• Aucun résultat trouvé

L’absence de formule générale de modifications constitutionnelles

CHAPITRE II. LA COUTUME À TITRE DE SOURCE DE DROIT APPLICABLE

1. Le contexte constitutionnel canadien de 1867 à 1982

1.1. L’absence de formule générale de modifications constitutionnelles

Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, adoptée conformément au

Colonial Laws Validity Act de 1865116, énonce qu’elle repose sur les mêmes principes

que celle du Royaume-Uni. Ainsi, la Constitution canadienne est composée de dispositions insérées dans les textes constitutionnels et de sources édictées à partir de

116 Colonial Laws Validity Act, 28 & 29 Vict., c. 63 (R-U.). L’article 2 de cette Loi prévoit qu’une loi coloniale

ne peut contredire la législation britannique applicable à la colonie. Pour sa part, l’article 5 indique que les législatures coloniales peuvent changer leur constitution en autant qu’elles respectent la forme et le mode requis par la législation impériale et coloniale.

certaines lois, des coutumes, des conventions ainsi que des décisions des tribunaux, des gouvernements et des assemblées législatives117.

Ce préambule prévoit également que l’union contractée est de nature fédérale, ce qui diffère de la Constitution du Royaume-Uni qui, quant à elle, se situe dans un cadre unitaire. Une répartition des pouvoirs législatifs entre le gouvernement fédéral canadien, ainsi créé, et les provinces parties à l’union y est édictée pour déterminer la sphère de compétence de chaque ordre de gouvernement au sein du cadre fédératif. La plupart des pouvoirs relèvent exclusivement du Parlement canadien ou des législations provinciales, quoique certains pouvoirs soient partagés118.

Seules quelques dispositions permettent d’y apporter des modifications de manière exceptionnelle et limitée. En vertu de celles-ci, chaque ordre de gouvernement n’est habilité à modifier la Constitution que dans ses propres champs de compétence119. La

procédure de modification relative à l’union fédérative est donc incomplète car elle relève

117 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 9 à 50. 118 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 8, art. 91 et suiv.

119 Pour une nomenclature des articles de la Loi constitutionnelle de 1867 permettant de modifier la

Constitution canadienne avant 1982, voir : Benoît Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada, Scarborough, Carswell, 1996, p. 22 et suiv. ; Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 214 à 216 ; Gérald A. Beaudoin, Le fédéralisme au Canada : les institutions, le partage du pouvoir, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 305-343; José Woehrling et Jacques-Yvan Morin, Les constitutions du Canada et du

Québec : du régime français à nos jours, 2e éd., t.1 : « Études », Montréal, Éditions Thémis, 1994, p. 409-

467. De même, les auteurs Julien Fournier, Patrick Taillon, Geneviève Motard et André Binette, « L’abdication d’Édouard VIII en 1936 : « autopsie » d’une modification de la Constitution canadienne », dans Michel Bédard et Philippe Lagassé, (dir.), La Couronne et le Parlement / The Crown and the

Parliament, Cowansville, Édition Yvon Blais, 2015, p. 357, note 12, écrivent à propos de la procédure de

modification antérieure au rapatriement de 1982 que « Si le Parlement britannique détenait formellement la capacité à agir à titre de pouvoir constituant pour le Canada, il a tout de même établi un certain nombre d’exceptions à ce principe en autorisant le Parlement fédéral ou la législature des provinces à modifier des normes constitutionnelles souples telles que la constitution interne de la province sous l’article 92(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 ([R-U], 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, ann II, no 5 [LC 1867]), la création d’une cour générale d’appel et de tribunaux fédéraux par

l’article 101 de la LC 1867, la création de nouvelles provinces par l’article 146 de cette loi (pouvoir confirmé en 1871 par la Loi constitutionnelle de 1871 [R-U], 34 & 35 Vict, c 28, reproduite dans LRC 1985, ann II, no 11) ou encore, après 1949, les caractéristiques non essentielles des institutions fédérales sous

l’article 91(1) de cette loi (Acte de l’Amérique du Nord britannique [No 2] [R-U], 1949, 13 Geo VI, c 81,

de la compétence du Parlement impérial britannique120. Ce dernier a donc toute autorité,

au point de vue juridique, pour modifier la Constitution. En pratique toutefois, il était déjà établi avant 1867 que ces modifications ne seraient apportées qu’à la demande et avec l’accord de la colonie visée121.

