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Le développement économique communautaire aux Etats-Unis

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HAL Id: hal-01267402

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Thomas Kirszbaum

To cite this version:

Thomas Kirszbaum. Le développement économique communautaire aux Etats-Unis. [Rapport de recherche] Délégation Interministérielle à la Ville. 2005. �hal-01267402�

(2)

Délégation Interministérielle à la Ville

LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE

AUX ÉTATS-UNIS

Mission d’étude en vue de la création d’un réseau d’échanges

Juillet 2005

(3)

S

OMMAIRE

P

ROBLEMATIQUE P.3

1. L

ES OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET A L

ACCES A L

EMPLOI DANS LES QUARTIERS PAUVRES AMERICAINS

1.1 L’ISOLEMENT GEOGRAPHIQUE ET SOCIAL DES QUARTIERS PAUVRES : L’HYPOTHESE

DU « SPATIAL MISMATCH » P. 7

1.2 LES BENEFICES DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE POUR LES QUARTIERS PAUVRES :

DES OBSTACLES STRUCTURELS P. 9

2. L’

EVOLUTION DES POLITIQUES PUBLIQUES

2.1 LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE P. 12

2.2 LES POLITIQUES PUBLIQUES D’EMPLOI ET DE FORMATION P. 15

2.3 LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE P. 18

3. L

ES ACTEURS DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE

3.1 LES ACTEURS COMMUNAUTAIRES P. 25

3. 2 LES ACTEURS PUBLICS P. 27

3.3 LES ACTEURS PRIVES P. 30

4. Q

UELQUES OUTILS EMBLEMATIQUES DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE

4.1 LES COMMUNITY DEVELOPMENT CORPORATIONS P. 32

4.2 LES COMMUNITY DEVELOPMENT FINANCIAL INSTITUTIONS P. 38

4.3 LES WORKFORCE INTERMEDIARIES P. 49

5. C

OMPTE

-

RENDU DE LA MISSION D

ETUDE AUX

É

TATS

-U

NIS

5.1 LES STRATEGIES GLOBALES DE REVITALISATION P. 54

5.2 L’ACCES AU CAPITAL P. 69

5.3 L’ACCES A L’EMPLOI P. 77

6. L

ES ENSEIGNEMENTS POUR LA POLITIQUE DE LA VILLE

6.1 ORIENTER L’EPARGNE VERS LES QUARTIERS DEFAVORISES P. 86

(4)

P

ROBLEMATIQUE

ELEMENTS DE DIAGNOSTIC RELATIFS AU VOLET « EMPLOI, INSERTION, DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE » DE LA POLITIQUE FRANÇAISE DE LA VILLE

L’écart entre le niveau de chômage dans les Zones urbaines sensibles (ZUS) et dans les agglomérations qui les entourent, n’a cessé de se creuser dans les années 90 : de 18,9 % de la population active des ZUS en 1990, le taux de chômage est passé à 25,4 %, en 1999, alors que dans la même période inter-censitaire, le taux de chômage des agglomérations urbaines augmentait de 11,5% à 14,3%. L’embellie sur le marché de l’emploi, à la fin des années 90, a certes profité aux habitants des ZUS : entre décembre 1998 et décembre 2000, le nombre de demandeurs d’emplois en fin de mois de catégorie 1 avait diminué dans les mêmes proportions dans les ZUS (- 24,3%) que dans leur agglomération de référence (- 24,2 %), et à peine moins qu’en moyenne métropolitaine (- 26 %). Mais la diminution du chômage a été plus faible pour les catégories les plus défavorisées des ZUS : les jeunes, les étrangers et les travailleurs faiblement qualifiés1. La dégradation du marché de l’emploi, observée

depuis le début des années 2000, laisse craindre que ces catégories subissent de manière disproportionnée la remontée du chômage.

En première analyse, l’existence d’un sur-chômage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville peut être attribuée à la sur-représentation sur ces territoires de catégories particulièrement exposées à ce risque : les ouvriers et les employés, les personnes de bas niveaux de formation, les jeunes (notamment ceux qui sont sortis précocement du système éducatif) et les personnes étrangères ou d’origine immigrée (notamment d’origine extra-européenne)2. En dehors de leurs caractéristiques

sociologiques, les habitants des ZUS sont exposés à des risques additionnels du simple fait de leur lieu de résidence. Cet « effet quartier » majore, en moyenne, de près de 10% le temps nécessaire au retour à l’emploi par rapport à des demandeurs d’emploi présentant des caractéristiques similaires mais résidant en dehors des ZUS3. Plusieurs explications sont fréquemment avancées : les discriminations à

l’embauche fondées sur l’adresse des candidats, la faiblesse des réseaux relationnels mobilisables pour la recherche d’emploi, les entraves à la mobilité géographique ou la prégnance de normes de comportement propices à l’exercice d’activités illicites.

L’accès à l’emploi et le développement économique ont émergé tardivement comme thèmes à part entière de la politique de la ville. Au-delà de la problématique de l’insertion des jeunes, prise en charge par les Missions locales à partir du début des années 80, cette préoccupation ne s’est véritablement imposé qu’au début des années 90 avec la promotion du thème de « l'insertion par l’économique » au

1 Voir P. Choffel, L’évolution récente du chômage dans les zones urbaines sensibles d’après les

statistiques des demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE, Délégation interministérielle à la ville,

octobre 2002 ; J.-P. Fitoussi et al., Ségrégation urbaine et intégration sociale, Conseil d’analyse économique, 2004

2 Voir P. Choffel, Emploi et Chômage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Quelques repères statistiques, Délégation interministérielle à la ville, 2002

3 Voir l’enquête lancée par la DARES en 1995 : Trajectoires des demandeurs d’emploi. Marchés

locaux du travail. Voir aussi P.Choffel, E. Delattre, Effets locaux et urbains sur les parcours de chômage, Ministère des Affaires Sociales, du Travail et de la Solidarité, 2001

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cœur du rapport Aubry-Praderie. Prenant acte de l'écart entre le profil de compétences des habitants des quartiers pauvres et les critères d’embauche des entreprises, il s’agissait de proposer des sas d’insertion temporaires aux « exclus », en préalable à leur insertion sur le marché de l’emploi ordinaire. Mais pour beaucoup, ce sas s’est transformé en statut permanent de personnes en situation d’insertion, sans autre débouché que celui des activités d’utilité sociale (émanant notamment du secteur de l’économie solidaire).

Par la suite, la politique de la ville a contribué à la mobilisation prioritaire des mesures du service public de l'emploi au bénéfice des habitants des quartiers, mais les personnes les moins qualifiées ou rencontrant le plus de difficultés sociales sont plus souvent orientées vers des dispositifs situés en amont de l’emploi (stages de formation/insertion, CES, CEC …) que vers les mesures d’alternance (contrats d’orientation, d’adaptation et de qualification) dont les performances sont bien meilleures en termes d’accès à l’emploi marchand. Si la politique de la ville a suscité localement de nombreuses formules d’intermédiation (PLIE, équipes emploi-insertion, clubs de recherche d’emploi, boutiques club-emploi …), ces dispositifs souffrent d’un déficit persistant de liaison avec le monde des entreprises. Ce manque d’articulation entre la sphère du social et la sphère de l’économique ne semble pas avoir été fondamentalement résorbé dans le cadre des Contrats de ville de la période 2000-2006.

Les démarches engagées par la politique de la ville sur le front du développement économique buttent sur un écueil symétrique, celui d’une relative autonomisation de la logique économique par rapport à la logique sociale. Mises en place à partir de 1997, les Zones franches urbaines (ZFU) ont donné une première impulsion majeure au développement économique dans les quartiers prioritaires. Le régime dérogatoire d’exonérations fiscales et sociales applicable aux ZFU et l’obligation de recrutement d’habitants des ZUS ont pu avoir des effets positifs en termes d’emploi et de réduction de la distance physique avec ces emplois (notamment pour les ZFU les plus éloignées des bassins d’emploi existants). Mais peu de dispositifs spécifiques ont été prévus, pour les Zones franches de la première génération, visant à réduire les distances sociales qui séparent les habitants des entreprises et préparer les premiers à saisir les nouvelles opportunités d’emploi. Les ZFU de la deuxième génération, créées à compter du 1er janvier 2004, ont pris en compte cette préoccupation en mettant l’accent sur la formation et l’accompagnement des publics des quartiers, afin de renforcer la clause locale d’embauche. Cependant, la création d’un marché du travail de proximité ne peut tenir lieu de réponse globale à l’enjeu de l’insertion professionnelle des habitants des ZUS, les emplois potentiellement accessibles à ces personnes étant localisés au moins autant à l’échelle large des agglomérations qu’à l’échelle restreinte de leur environnement résidentiel.

