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La distinction entre la convention et la coutume constitutionnelle

CHAPITRE II. LA COUTUME À TITRE DE SOURCE DE DROIT APPLICABLE

1. Le contexte constitutionnel canadien de 1867 à 1982

2.1. La distinction entre la convention et la coutume constitutionnelle

D’emblée, une question se pose. Est-ce que la coutume constitutionnelle aurait pu être considérée relativement au rapatriement et à la procédure de modification constitutionnelle ou ne serait-ce que la convention constitutionnelle qui pouvait être appliquée comme le montrent les questions formulées dans le Renvoi de 1981 et le Renvoi de 1982 ? Pour répondre à cette question, il faut établir la distinction entre la convention et la coutume constitutionnelle. Celle-ci permettra d’établir leurs caractéristiques propres ainsi que leurs champs d’application en matière constitutionnelle.

2.1.1. L’application de la convention constitutionnelle

D’emblée, les juges majoritaires de la Cour suprême énoncent dans le Renvoi de 1981 que « l’objet principal des conventions constitutionnelles est d’assurer que le cadre juridique de la Constitution fonctionnera selon les valeurs constitutionnelles dominantes de l’époque146 ». Elles sont donc dynamiques et peuvent varier en fonction du contexte

propre à ces valeurs. Pour cette raison, il est difficile de définir avec précision leurs

146 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 880 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland,

champs d’application, ce qui rend d’autant plus difficile la détermination de leurs contours. Selon Duplé, les plus connues d’entre elles portent sur le fonctionnement des parlements canadiens et sur les rapports entre les représentants de la Reine et le premier ministre en tant que chef réel du gouvernement. Les rapports entre le gouvernement et les chambres législatives, tels que ceux portant sur la responsabilité ministérielle des membres du gouvernement devant les élus de la collectivité, sont également visés par les conventions147.

De manière concrète, les conventions transforment ou rendent inopérantes les règles de droit constitutionnelles qu’elles postulent sans toutefois les abroger. À titre d’exemple, mentionnons l’acceptation de la légitimité de l’opposition par les gouvernements successifs et la concession à l’avance de son droit de prendre le pouvoir si elle remporte les élections148. Les conventions permettent également de transférer

l’exercice du pouvoir détenu par le titulaire légal vers une autre institution. Elles peuvent même limiter ou rendre inopérant l’exercice de ce pouvoir149. Pour illustrer ce propos,

mentionnons que la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que le pouvoir exécutif fédéral est détenu par la Reine ou par son représentant au Canada, soit le gouverneur général. Toutefois, en vertu d’une convention reposant sur le principe du gouvernement représentatif, ce pouvoir est exercé par le premier ministre, et ce, même si aucune disposition constitutionnelle ne prévoit l’existence de cette fonction150.

Les sanctions en cas de violation d’une convention constitutionnelle sont de nature politique, car il ne s’agit pas, à proprement parler, de règles de droit constitutionnelles151.

147 Duplé, préc., note 13, p. 63-64.

148 À ce propos, il est précisé dans le Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 882 (Partie II sur l’aspect

conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) que la violation de cette convention fondamentale pourrait être si sérieuse qu’elle équivaudrait à un coup d’État.

149 Renvoi de 1981, Ibid., p. 855.

150 À propos de la dévolution du pouvoir exécutif à la Reine ou au gouverneur général, voir la Loi

constitutionnelle de 1867, préc., note 8, art 9 et 10. L’article 11 de cette loi énonce, pour sa part, que le

Conseil privé de la Reine pour le Canada sera composé de membres choisis par le gouverneur général. Son rôle consiste à « aider et aviser » dans l’administration du gouvernement du Canada.

