• Aucun résultat trouvé

L A MAITRISE DE LA NATALITE , AVORTEMENT ET CONTRACEPTION

4.1.2. La maladie transcendée versus la retranscription du réel

Selon qu’ils appartiennent à tel ou tel courant littéraire, selon leur époque et leur identité propre, les écrivains n’ont pas la même approche de la maladie et cela se retrouve dans leurs écrits. Chez certains, la maladie est magnifiée alors qu’elle est seulement factuelle chez d’autres.

4.1.2.1. La maladie transcendée

Marcel Proust est le parfait exemple d’un écrivain qui s’évertue à magnifier la maladie. Toute son œuvre en est le témoin.

Proust nait dans une famille aisée en 1871, son père est un médecin reconnu, professeur à la faculté. Lorsqu’il a 9 ans, lors d’un séjour en campagne, le petit Marcel souffre de sa première crise d’asthme devant sa mère affolée. A partir de ce moment, toute sa vie sera émaillée de crises de plus en plus

50 violentes. Enfant chétif, ses parents lui interdisent à présent toute sortie hors de la ville. Marcel grandit ainsi entre les murs dorés de l’appartement familial parisien et mène une vie de dilettante mondain tout en nourrissant le rêve ultime d’écrire une œuvre d’envergure. Ce sera sa Recherche à laquelle il consacre ses quinze dernières années, cloîtré dans l’appartement duquel il a insonorisé les murs et couvert de plusieurs lainages par crainte des courants d’air.

Proust est un excentrique, un angoissé par la vie, apeuré par la survenue de nouvelles crises de suffocation. Il se retire peu à peu du monde extérieur qu’il imagine hostile et se consacre à l’écriture. Toute l’œuvre proustienne, et notamment La recherche du temps perdu, est sous-tendue par l’omniprésence de la maladie surtout psychique, celle de ses personnages et la sienne. Nombreux protagonistes sont décrits comme « nerveux » ; Charlus, Saint-Loup, Swann. Le narrateur, dont la pathologie n’est pas nommée, semble souffrir des maux de son auteur lorsqu’il évoque ses crises d’étouffement et son agitation nerveuse. Docteur Cottard dit de lui qu’il est asthmatique mais surtout « toqué » (A l’ombre des jeunes filles en fleurs p90).

En outre, les métaphores liées à la maladie sont nombreuses dans son œuvre et notamment lorsqu’il évoque les souffrances de l’amour. Il compare ainsi la perte d’Albertine à ce que ressent un amputé privé d’un membre, ou encore la disparition de sa mère à une perte viscérale.

Dès le début des années 1900, Proust s’intéresse aux théories des docteurs Dubois et Déjérine qui font tous deux la part belle à l’origine psychique de pathologies physiques. Ainsi, pour Proust, son asthme est l’expression d’un dysfonctionnement dans sa construction mentale, son traitement passera de fait par la psychothérapie. Proust n’a de cesse de chercher dans les tréfonds de son âme ce que sa maladie lui masque et lui permettra d’atteindre la pleine connaissance de son intériorité.

La maladie est transcendée car bénéfique, elle élève l’âme car confère à ceux qui souffrent une sensibilité accrue.

La lecture et l’écriture vont en ce sens car favorisent l’introspection, permettent « le miracle fécond d’une communication au sein de la solitude ».

4.1.2.2. Versus la réalité nue

A l’inverse de Marcel Proust qui cherche à magnifier la maladie, certains auteurs s’essaient au contraire à la retranscrire au plus près du réel, sans concession ni faux-semblant.

Jacques Chauviré est un médecin français né en 1915 qui exerce pendant quarante ans en tant que généraliste à Neuville-sur-Saône dans le Rhône. D’un naturel discret et introverti, il s’essaie jeune à l’écriture, de nouvelles puis de romans, encouragé en ce sens par Albert Camus qu’il compte parmi ses proches connaissances.

Tous ses écrits se réfèrent de près ou de loin à sa pratique de médecin et ses expériences vécues ou ressenties. Il décrit à la manière d’un chirurgien qui dissèque un corps, scrupuleusement, les paysages et les hommes qu’il croise. Il observe, déduit, organise. D’un malade dans son livre Les passants, il dit : « C’est un grand garçon d’aspect plutôt frêle que je classerais volontiers dans la catégorie des longilignes asthéniques.» (p27)

Les passants, ce sont ces hommes et femmes qui traversent la vie. Dans ce roman fortement autobiographique, Chauviré mène une réflexion douloureuse à travers son miroir fictif, docteur Desportes, quant à la finalité réelle et l’intérêt d’exercer la médecine face à la mort, toujours gagnante. Le titre choisi est trompeur car pour son auteur, nul espoir d’un ailleurs, le passage est une finalité en soi. La réflexion est douloureuse car Chauviré comme Camus, refuse tout au-delà ou espoir de Salut. La vie

51 est dans l’action présente, la maladie est un fait qui atteint l’homme sans que raison ou justice n’interviennent. Elle n’est ni belle ni laide, mais elle est.

Si ce constat est parfois douloureux pour Chauviré, probablement plus que pour son mentor Camus, c’est que lui en tant que médecin, est confronté au quotidien à la réalité de la souffrance et de la mort là où ces notions sont plus abstraites pour le philosophe.

C’est d’ailleurs un constat que l’on peut faire chez nombreux auteurs médecins, Céline, Conan Doyle, Allendy… La maladie chez ces auteurs/acteurs n’est que rarement magnifiée même s’ils ne nient pas l’intérêt de l’introspection qu’elle peut engendrer.

Le docteur Reverzy, ami épistolaire de Chauviré d’ailleurs, a une approche un peu différente lorsqu’il tente de chercher la poésie dans les yeux de Palabaud au moment où il meurt. Il y voit les vagues et le sable fin polynésiens, chers au mourant et à son auteur.

Chauviré évoque cette anecdote dans Les passants, mais lui, plus terre-à-terre, ne voit ni ciel ni contrées lointaines dans les yeux de ses mourants mais seulement le reflet de la chambre.

4.2. La narration

Par définition, la narration est l’acte de raconter. Dans la relation soignant/soigné, la narration est aussi bien celle du patient qui se raconte, que celle du médecin qui intègre ce qu’il entend en fonction de sa propre histoire. De la notion d’identité narrative découle celle de médecine narrative.