• Aucun résultat trouvé

2014 Influence des personnages de médecins dans la littérature romanesque sur la pratique de la médecine générale. La fiction influence-t-elle le réel ?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "2014 Influence des personnages de médecins dans la littérature romanesque sur la pratique de la médecine générale. La fiction influence-t-elle le réel ?"

Copied!
109
0
0

Texte intégral

(1)

1

UNIVERSITÉ Pierre et Marie CURIE (PARIS 6)

FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE

Année 2015

N°2015PA06G027

THÈSE

DOCTORAT EN MÉDECINE

SPECIALITE DE MEDECINE GENERALE

par Céline GRIMSHAW

née le 5 janvier 1984 à Evry

---

Présentée et soutenue publiquement le 17 juin 2015 à 18h30

Influence des personnages de médecins dans la littérature

romanesque sur la pratique de la médecine générale. La fiction

influence-t-elle le réel ?

Directeur de thèse : Monsieur le Docteur Antoine DE BECO

Président de thèse : Monsieur le Professeur Philippe CORNET

Membres du jury : Monsieur le Docteur André SOARES

(2)

2

REMERCIEMENTS

A Monsieur le Professeur Philippe CORNET. Merci de me faire l’honneur de présider ce jury. Merci pour tout le temps consacré à m’aider dans ce travail et pour l’énergie déployée afin de nous offrir à tous une formation de qualité, au sein de la faculté de Pierre et Marie Curie et en dehors.

A Monsieur le Docteur Antoine DE BECO. Merci de me faire l’honneur de diriger cette thèse, d’avoir accepté d’endosser ce rôle sans réserve, dès les premiers balbutiements. Merci mille fois de m’avoir accueillie en SASPAS et de m’avoir montré que la médecine générale était ce beau métier qui méritait qu’on le défende. Merci de continuer à m’accompagner avec humour et bienveillance.

A Monsieur le Docteur André SOARES. Merci de me faire l’honneur de participer à ce jury de thèse, d’avoir accepté avec enthousiasme sans que nous ne nous connaissions encore mais parce que le sujet vous intéressait.

A Monsieur le Professeur Philippe VAN ES. Merci de me faire l’honneur de participer à ce jury, de m’avoir conseillée sur les lectures en rapport avec mon sujet et de m’avoir permis de découvrir ce qu’était la médecine narrative.

A Madame le Docteur Linda SITRUK. Merci de m’avoir ouvert les portes du Généraliste et de m’avoir permis de publier ma vidéo sans aucune restriction. Merci à vous et votre équipe pour votre gentillesse.

A tous les médecins ayant accepté de participer à mon étude. Merci de m’avoir accordé du temps et le fruit de vos réflexions. Merci d’avoir partagé avec moi vos souvenirs et questionnements et de m’avoir permis de lire et relire des romans que je n’aurais pas lus sans vous.

A tous mes maîtres et enseignants, depuis les premières années à la faculté de médecine de Rennes, jusqu’à ceux du département de médecine générale de la faculté de Pierre et Marie Curie.

A ma tutrice, le Professeur Anne-Marie Magnier.

Aux docteurs Ghislaine Henry, Sandrine Mongie, Jean-Paul Chabbert et Danièle Lucas, qui m’ont accueillie en stage de niveau 1 puis en SASPAS. Merci de l’énergie que vous nous accordez à nous internes. Merci de m’avoir encouragée dans la voie de la médecine générale et montré qu’après plusieurs années d’exercice, le métier de généraliste reste pour vous un accomplissement.

A tous ceux qui m’ont portée et supportée pendant ces années d’études et ce long travail de thèse ; Romain, Martin, mes parents et grands-parents, Emily et Olivier, mes amis.

(3)

3 « Chaque lecture est un acte de résistance. Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même. »

(Daniel Pennac)

(4)

4

TABLE DES MATIERES

1.

INTRODUCTION

7

2.

PRESENTATION DE L’ETUDE

9

2.1.

Matériel et méthode

9

2.2.

Résultats

10

2.2.1. Le Généraliste 10

2.2.2. Les entretiens individualisés 12

3.

ANALYSE DES RESULTATS

13

3.1.

Une projection des représentations du personnage de médecin

13

3.1.1. La vocation 13

3.1.1.1. La vocation médicale, état des lieux 13

3.1.1.2. Influence des lectures sur la vocation médicale 14

3.1.1.3. La vocation médicale dans les romans 16

3.1.2. Le rôle de la filiation. 18

3.1.2.1. La projection des modèles enfantins. 18

3.1.2.2. L’influence familiale 20

3.1.2.3. La filiation spirituelle, le maître et son élève. 21

Le maître adulé 21

Le maître remis en cause 22

3.1.3. Le médecin modèle héroïque et son contraire 24

3.1.3.1. Le médecin héroïque 24

Le médecin vertueux, empathique et pragmatique 24

L’aventurier, l’enquêteur 27

Le modèle militant 30

3.1.3.2. Le médecin comme contre-exemple 32

L’attrait pour le pouvoir 32

Le médecin médiocre 34

Le cas Bardamu 35

3.2.

Les représentations de la maladie, la relation médecin/malade, le médecin

malade.

37

3.2.1. La maladie 37

3.2.1.1. Les modèles de F. Laplantine 37

3.2.1.2. La suprématie du modèle ontologique/exogène/maléfique 38

(5)

5

3.2.2. La relation médecin/malade 40

3.2.2.1. La rencontre médecin/patient 40

3.2.2.2. La rupture 40

3.2.3. Le médecin malade 43

4.

DISCUSSION- LA FICTION INFLUENCE-T-ELLE LE REEL ?

45

4.1.

L’écriture comme vecteur d’opinions

45

4.1.1. L’écriture propagande 45

4.1.1.1. Médecine, littérature et politique 46

La peste ou la dénonciation du nazisme 46

Céline et la dénonciation de la guerre et du colonialisme 46 4.1.1.2. Rufin et la dénonciation des travers de la médecine humanitaire 47

4.1.1.3. Littérature et courants médico-sociaux 47

Les théories naturalistes 47

La maîtrise de la natalité, avortement et contraception 48

4.1.2. La maladie transcendée versus la retranscription du réel 49

4.1.2.1. La maladie transcendée 49

4.1.2.2. Versus la réalité nue 50

4.2.

La narration

51

4.2.1. L’identité narrative 51

4.2.2. La médecine narrative 52

4.2.2.1. Dans la relation médecin/patient 52

4.2.2.2. La thérapie narrative 53

4.2.2.3. L’enseignement actuel 53

4.3.

Le médecin écrivain

54

4.3.1. La finalité du médecin écrivain 54

4.3.2. La difficile double fonction 55

4.4.

La fiction influence-t-elle le réel ?

56

4.4.1. Résultats de l’étude et limites 56

4.4.1.1. Résultats 56

4.4.1.2. Limites 56

4.4.2. Les limites de l’influence 57

4.4.2.1. La rencontre 57

4.4.2.2. L’émergence des nouveaux média 58

(6)

6

Annexe 1. Questionnaires

61

Annexe 2. Retranscription des entretiens

64

Annexe 3. Réponses courriels

88

(7)

7

1 . I N T R O D U C T I O N

Le médecin est un homme de lettres, il l’oublie.

A travers les époques, de la Grèce antique à la Renaissance, en passant par les premières écoles de médecine perses, les jeunes médecins ont appris aussi bien l’anatomie que la philosophie, la poésie, la théologie. Le médecin était ce savant capable de soigner les corps en citant Aristote et Platon. Il était cet érudit dont l’art était la médecine. Dans son quotidien de médecin, il était le chef d’orchestre, observateur, attentif et intuitif, maniant les instruments avec dextérité et parfois virtuosité.

Peu à peu, le chef d’orchestre s’est vu disputer son autorité par ses propres instruments. C’est le temps de l’avènement de la microbiologie, de la maîtrise de l’infiniment petit. L’artiste est contraint de s’effacer pour laisser la primauté à l’instrument. Pour s’adapter à cette cohabitation technico-médicale, le médecin est obligé de se réinventer, et il s’imagine en scientifique, oubliant ce qui faisait de lui un être hors norme car transversal.

