

"Hic autem modus passionis, quamvis conveniat poten­ tiis apprehensivis et appetitivis, magis tamen competit appetitivi-s". (De Veritate, q. 26, a. 3 c. )

Au sens très large la passion se retrouve en toute puissance passive mais surtout dans 1 'appétit. Voilà pourquoi nous disons que l’acte de connaissance ne peut pas être appelé passion bien qu'il comporte un certain pâtir. Ce n’est pas encore le sens propre ni le sens très propre du mot passion que nous étudierons plus loin.

Cf. Ill S., d. 15, q. 2, a.l; De Veritate q. 26, aa. 1 et 3; De Anima II, lect. 11, n. 365-366; II Ethic, lec. 5 nn. 291-292; I-II, q. 22, aa. 1 et 2.

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qu’elle est une passion. Dans le sens que nous venons d’exposer, la passion est une opération vitale dans laquelle l’objet non seulement détermine et spécifie la puissance comme principe de son action, mais encore l’attire à lui de sorte que l’âme se porte vers lui pour le posséder dans sa réalité concrète. Ceci se réalise dans la délectation: 1’activité exercée par l’âme nous y apparaît comme déterminée et spécifiée par l’objet en tant que l’âme se porte vers cet objet dans sa réalité extrinsèque et son existence concrète.

La délectation représente en somme, la réac­ tion du vivant doué de connaissance lorsqu’il rencontre ou obtient ce qui lui convient. Elle est quelque chose que l’on éprouve lorsqu’un désir ou une tendance natu­ relle sont satisfaits. Par conséquent, si ce mouvement particulier de l’âme se produit, c’est que tel objet se présente à elle : nous ne réagissons pas de la même manière devant un objet agréable ou désagréable. En

ce premier sens, l’objet ’’délectable” détermine et spé­ cifie le mouvement de l’âme. Nous trouvons un signe de cette motion spécificatrice dans la différenciation

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-des espèces de délectation. Plaisirs de la vue, du goût, de 1’intelligence... : à quoi tient la diffé­ rence entre tous ces plaisirs? N’est-ce pas à

l’opé-1

ration qui en est l’objet? Aussi bien, est-ce en faisant appel à l’objet que nous marquons la distinc­ tion entre chacun d’eux: plaisir que l’on ressent à voir, à goûter, a contempler etc.

De plus, dans la délectation l’âme est attirée par l’objet et se porte vers lui dans son être réel. En tant qu’elle est un mouvement de l’âme provoquée et spécifiée par un objet, la délec­ tation peut se comparer à une réception: mais alors, si l’on veut caractériser cette réception l’on devra dire qu’elle s’accomplit, non pas selon les conditions de 1 âme mais selon cepqes de l’objet. En d’autres termes, si nous recherchons de quelle manière s’y établit la relation de l’âme à l’objet, selon que l’objet revêt la condition immatérielle de l’âme ou selon que l’âme s’ordonne à l’objet dans son être propre, nous devons répondre qu’elle s’établit selon ce dernier mode. La délectation a lieu, en effet, dans la mesure où l’on possède un objet qui plaît. Mais cette expression "objet qui plaît" désigne une

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chose concrète, distincte de 1’appétit (que ce soit une chose extérieure à l'âme ou une opération de l'âme, peu importe) qui, par sa présence dans son être concret provoque un mouvement de satisfaction: ce qui nous délecte, c’est cette chose, cette opéra­ tion que nous apprécions comme nous convenant par ses qualités, ses perfections propres. Parce qu'elle consiste dans la possession d’un objet réel ou qu'elle en résulte, parce qu'elle est jouissance de quelque chose, la délectation nous apparaît comme une attrac­ tion de l'âme par l'objet, comme une passion, c'est-à- dire comme un acte de 1'appétit.

En relevant ce caractère de la délectation nous constatons en même temps qu'elle est un mouve­ ment de l'âme à l’égard, du bien car, l'appétit a pour

objet le bien. Passion, acte de l'appétit, mouvement de l'âme ayant pour objet le bien: telles sont les premières indications que nous livre l'analyse de la délectation. Elles la situent dans un genre d'opéra­ tions

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II - La délectation, dans son opposition aux autres actes de l’appétit.

' L’achèvement de cette première étape nous ouvre la voie pour en entreprendre une seconde. Appartenant à un genre la délectation doit aussi posséder une différence spécifique. Recherchons donc ce qui la distingue des autres passions, des autres actes de l’appétit.

C’est encore la considération de l’objet et de son rapport à l’âme, qui nous guidera. Pour identifier la délectation comme passion il nous a suffi de caractériser d’une façon globale et commune le mouvement appétitif de l’âme: pour distinguer ses notes spécifiques il nous faudra reconnaître les modalités ou les phases de ce mouvement. Nous de­ vons préciser davantage les relations entre le bien et l’appétit.

”Bonum est id quod omnia appetunt”. (I Ethic, lect. la, n. 9)• Le bien se notifie par sa relation à l’appétit. Comme nous 1’enseigne saint Thomas, cette relation désigne d’abord un rapport de tout être à l’âme qui, dans son universalité peut con­

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-dans le caractère de perfectivité de l’être qui, parce qu’il est acte et perfection, peut se commu­ niquer à l’appétit. En cela et par cela le bien a raison d’appétible c’est-à-dire est objet d’appétit. Et par là même aussi il a raison de fin puisque la fin est ce vers quoi l’on tend ou ce pourquoi l’on fait quelque chose. (Références et textes n. 3 ) •

Lorsqu’il veut nous expliquer la causalité du bien et la diversité de ses effets sur 1’appétit saint Thomas recourt à la comparaison de l’agent

naturel. Cette comparaison est :tout-à-fait justifiée le bien peut se comparer à un principe actif puis­ qu'il meut l’appétit en l’attirant â soi. Motion métaphorique si on la compare à l’action de la cause

efficiente,mais qui n’en est pas moins une causalité réelle s’exerçant à la façon d’un poids entraînant l'appétit vers l’objet.