Il est difficile d’expliquer les raisons pour lesquelles une formule générale de modification n’a pas été prévue lors de l’adoption de Loi constitutionnelle de 1867. Parmi les explications proposées, il semble que les concepteurs originaires du régime fédératif aient voulu éviter d’aborder la délicate question de la participation des provinces aux amendements lors des conférences de Québec et de Londres puisqu’elle était susceptible de créer des différends. Ils auraient plutôt considéré que le fait de confier au Parlement britannique le rôle de modifier les dispositions relatives à la répartition des pouvoirs législatifs était suffisant pour protéger provinces et les minorités122.

Avant d’aller plus loin, une attention particulière doit être portée au Statut de

Westminster123 ratifié par le Parlement de Londres en 1931124. Cette loi impériale,

intégrée à la Constitution canadienne, assure la plénitude du pouvoir législatif des dominions125. En outre, l’article 4 vient consacrer une convention déjà bien établie en

120 Pour Woehrling et Morin, Ibid., p. 371 et 372, l’absence d’une procédure de modification complète de

modification dans la Loi constitutionnelle de 1867 est surprenante puisque l’article 5 du Colonial Laws

Validity Act de 1865 reconnaissait aux législatures des colonies le pouvoir de modifier leur constitution.

121 Woehrling et Morin, Ibid., p. 371 ; Robert MacGregor Dawson, The Governement of Canada, 5e éd.,

Toronto, University of Toronto Press, 1970, p. 123 ; William S. Livingston, Federalism and Constitutional

Change, Oxford, Clarendon Press, 1956, p. 26 ; Eugénie Brouillet, La négation de la nation : L’identité culturelle Québécoise et le fédéralisme canadien, Québec, Septentrion, 2005, p. 160-161.

122 Livingston, Ibid., p. 20-21. Pour expliquer cette situation, Woehrling et Morin, Idem, avancent

également d’autres hypothèses. D’abord, il semble qu’au moment de l’adoption de la Loi constitutionnelle

de 1867, la Grande-Bretagne n’était pas prête à concéder au Canada une pleine autonomie en matière de

modification constitutionnelle. De plus, les élites coloniales qui ont participé à l’élaboration de la Constitution canadienne n’auraient pas prévu que le besoin d’adopter des modifications se manifeste fréquemment. Dans une telle situation, ils estimaient que le Parlement de Westminster adopterait une modification sans difficulté à la demande du Canada.

123 Statut de Westminster de 1931, 22 & 23 Geo. V, c. 4 (R.-U.), reproduit dans L.R.C. 1985, app. II, no 27. 124 Sur l’adoption du Statut de Westminster de 1931 et ses conséquences sur la procédure de modification

de la Constitution canadienne, voir notamment : Guy Favreau, Modification de la Constitution du Canada, Ottawa, R. Duhamel, 1965, p. 18-19 ainsi que Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 396 à 399.

125 Statut de Westminster de 1931, préc., note 123, art. 2 et 3. À titre informatif, le Comité judiciaire du

conseil privé a affirmé plusieurs années avant l’adoption de ce statut qu’à l’intérieur de leurs domaines respectifs de compétences, le Parlement fédéral et les assemblées législatives des provinces étaient aussi

matière de modification constitutionnelle. En effet, il prévoit que toute loi qui sera dorénavant édictée par le Parlement du Royaume-Uni ne fera partie ni ne sera considérée comme faisant partie de la législation d’un dominion, à moins qu’il n’y soit formellement déclaré qu’elle a été édictée à sa demande et avec son assentiment126. De ce fait, le

Parlement britannique s’engageait, par l’adoption de ce statut, à ne pas tenter de reprendre ou de diminuer, à l’avenir, l’indépendance octroyée aux dominions127.