Le renouvellement urbain, qui tient une place de plus en plus significative dans la politique de la ville, constitue une autre opportunité de développement économique. En lien ou non avec les ZFU, le renouvellement urbain peut être le levier d’une revitalisation économique et d’une diversification fonctionnelle des quartiers d’habitat social, à condition de concevoir, au-delà de la seule transformation d’usage des immeubles, de véritables stratégies de marketing territorial et d’accueil des entreprises, fondées sur le développement d’une offre foncière et immobilière attractive et sur des services de qualité.

(6)

Mais le volet économique des opérations de renouvellement urbain n’est pas exempt de faiblesses, comme l’a souligné un avis récent du Conseil national des villes : le développement économique est une dimension relativement secondaire et peu lisible des stratégies locales de renouvellement urbain, les partenariats public-privé n’arrivent pas à se concrétiser, la culture économique des équipes de projet est trop limitée, les dispositifs de soutien à la création et au développement des entreprises sont insuffisamment mobilisés, le traitement des friches industrielles et le coût du foncier sont des obstacles récurrents, etc.4

Enfin, et surtout, les projets de renouvellement urbain semblent faire le pari de retombées mécaniques du développement économique sur l’accès à l’emploi des habitants. Ces projets privilégient les effets indirects du développement en termes d’aménités dans les quartiers plutôt que des stratégies visant à les aider directement à franchir les obstacles qui entravent leurs parcours d’insertion professionnelle. Compte tenu de ces différentes limites, la capacité de la politique de la ville à relier la demande et l’offre d’emplois – c'est-à-dire l’économique et le social - constitue un enjeu décisif pour une meilleure efficacité de son volet « accès à l’emploi et développement économique ».

LA MISSION DASSISTANCE TECHNIQUE

Les pratiques de « développement économique communautaire » développées aux États-Unis ont engendré de multiples stratégies et outils susceptibles d’assurer une articulation effective entre les dimensions économique et sociale du problème de l’accès à l’emploi des résidents des quartiers pauvres. Cependant, l’enjeu ne peut être d’importer purement et simplement en France des dispositifs créés outre-Atlantique. On ne saurait ignorer les différences de contexte institutionnel, politique et culturel existant entre les deux pays. Concernant les politiques de développement économique et d’accès à l’emploi dans les quartiers pauvres, la différence essentielle tient au quasi-monopole dévolu au secteur public dans la politique de la ville française et à la représentation d’une pluralité d’acteurs et d’intérêts (ceux des habitants, du secteur économique et du secteur public, le rôle de ce dernier étant plus limité qu’en France) dans le développement communautaire américain.

Sans nier leur contexte spécifique et leurs limitations propres, les réalisations américaines comportent des expériences potentiellement utiles pour la politique de la ville française. En liaison avec les responsables du département « Emploi, insertion et développement économique » de la DIV, et sur la base d’un premier rapport, une sélection de pratiques et d’outils du développement économique communautaire a été effectuée. Ce rapport, reproduit ici, propose un panorama des principaux enjeux, acteurs et outils du développement économique communautaire aux Etats-Unis (parties 1 à 4).

4 Voir l’avis du Conseil national des villes, Les enjeux du développement économique dans le

(7)

La mission d’étude s’est déroulée aux Etats-Unis du 2 au 13 mai 2005. Au cours de la première semaine, le consultant a rencontré des représentants des organisations suivantes à New York et Newark (New Jersey) :

• Church Avenue Merchants Block Association (Brooklyn) • New Community Corporation (Newark)

• Cooperative Home Care Associates (Bronx)

• Bedford Stuyvesant Restoration Corporation (Brooklyn) • Accion (Bronx)

Au cours de la seconde semaine, le consultant a accompagné trois représentants de la DIV à Philadelphie (Pennsylvanie) et Washington DC. Les organisations suivantes ont été visitées :

• New Community Capital Association (Philadelphie) • The Reinvestment Fund (Philadelphie)

• Workforce Investment Board et Career Links (Philadelphie) • LISC et University City District (Philadelphie)

• Empowerment Zone et Renewal Community (Philadelphie) • Home Care Associates (Philadelphie)

• Small Business Administration (Washington DC) • Annie E. Casey Foundation (Washington DC) • CDFI Fund (Washington DC)

• Aspen Institute (Washington DC)

Le présent rapport rend compte de visites (partie 5) et dégage des enseignements du point de vue des actions de développement économique et d’emploi de la politique de la ville française (partie 6).

Cette mission préfigure la constitution d’un réseau d’échanges qui permettrait d’alimenter dans la durée la réflexion de la DIV sur cette thématique. L’identification d’organisations et d’expériences « ressources » aux Etats-Unis a permis de poser les jalons de la création d’un tel réseau.

(8)

1. L

ES OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET A L

ACCES A L

EMPLOI DANS LES QUARTIERS PAUVRES AMERICAINS

1.1 L’ISOLEMENT GEOGRAPHIQUE ET SOCIAL DES QUARTIERS PAUVRES : L’HYPOTHESE DU « SPATIAL MISMATCH »

Les quartiers pauvres (inner cities) des grandes villes américaines ont été durement affectés par le processus de désindustrialisation et de délocalisation des emplois faiblement qualifiés vers les zones périurbaines. Au cours des années 70, l’Amérique a perdu 21 millions d’emplois manufacturiers, essentiellement dans les villes du Nord et du Nord-Est5. A la fin des années 80, seuls 45% des emplois

métropolitains étaient encore localisés dans les villes-centres, contre 70% dans les années 506.

Différents facteurs expliquent cette « suburbanisation » des emplois : expansion démographique du périurbain, essor des nouvelles technologies de l’information et des communications, abaissement du coût des transports, proximité des infrastructures routières, coûts fonciers et régimes fiscaux plus avantageux...

Localement, la croissance de l'emploi est souvent corrélée avec les caractéristiques ethno-raciales des territoires. Les emplois exigeant le moins de qualification sont désormais localisés en majorité dans les banlieues à forte majorité blanche, là où le marché du travail est le moins tendu et les salaires les plus élevés7. Inversement, les quartiers les plus pauvres où se concentrent les minorités ethno-raciales,

notamment les Noirs, ont connu la plus forte dégradation de leur tissu économique.

La ségrégation résidentielle fondée sur la « race » a certes eu tendance à diminuer depuis une vingtaine d’années, le pourcentage de Noirs résidant dans les villes-centres étant passé de 73% en 1980 à 61% en 2000. Mais selon une étude réalisée dans les années 80, les Noirs qui quittent les villes-centres s’installent le plus souvent dans des banlieues à majorité noire, situées en proche couronne et dont les caractéristiques diffèrent peu de celles des villes-centres8. Toutes les villes de banlieues n’ont

donc pas bénéficié du même régime de développement : celles qui sont situées à proximité des villes-centres ont pu subir, elles aussi, un déclin économique9.

Pour expliquer l’importance du chômage et la faiblesse des salaires des Noirs, l’économiste John Kain a avancé, dans un article de 1968 passé à la postérité, l’hypothèse du « spatial mismatch », une expression que l’on peut traduire par « discordance spatiale », c'est-à-dire en l’occurrence la discordance entre la localisation résidentielle des Noirs et les pôles d’emplois en croissance10.