"Omne agens agit sibi simile.” Parce qu’il agit par sa forme l’agent reproduit dans le patient sa ressemblance en y produisant une forme semblable à la sienne. En conséquence, l'effet de son action peut se décomposer, se découper en trois étapes :

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- 13 ^

Il se produit d’abord un commencement de ressemblance entre agent et patient, puis, il y a mouvement vers une ressemblance plus complète; finalement l’action parvient à son terme lorsque la forme de l’agent a été vraiment reproduite dans le patient selon que cela est possible. S’il était nécessaire de recourir à un exemple pour illustrer cette analyse, nous n’au­ rions qu’à songer à l’action du feu sur une tige de fer: dans la caléfaction progressive du fer nous pouvons facilement distinguer le commencement de res­ semblance entre agent et patient, puis, le mouvement vers la ressemblance plus parfaite et en dernier lieu, l’achèvement de 1’action selon les dispositions du fer et 1’intensité du feu.

Le bien produit des effets semblables dans l’appétit qu’il meut. Il y a d’abord un commencement de ressemblance entre le bien et l’appétit: cette phase initiale est l’amour. Puis, si le bien n’est pas encore possédé il y a mouvement vers sa possession:

c’est le désir. Enfin lorsque le bien est atteint, il y a jouissance dans cette possession: c’est la délec­ tation. Nous voyons ainsi que la délectation, selon 1’expression même de saint Thomas, est un arrêt dans la possession du bien et nous pouvons 1’opposer nettement

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-à l’amour et au désir. L’amour est la "formation” de l’appétit par le bien, présent ou absent, possédé ou non ; le désir est le mouvement de l’appétit vers le bien absent et non-possédé ; la délectation est la satisfaction de l’appétit en possession du bien.

Ces diverses phases de la motion du bien constituent des actes spécifiquement distincts. La raison de cette distinction se rattache à la nature de l’appétit et à la causalité même du bien:

”Cum appetitus sit inclinatio quaedam, et pondus in rem, induit diversam rationem motivi ipsum appetibile, quando movet ut quietans, seu possessum, et quando sine possessione, et cum motu. ”

(Jean de Saint-Thomas, Cursus Theologicus, in I-II, q. 30, n. II. Vives t. VI,

210a50).

L’acte de l'appétit est spécifié par son objet: l’objet étant spécifiquement différent, chacun de ces trois actes sera lui aussi, spécifiquement dif­ férent. On voit ainsi que la présence et l’absence d’un même objet jouent un rôle essentiel au point de vue de la motion de l’appétible. Absence et présence peuvent être accidentelles au bien matériellement considéré: elles sont essentielles au bien comme fin.

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-Autre est 1’influence de ce qui meut en tant que pré­ sent et autre, 1Tinfluence de ce qui meut en tant qu’absent : c’est comme si la même chose, absente ou présente, non-possédée ou possédée, revêtait un autre mode d’existence.

L’amour constitue une ’’formation” de l’appé­ tit par l’appétible. Selon 1 ’expression de saint Thomas, l’appétit entraîné vers l’objet ’’s'imbibe” en quelque sorte, se pénètre de la forme du bien: ’’omnino imbuitur forma boni quod est sibi objectum”. (3 S. d. 27, q.l a.l) Pour employer d’autres ex­ pressions également fortes du saint Docteur, c’est une ’’adaptation” de l’appétit à l’objet, une "co­ aptation”, un ”pro portio nneme nt” entre les deux. L’amour se caractérise comme faisant abstraction de la présence ou de 1’absence du bien. Toutefois, les Carmes de Salamanque font à ce propos une re­ marque pertinente. N’allons pas nous imaginer, nous disent-ils, que l'amour ne soit pas préoccupé par la possession du bien : ce serait une impossi­ bilité. Il est dit faire abstraction de la présence ou de 1’absence du bien en ce sens qu’il se porte

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l6

-vers lui tel quel, possédé ou non. Il constitue simplement l’accord entre appétit et bien. Mais précisément le bien, de soi, dit quelque chose d’apte à perfectionner 1’appétit et à être possédé par lui: c’est cela qui attire 1’appétit et pro­ voque l’amour. Celui-ci demeure donc nécessaire­ ment concerné par la possession du bien. (Références

et textes n. 4)•

Lorsque le bien est obtenu l’appétit s’y complaît et s’y repose : c’est la délectation. Nous disons qu’elle est un repos : il y a une apparente contradiction entre ce terme et l’expression ’’mouve­ ment de l’âme ou de l’apoétit” employée plus haut. Cependant il suffit d’expliquer la signification de ces mots pour que disparaisse 1’opposition. La

délectation est un repos de l’appétit en tant qu’elle se situe au terme du mouvement de recherche et d’ex­ écution: quand le bien est atteint la poursuite

cesse, mais ’’l’affection”, 1 ’immutation de l’appétit continue. Elle peut être aussi dite un repos parce qu’elle est en-dehors du temps et du mouvement,

formant un tout complet dès la saisie réelle du bien. Elle demeure un mouvement de 1’âme dans le sens où

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-la sensation et 1’intellection sont appelées elles aussi, f!mouvements" cTest-â-dire au double sens d’acte second et d’acte d’une puissance passive. De même que le mouvement est la perfection ou l’acte de l’être en mouvement, ainsi 1’opération est la perfection de l’être qui agit. En ce premier sens 1’expression "se mouvoir” pourra même s’appliquer à Dieu (cf. Som. Théol. I q. 18, a. 3 ad 1). De plus,

chez l'homme, 1’intelliger est dit "mouvement” parce qu’il comporte une réception, une motion de la part de l’objet. Ce que l’on marque alors, c’est le passage de la puissance à l’acte sous l’influence de l’objet.

(Référ. et tex. n. 5)

Arrêt, repos, satisfaction de 1 ’appétit dans la possession ou la présence réelle du bien: tel est ce que nous pouvons appeler la différence spécifique de la délectation. Nous pouvons donc maintenant la définir: "le mouvement appétitif de l’âme" (genre) "lorsque le bien lui est présent" (différence). Ou encore : "l’acte de l’appétit en possession du bien"

("motus appetitus in bono adepto"). Définition com­ mune qui ne contracte pas la délectation à ses es­ pèces .

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Ill - Délectation et connaissance.