151 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 774 et suiv. (Partie I sur l’aspect juridique - motifs du juge en chef

Laskin et des juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer) ainsi que la p. 882 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer) ; Duplé,

En ce sens, un tribunal ne pourrait pas intervenir pour invalider un acte qui contrevient à une convention puisqu’il n’applique que les sources de droit portant sur le cadre juridique de la Constitution152. Une sanction peut toutefois émaner du Parlement ou des assemblées

législatives car ces institutions ont le pouvoir d’assurer le respect et la légitimité des conventions constitutionnelles153. À titre d’exemple, un vote de non-confiance à l’endroit

du gouvernement par le Parlement ou par une assemblée législative pourrait éventuellement le forcer à démissionner. D’autres sanctions pourraient également être appliquées. En effet, le gouverneur général ou le lieutenant-gouverneur pourrait limoger le gouvernement et demander à l’opposition d’exercer ses fonctions ou encore dissoudre le Parlement ou les assemblées législatives154. Enfin, nous devons mentionner que même

en l’absence de sanctions les acteurs politiques respectent les conventions afin d’éviter de s’aliéner l’opinion publique155.

Pour Dicey, le manquement à une règle conventionnelle entraîne ultimement la violation de la loi constitutionnelle. Selon lui, puisque les tribunaux appliquent le droit constitutionnel, elles reconnaissent indirectement les conventions. De manière concrète, il énonce que le non-respect d’une convention pourrait empêcher le vote de lois annuelles, ce qui créerait des situations d’illégalité pour certaines institutions qui dépendent de l’adoption de ces lois. De même, le fonctionnement de l’appareil administratif pourrait être perturbé ou même paralysé156.

préc., note 31, p. 623 ; Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 41-50; Foley, préc., note 36, p. 94- 95 ; Duplé, préc., note 13, p. 63-73.

152 Duplé, Ibid., p. 71.

153 Choudhry et Howse, préc., note 17, par. 51. De même, le Parlement canadien et les assemblées

législatives provinciales ont le pouvoir de réprimer les outrages commis à l’intérieur de ses murs. À ce sujet, voir notamment : Michel Bonsaint (dir.), La procédure parlementaire du Québec, 3e édition, Québec,

Direction générale des affaires législatives et parlementaires de l’Assemblée nationale, 2012, p. 101-103, [En ligne], [file:///C:/Users/franc_000/Downloads/procedure_parlementaire.pdf] (3 avril 2015) ; À propos des fondements historiques et constitutionnels du privilège parlementaire au Canada, voir notamment : Marc-André Roy, « Le Parlement, les tribunaux et la Charte canadienne des droits et libertés : vers un modèle de privilège parlementaire adapté au XXIe siècle », (2014), 55, 2, C. de D., 489.

154 Duplé, préc., note 13, p. 71 et Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 8, art. 50 et 84. 155 Duplé, Ibid., p. 65.

156 A.V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10e éd., Londres, Macmillan, 1959,

La position de Dicey a toutefois été critiquée. À titre d’exemple, Jennings affirme d’abord que le manquement à certaines conventions n’entraîne pas nécessairement l’inobservation d’une loi constitutionnelle. De ce fait, il affirme que le recours aux tribunaux pour faire respecter les conventions ne peut être que très limité. Pour lui, ce sont davantage les juristes consultés par les gouvernements qui leur indiquent s’ils violent une règle de droit ou un usage constitutionnel. De plus, il nuance les répercussions du non-respect d’une convention sur l’appareil administratif étatique. En effet, plusieurs de ces institutions peuvent fonctionner sans avoir recours à l’adoption de lois annuelles. Enfin, il affirme que le souci d’éviter les difficultés politiques est la principale raison qui incite les acteurs politiques à respecter les conventions constitutionnelles. À titre d’exemple, il mentionne qu’un manquement à ces règles pourrait amener le gouvernement à expliquer ses agissements devant les questions de l’opposition157.

Les écrits de Jennings ont d’ailleurs été utilisés par les juges majoritaires dans le Renvoi de 1981 pour répondre aux questions portant sur la nécessité d’obtenir l’accord des provinces pour modifier et rapatrier la Constitution en vertu d’une convention constitutionnelle. En effet, ils énoncent trois critères tirés de l’ouvrage The Law and the

Constitution de 1959158 pour qu’une convention soit reconnue, soit : l’existence de

précédents, le fait que les acteurs dans les précédents se croyaient liés par une règle et le fait que la règle a une raison d’être159.

