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Sylvestre de Ferrare nous offre enfin une troi­ sième explication (in III Cont Gent, c 26, n XI) Il

Dans le document La délectation (Page 190-200)

OPERATION ET DELECTATION

C. Phil Logica, R 1,671 b 37)

II- On peut en second lieu, les considérer comme cons­ tituant deux appétibles distincts et les comparer comme

3. Sylvestre de Ferrare nous offre enfin une troi­ sième explication (in III Cont Gent, c 26, n XI) Il

suffirait de distinguer deux intentions de la Nature: une intention première et une intention seconde. Selon l’in­ tention première la délectation est pour l'opération. Pour amener l'animal à poser les opérations nécessaires la Nature leur adjoint des délectations. La réalisation de ce plan pousse l'animal à rechercher l’opération pour la délectation mais en agissant ainsi, loin de contrecarrer les volontés de la Nature il ne fait que les accomplir: voilà pourquoi on peut parler d'une intention seconde de

celle-ci, statuant que l'animal rechercherait 1'opération par suite d'un désir inné de la délectation. La Nature agirait comme un pédagogue. En promettant des récompenses à des enfants le maître veut les amener à travailler:

c'est son intention première. Par le fait même, étant donné la nature des enfants, il peut prévoir que ceux-ci

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travailleront peut-être moins par amour de la science que des récompenses. Il accepte la substitution: c’est son intention seconde, subordonnée à la réalisation de la première.

La seconde explication nous parait la mailleure. Mais les deux autres nous paraissent satisfaisantes éga­ lement. Par conséquent, même en adoptant la première voie dont parle Cajétan et en supposant que l’animal puisse séparer l’opération de la délectation dans sa connaissance et son désir, nous n’aboutissons point à une impasse.

Mais si elle est possible, cette voie ne nous sem­ ble pas toutefois, constituer la véritable solution. A la suite de notre Commentateur et guide, nous croyons que la seconde voie exprime plus exactement la réalité: l’ap­

pétit sensitif a pour objet formel, le bien délectable singulier et se porte vers l’ensemble opération-délecta­ tion sous la formalité délectation. Reportons-nous en effet à nos déterminations précédentes sur 1 ’appétit ani­ mal (pp. 4-s - ) et plus spécialement à la manière dont se découle le mouvement de poursuite dans le sens:

”Patet igitur quod motus sensibilis in sensum procedit quasi triplici gradu. Nam pr4 \:o

primo, apprehendit sensibile ut conveniens vel nocivum. Secundo, ex hoc sequitur deledtatio vel tristitia.

Tertio, autem sequitur desiderium vel fuga.” (III De Anima, lect. 12, n. 769)

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Nous avons interprété ce texte comme exprimant la manière propre dont le sens saisit la convenance ou la disconvenance d’un objet. Il les connaît d’une façon

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contrète à travers une passion qu’il ressent e n lui-meme et il porte alors une sorte de jugement : ceci est conve­ nant (ou non convenant) parce que ceci me procure un mouvement de délectation (ou de tristesse)•

Ce texte nous montre 1’inséparabilité du bien sen­ sible et de la délectation pour l’animal. Il ne s’agit pas d’une addition extrinsèque, distincte quoique néces­ saire : il s’agit de la raison même d’appétibilité. Sans la délectation le bien sensible ne serait pas jugé de

fait comme • appétible par l’animal. Saint Thomas nous dit, il est vrai: ”primo apprehendit sensibile ut conveniens vel nocivum”, mais il ajoute cependant que le quasi- jugement du sens porte en définitive, sur la délectabi- lité de l’objet. Voilà pourquoi nous devons nous en tenir à cette autre formule du Docteur Angélique:

’’Objectum vero appetitus sensibilis est haec res in quantum conveniens vel delectabilis.”

(De Ver it .^.9. 25 a. 1 c.)

’’Conveniens vel delectabilis”: pour l’animal les deux ne s e séparent point. La connaissance sensitive

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n’atteint que le bien singulier et sensible qui est dé­ lectable et nous pouvons ajouter: elle ne l’appréhende comme bien qu’en tant qu’il se manifeste comme délecta­ ble.

Ainsi se résoud la question du pourquoi. La finalité de la délectation apparaît nettement au regard de l’intelligence qui distingue l’accessoire de l’essen­ tiel . Oeuvre d’intelligence, la Nature respecte cette hiérarchie des valeurs. La nature animale peut paraître s’en écarter mais ”1’écart” n’est qu’apparent.