L'objet de la délectation est le bien possédé. Faut-il cependant identifier "bien possédé" et "objet de délectation"? En d’autres termes, suffit-il que le bien soit possédé pour qu’il y ait délectation? La ré­ ponse à cette question nous permettra de compléter notre

connaissance de la définition en mettant en lumière une "condition sine qua non" impliquée et sous-entendue dans cette définition.

Suffit-il que le bien soit atteint pour qu’il y ait délectation? Non cela ne suffit pas : l’observa­ tion des êtres et des faits nous montre que la délecta­ tion suppose autre chose que la seule présence du bien; elle requiert encore la connaissance de cette présence. Tous les êtres en effet atteignent ou peuvent atteindre le bien mais tous ne se délectent pas : la délectation demeure propre aux êtres doués de connaissance c’est- à-dire aux êtres qui non seulement peuvent atteindre le bien mais qui, de plus, par la connaissance peuvent prendre conscience de cette saisie:

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19

-"Quamvis enim appetitum aliquem naturalem attribuamus rebus inanimatis, delectationem tamen non attribuimus nisi cognitionem

habenti."

(S. Thomas in I Ethic., lec. 13a, n. 155) Pour mettre ce point en lumière nous com­ mencerons par considérer la ralation entre l’appétit et la connaissance. Puis, nous établirons la rela­ tion entre la délectation et la connaissance. L’étude comparée de ces deux relations fera nettement ressor­ tir ce que comporte la délectation en plus de la pré­ sence et de la saisie du bien.

1.- Appétit et connaissance

Comme l’indique 1 ’ étymologie du mot ( ’’ad-petere” ) l’appétit est une tendance, une inclination vers quelque chose. C’est vers quelque chose qui convient, vers le bien, que l’on tend (’’Nihil autem inclinatur nisi in aliquid simile et conveniens”, I-IJ, q.8, a.l c.). "Une tendance vers le bien": voilà donc comment peut se notifier l’appétit. y Nous voyons aussitôt que cette notification n’est qu’un renversement de la formule "Bonum est id quod omnia appetunt": de même que ,lé ' 1

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20

-Chaque être à sa façon, selon sa forme pro­ pre, tend vers ce qui lui confient, vers son bien. Il y a manifestement delà finalité dans le monde, ainsi que le remarque saint Thomas: les convenances, les utilités que nous observons partout ne sauraient être dues au hasard, autrement elles seraient exceptionnel­ les et non constantes. Ce vers quoi tend un être est

son bien. Donc chaque être possède un appétit, une tendance vers le bien. (Réfé. et tex. n. 6)

Mais cette tendance des êtres vers leur bien propre s’accomplit de différentes manières selon la nature particulière de chacun d’eux. L’être privé de

connaissance tend vers le bien à la façon d’une flèche lancée vers une cible. Sans le savoir, sans s’en

rendre compte la flèche obéit à 1’impulsion qu’elle a reçue: de même, l’être de la nature tend vers un but qui lui est assigné et qu’il poursuit sans le

connaître. (Une grande différence toutefois se mani­ feste entre l’être naturel et la flèche: l’être natu­ rel porte en lui le principe de sa tendance vers le bien - c’est sa nature - tandis que 1 ’impulsion de la flèche lui demeure purement extrinsèque.) L’être qui connaît non seulement tend vers une fin mais

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21

-en voyant sa nourriture ou -en 11 imaginant 1 ’ animal se donne à lui-meme le but et le principe du mouvement qu'il exécutera. C’est une "auto-direction" et non une direction par un autre. Cette "auto-dire etion" constitue elle-même le principe d’une hiérarchie des êtres selon la détermination ou 1’indépendance de l’être qui s’ordonne ainsi à une fin.

La tendance vers le bien de l’être privé de connaissance provient de sa nature : c’est sa forme qui en est le principe. Voilà pourquoi cet appétit est appelé "appétit naturel". Dans l’être qui connaît se rencontre aussi un appétit naturel c’est-à-dire une tendance dont le principe est la nature : mais de plus, la connaissance devient chez lui source d’une nouvelle

tendance: c’est 1’appétit élicite, lequel constitue une puissance spéciale de l’âme. (1)

Note 1: Il est bon de remarquer ici la très grande différence entre l’appétit naturel et 1 'appé­ tit élicite. Il y a autant de différence entre eux qu’entre l’être qui connaît et celui qui ne connaît pas.

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22

La tendance vers un bien dit ordre à ce bien plutôt qu’à un autre. Elle suppose nécessaire­ ment un lien entre l’être qui tend et le but vers lequel il tend: autrement il n’y aurait aucune

raison pour que cet être tende vers ce bien et non un autre, ce serait un effet casuel et le hasard ne se produit que ’’par hasard” c’est-à-dire rarement. Donc la tendance vers le bien, l'appétit, est essentielle­ ment signe d’ordre, d’ordonnance, d’intention, autre­ ment dit de connaissance, d’intelligence. Pas néces­ sairement toutefois dans l’être même qui tend vers la fin puisque, nous venons de le voir, un être peut être mû et dirigé vers un but par un autre. L’appétit na­ turel suppose la connaissance dans l’Auteur de la na­ ture qui ordonne et dirige toute chose vers sa fin: en ce sens, la formule ’’l’appétit suit la connaissance” est générale et convient même à l'appétit naturel. L’appétit élicite la suppose dans l’être même qui le possède: c’est en ce sens que s’entend la formule "l’appétit est une tendance vers le bien connu.”

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23

-2.- Délectation et connaissance.

Ces précisions sur l’appétit et la connais­ sance n’expliquent pas strictement pourquoi la délec­ tation est propre aux êtres doués de connaissance: elles nous préparent cependant très bien à comprendre qu’il en soit ainsi. Puisqu’ est diverse la façon de tendre vers le bien, de 1 ’appétit naturel et de l’ap­ pétit élicite, n’est-il pas logique que la façon de

le posséder soit diverse aussi? ”Inclinatio cujuslibet rei est in ipsa re per modum ejus”, nous dit saint

Thomas (I, q.#7, a.4 c.) En adaptant la formule ne pourrait-on pas dire également: ”la façon d’atteindre le bien se retrouve en chaque chose d’une manière conforme à sa nature”? Chez l’être dépourvu de con­ naissance et d’appétit élicite cette saisie du bien n’ajoute rien. Chez l’être qui possède connaissance et appétit, elle s’accomplit ”per modum ejus” i.e. avec connaissance et appétit: la connaissance de la possession du bien et le mouvement de l'appétit qui en résulte, voilà ce qui constitue le plaisir ou la délectation :

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24

-"Haec autem est differentia inter animalia et alias res naturales, quod aliae res naturales, quando

constituuntur in id quod convenit eis secundum

naturam, hoc non sentiunt, sed animalia hoc sentiunt^. St ex isto sensu causatur quidam motus animae in

appetitu (sensitivo), et iste motus est delectatio." (I-II, q. 31, a. 1 c.)