En vue de l’adoption du Statut de Westminster de 1931, le gouvernement fédéral et les assemblées législatives ont tenté de s’entendre sur une procédure de modification afin d’assurer l’indépendance constitutionnelle complète du Canada par rapport au Parlement de Westminster. À la suite de l’échec de la conférence fédérale-provinciale de 1927, qui visait à régler cette question, la solution a consisté à préserver la suprématie de la

souverains que le Parlement de Westminster. À ce sujet, voir notamment : Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 226 et 227 ; Hodge v. The Queen, [1883] 9 A.C. 117, p. 132 ; Attorney-General for

Canada v. Cain, [1906] A.C. 542, p. 547 ; Croft v. Dunphy, [1933] A.C. 156, p. 163 et 164 et British Coal Corporation and others v. The King, [1935] A.C. 500, p. 523. Précisons également qu’au moment du

rapatriement les tribunaux britanniques ont également reconnu l’indépendance des couronnes britanniques et canadiennes dans les jugements R. c. Secretary of State for Foreign and Commonwealth

Affairs, ex parte Indian Association of Alberta, [1982] All E.R. 118 ; [1982] 1 Q.B. 892, permission d’appeler

refusée [1982] 1 Q.B. 937 ainsi que Manuel c. A.-G. England, [1982] 3 All E.R. 822 ; [1982] 3 C.N.L.R. 13 ; [1982] 3 W.L.R. 821.

126 À propos de la participation des provinces aux modifications constitutionnelles en regard du Statut de

Westminster, voir notamment : Brouillet, préc., note 121, p. 161 et 162.

127 Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 397. À ce propos, Louis Sormany, « L’article 4 du Statut de

Westminster et l’indépendance du Canada », (1979), 20, 1-2, C. de D., p. 54-59 énonce notamment que l’adoption d’une loi en contravention de l’article 4 ne serait pas nécessairement invalide, et ce, car le Parlement de Westminster n’a pas le pouvoir de se lier pour l’avenir. En effet, dans l’arrêt British Coal

Corporation and others v. The King, préc., note 125, p. 520, Lord Sankey indique, au nom du Comité

judiciaire du Conseil privé, « It is doubtless true that the power of the Imperial Parliament to pass on its own initiative any legislation that it though fit extending to Canada remains in theory unimpaired : indeed, the Imperial Parliament could, as a matter of abstract law, repeal or disregard section 4 of the Statute. But that is theory and has no relation to realities ». D'ailleurs, Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 413, mentionnent qu'après l'adoption du Statut de Westminster de 1931, le Parlement britannique adopta unilatéralement une loi, sans caractère significatif, intitulée Loi de 1950 sur la révision du droit statutaire, 14 Geo. VI, ch. 6 (R.-U.) pour faire disparaître des lois en vigueur les dispositions périmées ou devenues désuètes mais non abrogées. Toutefois, Fournier, Taillon, Motard et Binette, préc., note 119 montrent que toutes les demandes canadiennes de modifications de sa constitution depuis 1931 ont été respectées par le Parlement de Westminster depuis 1931. De même, dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 855- 856 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer), il est énoncé, en prenant appui sur les écrits de Peter W. Hogg, que si cette convention était violée, il faudrait, par décision judiciaire, intégrer cette convention à la common law de manière à la transformer en règle de droit. Il est à noter que nous aborderons également cette question dans la partie 2 du chapitre III.

Constitution canadienne en tant que loi impériale et, par conséquent, à maintenir le rôle traditionnel du Parlement du Royaume-Uni à titre de « fiduciaire constitutionnel ». Pour appliquer cette solution, le gouvernement fédéral avec l’accord unanime des provinces, proposa l’insertion d’une « clause Canada » dans le Statut de Westminster qui permettrait de maintenir le statu quo ante en ce qui concerne la modification de la Constitution canadienne. Cette clause, qui devint l’article 7 du Statut, énonce que l’article 2 de cette loi ne s’applique pas à l’abrogation ou à la modification des Actes de l’Amérique du Nord

britanniqueédictés avant 1930. En outre, cet article restreint le Parlement fédéral et les

législatures provinciales à l’édiction de lois dont l’objet relève de leurs compétences respectives. De l’avis de José Woehrling et Jacques-Yvan Morin, cette disposition pourrait laisser croire que les modifications postérieures à 1930 étaient également protégées par le principe de la suprématie des lois impériales dans la mesure où elles influaient sur la répartition des pouvoirs législatifs128.

