• Aucun résultat trouvé

L ES M ICROENTERPRISE LOAN FUNDS

Les Fonds de crédit pour les micro-entreprises (Microenterprise Loan Funds) sont une catégorie particulière de Fonds de crédit pour le développement communautaire. Ils proposent des micro-prêts s’inspirant des pratiques de la célèbre Grameen Bank au Bengladesh ou de FINCA et ACCION en Amérique latine. Ces expériences ont été transposées aux États-Unis à partir des années 80. Depuis lors, le micro-crédit figure au premier plan de l’agenda politique, surtout depuis le sommet international tenu à Washington, en 1997, et placé sous le haut patronage d’Hillary Clinton. Plus que tout autre CDFI, les micro-prêteurs font l’objet d’un consensus des forces politiques américaines et sont souvent

91 Sur tous ces points, voir CDFI Data Project, Providing capital, building communities, creating

présentés comme la panacée. Leur postulat idéologique est l’empowerment individuel : en créant sa propre entreprise, une personne pauvre peut reprendre le contrôle de son existence.

Forte de soutiens multiples, la formule des micro-prêts a littéralement explosé aux États-Unis. On comptait environ 700 programmes de ce type, en 2000, correspondant à un investissement cumulé de plus de 160 millions de dollars dans 55 000 projets individuels92. Les programmes en question sont

extrêmement divers, tant du point de vue des structures porteuses que des populations ciblées ou du type de prêts consentis.

Les programmes pionniers étaient généralement le fait de petites organisations non-profit, créées pour ce seul objet. Avec le temps, des organisations plus importantes (Community Development Loan

Funds, Community Development Corporations, Credit Unions, services sociaux…) ont intégré cette

activité parmi leurs prestations. Il s’agit le plus souvent d’organisations à but non lucratif, mais les micro- prêts sont parfois proposés par des banques commerciales. Certaines organisations ne prêtent pas directement, mais jouent une fonction d’intermédiaire avec ces banques, tenues de démonter qu’elles prêtent aussi à la population des quartiers défavorisés.

Les emprunteurs sont divers, même s’il s’agit le plus souvent de personnes à faibles revenus (« travailleurs pauvres », chômeurs, bénéficiaires de l’aide sociale…). Certains programmes ciblent des groupes plus spécifiques : groupes ethniques, femmes, habitants des quartiers pauvres. De fait, les bénéficiaires réunissent souvent ces trois caractéristiques. Ce sont souvent (mais pas seulement) des personnes économiquement désavantagées, mais ayant atteint un certain niveau d’éducation ou de formation93.

La formule originelle est celle du « prêt de groupe » (peer group lending). Les personnes intéressées par un emprunt forment un groupe qui, après avoir reçu une formation, examine et approuve le prêt de chacun des membres. Si tous les membres du groupe remboursent correctement leur emprunt, ils peuvent emprunter à nouveau, sans quoi les membres ne sont pas éligibles pour de futurs prêts. Dans certains cas, le prêt n’est pas consenti aux membres individuels, mais au groupe lui-même qui le répartit entre les participants ou assure une rotation du prêt entre participants dès qu’un remboursement est effectué. Cette formule de caution solidaire permet en principe de garantir une meilleure sécurité des remboursements, de créer un système d’entraide et d’émulation, ainsi que de réduire les coûts de transaction pour le prêteur94. Faute de donner pleinement satisfaction, ce système a été peu à peu

délaissé aux Etats-Unis : 16% des programmes de micro-entreprises continuent de l’utiliser, tandis que 65% font des prêts individuels et 10% utilisent les deux méthodes95.

92 FIELD (Fund for Innovation, Effectiveness, Learning and Dissemination), Microenterprise Fact

Sheet Series, 2000

93 P. Clark et al., Microenterprise and the Poor, The Aspen Institute, 1999

94 M. Bhatt, S.-Y. Tang, Making Microcredit Work in the United States : Social, Financial, and

Administrative Dimensions, Economic Development Quarterly, vol. 15, n° 3, août 2001

Les organisations proposant ces programmes se sont également aperçues que la grande majorité des participants ne venaient pas chercher des prêts, mais une formation96. Du coup les programmes ont

pris des orientations très distinctes quant à leurs objectifs et la manière de définir leur succès. Certains se focalisent essentiellement sur la formation, afin de promouvoir l’auto-suffisance des participants ; des crédits peuvent être proposés, mais ce sont parfois de simples prétextes pour une démarche éducative97. D’autres programmes continuent de se concentrer sur le prêt dans une optique de

revitalisation économique ; certains s’adressent aux plus démunis pour les aider à échapper à la pauvreté, d’autres privilégient des micro-entrepreneurs déjà expérimentés98. Dans tous les cas, la

plupart des programmes demandent aux participants de suivre a minima une formation de base sur la vente, le marketing, la gestion financière ou l’écriture d’un business plan.

Une étude longitudinale conduite par Aspen Institute auprès de 405 micro-entrepreneurs ayant obtenu un prêt montre que 72% d’entre eux ont accru leurs revenus de près de 9 000 dollars par an, en moyenne, permettant à 53% de se situer au-dessus du seuil de pauvreté dans les cinq ans99. Mais ces

résultats sont controversés, certains experts soulignant que le micro-entrepreneur typique voit au contraire son revenu diminuer100. La plupart travaillent sur leur lieu d’habitation et la micro-entreprise ne

fait souvent qu’apporter un complément de revenu au conjoint salarié (le mari dans beaucoup de cas), ce qui permet effectivement au ménage de dépasser le seuil de pauvreté, mais pas forcément au micro- entrepreneur lui-même101.

Les évaluations montrent que les micro-prêts apportent des bénéfices autres que financiers : confiance et estime de soi, accès au savoir et inscription dans des réseaux sociaux sont les résultats les plus souvent soulignés102. Lisa J. Servon, l’universitaire sans doute la plus experte du sujet, voit dans le

micro-crédit une stratégie située au carrefour du développement économique et du travail social, devant être évaluée à l’aune de cette double dimension103.

Dans cette perspective, il faudrait juger acceptables des taux d’insuccès relativement importants et des coûts de gestion élevés. Si les rapports de la Grameen Bank et d’institutions similaires en Amérique latine ont montré que les échecs étaient rares, les évaluations américaines aboutissent à des conclusions moins optimistes, du moins très variables d’un programme à l’autre (entre 2 et 25% de défaillances dans le cas des programmes de peer lending)104. D’autres évaluations montrent que les

coûts de gestion des programmes sont disproportionnés en regard de la taille des prêts105. Les

96 J. Langer et al., 1999 Directory of U.S. Microenterprise Program, The Aspen Institute, 1999 97 L. J. Servon, Bootstrap Capital : Microenterprises and the American Poor, Brooking Institution Press, 1999

98 J. Else, Microenterprise Development in the U.S., ILO, 2000 99 P. Clark, op. cit.

100 L. Benjamin et al., op. cit.

101L. J. L. Servon, Microenterprise Development as an Economic Adjustment Strategy, Economic development administration, Rutgers University, 1998

102 E. Edgcomb et al., The Practice of Microenterprise in the U.S., The Aspen Institute, 1996 ; L. J. Servon, 1999, op. cit ; p. Clark et al, op. cit.

103 L. J. Servon, 1999, op. cit. 104 E. Edgcomb et al., op. cit. 105 M. Bhatt, S.-Y. Tang, op. cit.

Microenterprise Loan Funds atteignent par conséquent rarement l’auto-suffisance et nécessitent le

soutien constant de financeurs extérieurs, bien davantage en tous cas que d’autres CDFIs106.