Aujourd’hui, la médecine est basée sur les preuves, sur l’expérimentation sur de vastes populations et les réponses chiffrées qui en découlent. La médecine devient statistique et il serait tout à fait injuste de nier les bienfaits d’une telle évolution. En 2015 grâce aux multiples avancées médicales, une française peut espérer vivre 85 années, là où au 18e siècle, hier, la moitié des enfants mourrait avant 10 ans et l’autre moitié pouvait atteindre, avec un peu de chance, l’espérance d’une vie de 25 ans.

La question actuelle n’est plus celle de la durée mais de la qualité de vie, la norme est la santé. La maladie est l’anormalité, le dysfonctionnement qui enraie la machine, alors qu’elle était acceptée avec une sorte de résignation fatale auparavant.

Toute la difficulté pour le médecin moderne se situe donc en ce que l’époque a fait de lui un technicien des corps, le réparateur de la machine humaine. La confrontation avec le malade devient alors inéluctable, car si le médecin peut accepter son nouveau rôle de technicien, le patient ne peut se résoudre à être mécanique.

Comment faire entendre au malade qu’il est statistique, que tel traitement est efficace sur la plupart de ses congénères ? Ce qui rassurera le médecin ne fera qu’inquiéter le patient qui s’imaginera, car différent, échapper à cette statistique.

L’ambiguïté actuelle de la relation médicale est là, évidente, l’homme a besoin d’objectivité dans les soins pour qu’ils soient efficaces, mais ne peut humainement accepter d’être lui-même objectivé. Le rôle du médecin est alors de mettre ses compétences et savoirs techniques au profit de la prise en charge singulière et unique de son patient. La chose n’est pas aisée car, longtemps, l’idée commune a été que l’humanité du médecin était innée et n’avait pas vocation à être enseignée. Les mentalités actuellement évoluent et de nouvelles pistes sont à l’étude pour répondre à cette nécessaire singularisation.

La littérature, et notamment le roman, peut aider le médecin en ce sens, pour peu qu’il lui en laisse la possibilité.

L’académicien et philosophe Michel Serres, invité à s’exprimer lors d’un congrès en 2006 sur l’éducation médicale, pointe du doigt la manne d’informations riches d’enseignements pour les jeunes médecins, que sont les romans et notamment les romans classiques. Qui mieux qu’un Zola, un Flaubert ou un Céline pour ne citer qu’eux, ont réussi à décrire si fidèlement l’homme et ses tourments ? L’écrivain est l’observateur du réel et met cette observation à la portée de tous par l’écrit. Pour le

(8)

8 soignant, la lecture romanesque sert de manuel de compréhension de l’âme humaine et replace l’homme dans la singularité de son existence.

Par ailleurs, ce que la littérature apporte au médecin est la prise de conscience de sa propre singularité et subjectivité. Le médecin n’est pas dépourvu de représentations, loin de là, sur son patient, la maladie et la mort. Comprendre cela lui permettrait de mieux vivre la relation de soin car elle serait envisagée comme la rencontre de deux identités distinctes. Au terme d’empathie, souvent recherchée, nous préférerons celui de sympathie, car l’empathie sous-tend la compréhension de l’autre comme soi-même. Or, selon nous, la meilleure compréhension est celle de l’autre comme lui-même, interprété selon sa propre identité de médecin, être là aussi singulier.

Ainsi, la question posée par ce travail est celle de l’influence du roman lorsqu’il fait état de personnages de médecins, sur la pratique de médecins généralistes actuels. Le choix exclusif du roman avait l’intérêt de nous offrir un vaste champ de références possibles tout en permettant une nécessaire limitation. Cette question n’est pas aisée car nombreux médecins ont tendance à focaliser leur pratique sur le versant technique et scientifique. Ils lisent, oui, mais pour se divertir, pour s’échapper du quotidien, peu ont intégré l’influence de leurs lectures de romans dans leur construction, et de fait, dans un second temps, dans leur pratique. Et pourtant cette influence est là, elle existe.

L’analyse des réponses obtenues, nous le verrons, nous montre que les personnages de médecins de fiction servent aux lecteurs d’objets d’identification et de projection de leurs représentations, sur leur rôle de médecin, mais aussi sur la notion même de maladie.

Nous discuterons aussi de ce lien, de plus en plus valorisé et étudié, mais le chemin est long, entre médecine, pratique et littérature, par le biais du récit et de la narration. Sur ce sujet, les anglo-saxons ont sur nous une avance indéniable.

Dans sa présentation, Michel Serres enjoint les plus jeunes générations à s’ouvrir à de multiples influences et notamment lorsqu’elles sont littéraires. Pour lui, le médecin a vocation à reprendre possession de son rôle d’artiste du corps humain, de chef d’orchestre, en prenant conscience de sa subjectivité dans son interprétation du patient singulier. Il appelle les médecins, à juste titre, à ne pas être « limités à la raison brute, des instruits incultes ».

(9)

9

2 . P R E S E N T A T I O N D E L ’ E T U D E

2.1. Matériel et méthode

Cette étude s’appuie sur un recueil de témoignages de médecins généralistes relatifs à leurs lectures en général et de romans en particulier, et sur l’influence de ces lectures sur leur pratique médicale.

L’appel à témoins s’est déroulé en deux temps. En janvier 2014, une vidéo de quelques minutes a été postée sur le site informatique de la revue médicale Le Généraliste :

http://www.legeneraliste.fr/actualites/video/recherche-en-medecine-generale/2014/02/10/etes-vous-plutot-docteur-jivago-ou-charles-bovary-participez-a-une-these-de-medecine-generale_234356

Cette vidéo expliquait brièvement le sujet et appelait des réponses en s’articulant en deux temps. Tout d’abord, le lecteur était amené à répondre à un bref questionnaire sur des questions fermées, relatif à ses habitudes de lecture au sens assez large. Ensuite, il lui était demandé de rédiger, librement, un texte explicitant les influences ou absence d’influences de ses lectures romanesques sur sa pratique médicale. Le médecin pouvait décider de répondre à l’une, l’autre, ou aux deux parties de la question. La vidéo, toujours en ligne actuellement, est restée en page d’accueil de janvier à mars 2014, moment auquel les réponses ont été clôturées et analysées.

Dans un second temps, plusieurs médecins généralistes parisiens ont été interrogés en entretien individuel, par téléphone ou lors de rencontres physiques.

Sept entretiens directs ont été réalisés, tous les médecins avaient été recrutés car connus comme étant « lecteurs » ou recommandés comme tels.

Un médecin a été joint par téléphone, les six autres ont été rencontrés physiquement, dans leur cabinet ou dans un lieu public.

Les entretiens ont été menés entre juin et octobre 2014 et ont été enregistrés sur support auditif puis retranscrits en format Word (annexe 2). Les entretiens ont duré de 20 minutes à 1 heure environ.

Ils se sont essayés à être semi-directifs afin d’orienter les médecins sans les restreindre dans leurs réponses.

Un guide d’entretien a été utilisé et consistait schématiquement en :

1/ Présentation du mode d’exercice et des habitudes de lecture au sens large 2/ Réflexion sur les facteurs déterminants de la pratique médicale

3/ Rôle de la lecture de romans parmi ces déterminants - Quel(s) roman(s) ?

- Lu(s) à quel moment ? - Romans conseillés ? Par qui ?

- Quelle influence de ce(s) roman(s) sur la pratique ? Influence positive ou négative ? 4/ Réflexion plus générale sur les liens entre littérature et médecine, entre écriture et pratique.

(10)

10

2.2. Résultats

2.2.1. Le Généraliste

83 médecins ont répondu au questionnaire.

Il s’agit en majorité d’hommes entre 56 et 65 ans exerçant à plusieurs en milieu urbain.

Les médecins interrogés ne sont pas tous des lecteurs réguliers, seuls 22 médecins sur 83 lisent plus de 20 livres par an.

En termes de choix de lecture, ils lisent préférentiellement des romans, et plus particulièrement des romans classiques puis policiers et historiques.

Nombre de

réponses Pourcentage

Etes-vous ?

homme 49 59%

femme 34 41%

Quel âge avez-vous ?