5 B. Bluestone, B. Harrison, The Deindustrialization of America, Basic Books, 1982

6 P. Mieszkowski, E. S. Mills, The Causes of Metropolitan Suburbanization, Journal of Economic Perspectives, vol. 7, n°3, Été 1993

7 K. Ihlanfeldt, Is the Labor Market Tighter Outside of the Ghetto?, Papers in Regional Science, 1997

8 M. Schneider, T. Phelann, Black Suburbanization in the 1980s, Demography, vol. 30,1993 9 C. Ghorra-Gobin, Les États-Unis entre local et mondial, Presses de Sciences-Po, 2000

10 J. F. Kain, Housing Segregation, Negro Employment, and Metropolitan Decentralization, The Quarterly Journal of Economics, n° 82, 1968

(9)

Dès le début des années 70, une pléthore d’études empiriques a cherché à vérifier cette hypothèse. Puis l’intérêt s’est émoussé, avant de renaître dans les années 80 sous l’influence de John Karsada qui montrait que la délocalisation des emplois n’était pas uniforme selon le type de qualifications, mais que les Noirs des quartiers centraux en subissaient les conséquences de manière disproportionnée, compte tenu de leur faible niveau moyen d’éducation et de formation11. Les travaux de Karsada ont reçu une

large publicité dans le fameux ouvrage du sociologue William J. Wilson sur les « vrais défavorisés » de l’Amérique. Wilson tenait la disparition des emplois faiblement qualifiés pour l’une des explications majeures de l’apparition d’une « underclass » (littéralement : sous-classe) dans les anciennes villes industrielles12.

Une autre recherche a relancé l’intérêt pour l’hypothèse du spatial mismatch, celle de David Ellwood qui, étudiant la mobilité des jeunes Noirs de Chicago, concluait que le problème n’était pas celui des distances géographiques, mais de la discrimination raciale13. Sa thèse a soulevé maintes controverses

et incité les chercheurs à affiner leurs méthodes d’investigation pour valider le plus souvent l’hypothèse fondatrice de Kain, tout en la nuançant. Il ressort en effet de ces études que le spatial mismatch n’a pas la même intensité dans toutes les métropoles, qu’il varie selon le degré de délocalisation des emplois, de concentration de la pauvreté ou d’insuffisance des transports collectifs14.

Des recherches se sont attaché à identifier les mécanismes spécifiques par lesquels opère le spatial

mismatch. Deux ont été plus particulièrement mis en évidence : les transports et l’accès à l’information.

L’inadaptation des réseaux de transports collectifs génère de longues heures de trajet et un surcoût pouvant s’avérer dissuasifs pour les personnes à la recherche d’un emploi15. Les entreprises de

banlieue sont souvent à bonne distance des points de desserte et les Noirs économiquement désavantagés – et dans une moindre mesure les Latinos – sont moins souvent pourvus d’une voiture individuelle que d’autres groupes16. Les mères de famille dépendantes de l’aide sociale (welfare

mothers), obligées d’effectuer de contraignants périples pour faire garder leurs enfants, sont

particulièrement pénalisées17.

11 J. D. Kasarda, Entry-Level Jobs, Mobility, And Urban Minority Unemployment, Urban Affairs Quarterly, n° 19, 1983

12 Wilson, The Truly Disadvantaged, University of Chicago Press, 1987

13 D. T. Ellwood, The Spatial Mismatch Hypothesis : Are There Teenage Jobs Missing In The

Ghetto ?, in R. B. Freeman, H. J. Holzer (dir.), The Black Youth Employment Crisis, University of

Chicago Press, 1986

14 Pour une mise en perspective de ces débats, voir H. J. Holzer, The Spatial Mismatch

Hypothesis : What Has The Evidence Shown ?, Urban Studies, vol. 28, 1991 ; K. Ihlanfeldt, The Spatial Mismatch Between Jobs And Residential Locations Within Urban Areas, Cityscape : A

Journal of Policy Development And Research, Vol. 1, n° 1, août 1994 ; Pugh, Barriers To Work, The Brookings Institution, 1998

15 H. J. Holzer et al. Work, Search And Travel Among White And Black Youth, Journal of Urban Economics, vol. 35, n° 3, mai 1994

16 S. Raphael, M. Stoll, Can Boosting Minority Car-Ownership Rates Narrow Inter-racial

Employment Gaps ?, Berkeley Program on Housing and Urban Policy, Working Paper Series n°

00-002, juin 2000

(10)

De nombreux travaux ont montré que l’information dont disposent les habitants des quartiers pauvres sur les opportunités de recrutement dans les banlieues blanches est limitée18. Or, le rôle des contacts

informels – et plus largement du « capital social » - dans la recherche d’emploi sont connus depuis longtemps. Dans un article célèbre paru en 1973, et actualisé en 1995, Mark Granovetter soulignait la supériorité des « liens faibles » (ceux que l’on noue avec de simples connaissances) sur les « liens forts » (ceux que l’on noue avec ses proches, amis ou parents) pour accéder à des sources d’emplois diversifiés et de bonne qualité19. Quand peu d’adultes travaillent dans un quartier, le manque de

contacts avec le marché du travail contribue à « l’isolement social » (social isolation) des quartiers qu’a théorisé W. J. Wilson20.

1.2 LES BENEFICES DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE POUR LES QUARTIERS PAUVRES : DES OBSTACLES STRUCTURELS

Le boom économique de la fin des années 90 a été d’une intensité telle que l’hémorragie des emplois dont les villes-centres avaient souffert depuis plusieurs décennies s’est ralentie et dans certains cas inversée21. Ce regain est allé de pair avec un fort mouvement de « gentrification » de certains quartiers

anciens des villes-centres. La présence de nouvelles couches urbaines a généré une activité économique nouvelle. Dans ce climat euphorique, un professeur d’Harvard et consultant économique très écouté, Michael Porter, a avancé, dans un long article, la thèse de « l’avantage compétitif des inner

cities », à l’origine d’une intense controverse scientifique22. Selon l’auteur, du fait de leur localisation

stratégique, les quartiers pauvres des villes-centres bénéficient de multiples atouts encore insuffisamment exploités : la proximité de quartiers d’affaires en plein développement, une demande locale assez largement insatisfaite par le marché de détail, des interdépendances à développer avec les zones d’activités de la périphérie dont les inner-cities peuvent devenir fournisseurs ou clients, enfin d’importantes ressources humaines et des compétences entrepreneuriales encore sous-utilisées. Dans quelle mesure la croissance économique des villes-centres a-t-elle réduit l’impact du spatial

mismatch et bénéficié aux résidents des quartiers pauvres et notamment aux Noirs ? Le niveau de

chômage des Noirs a atteint un niveau historiquement bas durant la décennie 9023. En dépit d’une

18 Voir par exemple K. Ihlanfeldt, Information on the Spatial Distribution of Job Opportunities, Journal of Urban Economics, 1996

19 M. S. Granovetter, Getting a Job : a Study of Contacts and Careers, University of Chicago Press, 1974 (seconde édition 1995)

20 W. J. Wilson, op. cit.

21 U.S. Department of Housing and Urban Development, The State of the Cities, 2000

22 M. E. Porter, The Competitive Advantage of the Inner City, Harvard Business Review, mai 1995. La controverse a notamment porté sur la critique que Porter adresse à l’intervention publique, génératrice à ses yeux d’une encombrante bureaucratie nuisible au redéveloppement économique des inner-cities, ou sur sa sous-estimation de la pertinence du développement économique communautaire comme stratégie de revitalisation de ces quartiers pauvres.

23 En 1999, le taux de chômage était de 4,2% pour l’ensemble de la participation active et de 8% pour les Noirs. Outre que le différentiel demeurait important, ce résultat pouvait être nuancé en tant compte du fait que les statistiques américaines du chômage ne recensent que les personnes recherchant activement un emploi, à l’exclusion de celles qui sont découragées et des personnes incarcérées (plus d’un million parmi les Noirs). La qualité des emplois créés durant le boom des années 90 a également alimenté une polémique sur l’émergence des « travailleurs pauvres » (working poor).