Parmi ces critères, le deuxième est appliqué de manière formaliste. De fait, les juges majoritaires exigent que les tous les acteurs concernés par les précédents aient exprimé de manière formelle qu’ils considèrent la règle obligatoire160. La reconnaissance

ne peut donc s’exprimer de manière tacite. Cette exigence n’est toutefois pas présente

157 Jennings, préc., note 88, p. 127-136. À ce sujet, voir égalment : Geoffrey Marshall, Constitutional

Conventions : The Rules and Forms of Political Accountability, Oxford, Oxford University Press, 1984, p. 5-

10.

158 Jennings, Idem.

159 Renvoi de 1981, préc., note 2, p. 888 (Partie II sur l’aspect conventionnel - motifs des juges Martland,

Ritchie, Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer).

dans les écrits de Jennings161. En effet, il reconnaît que la preuve de la convention est

difficile à établir puisque l’ensemble des informations sur les précédents n’est pas toujours disponible162. Plus encore, il mentionne, dans le même ouvrage qu’utilisent les

juges majoritaires dans le Renvoi de 1981, que la convention repose sur le consentement général – et non unanime – des acteurs visés. Il s’exprime en ces termes : « [t]he conventions are like most fundamental rules of any constitution in that they rest

essentially upon general acquiescence163 ». Les juges majoritaires ne font donc pas

qu’appliquer ce critère de manière formaliste. Ils y ajoutent des exigences non prévues par Jennings, ce qui le rend plus difficile, voire impossible, à remplir.

2.1.2. L’application de la coutume constitutionnelle

D’emblée, tout comme en droit international et en common law, la coutume est une règle de droit constitutionnelle au Canada. Le Livre blanc énonce d’ailleurs que « […] la Constitution canadienne réside pour une part dans des textes écrits et pour une autre part dans des usages ou coutumes164 ». Cette affirmation montre que la coutume

complète le droit positif écrit sans le contredire. Pour cette raison, elle est susceptible d’être sanctionnée par les tribunaux si elle respecte certains critères énoncés par la jurisprudence et la doctrine165.

Pour être applicable, la coutume doit d’abord être née de la répétition continue d’un acte public et paisible (précédent positif) ou de l’abstention de commettre un acte (précédent négatif) durant un certain temps, sans qu’il n’y ait de protestation à l’endroit

161 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 44. À ce sujet, Yves DeMontigny, préc., note 31, exprime

de sérieuses critiques à l’égard de l’interprétation des critères énoncés par Ivor Jennings que font les juges majoritaires de la Cour suprême dans la partie II du Renvoi de 1981 portant sur la convention constitutionnelle. Il souligne notamment, à la p. 1148 de son article, que Jennings n’indique à aucun moment dans ses ouvrages que la règle doit être formulée expressément. Pour les autres ouvrages de Jennings, voir notamment : Cabinet Government, Cambridge, Cambridge University Press, 1959.

162 Jennings, Cabinet Government, Ibid., p. 10-13.

163 Jennings, préc., note 88, p. 117 (les italiques sont de nous). 164 Favreau, préc., note 124, p. 1.

de cet acte ou de cette abstention166. Certains arrêts, traités ultérieurement dans la même

partie, ont précisé le temps requis pour la formation d’une coutume.

À propos de la répétition d’un précédent positif ou négatif, Brun, Tremblay et Brouillet précisent qu’il s’agit d’une façon habituelle de faire167. Le qualificatif

« habituelle » montre que la manière de faire n’a pas à être toujours exécutée de manière identique. Ces trois auteurs précisent également que la coutume est une façon de faire

communément acceptée168. Le dictionnaire Larousse définit ce mot en ces termes :

« suivant l’usage commun ; couramment, habituellement, généralement169 ». Ainsi,

comme nous l’avons précisé pour l’application de la coutume en droit international et en common law, l’acceptation n’a pas à être unanime en toutes circonstances pour que la coutume puisse être sanctionnée par les tribunaux en droit canadien.

La coutume doit également être raisonnable, ce qui signifie qu’elle ne doit pas répugner aux principes généraux du droit positif. En ce sens, elle ne pas doit entrer en conflit avec un principe fondamental de la common law. Qui plus est, le caractère raisonnable doit s’évaluer de manière contemporaine par rapport à la pratique sur laquelle s’établit la coutume170. À titre d’exemple, Brun, Tremblay et Brouillet indiquent qu’une

coutume qui permettrait aux députés de tout faire serait juridiquement déraisonnable171.