25-35 ans 8 10% 36-45 ans 5 6% 46-55 ans 18 22% 56-65 ans 39 47% 66-75 ans 13 16% Plus de 75 ans 0 0% Où exercez-vous ? En milieu rural 29 35% En milieu périurbain 13 16% En milieu urbain 41 49%

Quel est votre lieu d’exercice ?

En cabinet de groupe ou MSP 43 52%

En centre de santé 9 11%

Seul 31 37%

Nombre de

réponses Pourcentage

Combien d’oeuvres romanesques lisez-vous annuellement ?

Moins de 5 22 27%

Entre 5 et 10 19 23%

Entre 11 et 20 18 22%

Plus de 20 22 27%

(11)

11 Ils sont surtout influencés dans leurs choix de lectures par leur entourage personnel et ne cherchent pas particulièrement à lire de romans faisant référence à des personnages de médecins ou écrits par des médecins.

Nombre de

réponses Pourcentage

Quel(s) type(s) de lecture privilégiez-vous pour vos loisirs ? (choix multiples)

Romans 70 84% BD 25 30% Pièces de théâtre 5 6% Revues 46 55% Poésies 7 8% Autre 24 29%

Quel(s) type(s) d’oeuvres lisez-vous le plus souvent ? (choix multiples)

Fantastiques 17 20% Classiques 51 61% Policiers 43 52% Noirs 6 7% Satiriques 7 8% Philosophiques 27 33% Aventures 23 28% Historiques 40 48% Autres 22 27% Nombre de réponses Pourcentage Cherchez-vous particulièrement à lire les romans faisant référence à des médecins ou à la médecine ?

Oui 11 13%

Non 69 83%

NSP 3 4%

Cherchez-vous à lire des romans écrits par des médecins (Céline, Winckler, Winnicot, Chauviré, Rufin...) ?

Oui 22 27%

Non 55 66%

NSP 6 7%

Par qui ou par quoi êtes vous influencé dans vos choix littéraires ? (choix multiples)

Amis/familles 53 64% Confrères 7 8% Libraire 29 35% Emissions tv 23 28% Emissions radio 26 31% Internet 18 22% Revues médicales 7 8% Presse d’actualité 37 45% Autres 20 24%

(12)

12 Seulement huit ont rédigé un texte sur l’influence de leurs lectures sur leur pratique. Cinq ont trouvé un lien entre lecture et exercice, trois ont nié toute influence éventuelle. Ont été écartées de l’analyse les œuvres citées ne correspondants pas à des romans ou encore celles où le personnage concerné n’était pas médecin.

Afin de compléter ce premier travail d’enquête, nous avons choisi de conduire des entretiens individualisés.

2.2.2. Les entretiens individualisés

Sept médecins ont été rencontrés, une femme et six hommes. Seul un médecin a moins de cinquante ans.

Les principaux thèmes abordés ont été : - Le parcours médical

- Les lectures comme loisirs ou comme outil professionnel

- L’influence de la lecture de roman sur la pratique médicale : sur la relation médecin/malade, sur l’appréhension de la mort de son patient et la sienne, le médecin malade

- Le modèle médecin : dans le roman, l’influence familiale

- Les outils de compréhension de la relation médicale : le partage d’expérience, la rencontre humaine, la médecine narrative, l’écrivain/médecin

- Les nouveaux média : internet et télévision

(13)

13

3 . A N A L Y S E D E S R E S U L T A T S

Les généralistes interrogés font référence à une vingtaine de romans mettant en scène des médecins qui ont pu les influencer, à un moment ou à un autre de leur vie professionnelle. Plusieurs évoquent les mêmes romans, mais les ressentis peuvent être tout à fait différents, voire diamétralement opposés. Nous verrons que l’influence du roman se trouve dans la projection du lecteur de ses représentations du personnage médecin, mais aussi de la maladie et de la relation médicale.

3.1. Une projection des représentations du personnage de

médecin

Beaucoup de médecins interrogés ont fait référence spontanément à des lectures lues dans l’enfance. L’étude de ces lectures permet l’émergence de trois notions récurrentes, la vocation médicale, l’importance de la filiation et le modèle médecin.

3.1.1. La vocation

La plupart des répondants se sont appliqués à se remémorer un « roman-vocationnel ». Si la définition même de vocation médicale n’est plus la même aujourd’hui, l’idée de dévouement reste présente et constante chez les médecins de fiction cités en exemples.

3.1.1.1. La vocation médicale, état des lieux

Louis-Ferdinand Céline évoque sa vocation lors d’un entretien en 1961 : « Ma vocation c'était la médecine...Tout petit, je rêvais d'être médecin, de soigner les gens...Vers cinq ans je crois bien. » Du latin « vocare » ; appeler, la notion de vocation médicale prend tout son sens au cours des 19e et début du 20e siècle car est calquée sur le modèle clérical, alors tout puissant. Le prêtre et le médecin ont en commun ce total dévouement à l’autre et à l’amoindrissement de ses souffrances, morales ou physiques. Ils sont ceux qui sacrifient leur vie pour le bien-être de leurs prochains. Dans sa Philosophie de la médecine en 1865, Édouard Auber écrit que « la plus haute mission de l’homme après celle du

ministre de la religion est celle du médecin ; il est dispensateur du feu sacré de la vie et des forces secrètes de la nature ; vivre pour les autres et non pour soi, telle est l’essence de sa profession. » Le médecin est, comme le prêtre, un appelé et cette vocation lui confère le statut d’homme respectable car il appartient au cercle des élus d’une d’élite rédemptrice.

Depuis la seconde moitié du 20e siècle, la foi chrétienne des populations ne cesse de décroître et les notions de vocations, religieuses ou médicales deviennent, sinon obsolètes au moins surannées. Lorsqu’elle s’applique au médecin, la vocation perd sa composante sacerdotale pour se référer à présent à un désir lointain et profond de devenir médecin.

En 1969, la sociologue Claudine Herzlich mène une enquête sur les facteurs d’orientation professionnelle chez des étudiants en médecine d’universités françaises. La vocation prend la tête de ces déterminants, devant les conseils familiaux. Moins d’un demi-siècle plus tard, en 2008, un questionnaire similaire est réalisé par le Professeur Jacques Roland dans le cadre d’une présentation sur la vocation

(14)

14 médicale. Il interroge plusieurs dizaines de lycéens de la région lilloise qui viennent d’obtenir leur baccalauréat et projettent de s’inscrire en faculté de médecine. 14 % d’entre eux avouent penser à un tel choix d’orientation depuis leur primaire. Les facteurs incitateurs de ce choix sont : leurs lectures (47%), leur entourage familial (42%), une sensibilité humanitaire (70-80%). L’idée de vocation n’est pas représentée.

3.1.1.2. Influence des lectures sur la vocation médicale

Dans le cadre de notre enquête, plusieurs répondants ont fait référence à des lectures lues dans leur enfance ou adolescence et leur attribuent une influence sur leur choix de carrière.

Ainsi Michèle R. évoque le Journal d’une femme en blanc d’André Soubiran, lu à 15 ans et le décrit comme « déterminant dans [son] orientation future. »

Ce journal est celui de Claude Sauvage, 25 ans, étudiante en médecine venant de terminer son année d’ « internée » dans le service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Gennevilliers. L’action du roman est contemporaine à son écriture et se situe au début des années 1960, période houleuse concernant la question de la contraception. Celle-ci est alors toujours régie par la « loi nataliste » de 1920 qui interdit la promotion de toutes méthodes contraceptives et réaffirme le caractère meurtrier de l’avortement. Pour autant, Les femmes revendiquent de plus en plus leur droit à disposer de leur corps comme elles l’entendent et aspirent à maitriser leur fécondité.

