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La validité du rapatriement de 1982 : analyse de la coutume constitutionnelle nécessitant l'accord unanime des provinces

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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LA VALIDITÉ DU RAPATRIEMENT DE 1982 : ANALYSE DE LA

COUTUME CONSTITUTIONNELLE NÉCESSITANT L’ACCORD

UNANIME DES PROVINCES

Mémoire François Boulianne Maîtrise en droit Maître en droit (LL.M.) Québec, Canada © François Boulianne, 2016

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Résumé

Avant le rapatriement constitutionnel de 1982, existait-il une coutume constitutionnelle nécessitant l’accord unanime des provinces pour modifier la Constitution ? Après avoir analysé les éléments constitutifs permettant la reconnaissance d’une coutume en tant que source de droit au niveau international et dans les États de common law, l’auteur établit, dans une perspective historique, politique et juridique, les caractéristiques qui permettent d’utiliser cette norme juridique dans le contexte canadien. Bien que la coutume constitutionnelle n’ait pas été plaidée devant les tribunaux canadiens au moment du rapatriement, l’analyse des modifications constitutionnelles depuis la naissance de la fédération, à la lumière des éléments constitutifs de cette source de droit, permet de croire que l’accord unanime des provinces était nécessaire pour modifier la Constitution. Cette analyse s’avère encore plus crédible lorsqu’elle est confrontée à l’avis des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada rendu à l’aube du rapatriement dans le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution. Quelque 30 ans plus tard, une question subsiste. Serait-il toujours possible de reconnaître cette coutume afin de préserver le caractère inclusif de la Constitution ainsi que le désir commun des provinces de contracter une union fédérale comme cela avait été établi en 1867 ?

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Abstract

Before the constitutional patriation in 1982, was there a constitutional custom requiring the unanimous assent of the provinces to amend the Constitution ? After analysing the constitutive elements that identify a custom as a source of law at the international level and in common law jurisdictions, the author establishes the features that allow this legal approach to be used in the Canadian context, from a historical, political and legal standpoint. Despite the fact that constitutional custom was not pleaded before the Canadian courts when the Constitution was patriated, an analysis of constitutional amendments since Confederation, in light of the constitutive elements of the legal rule, suggests that unanimous agreement from the provinces was necessary to amend the Constitution. This analysis gains even more credibility from the majority decision of the Supreme Court immediately prior to patriation in Re: Resolution to amend the Constitution. Some 30 years later, a question remains. Should it still be possible to recognize this custom to preserve the inclusive nature of the Constitution along with the shared desire of the provinces to contract a federal union, as established in 1867 ?

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ...v

Table des matières... vii

Liste des abréviations ... ix

Remerciements ... xi

Avant-propos ... xiii

INTRODUCTION...1

I. Définition de l’objet d’étude ...1

II. Cadre analytique et méthodologie ...4

III. Plan ...14

CHAPITRE I. LA COUTUME EN DROIT INTERNATIONAL ET DANS LES ÉTATS DE COMMON LAW AVANT LE RAPATRIEMENT DE 1982 ...15

1. Les éléments constitutifs de la coutume internationale ...15

1.1. L’aspect matériel (consuetudo) ...16

1.2. L’élément psychologique (opinio juris) ...18

2. Les éléments constitutifs de la coutume dans les États de common law ...24

2.1. La formation de la coutume dans les juridictions de common law et son importance contemporaine ...24

2.2. Les critères de la coutume permettant son application en common law ...30

CHAPITRE II. LA COUTUME À TITRE DE SOURCE DE DROIT APPLICABLE LORS DURAPATRIEMENT DE 1982 ...39

1. Le contexte constitutionnel canadien de 1867 à 1982 ...39

1.1. L’absence de formule générale de modifications constitutionnelles ...39

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2. La reconnaissance de la coutume en droit canadien et son application en regard du

rapatriement constitutionnel de 1982 ...48

2.1. La distinction entre la convention et la coutume constitutionnelle ...48

2.2. L’application de la coutume en regard du rapatriement de 1982 ...60

2.3. L’analyse de l’aspect psychologique (opinio juris) ...73

CHAPITRE III. L'OPPORTUNITÉ DE PLAIDER LA COUTUME CONSTITUTIONNELLE ...119

1. L’opportunité de plaider la coutume constitutionnelle au moment du rapatriement de 1982 ...119

2. L’opportunité de plaider la coutume constitutionnelle à la suite du rapatriement de 1982 ...124

CONCLUSION ...137

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Liste des abréviations

A.C. Appeal Cases

A.C.D.I. Annuaire canadien de droit international All ER Rep All England Law Reports, Reprint

Can. J.L. & Juris Canadian Journal of Law and Jurisprudence C.A. Recueil des arrêts de la Cour d’appel du Québec

C.A.F. Recueil des arrêts de la Cour d’appel fédérale du Canada

C.A. T.N.-O. Recueil des arrêts de la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest C. de D. Cahiers de droit

C.F. Recueil des décisions de la Cour fédérale du Canada C.I.J. Cour internationale de Justice

C.N.L.R. Canadian Native Law Reporter Cowp Cowper’s King’s Bench Reports

C.P.J.I. Cour permanente de justice internationale CSC Cour suprême du Canada

J.D.I. Journal du droit international L.R.C. Lois refondues du Canada

L.Q. Lois du Québec

M. & Rob Moody and Robinson's Nisi Prius Cases Mod. L.R. Modern Law Review

Ottawa L. Rev. Ottawa Law Review

Q.B. Queen’s Bench

R.C.S. Recueil des arrêts de la Cour suprême R. du B. Revue du Barreau du Québec

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R.D.U.S. Revue de droit de l’Université de Sherbrooke RLRQ Recueil des lois et des règlements du Québec R.S.A. Revised Statutes of Alberta

R.S.B.C. Revised Statutes of British Columbia S.C. Statuts du Canada

Terr. L. R. Territories Law Reports U.S. United States Reports

Vict. Victoria

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Remerciements

L'aboutissement de ce projet passionnant et formateur n'aurait pu être possible sans la collaboration de nombreuses personnes. D'abord, je dois exprimer ma reconnaissance envers ma directrice Eugénie Brouillet pour son soutien, ses judicieux commentaires et pour avoir cru dans la réalisation de ce mémoire. Elle a su me communiquer sa passion pour le droit constitutionnel et me donner la motivation pour poursuivre des études à la maîtrise. Ce fut un immense privilège de pouvoir travailler sous sa direction.

Je tiens également à exprimer ma gratitude envers Patrick Taillon et Geneviève Motard pour leurs commentaires et leurs suggestions lors de la rédaction finale de cette étude. Ils m'ont permis d'approfondir mes réflexions et de préciser certaines interprétations. Je souhaite également remercier Donald Fyson pour m'avoir aidé à trouver la signification de certaines abréviations contenues dans les références d'anciennes décisions judiciaires anglaises.

Au point de vue personnel, je dois exprimer ma reconnaissance envers mes amis et mes collègues de travail pour l'intérêt qu'ils ont démontré à l'égard de ce projet. Enfin, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance pour le support inconditionnel de ma mère Ginette, de mon père Jean-Denis et de ma sœur Nathalie. De même, un merci tout particulier doit également être adressé à Josée et à nos deux amours, Olivier et Emma, pour m'avoir accompagné durant ce parcours.

