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Si les « grands » médecins en impressionnent certains, d’autres trouvent au contraire leur supériorité rédhibitoire.

Michel Q. cite deux romans qui l’ont marqué en ce sens. Il critique tout d’abord les grands patrons de Soubiran et ses Hommes en blanc, des gens « sûrs d’eux-mêmes ». Ils les trouvent suffisants et imbus de leur personne, traits de caractère incompatibles avec l’idée qu’il se fait d’une médecine à la portée de tous.

Ces grands patrons, ce sont les mêmes, nous l’avons évoqué, que ceux de Van der Meersch de Corps et âmes.

Pour eux, la carrière est tout. Elle est autant politique que médicale et consiste à arriver au sommet de la pyramide professorale, celle-là même où le généraliste est à la base et où le maître est professeur hospitalier, chirurgien le plus souvent. Ni les connaissances, ni encore moins les qualités humaines n’interviennent dans cette ascension car « dans tous les concours, les candidats sont classés d’après le patron qui les soutient. » (p70t1) La formation est gangrénée, les maitres s’évertuent à placer leur poulain tout en redoutant ces jeunes loups prêts à prendre leur place au moindre faux pas.

Les professeurs s’accrochent à leurs postes hospitaliers dans leur monde politisé pyramidal, et refusent tels des monarques, de se retirer avant leur mort, même si leurs compétences techniques s’amoindrissent.

Les candidats aux postes universitaires sont nombreux, peu ont la chance d’être élus. Ce ne sont pas les compétences techniques d’un tel ou d’un autre qui prévalent, mais sa capacité à louvoyer et élaborer des stratégies. Vallorge, un camarade de Michel en est l’illustration la plus parlante. Il échafaude mois après mois un plan à même de lui garantir son ascension, se rend indispensable à son patron Suraisne. Mais ce dernier meurt brutalement, et Vallorge réagit, il prend « la décision de jouer sa chance sur la carte matrimoniale. » (p131t1) Il épouse Mariette, la sœur de Michel et fille

33 aînée de Doutreval, et obtient en dot la chair de chirurgie infantile, alors même qu’il n’a jamais tenu de bistouri.

Par ailleurs, Michel Q. dénonce aussi avec humour le mélange des genres qui amène parfois le médecin à évoluer dans les cercles bourgeois. Il raconte en riant quelques soirées amicales où il a parfois eu l’impression d’être le docteur Cottard de Proust, qui parade chez les Verdurin lors des dîners du mercredi, quand quelques convives viennent parfois lui glisser un mot sur leurs divers maux : « Mince je suis le médecin des Verdurin ! »

L’œuvre de Proust est largement inspirée de sa propre vie de mondain parisien, même s’il s’en défend, les similitudes sont indéniables.

Le lecteur suit dans La recherche, les pérégrinations du narrateur, des souvenirs de son enfance à Combray, marquée par l’omniprésence d’une mère exclusive, à sa vie parisienne dans les salons mondains. Le lecteur est spectateur de ses amours passionnés et contrariés pour Albertine qui portera sa préférence aux amours féminines. Le dernier tome, Le Temps retrouvé, est centré sur sa prise de conscience de la fatuité d’une vie frivole et mercantile, révélation qui lui permet d’atteindre son rêve inassouvi, celui d’écrire.

Nombreux personnages participent à cette saga dont un médecin, le Docteur Cottard qui est indissociable de son épouse Léontine.

Le Docteur Cottard est un antihéros, médecin peu vertueux dont les principales préoccupations sont mondaines.

Il occupe le poste en vue de Professeur à l’Académie de médecine et jouit, du moins au début et du fait d’actes parfois hasardeux, d’une bonne réputation. Il bénéficie du protectorat de Mme Verdurin, hôtesse de soirées mondaines prisées, car a soigné efficacement son époux, là où la Faculté le condamnait. Elle l’appelle même « Docteur Dieu » (Sodome et Gomorrhe, p962).

Si Cottard n’est pas extraordinairement doué pour les choses de la médecine, ce sont aussi et surtout les qualités humaines requises qui lui font défaut. Il est décrit comme orgueilleux, égoïste et arriviste. Il ne se dérange pas à moins « de quelques billets de cent francs » (Sodome et Gomorrhe, p797) et est plus intéressé par les titres de ses patients que leur pathologie.

Il accepte d’arriver en retard en soirée pour un ministre, mais refuse de soigner sa gouvernante, en sang car meurtrie par un couteau de cuisine, et se justifie auprès de son épouse par un : « Tu vois bien que j’ai mon gilet blanc ! » (Sodome et Gomorrhe p879).

Lors des soirées mondaines chez les Verdurin, Cottard dispense avec force théâtralité, conseils médicaux et traitements à suivre aux invités qui, il faut le reconnaître, en sont friands : « Je n’ai pas l’habitude de répéter deux fois mes ordonnances. Donnez-moi une plume. » (A l’ombre des jeunes filles en fleurs p498).

S’il fait parfois illusion sur ses qualités de médecin, d’aucun ne leur prête, à lui et son épouse, le raffinement et la culture artistique nécessaires à l’intégration parfaite aux cercles mondains.

Ils sont, rappelons-le, accueillis par Mme Verdurin qui se sent redevable à leur encontre, mais elle- même décrit le Docteur Cottard comme « charmant […] avec un joli côté de bonhomie narquoise » (Sodome et Gomorrhe p962). Certains invités se montrent moins cléments et n’hésitent pas à utiliser les termes d’ « imbéciles » (A l’ombre des jeunes filles en fleurs p570), et de « gens peu recherchés » (Sodome et Gomorrhe p879).

34 Pour Michel Q., comme pour beaucoup de médecins, l’écart quotidien entre la misère de certains patients et le confort que la vie de médecin installé peut engendrer est parfois troublant, et il s’évertue à rester humble face à cela.