(11)

mobilité résidentielle accrue vers les banlieues, les conséquences du spatial mismatch n’ont pourtant été que modestement atténuées24. Deux types d’obstacles structurels ont limité la capacité des

habitants des quartiers pauvres à tirer pleinement parti de la croissance, les uns liés aux lieux (les caractéristiques des quartiers), les autres aux personnes (les caractéristiques des habitants). Ces obstacles sont évidemment devenus plus contraignants dans la période de ralentissement économique que traversent les États-Unis depuis l’alternance de 2000 et les attentats de 2001.

En dépit de l’optimisme de M. Porter, les quartiers où se concentre la pauvreté souffrent de handicaps persistants dans un contexte de mobilité accrue du capital : une fiscalité élevée, l’état des infrastructures, la pollution de certains sites anciennement industrialisés, le coût des assurances, le niveau de l’insécurité, la rareté des travailleurs qualifiés, la perception par les investisseurs commerciaux d’une demande solvable trop faible, etc. Ces éléments n’incitent guère les entreprises à créer des emplois de proximité qui pourraient bénéficier éventuellement aux habitants des inner cities. L’initiative émanant des entrepreneurs locaux compense difficilement le manque d’investissements extérieurs. Si elles peuvent contribuer dans une mesure limitée à résoudre les problèmes d’emploi des habitants, les entreprises locales sont confrontées à un obstacle récurrent : l’accès au capital. Parce que les quartiers pauvres sont majoritairement composés de personnes issues des minorités ethno-raciales, les initiatives économiques locales sont pour beaucoup le fait de personnes issues de ces groupes25. Or, ces minority-ownedbusinesses essuient des niveaux de refus de prêts bancaires très

supérieurs aux mêmes entreprises lorsqu’elles sont possédées par des Blancs, même en contrôlant une série de variables liées aux caractéristiques des firmes26. La localisation géographique des

entreprises joue également. Différentes études montrent que les petites entreprises localisées dans des quartiers à majorité noire enregistrent des refus plus importants que les entreprises localisées dans n’importe quel autre type de territoire27. La question de savoir si ce phénomène est imputable à des

discriminations directes ou aux effets indirects des règles de fonctionnement des banques est ouverte. Reste que les entrepreneurs locaux pâtissent d’un manque de connexion avec les prêteurs et investisseurs potentiels. La tendance à la concentration du secteur bancaire se traduit aussi par la fermeture d’agences locales qui pourraient assurer une relation de proximité avec les petites entreprises28.

24 S. Raphael, M. A. Stoll, Modest Progress : the Narrowing Spatial Mismatch between Blacks and

Jobs in the 1990s, The Brookings Institution, 2002

25 T. Bates, Banking on Black Enterprise : the Potential of Emerging Firms for Revitalizing Urban

Economies, Joint Center for Political and Economic Studies, 1993

26 K. Cavalluzo et al., Competition, Small Business Financing, and Discrimination : Evidence from

a New Survey, Federal Reserve Board of Governors, 1999

27 Voir par exemple D. Immergluck, E. Mullen, The Intrametropolitan Distribution of Economic

Development Financing : an Analysis of SBA 504 Lending Patterns, Economic Development

Quarterly, n° 12, 1998 ; Business Access to Capital and Credit, Federal Reserve System Research Conference Proceeding, 8-9 mars 1999

28 D. Immergluck, G. Smith, Big Changes in Small Business Lending : Implications for Firms in

(12)

Des obstacles d’une autre nature freinent la capacité des habitants des quartiers pauvres à tirer parti des opportunités locales d’emplois, non seulement dans les quartiers d’affaires (central business

districts), mais aussi dans leur environnement résidentiel plus immédiat. L’expression « skills mismatch » (littéralement : discordance des qualifications) a été proposée pour rendre du décalage

entre le niveau moyen de compétences requis par les emplois des villes-centres et le niveau moyen de formation de leurs habitants29. De manière générale, l’emploi dans les villes-centres tend à se

concentrer dans des activités tertiaires nécessitant des qualifications de plus en plus élevées. La délocalisation de l’emploi vers les périphéries est beaucoup moins vraie s’agissant des secteurs à forte valeur ajoutée30. Le développement d’emplois de proximité dans les quartiers n’aura pas d’effets

substantiels sur le taux d’activité des habitants si ces emplois exigent des qualifications trop élevées31.

Le problème n’est pas réductible aux niveaux de diplômes, mais concerne toutes les compétences valorisées par l’économie tertiaire, mais aussi secondaire (usage des nouvelles technologies, communication verbale, capacité à travailler en équipe, à nouer une relation avec la clientèle…). Les Américains parlent de compétences « molles » (soft skills) pour décrire la capacité d’adaptation de l’individu à son environnement de travail, en sus des compétences « dures » (hard skills) validées par les titres scolaires.

Ces transformations qui concernent l’ensemble des travailleurs, affectent de manière disproportionnée les quartiers défavorisés. Dans son ouvrage consacré à « la disparition du travail » dans ces quartiers, W. J. Wilson a insisté sur la coupure entre les habitants et la « nouvelle culture du travail »32. Dans la

tradition des interprétations américaines de la marginalité urbaine en termes de « culture de la pauvreté », la concentration de pauvres sur un territoire réduit l’incitation à travailler. La simple analyse rationnelle par les jeunes dépourvus de titres scolaires des opportunités d’emploi et de salaires sur le marché du travail local ne peut que renforcer l’attrait pour les activités illégales33. Dans ce contexte, des

enquêtes portant sur les stratégies de recrutement des employeurs locaux ont mis en évidence les stéréotypes négatifs associés aux résidents des quartiers, et notamment aux jeunes noirs, y compris chez les employeurs noirs34.

29 M. A. Stoll, Geographic Skills Mismatch, Job Search, and Race, Institute for Research on Poverty, Discussion paper n° 1288-04, septembre 2004

30 E.Glaeser, M. Kahn, Decentralized Employment and the Transformation of the American City, Brookings-Wharton Papers on Urban Affairs, n° 2, 2001

31 D. Immergluck, Neighborhood Jobs, Race and Skills : Urban Unemployment and Communities, Garland Press, 1998

32 W. J. Wilson, When Work Disappears. The World of the New Urban Poor, Alfred A. Knopf, 1997 33 R. Freeman, Crime and the Employment of Disadvantaged Youth, In G. Peterson, W. Vroman (dir.), Urban Labor Markets and Job Opportunities, Urban Institute Press, 1992

34 K. M. Neckerman, J. Kirshenman, Hiring Strategies, Racial Bias, and Inner-City Workers, Social problems, n° 38, 1991

(13)

2. L’

EVOLUTION DES POLITIQUES PUBLIQUES

Pour traiter ces enjeux, les politiques publiques engagées depuis plusieurs décennies ont suivi trois grandes orientations relativement peu coordonnées entre elles : le développement économique, l’accès à l’emploi et la formation, et le développement économique communautaire (community economic

development). A travers son volet économique, le développement communautaire s’efforce de

compenser les insuffisances des deux premières orientations qui ont tendance à négliger les besoins spécifiques des quartiers pauvres et de leurs habitants. Si le développement économique communautaire n’est pas lui-même exempt de faiblesses, il se singularise par un objectif explicite : s’assurer des retombées sociales du développement économique.

2.1 LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE

LE PARI DES RETOMBEES DU DEVELOPPEMENT LOCAL

Les stratégies de développement économique local sont de la responsabilité première des États, des agences municipales et de partenariats public-privé. Leurs projets ont tendance à cibler des quartiers dont le potentiel est reconnu et à négliger les autres. Depuis les années 80, les stratégies de développement local sont marquées par un engouement pour les clusters (popularisés par Michael Porter), c'est-à-dire les regroupements d’activités et la spécialisation sectorielle de certains espaces, dont l’archétype est la Silicon Valley. Les stratégies de développement consistent à améliorer l’ensemble des facteurs de l’environnement local pouvant contribuer au succès des entreprises regroupées dans ces « grappes ».