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Avant-propos

Le présent texte, à l’exception de la section 2.3 du chapitre II et de la partie 2 du chapitre III, provient en grande partie de l’article suivant de l’auteur : « Le rapatriement constitutionnel de 1982 : existait-il une coutume constitutionnelle nécessitant l’accord unanime des provinces pour modifier la Constitution ? », (2014) 55, 2, C. de D., 329.

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INTRODUCTION

I. Définition de l’objet d’étude

L’année 2012 marquait le 30e anniversaire du rapatriement de la Constitution

canadienne de 1982. Cet événement, qui se voulait un moment mémorable dans l’histoire canadienne, ne s’est pas réalisé sans heurts. Une majorité de provinces s’est d’abord opposée à une action unilatérale du gouvernement fédéral, ce qui a conduit certaines d’entre elles à contester par renvoi devant leur plus haut tribunal respectif la légalité et la légitimité du processus unilatéral de rapatriement envisagé par le fédéral1. Ces provinces

arguaient notamment que la charte des droits et libertés que voulait inclure le gouvernement fédéral dans la Constitution modifierait les relations fédérales-provinciales et diminuerait leur pouvoir législatif, et ce, sans leur accord.

Parmi les questions posées devant ces tribunaux, toutes les provinces visées ont demandé si le fédéral devait obtenir l’assentiment des provinces aux niveaux juridique et conventionnel avant de modifier et rapatrier la Constitution. L’argument des provinces résidait principalement dans le fait que les modifications constitutionnelles antérieures qui touchaient une ou plusieurs provinces avaient toutes été réalisées avec leur accord. Les réponses, parfois contradictoires, obtenues par les tribunaux provinciaux s’étant prononcés sur cette question ont incité la Cour suprême du Canada à entendre l’appel de ces renvois. Dans le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution2, rendu le

1 Seules les provinces du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario appuient l’action unilatérale du

gouvernement fédéral. Parmi les provinces qui s’opposent à cette action, le Manitoba, Terre-Neuve et le Québec s’adressent, sous forme de renvoi, à leur plus haut tribunal respectif. Pour l’exemple du Québec, voir : Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] C.A. 80. Pour les fins de cette étude, il importe de souligner qu’avant l’accord intervenu le 5 novembre 1981 entre le gouvernement fédéral et l’ensemble des provinces, à l’exception du Québec, le débat juridique et politique consistait à déterminer si le Parlement fédéral pouvait unilatéralement rapatrier et modifier la Constitution canadienne sans l’accord unanime des provinces. Après que cet accord fut conclu, le Québec fit valoir que le rapatriement et la modification de la Constitution ne pouvait être réalisée sans son consentement. Pour cette raison, nous ferons référence au rapatriement et à la modification unilatérale du Parlement fédéral pour la période antérieure à l’accord du 5 novembre 1981. Pour la période qui y est postérieure, nous réfèrerons toutefois au rapatriement et à la modification de la Constitution sans l’accord du Québec.

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28 septembre 1981, les juges majoritaires affirment, d’une part, qu’une convention constitutionnelle ne peut se cristalliser en une règle de droit. D’autre part, ils indiquent qu’une convention existe bel et bien et qu’elle nécessite l’accord d’un nombre appréciable de provinces pour que le gouvernement fédéral adresse une requête au Parlement de Westminster en vue de rapatrier la Constitution canadienne. Quant au nombre requis de provinces pour que l’appui au projet fédéral soit qualifié d’appréciable, il doit être déterminé au niveau politique.

À la suite de cette décision, des négociations ont donc été entreprises entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux en vue de rapatrier la Constitution avec leur assentiment. Une entente à ce sujet, intervenue dans la nuit du 4 au 5 novembre 1982, permit d’obtenir l’accord de toutes les provinces, à l’exception du Québec, pour adresser une requête au Parlement de Westminster afin de rapatrier la Constitution canadienne. Le 29 mars 1982, celui-ci adopta le Canada Act3. Un peu plus

de deux semaines plus tard, soit le 17 avril, la reine Élisabeth II promulguait par lettres patentes la Loi constitutionnelle de 19824, qui permettait au Canada d’obtenir sa pleine

souveraineté, d’une part, et d’inclure la Charte canadienne des droits et libertés5 et

diverses formules de modification à sa Constitution, d’autre part.

Entretemps, le Québec adressa une seconde requête en renvoi à la Cour d’appel de la province afin que celle-ci se prononce sur l’existence d’une convention constitutionnelle exigeant le consentement du Québec avant que le Sénat et la Chambre des communes du Canada puissent modifier la Constitution. Il s’agissait de savoir si l’objection du Québec rendait inconstitutionnelle, au sens conventionnel, l’adoption d’une résolution pour modifier la Constitution canadienne. Le 7 avril 1982, la Cour d’appel répondit par la négative à cette question, ce qui fit en sorte qu’un appel fut porté devant la Cour suprême 6 . Le 6 décembre 1982, la Cour suprême, dans le

3 Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 44. 4 Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, préc., note 3.

5 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 4. 6 Re : Opposition à une résolution pour modifier la constitution, [1982] C.A. 33.

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Renvoi : Opposition à une résolution pour modifier la Constitution7 répondit également

par la négative au pourvoi du Québec, et ce, bien qu’elle y énonce que la question fût rendue théorique en raison de la promulgation de la Loi constitutionnelle de 1982 le 17 avril précédent.

Les questions posées à la Cour suprême lors du Renvoi de 1981 et du Renvoi de 1982 s’expliquent par le fait que la Constitution canadienne ne contient pas de règles écrites précisant la manière de procéder à des modifications constitutionnelles lorsque les pouvoirs du Parlement fédéral et des législatures provinciales sont touchés. Cependant, la Cour suprême, dans le Renvoi de 1981, fait la nomenclature des modifications constitutionnelles qui ont été réalisées ou qui ont achoppé depuis l’adoption de la Loi

constitutionnelle de 18678, ce qui montre qu’une procédure non écrite existait dans les

faits9. Dans ce contexte, est-il possible qu’une règle de droit se soit formée à partir des

précédents, qui constituent une condition essentielle de la coutume constitutionnelle, et ce, compte tenu du fait qu’il n’existait pas de procédure générale de modification écrite dans la Constitution canadienne avant 198210 ? De plus, dans quelle mesure les acteurs

visés respectent-ils la procédure de modification dans ses précédents positifs et négatifs ? Qui plus est, les provinces opposées au rapatriement unilatéral par le fédéral auraient-elles pu contraindre celui-ci, par voie judiciaire, à obtenir l’assentiment de toutes les provinces avant de réaliser ce projet en invoquant l’existence d’une coutume constitutionnelle à cet effet ? Enfin, serait-il toujours possible de faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982 en raison du non-respect d’une coutume constitutionnelle exigeant l’assentiment de tous les acteurs concernés pour son adoption ?

7 Re : Opposition à une résolution pour modifier la constitution, [1982] 2 R.C.S. 793 (ci-après « Renvoi de

1982 »).

8Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5.Avant

le rapatriement de 1982, cette loi s’intitulait Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Pour les fins de ce texte, le titre Loi constitutionnelle de 1867 sera utilisé pour désigner cette loi.

9 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 888-894 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges

Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

10 Il convient de noter que seules certaines dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 permettaient

de modifier la Constitution de manière exceptionnelle et limitée. À ce propos, voir : infra, chapitre II, partie 1.1.