Nous obtenons ainsi une première détermina­ tion des relations entre la connaissance et la délec­ tation. Nous avons défini la délectation: "le mouve­ ment de l'appétit lorsque le bien lui est présent",

nous pouvons ajouter: "et que cette présence est connue." Pour désigner cette connaissance deux manières de parler sont possibles. On peut dire : "c'est la con­ naissance de la possession du bien" ou encore : "c'est la perception de ce qui convient". Saint Thomas les

emploie toutes deux et leur rapprochement nous donne une vue plus exacte du rôle respectif de la connais­ sance et de l'appétit dans la délectation:

"Ad delectationem duo requiruntur : scilicet consecutio boni convenientis et cognitio hujusmodi adeptionis."

(I-II, q. 32, a 1 c.)

"In delectatione duo sunt: scilicet perceptio conve­ nientis quae pertinet ad apprehensivam potentiam; et

complacentia ejus quod offertur ut conveniens. Et hoc pertinet ad appetitivam potentiam, in qua ratio

delectationis completur."

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- 2$

-Remarquons la nuance entre ces deux textes a) pour qu’il y ait délectation deux choses sont

requises: saisie du bien et connaissance de cette saisie;

b) dans la délectation il y a deux choses : la

perception de ce qui convient et la complaisance en ce quelque chose. La perception relève de 1’appréhension; la complaisance, de l’appétit.

Le premier texte présente la c onnaissance comme une condition (ou une cause) pré-requise à la délectation. Le second distingue dans un ensemble qu’il appelle "délectation", un acte de connaissance et un acte d’appétit : la délectation se compléte­ rait dans 1’appétit mais elle comprendrait aussi l’acte de connaissance.

Il y a ainsi une diversité entre ces deux textes mais ils se rejoignent cependant et se com­ plètent. Quand saint Thomas nous affirme qu’il y a deux choses dans la délectation - perception de ce qui convient et complaisance - cette perception

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26

-implique et signifie la saisie reelle du bien : "la perception de ce qui convient" signifie la même chose que la perception du bien comme présent. (1) Nous pouvons le voir en mettant les deux expressions en regard l’une de 1Tautre:

(I-II. q« 32, a.l c.) Pour qu’il y ait délectation deux choses sont requises : a) saisie ou atteinte du bien; b) connaissance de cette saisie ; (I-II. q»11, a.l ad 3) Dans la délectation il y a deux choses:

a) perception de ce qui convient b) jouissance ou complaisance.

Ces précisions marquent assez nettement le rôle de la connaissance dans la délectation: elle est antérieure au mouvement de complaisance dans 1’appétit

Note 1: Il y a, il est vrai, une certaine délectation provoquée par la seule connaissance du bien - qui est une saisie ’’intentionnelle" du bien. Mais ceci ne contredit pas ce que nous disons: la connaissance provoque la délectation parce qu’elle est possession intentionnelle et possession réelle anticipée.

La manière de parler de saint Thomas est très exacte et formelle. Ce texte sur la jouissance (I-II,q.Il) se rapporte aux actes de la volonté à l’égard de la fin. Il n’est pas encore question d’exécution et de possession réelle. L’expression "perception de ce qui convient" recouvre à la fois la possession intentionnelle du bien dans la connaissance et sa possession réelle à la suite 'de 1 ’ exécution.

(37)

27

-et elle en demeure distincte. Pour faire ressortir ce rôle encore plus clairement nous pouvons intro­ duire ici le problème du "sens" de la délectation et de la douleur. (L’expression est inspirée de saint Thomas : "est enim dolor sensus laesionis", De Veritate, q. 26, a.4 ad 4um.) Jusqu’à maintenant la délectation nous est apparue comme un acte de l’appétit: mais on peut se demander si au moins en

certains cas, ce qu’on appelle "plaisir et douleur" ne consisterait pas dans la seule appréhension d’un

objet. S’il en était ainsi, la connaissance ne serait pas seulement une condition pré-requise à la délecta­ tion mais c’est elle qui en serait le constitutif formel. C’est là ce que nous appelons le problème du "sens" de la délectation et de la douleur: le

sens i.e. la faculté qui ressent le plaisir ou la

douleur est-elle la faculté de connaissance ou d’appétit? C’est principalement au sujet des plaisirs et des douleurs corporels que se pose cette question. Par exemple, le goût ne "goûte-t-il pas"? Ne jouit-il pas du sucré et ne souffre-t-il pas de l’amer? De même le toucher: c’est lui, semble-t-il, qui ressent

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-signifient les expressions 71 avoir faim, avoir froid ou chaud" sinon des sensations tactiles? Quelle est la différence entre avoir mal aux dents et avoir mal aux pieds : nT est-elle pas dans la sensation elle- même et donc dans une différence d7appréhension?

Certains textes de s aint Thomas affirment clairement que le plaisir et la douleur corporels consistent uniquement dans l’appréhension ou la con­ naissance: plaisir et douleur seraient dans le

toucher comme dans leur sujet. Pour bien faire voir notre problème nous citerons quelques-uns de ces textes.

"(In dolore et tristitia duo inveniuntur:

scilicet contrarietas contristantis et dolorem

inferentis ad contristatum et dolentem, et perceptio ejus ; et quantum ad haec duo tripliciter differunt...) Tertio quantum ad ordinem istorum duorum, quia dolor incipit in laesione.et terminatur in perceptione sensus, ibi enim completur ratio doloris: sed ratio tristitiae incipit in apprehensione et terminatur in affectione. Unde dolor est in sensu sicut in

subjecto, sed tristitia in appetitu. Ex quo patet quod tristitia est passio animalis, sed dolor est magis passio corporalis. Quandoque tamen tristitia, large loquendo, dolor dicitur."