C’est dans ce contexte social tendu que Claude fait ses débuts en tant que jeune interne. La difficulté est double car elle est femme et médecin. Pour elle, toute femme doit avoir libre accès à l’ensemble des méthodes contraceptives alors à disposition, notamment dans les avant-gardistes pays anglo-saxons ; spermicides, capes cervicales, premières pilules… Elles devraient aussi pouvoir, selon elle, bénéficier légalement des mesures abortives sans être contraintes d’avoir recours à des méthodes artisanales, souvent vectrices de complications parfois mortelles pour les femmes. C’est d’ailleurs à la suite de la mort de sa patiente Mariette, dans les suites d’un tétanos post-avortement, qu’elle prend conscience de la difficulté majeure d’être médecin, tenu à des obligations légales, tout en faisant face à la détresse psychique de ses patientes.

Claude n’exerce pas un métier, elle incarne son métier. Avide d’apprentissage, elle vit la médecine « à toute heure, comme une passion qui grandit en [elle] jusqu’à ce qu’elle [l’] ait totalement dévorée. » (p26)

Seule et contre tous, elle a appris à se forger une carapace dans un univers hostile largement dominé par des hommes médecins grâce, elle le consent, à ce sentiment d’orgueil qui la caractérise. Elle est « fière depuis toujours de [son] intelligence » (p47) et se destine à accomplir de grandes choses.

Les motivations de Claude, suivies telle une doctrine, sont le fruit d’une vision esclavagiste des relations hommes/femmes dont les origines sont à chercher dans sa propre enfance.

Depuis ses plus jeunes années, Claude a une vision belliqueuse des relations entre les sexes, les femmes sont avilies aux hommes en général et à leur époux en particulier. Elles sont emmurées dans un quotidien oppressif où leur vocation est d’être des mères nourricières obéissantes au chef de famille. C’est pour les sauver de cet esclavage que Claude a choisi la gynécologie comme spécialité.

On retrouve dans l’origine des motivations de Claude, un conflit enfantin ancien et un complexe d’Œdipe latent, dont elle a elle-même tout à fait conscience. Elle décrit son enfance vécue entre une mère plaintive et un père absent, en conflits permanents. Elle décrit sa mère comme cette

(15)

15 rivale à qui elle devait disputer son père. La mère aurait voulu se venger à travers la fille de sa féminité accomplie, Claude lui ayant offert le rôle de mère, rôle emprisonnant toute femme dans sa condition de soumission.

Claude parle aussi de vengeance lorsqu’arrivent ses premières règles. Elle, qui avait toujours voulu être un garçon, voit dans cette marque de féminisation suprême, une punition car ses menstruations la lient inexorablement à cette condition de femme, la même que celle de sa mère. Ces règles sont d’autant plus ressenties comme châtiment qu’elles arrivent quelques mois après la mort de son père. Claude est engagée et passionnée certes, mais elle est aussi ambivalente dans ses paroles et dans ses actes. Elle ne peut s’empêcher parfois d’émettre un jugement sur le comportement de ses patientes, qu’elle accuse pour certaines d’être des esclaves volontaires aux mains des hommes, fondamentalement séductrices et incapables de raisonner. Si Mariette bénéficie de tous ses égards, telle autre ne « lui est pas sympathique » (p192), telle autre encore est traitée de « pauvre vachère » (p502). Claude est jalouse de la femme belle à la féminité affirmée, elle dont le physique est ingrat et les courtisans rares. Elle ira jusqu’à renoncer à tous ses principes de liberté dans les bras de Jacques Ferrières, bellâtre oisif qu’elle rencontre lors d’un remplacement qu’elle effectue en campagne. Il se joue pourtant d’elle et finit par l’abandonner, lassé d’elle. Claude est d’abord anéantie mais se relève et se promet de ne plus jamais céder à la tentation amoureuse qui l’éloigne de son but.

Claude est jeune, en phase d’apprentissage et ses échecs participent à la rendre plus forte.

Michel Q., un autre médecin interrogé nous explique à propos d’un autre roman : « Quand j’étais gamin, j’avais 13-14 ans, un ouvrage m’avait beaucoup marqué : La Citadelle de Cronin. C’est un jeune médecin, Manson, qui va soigner des mineurs dans une ville de mineurs d’Ecosse… ça m’a renforcé dans l’envie d’aider ceux qui en ont besoin. »

André Manson a vingt-quatre ans lorsqu’ en 1924, il est nommé comme assistant du docteur Page dans la triste ville minière galloise de Blaenelly. Il n’a ni famille ni ami et a consacré ses dernières années à ses études qu’il suit de façon assidue. Il est contraint d’accepter ce poste loin de son Ecosse natale mais s’y rend sans ciller, là où ses camarades rêvent eux à de brillantes carrières londoniennes.

Il est accueilli avec méfiance par la population minière, peu encline à faire confiance à l’étranger, surtout quand cet étranger est médecin et donc représentant d’une classe supérieure. Le médecin, pour les familles de mineurs, est craint car il est celui qui interdit de travailler s’il estime qu’il y a inaptitude, or le travail est fondamental pour améliorer leur quotidien misérable. Ils ont aussi souvent eu affaire à des médecins peu scrupuleux, plus intéressés par leurs émoluments que par la santé de leurs patients.

Manson détonne, lui qui est entièrement désintéressé par l’appât du gain et dont la motivation est « de ne jamais de devenir négligent ou vénal. » (p73) Les médecins des Compagnies sont salariés, Manson s’en accommode, mais son idéal est débarrassé de la question financière. Pour lui, soins et argent sont incompatibles, et il explique son idée : « Voilà comment devrait se payer les honoraires. Pas d’argent, pas de maudite note, pas de prélèvement sur les salaires, pas de versement en espèces : paiement en nature. » (p227)

Manson dirige sa vie personnelle et professionnelle selon les principes de droiture et de travail bien fait. Il est habité par une volonté inébranlable d’exercer son métier de la façon la plus juste. Il ne compte pas ses heures, « la besogne ne [lui] fait pas peur. » (p9) Il visite sans relâche tous les foyers

(16)

16 qui font appel à lui et les mineurs finissent par lui reconnaître ses qualités humaines mais aussi techniques. Les patients affluent et sa réputation dépasse les frontières de la cité minière.

Il tombe amoureux de Christine, l’institutrice du village, et l’épouse. Il rêve alors de fonder un foyer au sein de cette ville dans laquelle il se sent finalement chez lui.

Pourtant, à la suite de conflits avec les instances directives, il est contraint de quitter le Pays-de-Galles et part s’installer avec Christine à Londres. Il y vit une période tourmentée et sa motivation s’essouffle. Tant de temps consacré à son métier sans obtenir la reconnaissance de ses pairs et parfois même de ses patients. Il envie ses collègues parvenus, grâce à des moyens parfois douteux, à vivre en nantis. Peu à peu, il devient l’un des leurs, renie sa moralité et s’intéresse plus à ce que tel ou tel patient peut lui rapporter qu’à ce dont il souffre réellement. Il ouvre un cabinet en ville et se spécialise dans le soin d’une riche patientèle qui lui ouvre les portes des cercles mondains londoniens.

C’est la mort d’un de ses patients sur la table d’opération qui lui ouvre les yeux sur ce qu’il est devenu. Celui-ci meurt à la suite de complications d’une opération chirurgicale routinière pratiquée par un collègue peu scrupuleux, pourtant recommandé par Manson. André prend conscience de sa terrible transformation et ne veut plus être ce médecin qu’il est devenu.

Il vend sa patientèle fortunée, rompt avec ses confrères véreux et retourne en campagne afin d’ouvrir un centre médical dédié aux nécessiteux.

Qu’il s’agisse de Claude ou du docteur Manson, ces médecins sont « inspirants ». Ils sont tous deux passionnés, entièrement dévoués à leurs patients et militent pour faire jaillir leur idéal de bon exercice. Leur métier leur apporte un sentiment d’accomplissement car ils choisissent la voie de la droiture, malgré quelques égarements, qui finalement, ont l’intérêt de les rendre plus humains. Ces médecins, au même titre que Gandhi ou encore Martin Luther King, représentent dans les esprits des jeunes lecteurs des modèles de révolutionnaires combattant pour un monde plus juste.