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II. Cadre analytique et méthodologie

Afin de répondre aux questions que nous venons d’évoquer, il est impératif de définir la structure de la Constitution canadienne. D’abord, soulignons qu’elle est à la fois rigide et souple. La partie rigide, qui est relativement petite, correspond aux normes constitutionnelles qui peuvent difficilement être modifiées11. Ces dernières sont soumises

à une procédure de modification qui implique les deux ordres de gouvernements. Cette procédure est donc plus complexe que celle qui prévaut pour les lois ordinaires fédérales et provinciales12. En outre, ces normes ont acquis une plus grande stabilité que les autres

dispositions constitutionnelles et jouissent d’une autorité supralégislative, ce qui signifie qu’elles ont une autorité supérieure aux lois ordinaires13. Elles correspondent à

l’ensemble des lois, textes législatifs et décrets promulgués de 1867 à 1982 que nous retrouvons au paragraphe 52 (2) ainsi qu’à l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette liste n’est toutefois pas exhaustive. En effet, les tribunaux ont confirmé l’existence d’autres normes juridiques à caractère supralégislatif, écrites ou non, qui peuvent être intégrées à la partie rigide de la Constitution canadienne14.

11 Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions

administratives, 3e éd., Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2009, p. 516 et 517 indiquent qu’une norme est

un acte comportant la volonté de contraindre la conduite humaine. Elle constitue une norme juridique lorsque cette contrainte repose sur le pouvoir d’État et vise des sujets de droit soumis à l’autorité de cet État. Ils ajoutent que ce qui constitue le caractère juridiquement normatif de l’acte, c’est qu’il est exécutoire et pleinement opposable à la collectivité. Précisons également que l’acte normatif peut être écrit ou non.

12 À ce propos, voir notamment : Jonathan Desjardins Mallette, La constitutionnalisation de la juridiction

inhérente au Canada : origines et fondements, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2007 p. 105.

Il est à noter que dans le contexte constitutionnel actuel, les normes supralégislatives de la Constitution peuvent, selon le cas, être modifiées du consentement du Parlement fédéral et de l’assemblée législative d’une ou de plusieurs provinces.

13 Sur la primauté des règles juridiques de la Constitution, voir notamment : Nicole Duplé, Droit

constitutionnel : principes fondamentaux, Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 89 à 91.

14 À ce sujet, voir notamment : André Émond, Introduction au droit canadien, Montréal, Wilson & Lafleur,

2012, p. 99-105 ainsi que l’arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de

l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, p. 375 à 378 (opinion du juge McLachlin). Pour des exemples

d’autres normes constitutionnelles à caractère supralégislatif, voir le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour

suprême, art. 5 et 6, 2014, CSC 21, par. 90 et 91. Mentionnons également que les juges dissidents Lebel et

Deschamps (avec l’accord des juges Abella et Charron) ont énoncé dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. Moses, [2010] 1 R.C.S. 557, par. 139 que la Convention de la Baie James et du Nord québécois a une valeur supralégislative. Enfin, les juges de la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 49 à 82 ainsi que le juge Lamer dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges

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La partie souple, quant à elle, contient la majeure partie des règles constitutionnelles. Elle puise sa source dans certaines lois, dont celles du Parlement britannique et des différents parlements canadiens, dans les décisions des tribunaux, dans celles des gouvernements et des assemblées législatives, dans la doctrine, dans les conventions constitutionnelles ainsi que dans la coutume constitutionnelle. Les normes juridiques qui composent cette partie peuvent être modifiées par l’adoption de lois ordinaires par le Parlement fédéral ou par l’assemblée législative de la province concernée et ne nécessitent pas l’intervention des deux ordres de gouvernements15.

Avant le rapatriement de 1982, une procédure de modification rigide s’est développée en pratique malgré l’absence de dispositions constitutionnelles précisant le degré d’assentiment provincial nécessaire lorsque les deux ordres de gouvernements étaient concernés. En effet, des amendements constitutionnels impliquant à la fois le Parlement canadien et les assemblées législatives provinciales visées ont été réalisés au cours de cette période. L’analyse de cette procédure doit être effectuée afin de déterminer s’il existait une coutume nécessitant l’accord unanime des provinces pour modifier et rapatrier la Constitution.

Pour réaliser cet exercice, il est possible de s’inspirer de la grille analytique en trois pôles proposée par Catherine Thibierge. Son application permet de distinguer les diverses règles constitutionnelles applicables pour modifier et rapatrier la Constitution en l’absence de règles écrites16. D’abord, le pôle de la valeur normative porte sur la force

conférée à la norme par son émetteur. De manière concrète, la qualité et l’autorité de son

constitutionnels fondamentaux. Le premier traite des règles qui définissent l’essence du parlementarisme britannique ; le second porte sur l’intention des provinces canadiennes de former une union fédérale, tout en visant l’établissement d’un seul et même pays ; le troisième protège le caractère démocratique du Canada ; le quatrième garantit le principe de la primauté du droit (rule of law) et celui du constitutionnalisme (suprématie de la Constitution) ; le cinquième prévoit que toute condition ayant permis l’adhésion originelle des provinces à la fédération canadienne doive être respectée ; le sixième porte sur le principe du respect des minorités ; et le septième est un principe de protection des droits fondamentaux de la personne.

15 À ce sujet, voir Brun, Tremblay et Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon

Blais, 2014, p. 11. Pour l’analyse de chacune de ces normes constitutionnelles, il est possible de consulter les pages 9 à 50.

16 À ce propos, nous distinguerons la convention et la coutume constitutionnelle à la partie 2.1. du

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auteur, sa place dans la hiérarchie des normes, la nature de l’instrument qui la porte, la formulation de son énoncé, l’intention qui a présidé à son élaboration, la régulation de son élaboration, la légitimité de son contenu, etc. sont les critères qui sont examinés. Le pôle de la portée normative, quant à lui, traite de la force de la norme telle que perçue, ressentie, vécue et conférée par ses destinataires. Les effets produits lors de la réception de la norme par les auteurs de doctrine ou les praticiens sont les éléments qui y sont étudiés. Enfin, le pôle de la garantie normative concerne la garantie du respect et de la validité de la norme offerte par le système judiciaire. Parmi les attributs attachés à la norme par le système juridique, mentionnons le fait qu’elle soit assortie de contraintes et de sanctions ou encore qu’elle soit opposable ou invocable par les justiciables qui peuvent s’en prévaloir en justice17.

L’étude de la procédure générale de modification de la Constitution antérieure au rapatriement de 1982 s’inscrit dans l’analyse plus large des relations entre les sphères juridique et politique en matière constitutionnelle. Elle permet également de poser un regard sur le rôle joué par les institutions et les acteurs chargés de réguler cette relation. À ce propos, Choudhry et Howse mentionnent que l’analyse du droit et de la jurisprudence portant sur les rapports entre l’adjudication en matière constitutionnelle et les politiques démocratiques ont été, à quelques exceptions notables, déficientes18.

En dépit de ce manque, Choudhry et Howse dégagent une approche théorique dans la doctrine en regard de cette question. Selon celle-ci, qu’ils désignent sous le nom de « positivist account of the constitutional interpretation », les sources du droit constitutionnel se trouvent principalement dans les dispositions formelles de la Constitution énumérées notamment au paragraphe 52 (2) de la Loi constitutionnelle de

17 Catherine Thibierge (dir.), La force normative : naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J., 2009, p. 822, 823

et la Figure 1 intitulée « Les trois pôles de la force normative : outil de diagnostic de la force des normes en droit » située à la page 840. Pour leur part, les auteurs Sujit Choudhry et Robert Howse, « Secession : Constitutional Theory and the Quebec Secession Reference », (2000), 13 Can. L.J. & Juris, 143, par. 16 à 18 énoncent que toutes les approches interprétatives constitutionnelles comprennent, en dépit de différences méthodologiques, les trois éléments suivants : l’analyse des sources applicables, l’identification des institutions chargées de les interpréter ainsi que la manière dont elles interprètent les sources applicables.