Qu’elles visent l’attraction, l’expansion, la rétention ou la création d’activités, ces stratégies accordent généralement peu d’attention à ceux qui occupent les emplois, ni à la qualité de ces emplois. Les premiers destinataires de ces politiques sont les entreprises. Non seulement les populations défavorisées des villes figurent rarement sur leur agenda, mais elles sont parfois perçues comme une source d’embarras pour la poursuite de leurs objectifs35.

Le développement économique local repose dans bien de cas sur ce postulat implicite : la santé économique du secteur privé génère une richesse qui finit par bénéficier à l’ensemble de la société locale grâce à un « effet de ruissellement » (trickle-down effect). Or, la pratique montre que ni la quantité, ni la nature des emplois induits par le développement local ne sont susceptibles de répondre aux besoins des quartiers défavorisés.

35 P. A. Furdell, Poverty and Economic Development : Views from City Hall, National League of Cities, juillet 1994

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UNE STRATEGIE VISANT PLUS SPECIFIQUEMENT LES QUARTIERS DESHERITES : LES ZONES DENTREPRISES

Les collectivités locales disposent d’une panoplie de mesures – incitations fiscales, garanties d’emprunts, subventions aux entreprises, améliorations des infrastructures… - dont la finalité peut concerner plus directement la revitalisation économique des quartiers pauvres et l’emploi de leurs habitants. Parmi ces mesures, les Zones d'entreprises (Enterprise zones) sont celles qui ont remporté le plus de succès auprès des décideurs locaux. Cette formule de zones franches a été inventée en Grande-Bretagne à la fin des années 70, et rapidement popularisée aux USA par Stuart Butler, économiste britannique devenu vice-président de la Fondation Heritage, prestigieux think tank conservateur américain.

Le concept de Zone d'entreprises repose sur une recette simple : alléger sur un territoire donné aussi bien le poids des charges fiscales et administratives que les contraintes bureaucratiques pesant sur les entreprises. De 1980 à 1992, les administrations Reagan et Bush ont essayé d’en faire adopter le principe, mais la majorité du Congrès s’y est régulièrement opposée en dépit du soutien de certains démocrates. En revanche, près d'une quarantaine d'États vont appliquer la formule. L’administration fédérale finira par l’adopter à son tour sous la présidence de Bill Clinton. Mais les Empowerment zones et Enterprise communities qui seront créées dans les années 90 auront une ambition plus globale que les Enterprise zones, du moins jusqu’à l’élection de George W. Bush (cf. infra).

Les critères de délimitation les plus fréquents des Zones d'entreprises sont le taux de pauvreté et de chômage d'une aire géographique. Comme la plupart des programmes réservés à certaines zones, leur géographie s’est étendue avec le temps. Des États comme l’Illinois, l’Ohio ou le Texas ont désigné des centaines de zones, la Louisiane des milliers et l’Arkansas a retenu les limites de l’État ! Ces exemples montrent qu’il est difficile de résister aux pressions locales. Ils soulignent aussi une dérive des Zones d'entreprises qui, d’instrument de lutte contre la pauvreté, sont parfois devenues de simples outils de développement économique local, englobant jusque des quartiers riches36.

Outre leur diversité géographique, les Zones d'entreprises mobilisent une grande diversité d’aides aux entreprises, comprenant parfois la prise en charge des frais d'assurances ou des services de gardes d’enfants en sus des avantages fiscaux consentis pour l'investissement et/ou l'embauche. Un des aspects centraux du concept de Zone d'entreprises, la déréglementation, est en revanche souvent absent des dispositifs locaux37.

36 Sur cette question, voir R. T. Greenbaum, Siting it Right : Do States Target Economic Distress

when Designating Enterprise Zones ?, Economic Development Quarterly, vol. 18, n° 1, février

2004

37 Sur tous ces points, voir P. Desrochers, Les zones d’entreprises, Revue Canadienne des Sciences Régionales, vol. XXI, n° 3, automne 1998

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DES EFFETS PARFOIS PERVERS ET SOUVENT MODESTES

Certaines critiques portent sur le principe même des Zones d'entreprises, considérant que celles-ci ne font que redistribuer l’activité économique au lieu de la créer. Soit un jeu à somme nulle où les gains de certaines zones s’accompagnent de pertes dans d’autres zones38 ; l’effet est plus pervers encore si les

aires ciblées sont entourées d’autres aires également pauvres mais non ciblées39.

De multiples évaluations ont cherché à évaluer l’impact concret des Zones d'entreprises. Elles butent sur des écueils méthodologiques, dont le plus important est la difficulté d’isoler l’effet propre du dispositif parmi différents facteurs (croissance de l’économie régionale ou nationale, impact d’autres politiques publiques…) susceptibles de peser sur l’activité locale. Un biais supplémentaire est introduit dans l’analyse quand une zone a été choisie en fonction de son potentiel de croissance plutôt qu’en fonction de ses difficultés40.

Des évaluations récentes ont eu recours à des méthodes plus sophistiquées pour évaluer l’impact des Zones d'entreprises. Leurs conclusions sont très mitigées même quand leurs auteurs sont a priori favorables au principe. C’est le cas de A. Peters et P. Fisher qui ont souligné le caractère dispendieux, pour des effets globalement très réduits, des 75 Zones d'entreprises qu’ils ont étudiées dans 13 États41.

La plupart des évaluations souligne le peu d’impact de l’instrument fiscal. Il est vrai que le poids de l’impôt prélevé par les collectivités locales est marginal dans les charges des entreprises. Surtout, les choix de localisation des entreprises font intervenir de multiples critères, parmi lesquels le niveau de la fiscalité n’est pas le plus décisif comparé, par exemple, à l’analyse du marché local, à l’appréciation de la sécurité ou de la qualité de la main d'oeuvre42. Hommes politiques et médias donnent souvent

beaucoup de publicité aux allègements fiscaux, alors qu’ils ne forment qu’une petite partie du « deal » avec les entreprises. La fiscalité ne fait pencher la balance que si plusieurs localités offrent par ailleurs des avantages comparables43. Afin d’éviter la surenchère, certaines collectivités se sont d’ailleurs

entendu pour limiter le poids des incitations fiscales dans les stratégies d’attraction des entreprises44.

La question la plus discutée dans les évaluations des Zones d'entreprises porte sur le nombre et la destination des emplois qu’elles génèrent. Le surplus d’emplois créé est très variable d’une zone à l’autre, mais il est globalement jugé modeste. Et la part de ces emplois occupée par la main d'oeuvre

38 S. E. Clarke, Enterprise Zones : Seeking the Neighborhood Nexus, Urban Affairs Quarterly, vol. 18, n° 1, 1982

39 S. A. Levitan, E. Miller, Enterprise Zones Are No Solution For Our Blighted Areas, Challenge, vol. 35, n° 3, 1992

40 J. H. Spencer, P. Ong, An Analysis of the Los Angeles Revitalization Zone : Are Place-Based

Investment Strategies Effective Under Moderate Economic Conditions ?, Economic Development

Quarterly, vol. 18, n° 4, novembre 2004

41 A. Peters, P. Fisher, State Enterprise Zone Programs : Have They Worked?, Upjohn Institute for Employment Research, 2002

42 J. Pitts, Twilight Zone, The New Republic, 7 et 14 septembre 1992

43 N. Cohen, Business Location Decision-Making and the Cities : Bringing Companies Back, Working paper prepared for The Brookings Institution, avril 2000

44 T. Williamson et al., Making a Place for Community. Local Democracy in a Global Era, Routledge, 2002

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locale peut varier de 2 à 90% ! Il est vrai que la plupart des programmes ne prévoient pas d’incitations directes pour le recrutement d’habitants. Quand ils le font, ces incitations sont trop modestes pour avoir un effet tangible45. En outre, les Zones d'entreprises ne prévoient souvent aucun dispositif de formation

ou d’accompagnement social pour aider les habitants à saisir les nouvelles opportunités d’emplois. Ici aussi, le pari est celui d’un « effet de ruissellement » d’une politique destinée avant tout aux entreprises. Certaines municipalités ont aujourd'hui tendance à demander des contreparties aux entreprises recevant des aides publiques. Dans certains cas, les développeurs privés devront acquitter une taxe municipale servant à financer des programmes d’emplois ou de formation destinés aux habitants défavorisés46. Dans d’autres cas, des accords sont passés avec les entreprises dans le cadre de

« linkage programs », pour que les avantages octroyés s’accompagnent d’une priorité à l’embauche locale, notamment celles de personnes défavorisées, ou du moins d’une attention prioritaire aux candidats proposés par des organisations en charge de ces publics (c’est la pratique du « first source

agreement »)47.