Par ailleurs, il faut noter que dans les réponses obtenues, les médecins plus jeunes actuellement en exercice, ne font pas de lien entre lectures personnelles et vocation. L’explication est double ; d’une part, nous l’avons vu, la notion même de vocation est dépassée, et d’autre part, les supports ont changé au profit des techniques audiovisuelles modernes. Morgan G., jeune diplômé, nous l’illustre parfaitement : « En remontant quelques mois ou années avant ce moment du choix définitif des études supérieures en terminale, s'il fallait trouver un déclencheur à mon choix de "carrière", il serait certainement plus télévisuel que littéraire. En particulier avec la série Urgences qui m'a fait découvrir ce que pouvait être la médecine. »

3.1.1.3. La vocation médicale dans les romans

Si certains médecins interrogés évoquent une vocation lointaine, la quasi-totalité des médecins de fiction référencés eux, ont choisi la médecine comme un sacerdoce. Tous, ou presque, ont emprunté le chemin tortueux de la profession médicale comme une évidence, révélée à eux dès leur plus tendre enfance.

(17)

17 Prenons deux exemples, celui de Jean Nérac dans Les Hommes en blanc d’André Soubiran et de Robert Cole du Médecin d’Ispahan de Noah Gordon.

Jean grandit à Toulouse au début des années 1930, passe ses journées dans le bureau de tabac tenu par sa mère. C’est là que nait sa vocation, en la regardant conseiller ses clients sur leur vie personnelle et les aider dans leurs démarches administratives, comme souvent le font les commerçants de quartier avec leurs habitués. Cette mère incarne pour Jean le dévouement et il s’en inspire, pétri de valeurs éducatives judéo-chrétiennes. Lui, c’est par le biais des études médicales qu’il imagine « se sacrifier » : « C’était devant mes yeux la Vie, avec sa lutte quotidienne du bien et du mal, où ma mère travaillait à d’incessantes victoires des bons contre les méchants. » (p43t1)

Au fur et à mesure des tomes qui constituent cette saga, le lecteur suit les pérégrinations du jeune Jean, externe à Paris puis médecin remplaçant dans un village d’Auvergne. Peu à peu, il apparaît que ses motivations initiales sont plus complexes et répondent aussi à sa quête de figure paternelle et une envie de réussite sociale, deux choses dont il a été privé très jeune.

Quelques siècles auparavant et outre-Manche, le jeune Robert Cole est lui aussi élu pour être serviteur de la médecine.

L’action se passe à Londres au 11e siècle. Robert n’a pas dix ans quand ses parents meurent tragiquement. Il est alors pris en charge par Henry Croft, barbier-chirurgien, qui le prend sous son aile et l’emmène comme apprenti le long des campagnes anglaises.

A la mort de ce maître, Robert a une révélation, il veut devenir médecin, et part alors pour Ispahan en Perse, contrée lointaine, où se trouve la célèbre école de médecine dirigée par Ibn Sina, le grand maître Avicenne. Le voyage est long et dangereux mais Rob finit par arriver à destination et, à force de ténacité et de travail, il obtient le diplôme tant espéré de « Hakim » ; médecin.

Le corps humain, son fonctionnement et ses maux restent très mystérieux au 11e siècle. C’est le temps des superstitions, des croyances ésotériques avec ses sorcières et autres guérisseurs miraculeux.

La maladie est vue comme une punition, les remèdes sont faits de potions, mixtures et autres préparations mystérieuses, bien loin de tout raisonnement scientifique. On en veut pour exemple ce paysan qui soigne sa gangrène de doigt en « l’enveloppant de cendres humides mêlées de crottes d’oie » (p102).

Dans ce contexte mystique, religion et médecine ne peuvent s’entendre car pour les représentants de l’Eglise, seuls « la Trinité et les Saints ont le vrai pouvoir de guérir » (p118).

Robert s’intéresse très tôt aux affaires médicales mais sa vocation va au-delà de l’intérêt car il a le don de prédire la mort prochaine de ses patients. La religion est prégnante tout au long de son parcours, mais Robert Cole est finalement peu mystique. Il ne nomme pas cette entité supérieure qui lui a conféré ce don, mais il l’accepte simplement, comme un fait, et le met au service de la médecine.

(18)

18

3.1.2. Le rôle de la filiation.

Les réponses obtenues font souvent référence au monde de l’enfance et de l’adolescence. Ainsi, il existe un parallèle, fait par les médecins interrogés, entre ces lectures et l’influence familiale. La famille au sens large est omniprésente, que ce soit dans les réponses ou dans les romans cités. Nous ferons aussi un rapprochement avec la filiation spirituelle, celle du maître et de l’élève.

3.1.2.1. La projection des modèles enfantins.

Le médecin joue un rôle important dans l’imaginaire enfantin, il est soit vecteur de peur quand il prend les traits du « punisseur » brandit par les parents, qui viendra faire des piqûres aux enfants non sages, soit synonyme de réconfort quand il guérit et soulage. Il n’est pas anonyme, participe à la dynamique familiale.

Le docteur Gilles T., dans sa réponse, illustre de façon très intéressante les liens fait dans un esprit d’enfant entre parents, lectures et médecin : « Je suis né en 1963 - un livre de lecture en CM1 nous expliquant la mort par tétanos du père de famille - je n'ai pas la référence - mais des cauchemars [La Maison des Flots Jolis (ndlr)].

Parue en 1945, La Maison Des Flots Jolis est un manuel scolaire de lecture utilisé en cours moyen dans les écoles françaises dans les années 1950-1960.

L’héroïne de ce « roman pour enfants » comme le nomme son auteur, est Léa, quinze ans, qui vit entourée de son père Pierre-François, marin pêcheur et de ses deux jeunes frères, Jean et Marcel. Tous quatre vivent au bord de la mer Méditerranée dans le Var depuis la disparition prématurée de leur mère Germaine, quelques années auparavant. Léa veille sur ses hommes en tâchant de pallier autant que possible le manque maternel.

Cet équilibre vacille lorsque le père décède à son tour des suites d’un tétanos fulgurant. Léa sombre alors dans la dépression. L’oncle Paul, frère de Pierre-François, recueille la fratrie et emmène les enfants chez lui à Nanterre, où peu à peu, la vie reprend ses droits.

Ce roman égrène les thèmes du respect familial, des bienfaits du travail, de l’entre-aide, du courage nécessaire pour affronter les difficultés de la vie. La figure paternelle est centrale et incarnée par trois hommes. Pierre-François tout d’abord, dont l’ « existence simple, faite de travail, d'affection, de bonté, de tant de fatigues et d'un peu de joie, s'est terminée si tôt ! Lui qui bravait la souffrance et le mal, lui qui riait, un rien l'a terrassé... » (p18).

Puis c’est Paul, l’oncle, qui prend le relais dans le rôle du chef de famille bienveillant et empli d’abnégation face au devoir.

On peut octroyer au médecin de famille la troisième représentation masculine notable du roman. Peu présent dans l’œuvre, il intervient surtout après la mort de Pierre-François lorsque Léa sombre dans la mélancolie. Homme vigoureux, empathique et profondément humain, c’est lui qui recommande l’éloignement de la fratrie de la maison familiale, nécessaire selon lui à leur reconstruction.

Gilles T. évoque ensuite un second roman l’ayant marqué profondément dans son esprit d’enfant : « Zola et le Docteur Pascal, l'âme pure de toute une dynastie Rougon qui nous fait mourir de son infarctus alors que Clotilde (le prénom de ma mère) est enceinte. »

(19)

19 Le Docteur Pascal est le vingtième et dernier volume de la fresque des Rougon- Macquart. Pascal Rougon, 59 ans, est le fils de Pierre Rougon et de Félicité Puech. Il est médecin et réside aux alentours de la ville de Plassans, à la « Souléiade », avec sa fidèle servante Martine, et Clotilde sa nièce de 25 ans, fille d’Aristide Rougon, qu’il a recueillie et élevée depuis ses 7 ans. L’action se situe entre 1872 et 1874, juste après la chute du second Empire qui avait fait la grandeur et la richesse de la famille Rougon.

Pascal tient le rôle du bon maître de maison envers ses deux compagnes du quotidien, Martine et Clotilde. Il est décrit comme étant « d’une solidité vigoureuse, avec sa barbe et ses cheveux de neige » (p54). Adulé par ces deux femmes, elles lui sont complètement dévouées comme l’atteste le champ lexical de la soumission, omniprésent tout au long du roman : « Maître » (p57), « abandon de soi » (p57), « adoration » (p59), « dévotion » (p59), « dociles » (p60), « déférence » (p374)…

D’un naturel optimiste, toujours gai, il est selon sa servante « une vraie bénédiction » (p61).