Certaines autres qualités doivent être présentes, selon ces auteurs, pour que la coutume puisse être reconnue en droit canadien. Ainsi, la coutume doit créer une obligation claire, prouvable et démontrable172. Cette obligation doit être certaine et

166 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 38. Pour les critères de la coutume, voir également :

André Tremblay, préc., note 93, p. 18.

167 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 38. 168 Ibid., p. 39. (l’italique est de nous).

169 Cette définition est tirée du dictionnaire de français Larousse, Paris, Éditions Larousse, [En ligne]

[http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/communément] (30 août 2012).

170 Andrea C. Loux, « The persistence of the Ancien Regime : Custom, Utility and the Common Law in

Nineteenth-Century », (1993), 79 Cornell Law Review, p. 195.

171 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 39.

cohérente. Elle ne doit donc pas changer au gré des circonstances ni être susceptible d’être interprétée différemment ou avec des écarts importants173.

Enfin, l’importance de la coutume dans tout système juridique doit être admise, car elle permet de rendre moins artificielle, à certains égards, la règle de droit volontaire. En ce sens, l’enracinement social du droit coutumier entraîne un haut degré d’adaptation du droit aux faits174. Par conséquent, elle s’apprécie nécessairement au regard de ceux-ci. En

droit canadien, tout comme en droit international et en common law, l’existence d’une coutume doit donc être évaluée en fonction de son aspect matériel qui constitue sa dimension observable, démontrable et prouvable. Les quelques décisions de tribunaux canadiens répertoriées avant 1982 qui abordent la coutume confirment d’ailleurs ce postulat.

Au niveau jurisprudentiel, peu de jugements explicitent les critères pertinents à prendre en considération pour appliquer la coutume en droit canadien avant 1982. L’analyse de certains d’entre eux permet toutefois de dégager quelques constats. Ainsi, dans l’arrêt Ouimet c. Bazin de 1912, une coutume implantée dans la province de Québec depuis des temps immémoriaux est évoquée175. Cependant, il n’est cependant pas

nécessaire d’établir le caractère séculaire d’une coutume en droit canadien. En effet, les tribunaux ont reconnu l’existence de coutumes qui s’étalent sur une période plus courte. À titre d’exemple, dans l’affaire The King c. Cliche de 1935, portant sur la possibilité d’intenter une action en responsabilité civile contre la Couronne en droit civil québécois, la Cour suprême édicte qu’elle croit « devoir suivre la coutume acceptée depuis un grand nombre d’années dans la province de Québec et interpréter cet article 1011 C.P.C. comme créant un droit d’action contre la Couronne dans les cas de délits et de quasi- délits, en suivant les formalités de la pétition de droit176 ». De manière plus précise, un

passage précédent de cet arrêt souligne que la Couronne n’a pas mis en doute sa responsabilité dans cette affaire, conformément à la pratique depuis l’adoption de la loi

173 Brun, Tremblay et Brouillet, préc., note 15, p. 40. 174 Ibid., p. 41.

175 Ouimet c. Bazin, [1912], R.C.S. 502, p. 533.

The Quebec Petition of Right Act de 1883177 portant sur les recours contre la Couronne en

matière de responsabilité civile178. Ce « grand nombre d’années », de l’avis de la Cour

suprême, ne peut donc être supérieur à 52 ans, car la pratique s’est instaurée après l’adoption de la loi de 1883, tandis que le jugement a été rendu en 1935. Qui plus est, il s’agit d’un arrêt de la Cour suprême. Un certain nombre d’années doit donc s’être écoulé depuis les poursuites intentées devant les cours inférieures, ce qui réduirait d’autant plus le nombre d’années nécessaires pour établir la coutume.