2.2 LES POLITIQUES PUBLIQUES D’EMPLOI ET DE FORMATION

DES OUTILS VISANT EXPLICITEMENT LES PERSONNES EN SITUATION DE PAUVRETE

Les interventions publiques sur le marché du travail (appelées « workforce development ») ressortent de deux grandes catégories : celles qui cherchent à influencer directement le comportement des personnes en augmentant leurs compétences ou leurs revenus (labor supply policies) et celles qui visent à modifier le comportement des employeurs par des incitations à l’embauche (labor demand

policies). Les politiques américaines sont fortement centrées sur les demandeurs d’emploi, même si la

part du PIB consacré à ces supply policies demeure très faible (0,11% contre 0,4% en France) ; elle est dérisoire en ce qui concerne les demand policies (0,01% contre 0,81 en France)48. Initiés par l’État

fédéral ou les États fédérés, les programmes publics d’emploi et de formation ont donc une dimension très réduite en regard des besoins. Même le programme phare des années 70, le Comprehensive Employment and Training Act (CETA), plus richement doté que les programmes actuels, n’était pas de grande échelle.

Depuis le CETA, les politiques publiques d’emploi et de formation ont pour objectif explicite de lutter contre la pauvreté. Leur cible première sont les « economically disadvantaged », c'est-à-dire les personnes dont le niveau de ressources est inférieur au seuil de pauvreté et qui cumulent des handicaps, qu’ils soient travailleurs ou non. Le CETA, qui faisait une large place aux créations d’emplois publics comme solution à la pauvreté, fut remplacé en 1982 par le Job Training Partnership Act (JTPA)

45 M. Wilder, B.Rubin, Rhetoric Versus Reality: a Review of Studies in State Enterprise Zone

Programs, Journal of the American planning association, vol. 62, n° 4, 1996

46 N. Osada, A Neighborhood Economic Development Handbook for all Neighborhood Members, Neighborhood Planning for Community Revitalization, 1997

47 A.Mallach, E. Brown, Linkage : Connecting Economic Growth with Real Opportunity for

Low-Income Urban Residents, NJISJ, 2002

48 T. Bartik, Solving the Many Problems with Inner City Jobs, Upjohn Institute for Employment Research, octobre 2000

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qui a explicitement interdit le recours à ce type d’emplois (certains États ont néanmoins persévéré dans cette voie), tout en restant focalisé sur les personnes en situation de pauvreté, tout comme la plupart des autres programmes fédéraux. En 1994, pas moins 154 programmes fédéraux d’emploi et de formation destinés aux economically disadvantaged étaient recensés, gérés par 14 agences différentes49.

DES EVALUATIONS GLOBALEMENT NEGATIVES

La littérature présente un tableau plutôt sombre, au milieu des années 90, de l’efficacité de ces politiques d’emploi et de formation. Les évaluations du Job Training Partnership Act concluaient à l’échec de la plupart des programmes engagés dans ce cadre50. Les gains financiers des participants

s’avéraient modestes et peu durables, renvoyant au problème plus général des « travailleurs pauvres », ces personnes qui ont un emploi trop peu rémunérateur pour assurer l’auto-suffisance de leur ménage. A court terme, cette difficulté peut être en partie compensée par un crédit d’impôt (Earned Income Tax

Credit) réservé aux travailleurs à bas revenus, dont le montant a été fortement revalorisé sous

l’administration Clinton, et grâce à d’autres subventions (gardes des enfants, frais de transport…). Mais ces aides sont insuffisantes à long terme pour ceux qui se trouvent piégés dans des emplois sans avenir51.

Les programmes publics d’emploi et de formation tendent en effet à placer leurs clients dans des emplois offrant de maigres chances d’acquérir à la fois une formation validée et une expérience en situation de travail qui pourraient les aider à progresser dans une carrière. Contraints par des objectifs de résultats rigoureux fixés par les autorités fédérales, les États chargés de superviser ces programmes et les opérateurs chargés de leur mise en œuvre s’efforcent de minimiser les coûts de formation des individus, sans assurer leur suivi à long terme, une fois l’emploi décroché. L’effet pervers est classique, celui de « l’écrémage » (creaming) qui incite à réserver les meilleures prestations aux personnes les plus proches de l’emploi plutôt qu’aux publics à problèmes. Pour contrer cette tendance, le pouvoir fédéral a régulièrement renforcé les critères d’éligibilité en créant de nouveaux programmes catégoriels destinés aux plus vulnérables, mais sans accroître corrélativement les moyens généraux dévolus au système de workforce development (sauf à la fin des années 90)52.

En se concentrant sur les handicaps personnels des pauvres plutôt que sur le comportement des entreprises, les programmes fédéraux sont rarement parvenus à concevoir avec les entreprises des formations adaptées à la fois aux besoins des entreprises et des personnes économiquement désavantagées. Ces dernières sont peu motivées par les maigres opportunités qu’offrent ces

49 C. Perez, Evaluer les programmes d'emploi et de formation : l'expérience américaine, Centre d'Études de l'Emploi, 2001

50 L. Orr et al., Does Training for the Disadvantaged Work? Evidence from the National JTPA

Study, Urban Institute Press, 1995

51 R. P. Giloth, Learning from the Field : Economic Growth and Workforce Development in the

1990s, Economic Development Quarterly, vol. 14, n° 4, novembre 2000

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programmes. Les employeurs ont tendance à s’en détourner. Ils sont représentés dans les instances locales de pilotage, mais s’impliquent beaucoup plus rarement dans l’élaboration des programmes53.

LES REFORMES RECENTES

Ces constats négatifs n’ont pu que renforcer les volontés réformatrices. C’est ainsi qu’en 1998 le Congrès a remplacé le Job Training Partnership Act par le Workforce investment Act (WIA) qui redéfinit en profondeur le cadre d’intervention du service public local de l’emploi et de la formation, tout en veillant à une meilleure implication des entreprises et en renforçant les budgets fédéraux.

Localement, le système de workforce development est d’une redoutable complexité, mobilisant des dizaines d’institutions, de programmes et de sources de financement peu coordonnés entre eux. Le Workforce Investment Act exige désormais des collectivités locales qu’elles intègrent cet ensemble disparate dans un système de guichets uniques, les « One-Stop Centers », pilotés chacun par un « Workforce Investment Board » intégrant l’ensemble des acteurs locaux. Les One-Stop Centers doivent permettre aux demandeurs d’emploi, aux travailleurs et aux entreprises d’accéder à l’ensemble des informations et programmes à partir d’une localisation unique.

Outre « l’accès universel » (universal access), le nouveau système repose sur quelques principes cardinaux comme la liberté de choix des clients auxquels sont remis des bons (vouchers) faisant jouer la concurrence entre opérateurs, et l’obligation de rendre compte des résultats obtenus (outcomes

accountability), traduisant non tant l’activité du système que l’amélioration effective de la situation des

clients (personnes en recherche d’emploi et entreprises). Autre rupture majeure : contrairement au Job Training Partnership Act, le nouveau système ne fait plus référence aux personnes désavantagées (economically disadvantaged), s’agissant du moins des programmes destinés aux adultes.

Les premières évaluations du WIA montrent l’intérêt des One-Stop Centers en comparaison de l’ancien système fragmenté54. Cependant, la mesure des performances en termes d’accès à l’emploi, conjuguée

à l’abandon de toute référence aux adultes en situation de pauvreté, peut conduire à négliger les plus éloignés de l’emploi (the hardest-to-employ). Ne se focalisant plus sur la formation comme préalable indispensable à l’emploi, le nouveau système prévoit des prestations à plusieurs étages, depuis le simple bilan de compétences jusqu’à la formation intensive. Compte tenu des exigences de résultats en termes de placement, les personnes rencontrant le maximum de difficulté risquent de ne pas bénéficier de la gamme complète des prestations au sein des One-Stop Centers.