(III S., d. X7, q. 2, a.3, sol.2 Edit. Moos, n. 12Ô)

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29

-"Tristitia et dolor hoc modo differunt: quod tristitia est quaedam passio animalis, incipiens scilicet in apprehensione nocumenti, et terminatur in operatione appetitus, et ulterius in transmutatione corporis ; sed dolor est secundum passionem corporalem; unde Augustinus dicit, XIV de civitate Dei, cap. vii, in fin., quod dolor usitatius in corporibus dicitur; et ideo incipit a laesione corporis, et terminatur in apprehensione sensus tactus, propter quod dolor est in

sensu tactus ut in apprehendente, ut dictum est in corp. art.

(De Veritate q. 26, a.3 ad 9um)

"Dolor, secundum quod proprie accipitur, non debet computari inter animae passiones, quia nihil habet ex parte animae nisi apprehensionem tantum; est enim dolor sensus laesionis: quae quidem laesio est ex parte corporis. Et ideo Augustinus (ibidem) subdit, quod tractando de passionibus animae, maluit uti nomine tristitiae quam doloris: tristitia enim perficitur in ipsa appetitiva."

(De Veritate q. 26, a.4 ad 4um) (cf. Référ. et tex. n. 7)

Ces textes de saint Thomas sont très explici­ tes. Pourtant, si nous mettons en regard 1

1

enseigne­ ment de la Somme sur ce même sujet nous devons reconnaî­ tre un changement chez le Docteur Angélique. Voici par exemple à propos de la douleur corporelle :

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— 30 —

"Sicut ad delectationem duo requiruntur, scilicet

conjunctio boni et perceptio hujusmodi conjunctionis, ita etiam ad dolorem duo requiruntur ; scilicet

conjunctio alicujus mali, quod ea ratione est malum, quia privat aliquod bonum, et perceptio hujusmodi conjunctionis...

Ex quo patet quod aliquid sub ratione boni vel mali, est objectum delectationis et doloris. Bonum autem et malum, inquantum hujusmodi, sunt objecta appetitus. Unde patet quod delectatio et dolor* appetitum pertinent.

Omnis autem notus appetitus sensitivi dicitur passio, ut supra dictum est, et praecipue illi qui in defectum

sonant. Unde dolor secundum quod est in appetitu sensitivo, propriissime dicitur nassio animae, sicut molestiae corporales proprie passiones corporis

dicuntur.M

(I-II, q. 3$, a.l c.)

Et encore, à propos de la douleur extérieure et intérieure :

"Dolor exterior et interior in uno conveniunt, et in duobus differunt. Conveniunt quidem in hoc quod uterque est motus appetitivae virtutis, ut supra dictum est. Sed differunt secundum illa duo quae ad tristitiam et delectationem requiruntur, scilicet secundum causam, quae est bonum vel malum conjunctum; et secundum apprehensionem. Causa enim doloris ex­ terioris est malum conjunctum quod repugnat corpori ; causa autem interioris doloris est malum conjunctum quod repugnat appetitui. Dolor etiam exterior

sequitur apprehensionem sensus, et specialiter tactus ; dolor autem interior sequitur apprehensionem interiores, vel imaginationis scilicet, vel etiam rationis."

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31

-Cajétan admet une évolution dans la position de saint Thomas sur un point analogue à celui qui nous occupe : dans le 3e livre des Sentences saint Thomas

range le plaisir causé par une victoire parmi les passions de 1’irascible, et dans la Somme, parmi les passions du concupis cible :

’’Sed dicam quod divus Thomas mutavit in melius sententiam durn in hoc libro docuit, ut inferius in qu. 32 a. 6 ad 3 patet, delectationem de ipso vincere quam olim tribuit irascibili, ponens cum aliis delectationibus concupiscibilis.”

(in I-II, q. 23, a. 4, n. VII)

Comme Cajétan nous pouvons dire que saint Thomas a changé d’opinion: la comparaison des textes nous laisse 1’impression qu’il n’avait pas nettement vu dans ses premières oeuvres l’opposition entre dou­ leur et tristesse, délectation et joie, ou qu’il

n’avait pas trouvé du premier coup la meilleure formule pour l’exprimer. Pour rendre plus frappante 1’opposi­ tion entre les deux séries de textes nous pouvons la schématiser de la manière suivante:

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— 32 —

III S. d. 15, q.2, a.3 I-II, q.35, aa.l et 7 De Veritate q. 26 a.3 ad 9 III, q.15, aa.5 et 6

a.4 ad 4 a.2.46, aa.6 et 7 a. 9 c.

a) Dolor est in apprehensione Dolor est in appetitu. • Tristitia est in appetitu. Tristitia etiam.

Dolor est passio animae b) Dolor est passio corporalis.

Tristitia etiam. Tristitia est passio animalis.

Dolor causatur ex appre hensione exteriori. Tristitia, ex interiori Eodem modo differunt delectatio et gaudium sicut dolor et tristitia. (De Veritate q. 26 a.4 ad 5um)

La conciliation entre ces deux séries de propo­ sitions n’est plus possible comme précédemment lorsque nous avons ’’emboîté” l’un dans l’autre deux textes de la Somme. Dans ces deux textes de la Somme rapprochés plus haut, saint Thomas distingue nettement l’acte de connais­ sance et l’acte d’appétit et même s’il les réunit dans un tout qu’il homme ’’délectation” il affirme que la délec­ tation s’achève dans l’appétit. La connaissance y est toujours présentée comme antérieure à ce qui constitue formellement la délectation:

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33

-a) "Ad delectationem duo requiruntur: consecutio boni et cognitio adeptionis". Cï-II q. 32, a.l) b) "In delectatione duo sunt : perceptio et compla­ centia . Et hoc (i.e. complacentia) pertinet ad appetitum in quo ratio delectationis completur."