Cet arrêt montre, tel qu’il a été énoncé précédemment, que seul le contexte législatif canadien est pris en considération lorsqu’il s’agit de préciser le nombre d’années nécessaires à la reconnaissance d’une coutume. En effet, aucune référence à l’existence d’une pratique en vigueur depuis 1189 n’est mentionnée comme ce qui est parfois observé en Angleterre avant le XIXe siècle. De plus, la Cour suprême ne se fonde

que sur l’aspect matériel de la coutume pour présumer l’acceptation et ainsi affirmer son caractère obligatoire, ce qui est conforme à ce qui a été observé en droit international et en common law. Un dernier constat s’impose au regard de cet arrêt. Plusieurs critères élaborés par les auteurs doctrinaux précédemment cités ne sont pas, à première vue, analysés par la Cour suprême pour établir l’existence de la coutume, ce qui laisse présager que les deux critères principaux sont l’acceptation fondée sur la pratique et le temps nécessaire à sa formation. Qu’en est-il des autres critères ? Seraient-ils secondaires ?

Avant 1982, le droit coutumier a également été utilisé par les tribunaux canadiens à titre de source de droit pour reconnaître les coutumes autochtones en matière d’adoption et de mariage179. La preuve de l’existence d’une coutume y est établie par le témoignage

ex parte d’un individu d’un certain âge ou d’un certain statut au sein de la communauté. Les parties ou une seule d’entre elles peuvent également témoigner de l’existence de la

177 The Quebec Petition of Right Act, 46 Vict. c. 27 (1883). 178 The King c. Cliche, préc., note 176, p. 564.

179 Norman K. Zlotkin, « Judicial Recognition of Aboriginal Customary Law in Canada : Selected Marriage

coutume. À titre d’exemple, dans l’affaire R. v. Nan-E-Quis-A-Ka180 de 1883, la seule

preuve d’un mariage selon les coutumes amérindiennes présentée au tribunal était celle de la mariée. Néanmoins, cela a été suffisant pour que celui-ci affirme la validité du mariage. Norman K. Zlotkin précise également que des témoins-experts n’ont pas été appelés pour témoigner dans les actions en justice qu’il a répertoriées181. En conséquence,

puisque les témoignages ont porté sur des faits et non sur une opinion, force est d’admettre, encore une fois, qu’avant 1982 la preuve de la coutume s’est établie à partir des faits et de la pratique. Ce constat est d’autant plus pertinent que des différends relatifs aux adoptions et aux mariages amérindiens ont été entendus par les tribunaux de la plupart des provinces canadiennes entre la seconde moitié du XIXe siècle et le

rapatriement de 1982.

Un arrêt de la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest qui s’attarde à la coutume en droit des peuples autochtones mérite une attention particulière. En 1972, ce tribunal a indiqué, dans l’affaire Re Deborah, les critères qui doivent être rencontrés pour que le droit coutumier soit reconnu dans le cas d’une adoption amérindienne contestée par les parents naturels. Il y est spécifié ceci :

Custom has always been recognized by the common law and while at an earlier date proof of the existence of a custom from time immemorial was required, Tindal, C.J., in Bastard v. Smith (1837), 2 M. & Rob. 129 at p. 136, 174 E.R. 238, points out that such evidence is no longer possible or necessary and that evidence extending" . . . as far back as living memory goes, of a continuous, peaceable, and uninterrupted user of the custom" is all that is

now required182.

Cet extrait est intéressant à plus d’un titre. D’abord, il réaffirme l’existence de la coutume à titre de source de droit en common law ainsi que nous en avons traité précédemment183. Ensuite, il établit que la jurisprudence anglaise inhérente au droit

coutumier peut être utilisée en droit canadien, ce qui cadre avec le préambule de la Loi

180 R. v. Nan-E-Quis-A-Ka, [1889] 1 Terr. L. R. 211. 181 Zlotkin, préc., note 179, p. 10.

182 Re Kitchooalik et al. and Tucktoo et al., [1972] N.W.T.J. no 23, 28 D.L.R. (3d) 483 (C.A. T.N.-O.), par. 19

(ci-après « Re Deborah ») (l’italique est de nous). À propos des critères permettant d’attester de l’existence d’une coutume énoncés dans l’arrêt Bastard c. Smith et autres, préc., note 99, p. 136, voir :

supra, chapitre II, partie 2.1.

constitutionnelle de 1867. Enfin, il expose les critères dont les tribunaux canadiens tiennent compte lorsqu’ils avalisent l’existence d’une coutume. À ce propos, réaffirme que le critère portant sur l’aspect temporel ne repose plus sur la preuve d’une coutume existant depuis des temps immémoriaux. Celui-ci est désormais fixé à l’étendue de la