Son personnage est construit en opposition à celui de sa mère Félicité, veille gardienne orgueilleuse de la gloire familiale déchue. Complètement dénuée de tout sens maternel, elle reproche à Pascal sa différence eu égard des autres membres de la famille : « Mais d’où sors-tu ? Tu n’es pas à nous ! » (p 66).

Bon au sein de son foyer, Pascal est aussi fortement apprécié de ses patients qui le reçoivent en visite comme un ami de la famille. Nulle question d’honoraires entre eux, Pascal n’exige aucun gage, seul l’amour du travail bien fait l’habite. Ses patients sont si reconnaissants à son égard que la relation incestueuse qu’il noue avec Clotilde, bien que les troublant initialement, fini par obtenir leur accord implicite tant Pascal et Clotilde paraissent heureux.

Malheureusement, l’éclat nouveau conféré par cet amour naissant ne suffit pas à rajeunir Pascal qui se voit emporter dans le dernier chapitre par une sclérose cardiaque alors même que Clotilde est enceinte du fruit de cet amour.

Ces deux lectures projettent Gilles T. enfant vers cette peur viscérale commune à chaque enfant, la perte des parents, celle du père du manuel de cours moyen, et celle de Pascal, figure patriarcale par excellence. C’est aussi par extension, sa propre mort qui commence, vers 9-10 ans à devenir une réalité terrifiante fantasmée chez l’enfant. Notons l’oubli pronominal révélateur dans « qui nous [le] fait mourir ». Par là, ça n’est plus seulement Pascal qui meurt, c’est aussi la prise de conscience de l’éphémère de sa propre existence.

D’autre part, pour l’enfant, le médecin est un homme qui impressionne. Il est admirable et respecté. Les lectures d’enfants évoquées, souvent biographiques, relatent les fabuleuses destinées de médecins explorateurs, chercheurs, nous y reviendront, ou encore de grands médecins célèbres qui impressionnent. Le docteur Michel Q. évoque le souvenir de telles lectures : « Et puis il y avait les Belles

Histoires de l’oncle Paul dans Picsou je crois. Ca racontait l’histoire de héros : aussi bien Saint Louis, Du Guesclin que Pasteur, Schweitzer, Flemming… Ca m’avait pas mal marqué. »

(20)

20

3.1.2.2. L’influence familiale

La notion de filiation est très présente dans les réponses. Si certains se réfèrent à des lectures marquantes, elles le sont d’autant plus qu’elles ont été offertes ou conseillées par un parent, parfois médecin : « Des livres lus plus jeune qui me reviennent, comme Les Hommes en blanc de Soubiran. C’est mon grand-père qui me l’avait offert quand j’avais une vingtaine d’années. Je faisais des études de médecine et lui était médecin. » (Jean L.)

Dans les romans cités, la famille et le poids de l’héritage sont très souvent évoqués. Le père, car c’est souvent de lui dont il s’agit, est soit l’illustre exemple à imiter, soit au contraire, la figure à éloigner pour se réaliser. Bruno Sachs et Michel Doutreval en sont les exemples.

Nombreux médecins interrogés ont cité La Maladie de Sachs de Martin Winkler et les motifs sont multiples. Ce livre a été un franc succès commercial dès son année de parution en 1998. L’originalité de sa forme, le héros Bruno Sachs raconté au travers des pensées de ses patients, en est certainement une des causes. Ce roman a le double intérêt de permettre au lecteur-patient et au lecteur médecin de se retrouver dans des situations similaires vécues.

Bruno Sachs est un jeune généraliste qui exerce à Play, une petite ville de quelques centaines d’habitants, tout en assurant une vacation au centre d’orthogénie de la ville voisine, Tourmens. Il a choisi ce métier pour répondre aux attentes de ses parents et de son père avant tout, médecin lui–même et à présent décédé. Ce père incarne la transmission d’un exercice totalement dévoué à l’autre et à son écoute. Bruno tente d’atteindre l’objectif irréalisable car fantasmé, d’être un aussi bon soignant que son ascendant. La culpabilité inéluctable de ne pas y parvenir se rajoute à celle de vivre, tout simplement, alors « que [son] père est mort » (p480).

Là se situe toute la problématique de Bruno Sachs qui voue sa vie à soigner son patient de la manière la plus droite et la plus humaine possible, alors même qu’il souffre lui-même d’une profonde mélancolie. Il tient des propos sombres et torturés dans ses carnets, envisage parfois le suicide comme remède à ses maux. Il met tour à tour en question la vie à deux : « Quand on fait sa vie à deux, c’est deux fois plus de souffrances » (p350), mais aussi l’essence même du rôle du médecin : « Pour faire ce boulot jusqu’au bout, il faut être cinglé. Il n’y a que des cinglés pour vouloir sauver la vie des gens, sans se rendre compte que c’est impossible. Ceux qui font semblant de croire le contraire sont des salauds. » (p344)

Son engagement auprès de ses patients apparaît alors comme une tentative de soigner ses propres souffrances à travers eux. Le choix du titre du livre l’illustre parfaitement.

A l’inverse, dans Corps & âmes de Van der Meersch, cité par Liliane M., Michel est écrasé par le joug paternel du brillant Doutreval et conscient de ces méfaits, fait tout pour s’en affranchir.

1937, Michel a 20 ans et étudie la médecine à la faculté d’Angers. Orphelin de mère, son père, le Professeur Doutreval est un brillant neuro-psychiatre dont les recherches sur la convulsivothérapie en traitement de la schizophrénie font de lui une référence dans le monde médical.

Michel est élevé en héritier de ce grand homme, auprès de ses sœurs Mariette et Fabienne, entre les murs épais d’une demeure provinciale bourgeoise. Il est promis à un brillant avenir, suit docilement le chemin tracé, entre cours théoriques, stages cliniques et pitreries carabines avec ses camarades Santhanas, Tillery et Seteuil.

(21)

21 C’est alors qu’il rencontre lors d’un stage la jeune Evelyne, patiente tuberculeuse du sanatorium, pauvre créature chétive sans famille ni richesse. Peu à peu, les deux jeunes âmes s’éprennent l’une de l’autre, Michel remet en cause ses rêves de gloire et de réussite et prend conscience de l’importance du dévouement à l’autre en tant que médecin et homme.

Doutreval voit d’un très mauvais œil cette relation et somme son fils d’y mettre fin. Après une violente et ultime altercation, Michel rompt tout lien avec sa famille. Il rejoint Paris, épouse Evelyne et termine ses études auprès de nouveaux maîtres moins formatés.

Il s’installe ensuite dans le nord de la France où il se consacre au soin des populations les plus pauvres.

Il renouera partiellement avec son père à la fin du roman car celui-ci a compris dans l’intervalle la suprématie de la valeur familiale sur les rêves de gloire et de réussite.

Le docteur Pascal chez Zola est lui aussi victime du joug familial et plus particulièrement maternel. Félicité, personne orgueilleuse et dénuée de toute once d’humanité, consacre sa vie à contrecarrer les recherches scientifiques de son fils, par pur intérêt personnel et peur des « qu’en dira-t-on ». Pascal la maintient à distance raisonnable car ne réussit pas, dans sa bonté naturelle, à se résoudre à une rupture définitive. C’est pourtant elle qui anéantira le fruit des recherches de toute une vie à la mort de son fils, et ce, sans le moindre regret. La famille est au centre de toutes les intrigues romanesques du Docteur Pascal, par le poids des tares familiales mais aussi par la relation incestueuse de Pascal avec Clotilde, qui clôt la saga avec une dernière naissance.

3.1.2.3. La filiation spirituelle, le maître et son élève.

Nombreux romans cités évoquent les liens du maître et de son élève. Les études médicales sont basées depuis des siècles sur le compagnonnage, l’apprentissage auprès d’un maître. Celui-ci est le plus souvent érigé en modèle à suivre mais est parfois remis en cause.