(I-II q. 11)

Mais d'après les textes des Sentences et du De Veritate que nous considérons maintenant la délecta­ tion consisterait, dans l'acte même de connaissance et s'achèverait dans 1 'appréhension :

"Dolor terminatur in apprehensione sensus tactus, propter quod dolor est in sensu tactus it in apprehendente". (De Ver. )

La connaissance n'est pas présentée dans ces textes comme une condition pré-requise mais comme ce qui constitue la délectation et 1 a douleur par opposition à la joie et à la tristesse.

Toutefois en enlevant dans la première série de textes les expressions trop absolues telles que "la douleur se termine dans la perception du sens" ou "la délectation et la douleur s ’ achèvent dans 1 'appréhen­ sion" , il est possible de passer d’une position à 1 'au­ tre : et c'est dans ce passage que nous semble résider la meilleure solution du problème. Renvoyons au chapitre suivant la question de savoir si plaisir et douleur sont

(44)

34

-des passions du c orps ou de l’âme: lorsque nous aurons vu la division de 1’appétit en sensitif et rationnel nous pourrons mieux comprendre les diverses significa­ tions du mot ’’passion”.

Nous pouvons prendre comme point de départ, ces ’’molestiae corporales”, ces ’’blessures corporelles” dont saint Thomas - nous dit dans la Somme, qu’elles sont des passions du corps. Ces blessures sont proprement objet du toucher. Chaque faculté de connaissance atteint un objet. Cet objet peut lui être plus ou moins bien proportionné. Jean de Saint-Thomas nous fait remarquer que chaque sens peut discerner la convenance ou la

disconvenance de son objet propre :

’’Quilibet sensus hoc habet, quod cognoscit convenientias vel disconvenientias objecti proprii.”

(C.Phil. Reiser III, 249b43)

Ainsi l’oeil est-il ébloui par une trop grande clarté, l’oreille, assourdie par un son trop fort. Mais nous savons que cette fonction de discernement relève plus proprement du sens commun. Parce qu’il est ordonné à la saisie d’un objet propre et déterminé on dit que

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35

-chaque sens a un appétit naturel pour son objet. Saint Thomas concède même qu’on pourrait parler d’un amour naturel (I-II q. 26, a.1 ad 3um).

Il faut remarquer que chacune des facultés comme d’ailleurs chaque membre du corps, remplit sa fonction non pas simplement pour elle-même, mais aussi pour tout le suppôt: ”le pied”, remarque saint Thomas, ’’ne se porte pas simplement lui seul mais il porte tout le corps.” (Réf. et tex. n.9) L’oeil voit mais c’est

pour tout 1’individu qu’il voit. Et ainsi de suite. De cette manière, ce qui est bon pour un sens ou pour un membre devient un bien pour tout le suppôt. Cette caractéristique s’applique d’une façon particulière au toucher qui est le ’’sens fondamental”, ’’répandu par tout le corps et sans lequel aucun animal ne peut

exister” (De l’âme III, c. 12, 434bll-35)• Ce qui concerne le toucher se rapporte à la vie même du corps et de 1’animal.

Le sensation chez l’animal, est ordonnée à la conservation de 1 ’individu et de l’espèce. L’animal ne voit pas simplement ’’pour voir”: la nature lui a donné des yeux pour qu’il puisse voir sa nourriture et

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36

-s’en emparer. De cette manière aussi, ce qui est un bien pour chacun des sens devient médiatement un bien pour tout 1 ’ individu. Ceci se retrouve également chez l’homme mais psur une autre raison. La volonté a pour objet le bien universel : tout ce qui a raison de bien - donc le bien de chaque faculté - entre sous l’objet de la volonté.

En plus des facultés cognitives existe chez l’animal, un appétit élicite, ayant pour objet le

’’bien connu” selon qu’il est appréhendé par ces facultés. Or il faut prendre garde à ce qu’est cet appétit élicite et à ce qui constitue son objet. La forme appréhendée représente un être réel : 1 ’appétit qui résulte de cette forme a pour objet, non pas la forme intentionnelle mais l’être réel-qu’elle représente dans la mesure où il est un bien et est connu comme tel. Par ailleurs, ce même appétit est l’appétit de tout le suppôt puis­ que, selon notre explication antérieure , chaque faculté remplit sa fonction propre pour tout 1 ’ individu auquel elle appartient. Dès lors, à l’appétit naturel de chaque sens pour son objet se superpose un acte élicite d’appé­ tit pour chacun de ces objets dans la mesure où ils constituent des biens pour tout le suppôt.

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37

-les sens de l’animal sont ordonnés à autre chose qu’à la seule sensation : 1 ’ animal en a besoin pour sa propre vie et celle de son espèce. ”Si 1 ’animal n’avait pas

besoin des choses perçues par les sens”, nous dit saint Thomas, ’’pour autre chose que les actions mêmes des sens il n ’aurait pas de puissance spéciale d’appéti- tion: l’appétit naturel de chaque puissance suffirait”,

(I, q. 7Ô, a.1 ad 3um) C’est 1 ’existence même de l’a­ nimal et de son espèce qui est engagée dans l’existence

et l’exercice de son appétit. La chose atteinte par une opération particulière de 1’âme devient ainsi d’une façon immédiate objet de l’appétit élicite. (Référ. et tex. n.ê)

En ^"érumé, une affirmation comme celle-ci: ”l’animal désire naturellement voir”, signifie trois choses:

a) il a des yeux pour voir ; ses yeux tendent d’un appétit naturel vers la vision ;

b) de son appétit sensitif il désire voir parce que voir constitue un bien immédiat pour sa faculté de vision, et médiat pour tout son être. Cette signification doit nécessairement se compléter par celle qui suit ;

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c) De son appétit sensitif il désire voir parce qu’il a besoin de ce qu’il voit pour vivre.

Le bien et le mal sont l’objet de l’appétit. La présence du bien engendre le plaisir, celle du mal, la douleur. Quand un sens perçoit un objet qui lui est proportionné et qui dès lors , constitue un bien pour lui et pour tout 1’individu, il se produit une réaction dans l’appétit: c'est le plaisir.

Dans un sens tout-à-fait équivoque, de même qu’on parle d'amour "naturel” on pourrait parler de délectation "naturelle” pour désigner l’état de la faculté cognitive lorsqu’elle a perçu un objet propor­ tionné. Mais cet emploi devrait nous faire la même

impression que 1'application du mot "repos” à l’ëtatud’une pierre sur le sol: "Lapis quiescit" disait les Anciens...