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198219. Les tenants de cette approche accordent également une importance aux

interprétations passées de ces dispositions. À ce titre, elles peuvent avoir une autorité de précédent du fait qu’elles constituent une interprétation des dispositions constitutionnelles. Pour cette raison, elles permettent une adaptation du texte aux faits dans certaines situations.

Selon cette interprétation, une distinction nette existe entre le droit constitutionnel contenu dans les dispositions formelles de la Constitution et les autres sources normatives constitutionnelles. De ce fait, seules les dispositions formelles concernent l’aspect légal de la Constitution. Elles constituent des sources juridiques susceptibles de sanction par les tribunaux. Les autres sources normatives relèvent, quant à elles, du domaine politique. Elles concernent la légitimité des pratiques posées par les acteurs politiques.

Les auteurs qui préconisent cette approche doivent expliquer le fait que les normes constitutionnelles ne sont pas toutes inscrites dans les dispositions de la Constitution formelle. Ils proposent deux réponses pour expliquer et combler le silence des textes qui peut exister dans certaines situations. D’abord, il est possible de s’interroger sur l’intention originale de ceux qui ont conçu la Constitution pour déterminer de quelle manière ils auraient souhaité que la situation précise soit résolue en regard du texte constitutionnel. De plus, il pourrait être possible d’avoir recours aux normes politiques lorsqu’il y a absence de dispositions législatives formelles20.

Cette approche a été utilisée lors du Renvoi de 1981 et du Renvoi de 1982. En effet, les juges majoritaires et minoritaires ont analysé d’une part, la légalité de la modification

19 Cette approche doit être distinguée du droit positif qui comprend l’ensemble des règles juridiques

posées, créées et édictées par la volonté humaine et qui sont en vigueur dans un État. Celui-ci est constitué du droit écrit (droit statutaire) adopté par voie législative, des décisions des tribunaux et des principes imposés par le constituant. Le droit positif inclut également le droit non écrit dont l’origine n’est pas législative (par exemple, la coutume). Celui-ci complète les règles du droit écrit dans la constitution du droit positif. À ce sujet, voir : Michel Troper, « Le positivisme comme théorie du droit », dans Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaud et Michel Troper, Le positivisme juridique, Paris, L.G.J.D., 1992, p. 272-284 et Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 808. Voir également les définitions des expressions « droit écrit », « droit non écrit » et « droit positif » dans Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et

canadien, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 219 et 220. 20 Choudhry et Howse, préc., note 17, par. 19-26.

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et du rapatriement en regard de l’inclusion ou non de dispositions législatives dans la Constitution formelle portant sur ces sujets. D’autre part, ils ont examiné les conventions constitutionnelles, en tant que règles s’appliquant dans le domaine politique, portant sur la constitutionnalité et la légitimité de la modification et du rapatriement sans l’assentiment des provinces. Ainsi, la coutume, en tant que source juridique pouvant s’appliquer dans cette situation, n’a pas été analysée par les juges de la Cour suprême lors de ces renvois.

Pour combler les lacunes de cette dernière approche théorique, Choudhry et Howse en proposent une seconde qui convient mieux à l’analyse réalisée dans la présente étude. Cette interprétation, intitulée « Partnership and Institutional Dialogue21 »,

reconnaît, en prenant appui sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec, que les normes supralégislatives de la Constitution comprennent des règles non écrites ainsi que des principes constitutionnels en plus des textes énumérés au paragraphe 52 (2) de la Loi

constitutionnelle de 198222.

Pour ces auteurs, le recours aux normes constitutionnelles non écrites par les tribunaux est justifié par ce qu’ils nomment l’interprétation dualiste23. Ainsi, les

tribunaux utilisent d’abord les règles non écrites pour appliquer et interpréter les textes constitutionnels à la lumière des règles conventionnelles. Dans ce cas, les tribunaux se limitent à résoudre des ambiguïtés textuelles et à concilier des dispositions conflictuelles. Cette interprétation est utilisée dans le cours normal des activités judiciaires dans les instances où les parties ne contestent pas l’ordre constitutionnel.

Toutefois, dans certaines situations exceptionnelles, un tribunal peut avoir recours à l’interprétation extraordinaire. Selon celle-ci, le texte constitutionnel occupe une importance secondaire. Choudhry et Howse indiquent que la Constitution est alors perçue comme étant un ensemble de principes organisés autour des règles constitutionnelles non écrites. Ces dernières sont mises en œuvre par les règles écrites et servent à les expliquer.

21 Ibid., par. 27 et suiv.

22 Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 14, par. 32. 23 Choudhry et Howse, préc., note 17, par. 31-32.

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En conséquence, les règles constitutionnelles non écrites offrent « un cadre juridique exhaustif » pour le système de gouvernement canadien24. Selon nous, cette interprétation

aurait permis et pourrait toujours permettre aux tribunaux de reconnaître du point de vue légal que la coutume, telle que mise en place par les acteurs politiques concernés, exigeait l’unanimité pour modifier et rapatrier la Constitution.

Dans cette étude, le principal objet d’étude, soit la structure même de la Constitution canadienne, est abordé en fonction de son contexte juridique, social et politique25. Cette approche permet notamment de montrer qu’avant le rapatriement de

1982, les dispositions constitutionnelles ne précisaient pas le degré d’assentiment provincial nécessaire pour modifier la Constitution lorsque les deux ordres de gouvernements étaient concernés. Elle aide également à mieux saisir les mécanismes adoptés en pratique par les acteurs impliqués dans la procédure de modification de la Constitution canadienne au cours de cette période. Certains postulats propres à la procédure de modification générale de la Constitution canadienne en fonction de l’évolution du contexte social et politique entre 1867 et 1982 pourront aussi être énoncés26. Enfin, l’approche préconisée permet également de réévaluer la légalité et la

constitutionnalité de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982.

De manière plus précise, cette étude vise à montrer qu’en l’absence d’une formule de modification générale dans la Constitution avant le rapatriement de 1982, une

24 Renvoi relatif à la sécession du Québec, préc., note 14, par. 32.

25 Denis J. Galligan et Mila Versteeg (dir.), Social and Political Foundation of Constitutions, Cambridge,

Cambridge University Press, 2013, p. 3-4 affirment que depuis la seconde moitié du XXe siècle, une

nouvelle génération d’intellectuels étudient les lois constitutionnelles en fonction de leur contexte social et politique. De plus, Priscilla Taché, Hélène Zimmermann et Geneviève Brisson, « Pratiquer l’interdisciplinarité en droit : l’exemple d’une étude empirique sur les services de placement », (2011) 52,3-4, C. de D. 519, par. 2 énoncent que l’interdisciplinarité entre le droit et les sciences sociales permet « d’aborder un phénomène social du point de vue des acteurs individuels et collectifs, et de dépasser ainsi la qualification juridique des faits et l’encadrement de ce phénomène par le droit ».