À la suite de l’adoption du Statut de Westminster de 1931, les Actes de l’Amérique du Nord britannique restent donc les seuls que l’on ne peut modifier au Canada (à l’exception de ceux qui le permettent)129. L’adoption en 1949 de l’Acte de l’Amérique du

nord britannique (no 2) élimine une partie de cette restriction sans toutefois régler la question des modifications constitutionnelles touchant les deux ordres de gouvernements 130 . Aucune autre loi constitutionnelle ne sera adoptée avant le

rapatriement afin de préciser la procédure de modification des pouvoirs législatifs lorsque le gouvernement fédéral et les législatures provinciales sont concernés.

En réponse à l’absence de formules de modification dans les textes constitutionnels canadiens, une procédure s’est imposée en pratique de manière plus claire à partir des années 1930. Il en est d’ailleurs question dans le Renvoi de 1981 :

[…] L’histoire ne peut modifier le fait qu’en droit, il y a une loi britannique [l’Acte de l’Amérique du Nord britannique] à interpréter et à appliquer relativement à un sujet absolument fondamental mais que la loi ne régit pas. On a évidemment vu se développer des pratiques qui tenaient compte de

128 Woehrling et Morin, préc., note 119, p. 398, note 895. 129 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 75-76.

l’indépendance canadienne. Elles avaient à la fois des aspects intracanadiens et extra-canadiens par rapport au pouvoir législatif britannique […]131.

Ainsi que nous pourrons le constater au cours de cette étude, celle-ci exigeait l’assentiment préalable des provinces concernées avant que le fédéral ne s’adresse au Parlement de Westminster pour modifier ou rapatrier la Constitution canadienne.

Au moment du Renvoi de 1981, cette procédure est toujours en vigueur puisque le fédéral n’a jamais modifié unilatéralement les règles relatives au partage des pouvoirs législatifs prévues dans la Loi constitutionnelle de 1867 sans l’accord des provinces visées132. Le projet de modification et de rapatriement unilatéral de la Constitution par le

gouvernement fédéral présenté à la Chambre des communes en octobre 1980 constitue donc une première133. En effet, celui-ci vise à introduire une charte des droits et libertés

et un ensemble de formules de modification constitutionnelle dans la Constitution, ce qui réduirait les pouvoirs législatifs du Parlement fédéral et des assemblées législatives provinciales134.

Les cours de justice devant lesquelles sont entendus les renvois doivent donc décider de la validité d’un aspect constitutionnel sans pouvoir s’appuyer sur une règle de droit écrit ou sur un jugement en droit interne. De plus, elles ne peuvent pas davantage s’inspirer de jugements qui auraient été rendus au Royaume-Uni dans des situations similaires puisqu’il s’agit d’un État unitaire135.

La situation n’est cependant pas aussi complexe qu’elle le paraît à première vue. En vertu de la Constitution du Royaume-Uni analysée précédemment, la coutume, en tant que source de droit de cet État, est une norme juridique reconnue et appliquée dans le

131 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 802 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland,

Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

132 Renvoi de 1981, Ibid., p. 893. (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie,

Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) ; Peter C. Oliver, The Constitution of Independence : The Development

of Constitutional Theory in Australia, Canada, and New Zealand, Cambridge, Oxford University Press,

2005, p. 165.

133 Nous aborderons cette question au cours de la prochaine partie.

134 Procureur général du Québec, Factum de l'appelant / intimé le Procureur général du Québec, Ottawa,

s. n., 1981, p. 4-16. À ce propos, voir également l’introduction ainsi que la partie 2.3.10. du chapitre II de la présente étude.

contexte constitutionnel canadien136. Elle aurait pu permettre aux tribunaux d’énoncer le

droit en prenant appui sur la pratique mise en place, et ce, malgré l’absence de règles écrites et de jugements des tribunaux portant sur la procédure de modification constitutionnelle lorsque les deux ordres de gouvernements étaient concernés.