Pour compléter notre connaissance de la doc­ trine de la délectation, nous n’avons plus qu’à dégager les conséquences morales de ces principes: ce sera notre

CONCLUSION

A la lumière de tout ce qui précède et en particulier, de nos déterminations sur l’appétibilité de la délectation nous pouvons apprécier sa moralité et sa place dans la vie humaine.

Sont moralement bonnes les actions humaines conformes à la nature de l’homme et à la droite raison. Sont mauvaises

celles à qui manque cette conformité. Or, quel jugement la droite raison porte-t-elle sur la délectation?

La conformité de ce mouvement de l’appétit à la droite raison peut être appréciée à un double point de vue: au point de vue du bien dont la possession délecte et au point de vue de l’opération qui nous met en possession de ce bien. Au

point de vue du bien d’abord, car l’objet vers lequel se porte l’appétit humain peut ne pas être un bien véritable mais appa­ rent seulement. Ce qui meut, en effet, l’appétit est le bien appréhendé et nous savons que le mouvement de l’appétit est consécutif â un jugement appréciatif porté par la faculté de connaissance. Or ce jugement n’est ni infaillible ni déter­ miné ’’ad unum” chez l’homme. D’où il peut arriver qu’une chose soit gugée comme bonne alors qu’elle ne l’est pas en réalité, selon la véritable norme d’appréciation qui est la nature humaine dirigée par la raison. Si donc le bien qui

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délecte est véritablement tel - ’’simpliciter et secundum se” - alors la délectation éprouvée est bonne elle aussi. S’il ne l’est pas, la délectation éprouvée ne saurait l’être non plus. De même et pour la même raison, la délectation qui suit une opération bonne, conforme à la droite raison, est bonne elle aussi. Consécutive à une opération mauvaise la délec­ tation est mauvaise.

’’Les uns professent l’opinion qu’aucun plaisir n’est un bien ni en soi, ni par accident, car le bien ne

se confond pas avec le plaisir; pour d’autres, quel­ ques plaisirs constituent des biens, mais la plupart sont mauvais ; enfin, une troisième catégorie de gens soutiennent que, même si tous les plaisirs sont un bien, le bien suprême ne saurait être le plaisir.”

VII Ethic, c. XII, 1152 b 8; V. c.ll n.3 ”...Si le plaisir et l’activité ne sont pas un bien,

il sera impossible à l’homme vertueux de vivre agréa­ blement... La douleur ne sera ni un mal ni un bien,

si le plaisir lui-même n’est pas un bien.”

VII Ethic, c. XIV, 1154 a 2; V. c 13 n.7 ”11 parait donc clair que, d’une part, le plaisir ne

se confond pas avec le bien et que tout plaisir n’est pas désirable, quelques-uns sont souhaitables en eux-mêmes et ont une supériorité, soit spécifique, soit provenant des causes qui les produisent.”

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’’Comme nos activités différent, étant moralement bonnes ou mauvaises; que les unes sont â recher­ cher, les autres à fuir, les plaisirs eux aussi présentent le même caractère, car pour chaque genre d’activité , il existe un plaisir propre; celui qui correspond â une activité honnête est satisfaisant; celui qui correspond à une activité mauvaise est entaché de vice.”

V Ethic, c. V, 1175 b 26; V. c. 5 n.6 Aristote avait une fois de plus raison lors qu’entre le laxisme des Epicuriens et le rigorisme des Stoïciens il enseignait une doctrine moyenne sur la bonté morale de la délectation. ’’Tous les plaisirs sont bons” disent les pre­ miers. ’’Tous les plaisirs sont mauvais” disent les seconds. Pour Aristote, certains sont mauvais, certains sont bons et il existe une délectation excellente entre toutes, parce qu’elle accompagne la possession du Bien Suprême.

Voilà qui),nous donne la très juste mesure du role de la délectation dans notre vie d’homme. Ce qu’il nous faut retenir c’est l’étroite association de l’activité et de la délectation. Lorsqu’elle se déploie sans entraves et selon les normes que lui assignent la nature et la droite raison l’activité est nécessairement délectable. Achèvement et couronnement de l’action, la délectation est en même temps le signe de sa perfection.

Signalons au passage, que nous trouvons dans cette doctrine même, la justification du silence d’Aristote au

sujet de la question dont nous avons fait le centre de

notre travail. Nous avons dit dans notre introduction, que cette question a été mentionnée par le Philosophe dans

l’Ethique, mais qu’ostensiblement il l’avait laissée sans réponse. La réponse que nous y avons apportée est celle de saint Thomas.

Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi Aristote a écarté la question sans la résoudre. Il faut, pour cela nous rappeler la signification du principe de hiérarchie entre les fins, tel que le voyait Aristote. Cette signifi­ cation nous paraît exprimée dans un texte fort suggestif du début de l’Ethique. Après avoir constaté l’existence d’une grande variété de buts dans les actions humaines, le Philosophe y remarque la possibilité d’une hiérarchie dont il expose alors la nature et la portée:

’’Du fait qu’il y a des actes, des arts et des scien­ ces multiples, il y a également des fins multiples; la santé est la fin de la médecine; le navire, la fin de la construction navale; la victoire, la fin de la stratégie; la richesse, la fin de la science économique.

Tous les arts et toutes les sciences particulières de cette sorte sont subordonnés à une s cience maî­ tresse; par exemple, à la science de l’équitation sont subordonnées la fabrication des mors et celle de

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tout ce qui concerne l’équipement du cavalier; ces arts, à leur tour, ainsi que toute action à la guerre dépendent de la science militaire ; il en va de même pour d’autres également subor­ données. Ainsi les fins de toutes les sciences architectoniques sont plus importantes que celles des sciences subordonnées.”

L. I, c. 1, 1094al0-15, V. c. 1, n. 3-4

Dans ce texte nous voyons nettement comment les fins inférieures sont ordonnées aux fins supérieures et nous

voyons la conséquence pratique dérivant de cette ordination; la subordination du but poursuivi par un art ou une science pratique à celui d’un autre art a pour conséquence que l’art supérieur impose à l’inférieur ses conditions et ses exi­ gences .

Or, c'est de ce même principe avec cette même portée pratique qu’il s’agit pour Aristote, lorsqu’il pose la ques­ tion de l'ordre entre la délectation et l'opération. Tous les hommes désirent la vie (laquelle se ramène à l’opération). Tous désirent la délectation. Voici donc deux fins poursui­ vies par l’homme. Or il y a un ordre entre les appétibles et les fins: pourquoi donc ne pas rechercher quel est ou quel devrait être l’ordre entre celles-ci, délectation pour l’opération ou opération pour la délectation? C’est à la question ainsi entendue qu’il juge préférable de ne pas ré­ pondre.

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Pourquoi? Parce que poser ainsi la question équi­ vaut à demander: la délectation est-elle fin intermédiaire? Or elle ne l'est pas puisqu’elle est désirée pour soi,

comme Aristote lui-même l'a fait remarquer: ("propter se et non propter aliud appetitur si ly propter dicat causam

finalem" I-II, q. 2, a. 6 ad 1)

"Nul ne se demande en vue de quoi il éprouve du plaisir, cardon a l’impression que le plaisir est en lui-même désirable."

Eth. X, a.2, ll?2b22, V. c.2, n. 2

En d’autres termes, si Aristote écarte la question, c’est qu'il entend le pourquoi de la délectation et de l'opération, dans la ligne de la finalité de l’une par rapport à l’autre. Dans cette perspective il suffisait au Moraliste d'affirmer l'inséparabilité de l'opération

et de la délectation, après avoir montré comment l’opéra­ tion elle-même doit être ordonnée par la prudence et les vertus morales.

Et il est remarquable que quand saint Thomas répond à la question, il y répond non pas en restant au point de vue de la finalité de la délectation par rapport à l’opéra­ tion ou inversement, mais en se plaçant au point de vue de la finalité par rapport à l’appétit et en montrant que dans la hiérarchie des biens (établie par référence à la cause

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formelle ou motive ) l’opération est un plus ’’grand” bien que la délectation:

"Videtur autem principalius esse operatio, quam delectatio, Nam delectatio est quies appetitus in re delectante, qua quis per operationem potitur. Non autem aliquis appetit quietem in aliquo, nisi in quantum aestimat sibi conve­ niens. Et ideo ipsa operatio, quae delectat sicut quoddam conveniens, videtur per prius appetibilis, quam delectatio.”

In X Eth. lec. 6a, n. 2038

Nous-mêmes, pour résoudre le problème au strict point de vue de la finalité de l’une par rapport à l’autre, nous avons dû distinguer avec Cajétan, les appétits, mettre à part l’appétit animal et supposer que l’appétit rationnel se portât vers son objet selon la droite raison.

Tel n’était pas et ne pouvait pas être le point de vue d’Aristote dans l’Ethique. Pourtant, d’après ce même enseignement de l’Ethique, comment ne pas voir que l’acti­ vité humaine étant ordonnée en fonction de la vertu et la délectation ne constituant qu’un inséparable complément de celle-ci, si l’on tient â déterminer la hiérarchie de ces biens, c’est l’opération vertueuse qui en occupera la première place?

Dans le document La délectation (Page 190-200)