26 À ce propos, Rachel Chagnon, De la volonté politique à l’interprétation judiciaire : la genèse et la mise en

œuvre du British North America Act de 1867, Thèse de doctorat, UQÀM, 2009, p. 51 indique que la lecture

comparée des différents tribunaux qui se sont penchés sur la Loi constitutionnelle de 1867 s’avère la plus fructueuse lorsqu’il s’agit de comprendre l’émergence du constitutionnalisme canadien. Selon cette auteure, l’analyse doit s’étendre au-delà des motifs énoncés par les juges et tenir compte du contexte historique dans lequel la décision est rendue. De même, à la p. 53, elle mentionne que le discours des acteurs politiques doit être perçu comme un acte et un geste destiné à influer sur autrui. Il doit s’évaluer en fonction de son contexte d’émission, du lieu, du moment et de l’identité de l’émetteur.

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procédure de modification constitutionnelle non écrite s’est tout de même mise en place après l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867. Celle-ci répondait à tous les critères du droit coutumier tel qu’appliqué au Canada et exigeait l’accord unanime des provinces tant pour rapatrier que pour modifier la Constitution.

Afin de parvenir à cette conclusion, il faut établir les fondements de la coutume et les critères permettant son application en droit. À ce titre, le droit international public est fort éclairant car il implique l’utilisation de la coutume dans un cadre interétatique tant dans la longue durée27 qu’au cours de la période contemporaine. L’analyse de la

jurisprudence relative à la coutume internationale s’avère également pertinente car la Cour suprême a reconnu avant 1982 que cette source de droit pouvait être intégrée en droit interne canadien si elle n’entre pas en contradiction avec une règle de droit interne28. En conséquence, les principes dégagés par les tribunaux internationaux auraient

pu être plaidés au moment du rapatriement. Ils pourraient également être plaidés dans un recours visant à faire invalider la Loi constitutionnelle de 1982.

Le portrait ne serait pas complet sans l’analyse de l’utilisation de la coutume dans les États dont le système juridique repose sur la common law. En effet, cette source de droit constitue le socle sur lequel s’est établi le système judiciaire en Angleterre au Moyen-Âge. D’ailleurs, les quelques textes écrits qui composent la Constitution anglaise font état de la coutume. L’étude de son application est donc primordiale afin de dégager les fondements et les critères qui ont permis son utilisation dans le contexte judiciaire propre à la common law. De cette manière, il sera possible de montrer que la coutume doit être analysée à la fois selon les principes issus de la constitution anglaise mais

27 À ce sujet, voir : Fernand Braudel, « La longue durée » dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations,

13e année, vol. 4, 1958, p. 731. Il y énonce que « Bon ou mauvais, celui-ci [le mot structure] domine les

problèmes de la longue durée. Par structure, les observateurs du social entendent une organisation, une cohérence, des rapports assez fixes entre réalité et masses sociales. […] [U]ne structure est sans doute un assemblage, architecture, mais plus encore une réalité que le temps use mal et véhicule très longuement. Certaines structures, à vivre longtemps, deviennent des éléments stables d’une infinie de générations […] ».

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également selon le contexte historique et législatif propre aux États issus de la colonisation anglaise comme le Canada29.

Une fois que ces fondements seront établis, nous devrons les confronter avec les motifs énoncés dans les Renvois de 1981 et de 1982 et les déclarations des acteurs concernés par la coutume consignées dans les Débats historiques de la Chambre des communes. De cette manière, nous pourrons montrer que les différents critères énoncés par les tribunaux internationaux, de common law et canadiens pour reconnaître l’existence d’une coutume sont rencontrés.

Cette dernière analyse permettra de déterminer s’il aurait été possible de plaider cette source de droit au moment du rapatriement en vue de contraindre par voie judiciaire le gouvernement fédéral à obtenir l’assentiment de toutes les provinces avant de rapatrier la Constitution de 1982. De plus, nous pourrons porter un regard critique sur la légalité et la constitutionnalité du rapatriement constitutionnel. À ce titre, il sera permis d’émettre l’hypothèse que la Loi constitutionnelle de 1982 pourrait toujours être invalidée car la coutume constitutionnelle nécessitant l’accord unanime des provinces pour rapatrier et modifier la Constitution n’a pas été respectée. De ce fait, la perspective abordée par ce texte est celle du Québec car il s’agit de la seule province à avoir un intérêt juridique. En effet, elle n’a toujours pas signé la Constitution à ce jour30.

29 Pour l’utilisation de la coutume dans le contexte canadien entre 1867 et 1982, voir infra, chapitre II. 30 Le 25 novembre 1981, le gouvernement québécois adopte le décret no 3214-81 afin d’exprimer son

opposition officielle au projet de résolution déposé à la Chambre des communes le 18 novembre précédent pour rapatrier et modifier la Constitution. Ce décret, que nous pouvons lire dans le Renvoi de 1982, préc., note 7, aux p. 796-797, mentionne que le projet de résolution fédéral, qui prévoit l’inclusion d’une procédure générale de modification de la Constitution ainsi que l’enchâssement d’une charte des droits et libertés, « […] aurait pour effet de diminuer substantiellement les pouvoirs et les droits du Québec et de son Assemblée nationale sans son consentement ». De plus, il y est également indiqué « Qu’il a toujours été reconnu qu’aucune modification de cette nature ne pouvait être effectuée sans le consentement du Québec ». Mentionnons aussi que le 19 décembre 1981, le premier ministre québécois René Lévesque a envoyé une lettre à la première ministre britannique Margaret Thatcher dans laquelle il indique les raisons pour lesquelles le Québec s’oppose au rapatriement et à la modification de la Constitution canadienne. Il y énonce notamment que « la loi projetée constitue une offensive sans précédent contre les pouvoirs permettant à la seule société d’expression française d’Amérique du Nord de défendre et promouvoir sa langue et sa culture ». Il ajoute que la procédure d’amendement de la Constitution envisagée remet en cause le pouvoir d’une province d’exercer son droit de retrait à l’égard d’une modification constitutionnelle qui réduirait ses compétences. De plus, le rapatriement envisagé porterait atteinte à la compétence exclusive des provinces en matière d’éducation prévue à l’article 93 de

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L’intérêt de cette étude provient du fait que ni les parties lors du Renvoi de 1981 et du Renvoi de 1982, ni les auteurs de doctrine qui s’y sont intéressés n’invoquent une coutume antérieure au rapatriement pouvant fonder l’existence d’une procédure de modification constitutionnelle non écrite31. Or, plusieurs auteurs de doctrine constatent

que la coutume est une source de la Constitution anglaise32, et ainsi, de celle du Canada

en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 186733. À ce titre, elle constitue une

source du droit constitutionnel canadien qui aurait pu être invoquée devant les tribunaux canadiens afin d’exiger l’assentiment unanime des provinces pour rapatrier et modifier la Constitution.

La motivation pour réaliser cette étude réside également dans l’absence de réponses satisfaisantes, du point de vue juridique, qui pourraient être offertes par les autres normes juridiques au regard des questions posées dans le Renvoi de 1981 et dans le Renvoi de 1982. Ainsi que nous l’avons mentionné, la procédure générale de modification constitutionnelle n’est pas écrite avant l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982.

la Loi constitutionnelle de 1867. Enfin, René Lévesque mentionne que la charte des droits et libertés qui doit être intégrée dans la Constitution canadienne contient des dispositions qui limitent la possibilité du législateur de recourir au critère de la province de résidence dans la rédaction de ses lois. En conséquence, les pouvoirs du Québec de légiférer, en tant que société distincte au sein du Canada, afin de protéger ses traditions juridiques, religieuses et historiques seraient limités. À ce sujet, voir : Marianopolis College, Lettre du premier ministre René Lévesque à Mme Margaret Thatcher, première ministre de

Grande-Bretagne, le 19 décembre 1981, et réponse de celle-ci, le 14 janvier 1982, [En ligne],

[http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/1982/11.htm] (28 novembre 2014).