"Amor et desiderium et delectatio et tristitia, et si quid ejusmodi, si sumantur pro naturalibus dissonantiis vel consonantiis potentiarum vel actum et hujusmodi, aequivoce dicuntur de eisdem ut sunt passiones animales."

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- 39

La délectation est spécifiée par son objet (la douleur de même): le mouvement de l’appétit en présence du bien ou du mal devient telle ou telle espèce de délectation ou de douleur selon le bien ou le mal présent. Et c’est ce qui nous permet de parler de mal de dent, de tête ou de pied... Avoir faim, froid ou chaud sont des sensations tactiles qui spé­ cifient un mouvement de l’appétit. La sensation est dans la faculté de connaissance mais le plaisir ou

la douleur sont dans l’appétit. Voilà pourquoi Jean de Saint-Thomas nous fait remarquer:

rT (Sensus externus) tristatur vel delectatur de sua cognitione non formaliter, id enim pertinet ad appetitum, sed objective, quia de tali cognitione ut de objecto appetitus laetatur.”

(Curs. Phil. ed. Reiser, III

2L,è

b 25)

Voilà comment se résoud, pour nous, le problè­ me du ’’sens” de la douleur et cette solution nous apporte de nouvelles lumières sur la délectation elle-même. Nous

comprenons mieux ce qu’est la ’’perception de ce qui con­ vient” ou ”la connaissance de la saisie du bien” et nous voyons le r oie qu’elle remplit dans le phénomène global de la délectation. Ce role est en somme le rôle rempli par la connaissance à l'égard de 1’appétit: ce qui

(50)

— 40

-cause formellement la délectation, c’est le ”bonum ut praesens” et la connaissance est une condition né­

cessaire mais elle ne constitue pas la ”ratio formalis causandi” dans la causalité du bien.

(51)

CHAPITRE II

LES ESPECES DE BIENS ET DE DELECTATIONS

La délectation est un mouvement de l’appétit dans la pré­ sence ou la possession du bien. Elle est propre aux êtres doués de connaissance parce qu’en plus de la saisie du bien, elle sup­ pose la connaissance de cette saisie* Telle est la nature géné­ rique de la délectation c’est-à-dire les caractères qui se re­ trouvent chaque fois qu’il y a délectation, quelle qu’elle soit* Mais il y a différentes espèces de connaissance et d’appétit, différentes espèces d’objets de connaissance et d’appétibles: y a-t-il de même différentes espèces de délectation et existe- t-il une corrélation entre la division de la connaissance et de l’appétit, et celle de la délectation? Voilà ce qu’il nous faut maintenant déterminer.

Nous considérons ici la délectation dans son être même, comme acte de l’appétit. Nous pouvons donc commencer par re­ chercher comment se divise 1’appétit et pour cela remonter jusqu’à la division du bien, objet de 1’appétit.

I.- Division du bien et de 1’appétit

Résultant de la connaissance l’appétit a pour objet le bien connu par la faculté cognitive. Il y a deux espèces de

connaissance, sensible et intellectuelle : aussi distingue-t-on deux sortes de bien appréhendé, le bien du sens - singulier et matériel - et le bien de l’intelligence. Le premier cons-? titue l’objet propre de l’appétit sensitif; le second, celui

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— 4-2 --de l'appétit rationnel.

Il nous est nécessaire de comprendre le plus exactement possible cette division du b ien et de 1’appétit. Il faut bien voir en particulier que même si elle suit la division de la con­ naissance et lui correspond, la différence entre les appétits ne procède pas directement de la connaissance comme telle mais d’abord d’une différence d’objets et ensuite, ’’quasi ex conse­ quenti”, selon 1’expression de saint Thomas, de la distinction entre les puissances cognitives. Il est en effet purement acci­ dentel â l’appétible ou au bien comme tel, d’être connu par le sens ou par 1’intelligence, et une différence accidentelle d’ob­ jets ne produirait pas une distinction spécifique entre les

facultés telle qu’elle existe entre appétit sensitif et volonté. Mais dans la diversité d’appréhension il y a d’impliquée une diversité d’appétibles.

"Diversitas apprehensionum per accidens se haberet ad appetitivas vires, nisi diversitati apprehensionum diversitas apprehensorum conjungeretur.’’

De Veritate q. 25, a.l ad 6um.

Comme nous l’explique saint Thomas, la division de l’appé­ tit élicite en sensitif et rationnel repose sur sa nature par­ ticulière de faculté de l’ame et sa spécification par son objet. "Toute forme est suivie d’une inclination" (l,q.80,a.l). Or l’être doué de connaissance non seulement possède une forme propre qui lui donne son être de nature mais il peut recevoir

(53)

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-d’une façon immatérielle la forme d’autres êtres. Voilà pour­ quoi, en plus de l’appétit naturel commun à tous les êtres, se rencontre chez lui un appétit élicite, faculté spéciale de l’âme, dont le principe est la forme appréhendée et dont l’ob­ jet est le bien ( concret et réel) représenté par cette forme.

Pour la même raison, les deux genres de connaissance ont pour corollaire deux e spèces d’appétit. Par la connaissance sensible l’animal connaît le bien singulier (c’est-à-dire tel être singulier en tant que lui convenant). Par la connais­ sance intellectuelle l’homme connaît la raison même de bien. Chacune de ces connaissances est principe d’une tendance élici­ te. Les deux appétits sont ainsi spécifiquement distincts puis que l’objet qui meut le premier est singulier et matériel et celui qui meut l’autre est universel et immatériel. L’objet formel de 1 ’appétit sensitif est le bien concret et singulier; celui de l’appétit rationnel, le bien universel. L’appétit animal est attiré et spécifié par ce bien-ci qui lui apparaît ’’hic et nunc” comme convenant ou délectable: ce ’’convenant”, ce délectable. L’appétit rationnel est spécifié par le bien absolu et il n’est attiré par les biens singuliers que sous la raison universelle de bien, en tant que ces biens sont des participations delà ’’ratio boni”. L’appétit sensitif se porte nécessairement vers tout objet où le sens appréhende quelque chose qui lui convient ou qui lui plaît. La volonté se porte d’elle-même (naturellement et nécessairement) vers

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-le bien en général et garde -le pouvoir de se déterminer à 1fégard de tous les biens particuliers.