53 R. P. Giloth (dir.), Workforce Intermediaries for the Twenty-First Century, Temple University Press, 2003

54 United States General Accounting Office, Workforce Investment Act : One-Stop Centers

Implemented Strategies to Strengthen Services and Partnerships, but More Research and Information Sharing is Needed, juin 2003

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En pratique, beaucoup d’États concentrent leurs crédits sur les programmes de welfare-to-work, que ce soit dans le cadre du WIA ou en dehors de celui-ci55. La réforme de l’aide sociale, adoptée en 1996, a

fortement augmenté les budgets destinés à remettre au travail les bénéficiaires de l’aide sociale, tout en accordant aux États une grande latitude pour concevoir leurs stratégies56. Mais comme la plupart des

bénéficiaires de l’aide sociale sont des mères de famille, souvent noires, d’autres catégories de personnes en difficulté (les hommes ou les femmes sans enfants mineurs) risquent d’être laissés-pour-compte de la concentration des crédits sur le welfare-to-work. Ou alors ils risquent d’être aiguillés vers des programmes du même type, obéissant à la logique du « work first » qui consiste à choisir le chemin le plus rapide pour accéder à l’emploi, avec une préparation minimale et sans formation de nature à leur garantir, à terme, un salaire décent57. L’approche work first, qui a motivé les réformes du welfare depuis

les années 80, augmente certes les gains des bénéficiaires à court terme, mais les experts estiment que 1 000 heures de formation sont nécessaires pour espérer une promotion future, c'est-à-dire passer du revenu minimum à un salaire de 15 dollars de l’heure58.

2.3 LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE COMMUNAUTAIRE

UNE ORIENTATION SOCIALE

Les deux orientations précédentes sont largement décevantes quant à leur capacité à répondre aux besoins spécifiques des quartiers défavorisés et de leurs habitants. Centré sur la valorisation des lieux, le développement économique relève d’une logique territoriale dite « place-based », tandis que les programmes d’emploi et de formation, qui visent la mobilité des individus, sont « people-based ». Ces deux options présentent une faiblesse symétrique : les stratégies place-based de type Enterprise zones ont tendance à négliger les habitants, tandis que les stratégies people-based ont tendance à traiter les individus sans tenir compte du territoire où ils résident et de son rôle dans les difficultés qu’ils rencontrent.

Dans sa version contemporaine, le développement communautaire (community development) s’efforce de réconcilier ces deux options par une approche dite « people-place-based »59. Il s’agit d’une action

spatialement ciblée sur les quartiers défavorisés, mais dont la finalité est la promotion socio-économique de leurs habitants. Le volet socio-économique du développement communautaire cherche plus spécifiquement à revitaliser le tissu économique des quartiers en donnant aux habitants une forme de

55 U. S. General Accounting Office, Workforce Investment Act : Coordination of TANF Services

Through One-stops has Increased Despite Challenges, mai 2002

56 Cette réforme a remplacé l’allocation appelée Aid to Families with Dependent Children (AFDC) par le Temporary Assistance for Needy Families (TANF) dont la durée est désormais limitée à 60 mois cumulables à l’échelle d’une vie entière.

57 U. S. General Accounting Office, Workforce Investment Act : Better Guidance Needed to

Address Concerns Over New Requirements, octobre 2001

58 A. P. Carnevale, K. Reich, A Piece of the Puzzle: How States Can Use Education to Make Work

Pay for Welfare Recipients, Educational Testing Service, 2000

59 Pour une mise en perspective historique de cette question et dans une perspective comparative avec la France, cf. l’ouvrage de J. Donzelot et al., Faire société. La politique de la ville aux

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contrôle sur son type de développement, tout en leur permettant de tirer le meilleur parti des opportunités d’emplois qui s’y créent et en facilitant leur accès aux emplois métropolitains.

Du fait de sa finalité explicitement sociale, le développement économique communautaire (community

economic development) se distingue du développement économique classique. Mais il n’est pas une

politique sociale au sens strict puisqu’il cherche également à orienter la production des richesses sur un territoire donné. Dans les deux cas, le community economic development se présente comme une démarche de valorisation concomitante des ressources des individus et des territoires où ils résident. La notion de « communauté », très (mal) connotée en France, doit être précisée. Dans le langage américain, la community désigne tout groupement d’individus. Dans certains cas, le fondement de la communauté peut être le partage d’une même origine ethnique ou raciale ou d’une même culture. Mais ce n’est pas en ce sens que l’entend le développement communautaire qui fait référence à la communauté au sens d’un groupement d’individus résidant dans les limites d’un quartier. En ce sens, une communauté peut dépasser l’échelle géographique du quartier pour englober une ville ou une agglomération. Les Américains parlent dans ce cas de « community at large ».

LE VOLET ECONOMIQUE DU DEVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE : UNE BREVE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE

Le développement économique communautaire est apparu dans les années 60, à la fois comme un produit institutionnel de la Guerre à la pauvreté (War on Poverty) engagée par l’administration Johnson et comme le fruit des initiatives du mouvement d’émancipation des Noirs. Non sans malentendu puisque l’administration fédérale voyait dans le développement communautaire un vecteur d’intégration des Noirs à la société, alors qu’il s’agissait pour une partie des activistes noirs de renouer avec l’aspiration ancienne au « développement séparé », fondée sur la conviction que l’intégration à la société blanche était illusoire60.

Cette période a légué un outil qui connaîtra un remarquable essor : les Corporations de développement communautaire (Community Development Corporations ou CDCs). Les premiers projets économiques des CDCs - management d’établissements commerciaux, petites activités industrielles, rachat d’entreprises périclitant… - se sont avérés fragiles et beaucoup n’ont pas vécu longtemps. En parallèle, ces CDC de la première génération ont souvent engagé des activités de formation et de placement des habitants, notamment dans les emplois générés par leurs propres activités économiques. Dans les années 80, beaucoup de CDCs ont fini par renoncer à cette stratégie, faute de soutien des acteurs publics et privés engagés dans ce champ, pour se concentrer sur la production, la réhabilitation et la gestion de logements bon marché, domaine où leurs performances ont été unanimement reconnues61.

Elles étaient d’ailleurs encouragées en cela par les financements relativement abondants, octroyés les fondations privées et les collectivités locales pour compenser le désengagement du gouvernement fédéral sous les administrations Reagan et Bush. Un système de financement national des CDCs, très

60 R. Halpern, Rebuilding the Inner City. A History of Neighborhood Initiatives to Address Poverty

in the United States, Columbia Press University, 1995

61 Avis C. Vidal, Rebuilding Communities : A National Study of Urban Community Development

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axé sur le logement, a émergé durant cette période à l’initiative de fondations. Ce système repose des « intermédiaires nationaux » (national intermediaries), créés par les fondations Ford et Enterprise et stimulés par des avantages fiscaux consentis par l’administration fédérale pour l’investissement dans le logement bon marché.

Au cours des années 90, les Community Development Corporations vont connaître un spectaculaire essor. En 1999, le National Congress for Community Economic Development (NCCED) qui les fédère au plan national, recensait 3 600 CDCs, soit 1 400 de plus qu’en 199562. Leur domaine de prédilection

demeure le logement, mais elles ont diversifié leurs activités : outre la fourniture de services sociaux et éducatifs, elles ont réinvesti le champ économique63. Le logement apparaît en effet comme un levier

trop faible de la revitalisation des quartiers pauvres. Il convient d’engager des stratégies plus globales pour remédier à l’état de sous-investissement économique et de chômage chroniques dans les inner

cities.

Dans la période récente, les CDCs retournent donc aux préoccupations économiques qui avait été le principal motif de leur création, dans les années 60. Mais les risques inhérents à la gestion directe d’activités les conduisent à se positionner comme intermédiaires et catalyseurs du développement, plutôt que comme acteurs de la production. Ceci par de multiples voies : planification de projets de développement économique ou commercial, intermédiation financière auprès des banques, fourniture directe de prêts aux entreprises, management de locaux d’entreprises, assistance technique aux micro-entrepreneurs, etc. (cf. infra) En 1999, on estimait que 60% des CDCs étaient impliquées dans des activités de ce type64.