31 À ce sujet, voir notamment : P. Blache, « La Cour suprême et le rapatriement de la constitution :

l’impact des perceptions différentes sur la question », (1981), 22, C. de D. 649 ; Y. DeMontigny, « Preuve d’une convention constitutionnelle devant les tribunaux – Modification de l’Acte de l’Amérique du Nord – Rôle du Québec », (1983) 43 R. du B. 1133 ; Nicole Duplé, « La Cour suprême et le rapatriement de la constitution : la victoire du compromis sur la rigueur », (1981) 22, 3-4, C. de D., p. 623 ; Peter W. Hogg, « Constitutionnal Law – Amendment of the British North America Act – Role of the Provinces », (1982) 60

R. du B. can. 307 ; J. Woehrling, « La Cour suprême et les conventions constitutionnelles: les renvois

relatifs au « rapatriement » de la Constitution canadienne », (1983-84) 14 R.D.U.S. 391.

32 À ce sujet, voir infra, chapitre I, partie 2.

33 Ce préambule prévoit que « […] les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse, et du

Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union fédérale pour ne former qu’une seule Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». Dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 805 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer), il est indiqué : « […] qu’un préambule n’a aucune force exécutoire mais qu’on peut certainement y recourir pour éclaircir les dispositions de la loi qu’il introduit ».

(26)

ce à dire que cette procédure ne relève pas du domaine juridique jusqu’à ce moment ? Une réponse négative à cette question s’impose en raison de la portée juridique et du caractère exécutoire des modifications réalisées durant cette période34. De plus, puisque

le Renvoi de 1981 est le premier à traiter de la possibilité pour le gouvernement fédéral de modifier unilatéralement les compétences législatives fédérales et provinciales sans l’accord unanime des provinces, la question ne peut être intégrée à la common law35. Il

n’y a donc pas de principes dégagés, du moins par les tribunaux canadiens, relativement à cette question. Enfin, les conventions constitutionnelles ne peuvent être sanctionnées par les tribunaux puisqu’elles ont pour objet d’assurer que le cadre juridique de la Constitution fonctionne selon les principes ou les valeurs dominantes de l’époque. À ce titre, elles ne sont susceptibles que de sanctions politiques36.

À la lumière des éléments que nous venons d’exposer, un dernier élément motive cette étude. Il s’agit de l’opportunité de plaider la coutume au moment du rapatriement car sa reconnaissance par un tribunal, en tant que règle de droit, aurait pu forcer le gouvernement fédéral à obtenir l’assentiment de toutes les provinces avant de rapatrier la Constitution. De même, cette analyse s’avère toujours pertinente afin de déterminer si la Loi constitutionnelle de 1982 pourrait toujours être invalidée.

34 À ce sujet, voir infra, chapitre II, partie 2.2 dans laquelle nous verrons que la procédure de modification

constitutionnelle est une partie importante du cadre juridique normalement intégré à la constitution d’un État.

35 Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Toronto, Carswell, 1992, p. 22 indique que la Cour

suprême est le premier tribunal d’une juridiction de common law à avoir étudié les conventions relatives aux procédures de modifications constitutionnelles. Les questions posées dans le Renvoi : Compétence du

Parlement relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54, traitent, quant à elles, de la possibilité

pour le Parlement canadien de modifier la Constitution relativement à l’existence et aux pouvoirs du Sénat. La question spécifique des pouvoirs législatifs provinciaux n’y est pas abordée.

36 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 774 et suiv. (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef

Laskin et des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer) ainsi que la p. 882 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) ; Duplé, préc., note 31, p. 623 ; Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 41-50; Michael Foley, The Silence of

Constitutions : Gaps, "Abeyances", and Political Temperament in the Maintenance of Government,

(27)

III. Plan

Le texte est divisé en trois chapitres. Dans le premier, il sera d’abord question de délimiter les contours et d’identifier les éléments constitutifs du droit coutumier. Pour ce faire, l’analyse portera sur les caractéristiques de la coutume en droit au niveau international et dans les juridictions de common law telles que définies par les tribunaux et les auteurs de doctrine. Il sera ainsi possible de comprendre l’évolution, la nature et la portée de cette source de droit non écrite.

De ce chapitre, découle, en second lieu, l’analyse de l’objet ultime de ce texte, soit l’étude de la situation canadienne. Il sera d’abord question de l’imprécision de la formule générale de modification constitutionnelle dans la Constitution et de la procédure adoptée en pratique dans ce contexte particulier. Par la suite, l’étude portera sur la reconnaissance de la coutume par les tribunaux et la doctrine. Pour ce faire, les enseignements du Renvoi de 1981 seront scrutés afin de démontrer que celle-ci aurait pu s’appliquer et être utilisée afin d’éviter que le Québec soit la seule province exclue du processus de rapatriement de la Constitution.

Enfin, au cours du troisième chapitre, nous évaluerons l’opportunité de plaider cette source de droit au moment du rapatriement ainsi qu’après l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. De cette manière, nous pourrons déterminer s’il aurait été possible d’empêcher l’adoption de cette loi dans sa forme actuelle et si un recours judiciaire visant à l’invalider serait toujours envisageable.

(28)

CHAPITRE I. LA COUTUME EN DROIT INTERNATIONAL ET DANS LES ÉTATS DE COMMON LAW AVANT LE RAPATRIEMENT DE 1982

Cette partie vise d’abord à énoncer les caractéristiques de la coutume comme source du droit telles qu’elles ont été établies au niveau international par la jurisprudence qui y est afférente ainsi que par les auteurs de doctrine. Par la suite, seront abordées son intégration et les caractéristiques qui permettent son utilisation dans le contexte constitutionnel dans certains États de common law avant 1982.

1. Les éléments constitutifs de la coutume internationale

D’emblée, précisons que les éléments constitutifs de la coutume internationale tels qu’élaborés par les tribunaux internationaux et les auteurs de doctrine apportent un éclairage fort pertinent en lien avec le rapatriement constitutionnel de 1982. En effet, avant cet événement, les tribunaux canadiens ont reconnu que cette source de droit pouvait s’appliquer au Canada lorsqu’elle n’entrait pas en contradiction avec une règle interne. De ce fait, les tribunaux canadiens auraient pu et pourraient toujours s’inspirer de la coutume internationale pour juger de la validité du rapatriement de 1982.

Certains instruments internationaux reconnaissent explicitement que la coutume fait partie des sources du droit international. En effet, l’alinéa 38 (1) b) du Statut de la Cour internationale de Justice prévoit que cette cour « […] applique la coutume internationale comme preuve d’une pratique généralement acceptée, comme étant le droit37 ». À sa

lecture, nous pouvons constater que les éléments constitutifs de cette source de droit y sont énoncés. D’abord, la coutume internationale est la preuve d’une pratique. Ainsi, pour être en présence d’une coutume au niveau international, une pratique doit pouvoir être observée. Il s’agit de l’aspect matériel (consuetudo) de la coutume. Par la suite, cette pratique doit être généralement acceptée comme étant le droit. Elle doit donc être normative. Il s’agit de l’élément subjectif dit psychologique de la coutume, aussi appelé

37Statut de la Cour internationale de Justice, alinéa 38 (1) b), [En ligne],

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« opinio juris sive necessitatis » (ci-après « opinio juris »). La réunion de ces éléments doit être présente pour pouvoir cristalliser la norme coutumière en droit international38.