Ces différences sont des différences d’objet appétible et c’est elles qui engendrent la différenciation des appétits* Il faut nous rappeler que la réalité de l’objet en tant qu’ob­ jet est d’être le ’’terme qui est opposé” à 1 ’opération et à la faculté de l’âme, ce qui leur fait face. Par suite de leur ordination essentielle à leur objet il y a nécessairement un ’’proportionnement” (une co-aptation, une adaptation) de l’une et de l’autre à et par cet objet, et c’est en quoi consiste la spécification: la proportion intrinsèque delà puissance et de son acte sont déterminées par un ob-jet (un terme qui leur est extrinsèque). La formalité même d’objet consiste précisé­ ment en ce qu’un être ou un aspect d’un être détermine ou puisse déterminer un tel proportionnement.

Or ce sont de semblables ’’formalités objectives" qui dis­ tinguent les appétits en tant qu’elles produisent ou requiè­ rent dans les facultés d’appétition, des proportions diverses. Autre doit être l’appétit spécifié par le bien singulier comme tel et autre, l’appétit spécifié par le bien ”ut sic”. Le bien singulier et matériel ne peut spécifier qu’un appétit déterminé "ad unum” dont le mouvement se déclanche automati­ quement ; le bien absolu et universel, la "ratio boni” spéci­ fie un appétit également immatériel et universel qui possédera le pouvoir de se mouvoir lui-même à l’égard du bien

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partieu 45 partieu

-lier. L’objet appétible fonde ainsi un mode divers de tendance ou d’inclination. Matériellement les objets peuvent coïncider: ce peut être la même chose concrète - ”a parte rei” - qui attire l’appétit sensitif et rationnel. Mais formellement les objets spécificateurs (les ’’formalités spécificatrices”) demeurent toujours distincts: même s’il se porte vers un bien singulier l’appétit rationnel se porte vers lui ”sub ratione universali”. C’est pour exprimer cette réalité objective des appétibles que Jean de Saint-Thomas recourt à la distinction entre l’appréhen­ sion formelle et ce qu’il nomme ’’l’appréhension objective”. La différence entre les appétits ne provient pas de l’appré­ hension formelle (celle-ci n’est qu’une condition requise pour que 1’appétible exerce son attraction) mais de l’appréhension ’’objective” c’est-à-dire de l’appétible en tant que l’on y trouve un mode divers d’appétibilité. Ainsi s’explique très bien la formule de saint Thomas:

’’Appetibili non accidit esse apprehensum per sensum vel intellectum, sed per se ei convenit, nam appetibile non movet appetitum nisi in quantum est apprehensum. Unde differentiae apprehensi sunt per se differentiae appeti­ bilis. Unde potentiae appetivae distinguuntur secundum differentiam apprehensorum sicut secundum propria objecta.”

I, q.80, a.2, ad 1.

Le fait d’être actuellement appréhendé est accidentel à l’appétible comme tel (ce n’est qu’une condition pré-requise tout comme l’application actuelle de la cause est requise à son exercice). Mais le fait d’être appréhendable lui est

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essentiel i.e. le fait d’etre accessible au sens ou à la raison.

L’appétible détermine ainsi une hiérarchie dans les appé­ tits et par cette hiérarchie nous atteignons ce qu’il y a de plus profond et de plus important dans l’appétit à savoir, la tendance vers le bien en tant qu’elle reproduit d’une certaine manière et exprime la similitude divine. Plus une nature est près de Dieu, nous dit saint Thomas, mieux s’exprime en elle la similitude divine. Or il appartient à la dignité divine de tout mouvoir et de tout diriger n’étant elle-même mue ni atti­ rée par quoi que ce soit d ’ étranger. Par conséquent plus une créature est près de Dieu moins elle a besoin d’être mue et plus au contraire elle peut se mouvoir elle-même. La nature privée de connaissance ne possède qu’un principe lui permet­ tant d’être mue par d’autres vers sa fin: la chose naturelle n’est pas attirée proprement par le bien. La nature sensitive est plus proche de Dieu et manifeste en conséquence plus d’in­ dépendance: l’appétit sensitif est attiré par le bien mais il reçoit toute sa détermination et son mouvement du b ien concret et singulier appréhendé. La nature raisonnable se situe encore plus haut: l’appétit intellectuel est mû par le bien mais en se déterminant lui-même à l’égard de tous les biens .particuliers.

Telle est donc la division du bien en bien du sens et bien de la raison en tant qu’elle constitue une division

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-d’objets appétible s et implique par conséquent des "appéti- bilités” (des ”rationes appetibilitatis”) différentes. (Réf.

et tex. n. 9)

En regard de cette division mettons maintenant celle-ci qui représente proprement, dans son sens premier, selon saint Thomas, une division du bien sur le plan humain:

’’Bonum autem in tria dividitur: in utile, delectabile et honestum. Quorum duo, scilicet delectabile et honestum, habent rationem finis, quia utrumque est appetibile propter seipsum. Honestum autem dicitur,- quod est bonum secundum rationem, quod quidem habet delectationem annexam. Unde delecta oile, quod contra honestum dividitur, est delecta­ bile secundum sensum."

I Ethic, lect. 5 n. $8

Cette division reproduit la précédente et lui ajoute sim­ plement les appellations ’’utile", "délectable", "honnête". Le bien a raison d’appétible: l’appétible se divise nécessaire­ ment en deux, appétible pour soi ou appétible pour un autre. L’appétible "propter aliud" est appelé "utile". Par ailleurs l’objet de l’appétit est le bien appréhendé et l’appréhension est double, sensitive et intellectuelle. L’appétible-pour-soi selon le sens est appelé bien délectable, selon la raison, bien honnête. Ces appellations (ou impositions de termes) toute­ fois sont très formelles et expriment justement en la quali­ fiant, l’appétibilité de chaque bien: c’est pourquoi nous de­ vons les considérer avec soin. D’ailleurs, elles comportent des relations à la délectation très précises et très importan­ tes pour nous; le bien de la partie sensitive est défini d’une certaine manière par la délectation puisqu’on l’appelle "le

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