LE MAITRE ADULE

Pascal tout d’abord est l’exemple du maître vénéré. Il est aussi bien le patriarche chéri dans sa maison que le médecin respecté par ses patients et le professeur écouté religieusement par son élève Ramond. Il est quelque peu original dans certaines de ses théories sur l’hérédité mais on n’ose remettre en cause ses préceptes tant il est auréolé de cet aura de grand maître.

Dans Les Hommes en blanc, Jean voue aussi une admiration sans borne à ses professeurs.

Après son enfance à Toulouse, il emménage donc à Paris au sein de la Cité Universitaire du parc Montsouris et entreprend ses études de médecine. Si la vocation première est venue de l’image de cette mère aidant les autres au sein de son bureau de tabac, ce dont Jean rêve intérieurement, est de rencontrer puis d’égaler les grands patrons hospitaliers. Il partage ses journées entre matinées à l’hôpital, après-midis en salle de dissection et soirées studieuses. Le rêve de Nérac est de briller aux concours, externat puis internat afin de devenir un brillant chirurgien.

(22)

22 Dès ses premiers jours en tant qu’étudiant des hôpitaux de Paris, il cherche à apercevoir les grands chefs de service tels qu’il les a fantasmés. Tour à tour qualifiés de « Princes de la Science » (p 47t1), de « Maîtres » (p48), de « héros », voire de « Saints » (p50t1), son envie première est d’approcher ces grands patrons au plus près. Il rêve de parvenir à son tour, comme eux, à « arriver, dominer et conquérir ». (p81t1)

Lors de ses premières matinées hospitalières en tant qu’externe, il tente de se placer au premier rang pour admirer les grands maîtres. « Patrons. Le mot sonna, beau et respectueux dans sa bouche ; il disait bien l’élan vers celui qui instruit et qui guide, qui est le modèle et qui est aussi le père. » (p49t1) Orphelin de père, le transfert de Jean vers ces patrons est éloquent.

Dans Peste & Choléra de Patrick Deville, autre roman évoqué, le personnage principal, Yersin, futur découvreur du bacille de la peste, fait ses premières armes dans le laboratoire du grand Pasteur à Paris. C’est l’avènement de la microbiologie et Pasteur incarne le messie scientifique dont l’aura plane, même après sa mort, sur des générations et des générations de descendants chercheurs. Il est enterré tel un pharaon dans sa pyramide dans les sous-sols de l’Institut qui porte son nom.

LE MAITRE REMIS EN CAUSE

Pasteur toujours lui, est dans un roman respecté et dans un autre, ouvertement moqué. Céline en effet, dans son Voyage au bout de la nuit, consacre aux chercheurs de l’Institut Pasteur un chapitre entier. Céline a passé quelques années au début de sa carrière de médecin dans un laboratoire de l’Institut Pasteur, à l’époque de l’avènement de la recherche médicale. Il en a gardé une profonde aversion pour le monde des chercheurs.

Dans le Voyage au bout de la nuit, l’Institut Pasteur devient l’Institut Bioduret-Joseph.

Dépassé par le cas de fièvre typhoïde du jeune Bébert, Bardamu décide d’aller demander conseil à Parapine, son ancien maître à l’Institut. L’endroit est décrit comme un ridicule mausolée à la mémoire du Maître tout puissant, Bioduret, enterré dans le sous-sol et veillé par un cerbère qui n’est autre qu’un ancien patient.

Les chercheurs sont décrits comme des patauds mal dégrossis sans ambition, qui se contentent de laisser s’écouler leur journée, de mégot en mégot et se reposent sur leurs découvertes scientifiques passées sans se soucier d’en faire jaillir de nouvelles. « Ils n’étaient plus en fin de compte eux-mêmes que de vieux rongeurs domestiques, monstrueux, en pardessus. » (p280)

Parapine est désabusé, aigri et à limite de l’attirance malveillante pour les très jeunes filles. Bioduret, le grand maître, est comparé à un « mégalomane ingénieux » (p285), « chicaneur et malveillant » (p285).

Pour Bardamu, le monde de la recherche est comparable à une société pyramidale peuplée de quelques élus manipulateurs et de nombreuses petites mains ridicules qui ne valent à peine plus que les rats qu’ils décharnent pour leurs expériences. « C’est à cause de Bioduret que nombre de jeunes gens optèrent depuis un demi siècle pour la carrière scientifique. Il en advint autant de ratés qu’à la sortie du Conservatoire. » (p279)

Les maîtres de Corps et âmes et ceux des Hommes en blanc sont eux-aussi faillibles. L’époque décrite dans ces deux romans est la même, celle du milieu médical de la première moitié du 20e siècle. Seul le chirurgien et le médecin hospitalier sont dignes de respect. Les médecins de ville ne sont que des

(23)

23 « sous-médecins » à qui l’on réserve les basses besognes et les cas les moins intéressants. La formation universitaire est politisée et gangrenée et rares sont ceux qui, à l’image de Michel, tentent de faire évoluer la profession sur des chemins plus vertueux.

Dans Corps et âmes, nombreux sont les exemples de maîtres peu scrupuleux : Géraudin, Doutreval, Suraisne, Vallorge et bien d’autres. Le corps malade est déshumanisé et utilisé à des fins expérimentales et instructives uniquement.

Le récit commence avec le retour de régiment de Michel. Il retrouve ses camarades en pleine séance de dissection et ceux-ci l’accueillent à grands cris en le « mitraillant » de morceaux humains : « Et la bidoche volait, trente étudiants en blouse blanche le bombardaient de projectiles de charogne et hurlaient. » (p13t1)

Ainsi la négation de l’humanité des patients est monnaie courante, et ce, dès les bancs de la faculté. Cette dénégation persiste une fois ces jeunes hommes devenus praticiens. Le corps humain est pour eux un outil utile aux expérimentations. Doutreval, chef de l’hôpital psychiatrique, dispose d’une manne inépuisable de cobayes pour ses recherches, et que sa technique de convulsivothérapie occasionne nombreuses fractures chez ses patients ne l’émeut en rien : « Du reste, une fracture d’os long, une luxation des mâchoires, ça n’est jamais bien embêtant. » (p118t1)

On retrouve ces batailles de corps humains en salle de dissection chez Soubiran et ses Hommes en blanc. Tout comme Michel chez Van der Meersch, Jean réalise que sa formation universitaire est limitée car ne lui enseigne pas à soigner l’autre dans le respect de son humanité.

Dès ses premiers jours d’étudiant à Paris, Nérac doit faire face à nombreuses désillusions. Les grands patrons de l’hôpital ne sont pas tous ceux qu’il avait imaginés. Certains manquent cruellement de qualités humaines face à leurs patients, et d’autres sont même dangereux pour leur patients tant ils sont incapables de la moindre remise en question.

Sa première année parisienne est celle de la redéfinition des modèles et de la déchéance des idoles enfantines. De façon assez douloureuse, Nérac prend conscience de n’être « plus assez naïf pour ne pas comprendre que les grands hommes restent des hommes. » (p125t2)

Enfin citons deux ultimes exemples de maîtres critiqués avec Flaubert et Madame Bovary.

Canivet et Larivière, contrairement à Charles Bovary qui est simple officier de santé, sont eux de « vrais » médecins, auréolés de leur aura et de leur suffisance. Ils sont ces grands médecins reconnus, en hauts de forme et costumes soignés, accueillis tels des dieux vivants mais dénués de toute once de sympathie vis-à-vis de leurs patients, objets d’étude déshumanisés leur permettant d’exercer leur art.

Tous deux sont décrits avec causticité et raillerie de la part de l’auteur.