De façon plus ou moins articulée à leurs stratégies de développement économique, les CDCs sont réengagées dans des actions de renforcement du « capital humain ». Plus de la moitié d’entre elles délivrent des services de formation, de préparation ou de traitement des barrières individuelles à l’emploi (transports, garde des enfants, santé…), ou se positionnent comme référents « emploi/formation » d’autres programmes65. Les organisations de quartier qui optent pour la création

d’un programme ad hoc de formation et d’emploi le font généralement parce qu’il n’existe pas d’alternative adéquate et parce qu’elles disposent d’assez de ressources humaines et financières pour s’engager dans cette voie. Mais elles sont plus souvent des relais ou animateurs de réseaux d’acteurs de l’emploi et de la formation opérant à l’échelle des villes ou des agglomérations66.

Les innovations les plus remarquables intervenues dans ce champ, au cours des années 90, sont le fait de réseaux généralement appelés « intermédiaires de l’emploi » (Workforce Intermediaries). Tous les

Workforce Intermediaries ne s’adressent pas - ou pas seulement - aux plus éloignés de l’emploi et ne

62 Le quart d’entre elles interviennent en milieu rural.

63 N. J.Glickman, L. J.Servon, More than Bricks and Sticks : What is Community Development

Capacity, Housing Policy Debate, Volume 9, n° 3., 1998

64 C. Walker, Community Development Corporations and Their Changing Support Systems, The Urban Institute, 2002

65 idem

66 B.Harrison et al., Building Bridges : Community Development Corporations and the World of

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relèvent pas tous des pratiques du développement communautaire. Mais ils ont pour principe commun de servir pareillement les intérêts des employeurs, des travailleurs et demandeurs d’emploi, en offrant une main d'œuvre de qualité aux premiers et de réelles perspectives de promotion professionnelle aux autres (cf. infra)67.

LES FLUCTUATIONS DU SOUTIEN FEDERAL

L’implication du gouvernement fédéral dans le champ du développement communautaire en général et de son volet économique en particulier, a considérablement évolué depuis les années 60. Les programmes de la Guerre à la Pauvreté ont été décisifs pour l’émergence du développement économique communautaire. L’administration Nixon s’est ensuite efforcée de promouvoir un « capitalisme noir » (black capitalism) susceptible de fournir une assise électorale au parti républicain. Cependant, tout en maintenant l’intervention fédérale à un niveau relativement élevé, l’ère Nixon a amorcé un processus de dévolution des responsabilités aux collectivités locales qui tranchait avec l’interventionnisme de l’administration fédérale durant les années 60.

La présidence Carter a tenté de renouer avec une posture plus volontariste. Elle a également renforcé substantiellement le volet économique des aides au développement communautaire. L’Urban Development Action Grant (UDAG) de 1977 est ainsi le premier programme fédéral encourageant un partenariat local systématique entre secteurs privé, public et communautaire. Mais il ne s’agissait que d’une parenthèse car, à partir des années 80, l’administration Reagan, puis celle de Bush Sr. ont consciencieusement éliminé de multiples programmes hérités du passé.

Il fallut attendre l’élection de B. Clinton, en 1992, pour que le gouvernement fédéral réinvestisse le champ du développement communautaire, moyennant une tentative de repenser le rôle de l’État. L’objectif affiché était celui du renforcement du pouvoir (empowerment) des communautés locales, celles des quartiers et au-delà. L’administration Clinton a accentué la dévolution de responsabilités aux collectivités locales, mais en veillant à y associer les organisations communautaires, les fondations et le secteur économique. Les engagements budgétaires de l’État fédéral étant loin de retrouver le niveau des programmes de la Guerre à la Pauvreté, on attendait des acteurs du développement communautaire qu’ils contribuent à affranchir les quartiers pauvres de l’aide publique, ou du moins qu’ils limitent celle-ci en oeuvrant au retour des investisseurs privés dans les quartiers pauvres. Cette orientation était le pendant territorial de l’objectif de sortie de la pauvreté par l’auto-suffisance individuelle.

Le climat politique sous l’administration Clinton était donc propice à l’expansion du développement économique communautaire chargé de stimuler l’investissement privé et de sortir les habitants de la dépendance. Plusieurs initiatives illustrent les nouvelles priorités du gouvernement fédéral. En 1993, la nouvelle administration fait adopter le programme Empowerment Zones/Enterprise Communities (EZ/EC) qui combine la logique des zones franches et celle du développement économique communautaire dans le cadre d’un projet global de revitalisation de quartiers. Ce programme s’efforçait

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de traiter simultanément les questions de la revitalisation économique et du traitement des barrières individuelles à l’emploi. Les sites ont été sélectionnés à la suite d’un appel à projet fédéral qui faisait une large place à la participation des habitants et des organisations qui représentent leurs intérêts68.

Les autres initiatives majeures de l’administration Clinton ont concerné l’accès au capital des individus, entreprises et organisations communautaires (cette dimension était également présente dans le programme EZ/EC). L’objectif était de conforter l’action des « Institutions financières de développement communautaire » (Community Development Financial Institutions ou CDFIs) qui jouent un rôle d’intermédiation entre diverses sources de financement (privées, publiques, communautaires) et les porteurs de projets économiques (mais aussi dans les domaine du logement, de l’aménagement, des équipements, des services sociaux…). Les CDFIs ont connu un développement important dans les années 90, avec plus de 600 structures labellisées qui gèrent aujourd'hui près de 10 milliards de dollars d’actifs.

Trois décisions importantes de l’administration Clinton ont contribué à l’essor des CDFIs. La création tout d'abord du CDFI Fund, en 1994, une agence gouvernementale placée sous la tutelle du Department of the Treasury qui fournit des financements aux CDFIs, à condition qu’ils soient abondés par des ressources du secteur privé et des pouvoirs publics locaux (cf. infra). La révision en 1995 du Community Reinvestment Act (CRA), ensuite, cette loi fédérale adoptée en 1977 pour combattre la discrimination des quartiers pauvres - et donc des minorités ethniques - par les banques (cf. infra). Enfin, quelques semaines avant son départ, en 2000, le président Clinton a signé une loi ambitieuse, intitulée New Markets Initiative (NMI) qui comprenait deux mesures principales : une incitation fiscale (le New Markets Tax Credit, cf. infra) permettant aux contribuables investissant dans des CDFIs de recevoir un abattement d’impôt fédéral pour un montant global de 15 milliards de dollars sur sept ans ; la création d’une catégorie d’entreprises, appelées New Markets Venture Capital Firms, destinées à investir du capital-risque dans les petites et moyennes entreprises des territoires urbains et ruraux défavorisés (cf. infra). Cette loi cherchait à répondre aux besoins des «territoires laissés-en-arrière » (places left behind), comme les appelait l’administration d’alors, ces territoires qui n’avaient pas tiré parti de la forte croissance économique de la seconde moitié des années 90.

La New Markets Initiative empruntait aux idées défendues par certains universitaires, en particulier Michael Porter, écouté de B. Clinton et A. Gore. Porter insistait sur l’accès au capital comme élément crucial de la revitalisation des quartiers pauvres. Une autre source d’influence était un rapport largement diffusé de l’American Assembly (Université de Columbia) qui prônait l’avènement d’un « capitalisme communautaire » (community capitalism), conduit par le secteur privé mais soutenu par les pouvoirs publics et les acteurs communautaires69. Comme la création du CDFI Fund au début du double mandat

68 T. Kirszbaum, Le traitement préférentiel des quartiers pauvres. Les Grands Projets de Ville au

miroir de l’expérience américaine des Empowerment Zones, CEDOV/PUCA/FASILD, 2002

69 Community Capitalism : Rediscovering the Markets of America's Urban Neighborhoods, 91th American Assembly, 1997

Références

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