1.1. L’aspect matériel (consuetudo)

L’aspect matériel de la coutume internationale, soit son aspect visible, du moins observable, doit réunir certaines caractéristiques pour être reconnu judiciairement. Il doit d’abord être constant. En ce sens, dans l’Affaire du droit de passage sur le territoire indien, il est spécifié que la pratique doit être prolongée et continue ainsi que constante et uniforme.39 Cet enseignement amène une question. Combien de fois un précédent doit-il

être répété et sur quelle période de temps pour qu’il puisse former une coutume internationale ? À cette question, Jean-Maurice Arbour et Geneviève Parent répondent, en prenant appui sur le principe de la liberté de l’espace extra-atmosphérique, reconnu dès le début de l’exploration spatiale en 1958, que les circonstances varient au cas par cas et qu’une pratique intense et uniforme peut compenser un bref laps de temps40. De plus,

selon le jugement rendu dans l’Affaire du plateau continental de la mer du nord, la coutume internationale peut émerger en quelques années, voire en quelques mois, si un nombre important d’États adhèrent à une pratique41.

En ce qui a trait à l’étendue de la pratique dans l’espace, la jurisprudence internationale admet que la pratique peut être universelle, régionale ou locale. Ainsi, dans l’Affaire du droit de passage sur le territoire indien, la Cour internationale de justice voit difficilement pourquoi le nombre d’États devrait être supérieur à deux pour qu’une coutume locale se crée, lorsque la pratique prolongée et continue entre eux est acceptée

38 Jean-Maurice Arbour et Geneviève Parent, Droit International public, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon

Blais, 2012, p. 65-67.

39 Affaire du droit de passage sur le territoire indien (Portugal c. Inde), C.I.J. Recueil 1960, p. 37 et 40,

(12 avril 1960), [En ligne], [http://www.icj-cij.org/docket/files/32/4521.pdf] (27 juillet 2012) (ci-après « Affaire du droit de passage sur le territoire indien »).

40 Arbour et Parent, préc., note 38, p. 67-68.

41 Affaire du plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne / Danemark ;

République fédérale d’Allemagne / Pays-Bas), C.I.J. Recueil 1969, par. 74, (20 février 1969), [En ligne],

[http://www.icj-cij.org/docket/files/51/5535.pdf] (ci-après « Affaire du plateau continental de la mer du

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comme régissant leurs rapports et qu’elle constitue le socle sur lequel reposent leurs droits et leurs obligations réciproques42. Dans l’Affaire du droit d’asile entre la Colombie

et le Pérou, la Cour internationale de Justice évoque une coutume régionale lorsqu’elle spécifie que « [l]e gouvernement de la Colombie doit prouver que la règle dont il se prévaut est conforme à un usage constant et uniforme, pratiqué par les États en question [i.e. d’Amérique latine] 43 ». La coutume universelle est théoriquement possible.

Toutefois, Arbour et Parent expriment, à juste titre, que l’exigence d’une pratique respectée par tous les États serait impossible à rencontrer dans plusieurs hypothèses. À ce titre, ils invoquent le cas des États enclavés en ce qui concerne le droit de la mer44.

La coutume internationale doit également émaner d’un usage uniforme. Il en est ainsi pour être en présence d’une pratique générale prouvable. Certains arrêts de la Cour de justice internationale montrent que ce critère n’est pas toujours rempli. Dans l’Affaire du droit d’asile entre la Colombie et le Pérou, la Cour internationale de Justice ne peut dégager une coutume constante et uniforme à partir des faits soumis en raison des incertitudes et des contradictions qu’ils soulèvent ainsi que des fluctuations et des discordances dans l’exercice de l’asile diplomatique45. De même, dans l’Affaire des

pêcheries, elle a l’occasion de mentionner que, malgré l’adoption de la règle des 10 milles marins par certains États dans leurs lois nationales, traités et conventions pour déterminer les eaux intérieures nationales de baies ayant plus de 10 milles marins à l’ouverture, d’autres États ont en revanche adopté une limite différente. La règle des 10 milles marins ne peut donc, selon la Cour internationale de Justice, avoir l’autorité d’une règle générale de droit international46.

42 Affaire du droit de passage sur le territoire indien, préc., note 39, p. 39.

43 Affaire du droit d’asile (Colombie c. Pérou), C.I.J. Recueil 1950, p. 276, (20 novembre 1950), [En ligne],

[http://www.icj-cij.org/docket/files/7/1849.pdf] (28 juillet 2012) (ci-après « Affaire du droit d’asile »).

44 Arbour et Parent, préc., note 38, p. 69. 45 Affaire du droit d’asile, préc., note 43, p. 277.

46 Affaire des pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), C.I.J. Recueil 1951, p. 131, (18 décembre 1951), [En

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1.2. L’élément psychologique (opinio juris)

Tel que mentionné d’entrée de jeu, l’élément psychologique doit également exister pour être en présence d’une coutume internationale. Cependant, la subjectivité inhérente à cet élément peut poser problème. En effet, à partir de quels éléments de preuve peut-on mesurer la composante interne propre aux États dans l’élaboration d’une règle coutumière ? Dans un premier temps, la théorie volontariste, également nommée « théorie de l’accord tacite », a prévalu. La Cour permanente de Justice internationale, dans l’Affaire du Lotus de 192747, adopte en quelque sorte cette position lorsqu’elle

déclare que la volonté des États est nécessaire pour les lier entre eux sur le plan coutumier. Cette volonté doit être manifestée dans des conventions ou des usages généralement acceptés comme consacrant des principes de droit établis48. La preuve

directe et positive d’une opinio juris est donc recherchée. La volonté unanime des États à être liés par la coutume internationale n’a toutefois pas à être prouvée puisque l’acceptation générale suffit.

Un problème de preuve surgit toutefois. S’il faut rechercher cette preuve dans des conventions, ne sommes-nous pas sortis du champ du droit coutumier pour entrer à proprement dit dans le droit conventionnel international ? Ce dernier droit n’est-il pas fondé sur une entente réciproque entre un ou plusieurs États exprimée dans un texte ? D’ailleurs, ne s’agit-il pas d’une source distincte de la coutume internationale ainsi qu’il est spécifié à l’alinéa 38 (1) a) du Statut de la Cour internationale de justice ? Les précédents ne pourraient donc être d’aucune utilité puisque ce texte pourrait s’inscrire en faux au regard de ceux-ci, et ce, tant qu’il respecte la volonté des parties à l’entente et les lois écrites du droit international. Pour ce qui est de la preuve directe et positive recherchée dans des usages généralement acceptés, quel est le degré d’acceptation requis puisqu’il s’agit d’usages généralement acceptés ? Faut-il l’accord de tous les participants à la règle coutumière ou seulement des plus importants ? Dans dernier ce cas, comment les déterminer ? Qu’en est-il des nouveaux acteurs n’ayant pas participé à la création de

47 Affaire du Lotus (France c. Turquie), C.P.J.I. Recueil (série A), no 10 (7 septembre 1927), [En ligne],

[http://www.icj-cij.org/pcij/serie_A/A_10/30_Lotus_Arret.pdf] (28 juillet 2012).

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la coutume ? Doivent-ils s’y conformer ? De plus, doit-on exiger une formulation écrite ou verbale officielle qui explique chaque usage ? Dans ce cas, quelle est l’instance officielle de chaque État qui doit en faire l’expression ?