Canivet est le médecin de la commune voisine où exerce Charles. Il est réputé pour son originalité et son attention toute particulière à sa monture : « En arrivant chez ses malades, il s’occupait d’abord de sa jument et de son cabriolet. » (p261) Il est aussi indélicat dans ses propos lorsqu’il se moque du pharmacien Homais, à qui il demande de le seconder au cours d’une opération et qui se sent défaillir. Canivet se targue alors de n’être « point délicat comme [lui] et il [lui] est aussi parfaitement égal de découper un chrétien que la première volaille venue. » (p262)

(24)

24 Larivière quant à lui incarne le maître absolu car appartient à la caste suprême des médecins/philosophes formés à l’école de Bichat. Il exerce son art, « plein de cette majesté débonnaire que donnent la conscience d’un grand talent, de la fortune, et quarante ans d’une existence laborieuse et irréprochable. » (p440)

Il est appelé par Charles Bovary lors de l’agonie d’Emma son épouse. Son arrivée est un évènement à lui seul, « l’apparition d’un dieu n’eût pas causé plus d’émoi. » (p439)

3.1.3. Le médecin modèle héroïque et son contraire

La plupart des médecins interrogés cite comme médecins ayant une influence sur leur pratique, ceux ayant des conduites exemplaires, admirables et inspirantes. Parfois, d’autres répondants citent au contraire des personnages de roman qui les influencent car constituent pour eux l’antithèse du modèle à suivre.

3.1.3.1. Le médecin héroïque

Le médecin de fiction lorsqu’il est admiré et inspirant pour nos répondants, emprunte au héros dans sa définition de modèle envié, plusieurs traits de caractère : il est vertueux mais aussi explorateur et engagé.

LE MEDECIN VERTUEUX, EMPATHIQUE ET PRAGMATIQUE

La plupart des médecins évoqués comme ayant eu, ou ayant toujours, une influence sur la pratique des généraliste interrogés, sont érigés en modèles vertueux empathiques et pragmatiques.

o Le médecin modèle de vertu

Nous avons évoqué les liens étroits existants, dans une société à fort héritage judéo-chrétien, entre le médecin et le prêtre. Dans l’esprit commun, tous deux incarnent le dévouement et la droiture d’esprit. Michel Q., en exercice depuis plus de trente ans nous dit : « J’ai une éducation catholique, je suis même pratiquant. Mon père avait érigé comme symbole la devise de Saint Paul : Le privilège de servir….. Et quand vous êtes médecin, les gens qui sont en face de vous viennent demander et vous devez donner. » Ainsi, lui qui se décrit comme un lecteur assidu depuis l’enfance, évoque plusieurs personnages de médecins de romans l’ayant marqué en ce sens. Nous l’avons vu, lorsqu’il parle de La Citadelle de Cronin : « ça m’a renforcé dans l’envie d’aider ceux qui en ont besoin. »

Manson dans cette Citadelle, est un être admirable car dévoué, désintéressé et altruiste. Sa période d’égarement londonienne lui permettra de renforcer ses convictions en la primauté humaine et l’importance de la famille avec son épouse Christine, lui qui aura même un temps été tenté par des amours adultérines.

André Manson est à rapprocher de Michel dans Corps et âmes car tous deux incarnent au mieux les valeurs chrétiennes que leurs auteurs ont voulu valoriser.

(25)

25 Maxence Van der Meersch, très pieux, distille des préceptes tout au long de Corps et âmes qui relèvent de sa propre notion de moralité, et celle-ci est très largement influencée par ses croyances religieuses.

Au début de l’œuvre, Michel est un jeune homme vaniteux est orgueilleux. Il est désabusé et pessimiste quant à la bonté naturelle de l’homme : « Je ne crois pas l’homme améliorable. Je ne vois guère de changement chez nous depuis la brute préhistorique. » (p133t1)

C’est l’amour désintéressé qu’il voit naître pour Evelyne qui ébranle ses convictions. Il apprend à croire en la beauté de la vie et en l’importance du sacrifice au bonheur de l’autre.

Puis c’est la rencontre avec Domberlé à Paris qui sera la figure exemplaire majeure de son parcours initiatique. Domberlé est ce médecin phtisiologue qui consacre sa vie, aux détriments d’une carrière hospitalière, à la promotion de ses méthodes naturelles pour combattre la tuberculose. Ce sont ses méthodes basées sur le jeûne et l’abstinence qui guériront Evelyne.

Ce vieux sage Domberlé prend les traits du prophète, luttant inexorablement, seul face aux masses hostiles qui se moquent de ses théories novatrices: « Souffrir pour les autres, leur montrer le chemin du vrai, expier pour eux, c’est dans l’ordre ! Etre tout seul, soulever les insultes ou les rires, passer pour un fou, c’est dans l’ordre ! » (p199t2)

Par ailleurs, si Michel incarne l’abnégation, Doutreval son père, illustre la rédemption. Tout au long du récit, il prend les traits d’un être vil, orgueilleux, intéressé et sans pitié pour ce fils qu’il rejette. Mais à la fin du roman, il entrevoit la lumière et prend conscience de ses pêchés.

Une autre vertu encensée par l’auteur est la pauvreté. Michel est pauvre car il a choisi l’honnêteté, il vit en complète opposition avec son passé de nanti amoral. Ecarté de toute considération matérielle, il peut se consacrer aux autres de la façon la plus juste qu’il soit. On retrouve cette notion de simplicité dans la thérapeutique qu’il propose, basée comme Domberlé, sur l’idée de restrictions. Enfin, Van der Meersch compare Michel médecin à « un délégué du Bon Dieu » (p286t2). Son rôle est d’accompagner, apaiser ses patients dans le chemin de la vie qui les mène vers la fin inexorable mais espérée car porteuse de renouveau. Le médecin en soignant les corps apaise les âmes. L’auteur conclue en explicitant que le médecin, comme tout homme, se trouve face à un choix, l’amour de soi ou l’amour de l’Autre, le Bien ou le Mal. Michel a choisi l’Autre.

o Le médecin bienveillant

André Manson, Michel, mais aussi Pascal Rougon dans le Docteur Pascal de Zola, marquent les esprits des lecteurs par la bonté humaine dont ils font preuve. C’est encore Michel Q. qui l’évoque : « Oui j’ai oublié le médecin de Zola. C’est plutôt ce type de médecin que j’admirais… Ce ne sont pas des médecins de prestige. »

Nous l’avons vu, tous ces médecins ont en commun de se désintéresser de l’argent au profit d’une relation médicale de confiance, d’égal à égal, entre eux et leurs patients. Leur vie personnelle est reléguée en second plan face au bien-être de leurs patients. Ils exercent dans l’anonymat et se nourrissent du bien-être de l’autre.

Jean dans Les Hommes en blanc de Soubiran, après ses premières années d’externe à Paris et sa prise de conscience des failles des maîtres hospitaliers jusqu’alors vénérés, accepte pour aider son camarade Clément d’effectuer un remplacement dans un petit village auvergnat, Peyrac-le-Château. Le docteur Delpuech, médecin vieillissant qu’il doit remplacer y est l’unique médecin et exerce dans la plus grande solitude. Le premier hôpital est à des heures de route et le premier confrère à des kilomètres.

Références

Documents relatifs

Dézé pose la question de l’intérêt d’une nouvelle publication sur un sujet qui peut apparaître rebattu : selon lui, il est important de développer « une approche de

Un mˆeme client s’est connect´e ` a la banque cinq jours de suite, une seule fois chaque jour.. On d´esigne par X la variable al´eatoire qui prend pour valeurs les nombres de fois o`

Combien de chaussettes prendre pour être sûr d'avoir au moins une paire assortie?. Si je prends 18 chaussettes ou moins, je cours le risque qu’elles soient

Elle s’offre au regard de l’autre, vient au contact de l’autre, se mélange à l’autre, s’échange, se combine.. Tout au long de la vie, elle est ce lien

L’auteur, d’une part, fait lucide- ment le constat que le breton n’a plus guère fonctionnellement sa place dans le monde de l’économie (ce qu’attestent les résultats du

C’est pourquoi madame Bonheur a organisé une fête pour monsieur Tatillon et monsieur Sale qui ont en commun_________date de naissance!. Mes chaleureuses félicitations pour

Les cartes ont été marquées de...__________________ : verte pour moi et fuschia pour monsieur Sale.. Je pourrais surveiller les cadeaux si vous voulez pour être sûr qu’ils ne

- la liste des courses pour le réveillon qui sera bien utile pour évit- er de courir partout le jour J et oublier la moitié des ingrédients - deux fiches pour organiser la journée