La théorie volontariste, exprimée dans l’Affaire du Lotus, laisse plusieurs questions sans réponse relativement à la recherche d’une opinio juris directe et positive. D’ailleurs, il est plutôt dogmatique de rechercher une preuve directe et positive pour une source du droit matériel dans cette affaire. En effet, celle-ci concerne une abstention. Non seulement il faudrait que les États motivent à tout coup, du moins régulièrement, leurs usages, mais ils devraient également motiver leur inaction. Cela ne revient-il pas à rechercher l’expression positive de ce qui n’est pas ou n’a pas eu lieu ? Un autre questionnement met à mal cette position. Qu’en est-il lorsqu’une coutume internationale est reconnue malgré l’objection d’un État49 ?

La position adoptée dans l’Affaire du Lotus est d’ailleurs remise en question au niveau doctrinal. Sabir Karim Mouttaki précise que cet arrêt est de portée limitée et d’autorité restreinte, car il est daté, isolé et fortement critiqué. De plus, il aurait été rendu uniquement grâce à la voix prépondérante du Président de la Cour permanente de Justice internationale et ne correspondrait pas à l’évolution du droit international50.

La théorie objectiviste offre des éléments de réponse plus réalistes quant à la manière d’interpréter la présence d’une opinio juris chez les acteurs visés. Selon celle-ci, la coutume internationale est une manifestation normative qui possède un fondement extérieur et supérieur à la volonté de l’État. La coutume est un phénomène social qui découle d’une nécessité logique. D’après cette vision, la volonté souveraine de l’État, pour créer la norme coutumière, cède le pas devant la prise de conscience collective de

49 La même année que l’Affaire du Lotus, préc., note 47, la compétence de la Commission européenne du

Danube entre Galatz et Braïla a d’ailleurs été imposée à la Roumanie malgré son désaccord en raison d’une coutume bien établie. À ce propos, voir : Compétence de la Commission européenne du Danube

entre Galatz et Braïla Avis consultatif, C.P.J.I. Recueil (série B), no 14, p. 17, (8 décembre 1927), [En ligne],

[http://www.icj-cij.org/pcij/serie_B/B_14/01_Commission_europeenne_du_Danube_Avis_consultatif.pdf] (28 juillet 2012).

50 Sabir Karim Mouttaki, « La coutume internationale : sujets de droit, consentement et formation de la

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tous les sujets du droit international de la nécessité sociale et juridique. Tel que Mouttaki l’exprime, le droit coutumier ne repose pas sur l’expression d’une volonté mais il s’appuie sur la conviction qu’une règle existe51. Pour les tenants de cette approche, la

norme coutumière a un rang particulier52.

De manière concrète, comment les tenants de cette théorie recherchent-ils l’existence d’une opinio juris reposant sur la conviction qu’une règle existe ? Un premier élément de réponse est énoncé en 1963 par Charles de Visscher, ancien juge de la Cour de justice internationale, lorsqu’il énonce que « [l]a Cour fait appel à l’absence de l’élément psychologique quand l’élément matériel lui paraît incertain […]. Quand au contraire l’élément matériel ne fait pas de doute en raison de la cohérence comme de la durée d’une pratique, la Cour, assez généralement, en déduit l’existence de l’opinio

juris53 ». Cette citation est intéressante puisqu’elle révèle que lorsque l’aspect matériel de

la coutume est cohérent, l’aspect psychologique est généralement déduit. Il y aurait donc présomption54.

Certains arrêts subséquents énoncent des critères spécifiques qui permettent d’établir l’opinio juris fondée sur la conviction qu’une règle existe. Dans l’Affaire du plateau continental de la mer du nord, il est mentionné que la formation d’une règle coutumière dont l’opinio juris est reconnue peut imposer une règle de droit à des États non-parties à une convention ou à une relation contractuelle mais que ce résultat n’est pas facilement atteint55. Pour ce faire, la Cour internationale de Justice souligne qu’« une

participation très large et représentative à la Convention suffi[t], à condition toutefois qu’elle comprenne les États particulièrement intéressés56». Ce tribunal légitime ainsi le

51 Ibid, p. 259-265.

52 À ce sujet, voir notamment : Hans Kelsen, General Theory of Law and the State, Union, Lawbook

Exchange, 1999 (1945).

53 Charles de Visscher, Problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, Paris, A. Pedone,

1963, p. 227.

54 À ce sujet, voir notamment : Jutta Brunnée et Stephen J. Toope, « A Hesitant Embrace : The Application

of International Law by Canadian Courts », (2002) 40 A.C.D.I., p. 18. Charles de Visscher, idem, soutient, quant à lui, que dans les cas où les comportements et les prétentions des États sont répétés et constants, « l’induction qu’ils autorisent est plus qu’une présomption ».

55 Affaire du Plateau continental de la mer du Nord, préc., note 41, par. 71. 56 Ibid, par. 73.

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fait qu’une coutume internationale puisse s’appliquer à des États qui n’ont pas participé à son élaboration. Il légitime aussi le fait que l’opinio juris concerne la croyance dans l’observation d’une règle juridique57, ce qui est à contresens de la théorie volontariste,

qu’il a d’ailleurs niée en établissant que la coutume peut lier des États non-parties aux conventions ou aux contrats internationaux. La Cour internationale de Justice s’appuie toutefois sur la démarche de l’Affaire du Lotus de 1927 pour rechercher la preuve de l’opinio juris dans des cas d’abstention, ce qui est un non-sens, comme cela a été mentionné plus haut. En toute logique, pourquoi un État qui s’abstient et qui crée donc un précédent négatif par son inaction irait-il poser un acte positif justifiant l’inaction ou l’abstention ? Cette position majoritaire a d’ailleurs été critiquée par plusieurs juges minoritaires dans l’Affaire du Plateau continental de la mer du nord de 1969. Ils font valoir la difficulté pour un gouvernement d’apporter des preuves concluantes qui ont pu inspirer non seulement ses propres actes mais également ceux des autres gouvernements58.

Au moment du rapatriement de 1982, les jugements arbitraux

Texaco/Taliasiatic c. Gouvernement Lybien59 et Aminoil c. Koweit60 ainsi que l’Affaire du

Plateau continental de la mer du Nord, jugée par la Cour internationale de justice, ont énoncé la notion de tendance coutumière61. Celle-ci fait référence à la nécessité de la

règle naissante. Dans ce contexte, le consentement de l’État ne peut suffire. En effet, la formulation de cette tendance ne peut se réduire à l’acceptation ou à la renonciation et elle doit tenir compte d’éléments extra consensuels. Dans cette perspective, les États qui se sont abstenus lors de la formulation de la coutume et ceux qui apparaissent après la naissance de la règle peuvent être assujettis aux conditions qui y sont inhérentes. Pour contrer la tendance coutumière naissante, les États doivent s’opposer en nombre suffisant, ce qui est difficile à maintenir à long terme. Il s’agit en quelque sorte d’un retournement de situation62. Jadis, ceux qui voulaient obtenir la reconnaissance de la coutume devaient

57 Ibid, par. 77.

58 Arbour et Parent, préc., note 38, p. 74 et 75.

59 Arbitrage Texaco/Taliasiatic c. Gouvernement Lybien, [1977] 2 J.D.I. 319. 60 Affaire Aminoil c. Koweit, [1982] 109 J.D.I. 319.

61 Mouttaki, préc., note 50, p. 263. 62 Ibid., p. 263-267.

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