• Aucun résultat trouvé

L A MAITRISE DE LA NATALITE , AVORTEMENT ET CONTRACEPTION

3. L’affiliation, qui consiste à relier les modes d’expression à une interprétation codifiée.

4.3. Le médecin écrivain

Il nous semble à présent intéressant de mettre l’accent sur la double fonction parfois rencontrée, médecin et écrivain, qui nous ramène au cœur même de la problématique de liens entre fiction et pratique médicale.

Nombreux sont les médecins à avoir entrepris des travaux d’écriture romanesques ; Rabelais, Céline, Rufin, Winckler… Il existe d’ailleurs une association, le GEM (Groupement des Ecrivains Médecins), fondée en 1949 par un collectif de médecins écrivains, dont André Soubiran. Ce groupe existe toujours aujourd’hui et suit sa vocation initiale de créer des liens confraternels permettant la diffusion des œuvres de leur création.

Comment expliquer un tel attrait des médecins pour l’écriture ? Quelles sont les difficultés rencontrées par cette double fonction ?

4.3.1. La finalité du médecin écrivain

Pour tout un chacun, les médecins appartiennent à la catégorie des « scientifiques », d’autant plus à l’heure actuelle de la médecine hyper technique. Il suffit de regarder les étudiants de première année des études médicales et d’observer que 99% d’entre eux sont issus des filières scientifiques, alors même qu’il ne s’agit pas d’une obligation pour l’inscription. Les représentations populaires et celles de ses acteurs font du médecin un « ingénieur du corps ».

Pourtant, les qualités requises pour être médecin et écrivain, ou du moins lecteur, sont proches. En ce sens, Denis L. nous dit : « Je pense que les bons médecins sont des bons lecteurs. Les qualités requises pour comprendre la consultation et lire un texte sont assez proches ». L’écoute, l’interprétation, la projection, les déductions, sont autant de traits de caractère que médecins et lecteurs partagent. Et de la lecture à l’écriture il n’y a qu’un pas. Martin Winckler, interrogé sur le sujet schématise en disant qu’ « un médecin écoute les histoires, un écrivain les raconte. »

55 Le médecin est dans l’échange permanent avec son patient mais cet échange est codifié et ne peut être totalement libre, surtout du côté du médecin. L’écrit permet alors, pour le soignant, de coucher sur le papier des émotions, des ressentis et des révoltes qui ne peuvent être verbalisés dans la relation médicale. La Maladie de Sachs en est le parfait exemple. Bruno Sachs, projection de son auteur Martin Winckler, renvoie en consultation, une image de médecin à l’écoute, bienveillant et chaleureux même si un peu lointain parfois, alors que ses mémoires, qu’il rédige en parallèle, montrent un personnage sanguin, révolté et sombre.

Céline, lui aussi, utilise l’écriture comme support au soulagement du surplus émotionnel ressenti dans la relation avec ses patients, sans filtre ni autocensure.

Par ailleurs, l’écriture peut aussi être un outil d’introspection, un moyen d’approfondir et de comprendre ses pensées et ressentis. Reverzy et Chauviré utilisent souvent l’écrit à de telles fins.

Enfin, l’écrit pour le médecin peut être, nous l’avons vu, outil de révolte et d’expression d’opinions, politiques ou médicales, et là, Martin Winckler, Jean-Christophe Rufin ou encore Serge Lehman sont de bons exemples. Outre Atlantique, Stephen Bergman est un psychiatre qui écrit sous le pseudonyme de Samuel Sham. En 1978, il publie The House of God, nouvelle qui décrit avec réalisme la formation des médecins aux Etats-Unis en s’inspirant de sa propre formation. Les difficultés face aux premiers patients, la dure hiérarchie hospitalière, la compétition entre internes, la description qui est faite est sans concession. L’œuvre de Samuel Shem, de part sa qualité, est enseignée dans toutes les facultés de médecine américaines et ce, depuis nombreuses années.

Pour notre travail, nous avons posé la question plus globale des habitudes de lecture et d’écriture aux médecins. Il est apparu que trois des médecins interrogés en entretiens directs écrivaient eux-mêmes. Denis L. par exemple, est sur le point de publier son second roman, Christophe S. aussi a écrit plusieurs pièces de théâtre.

Michel Q. lui aussi écrit, depuis de nombreuses années, de courts textes le plus souvent, sur ce qu’il voit, ressent, pense à un moment donné. Puis il compile toutes ses notes sans jamais y revenir. Il nous dit : « Je pense que mettre par écrit des choses qu’on voit, c’est très important. On n’approfondit pas de la même façon.» Pour lui, écrire c’est fixer, tel un peintre sur sa toile. C’est arrêter un instant le temps pour qu’une idée ne s’évapore. Fixer certes, mais sans volonté de transmission, car si lui ne se relit jamais, il ne souhaite pas non plus que d’autres lisent ses écrits, tout en les conservant…

4.3.2. La difficile double fonction

La dichotomie médecin/écrivain n’est pas toujours abordée de la même façon. Martin Winckler par exemple ne se reconnait pas dans le personnage de « médecin qui écrit » que l’image médiatique et populaire a de lui. Il reconnaît que son exercice nourrit inévitablement son écriture mais comme le font les rencontres du quotidien, ses expériences passées… Dans un entretien récemment il disait : « Je suis médecin par formation. Mais j’écrivais bien avant. Je suis écrivain par « disposition ». C’est mon mode d’expression. »

A l’inverse, d’autres tel Jacques Chauviré, assument parfaitement la double fonction lorsqu’il met

l’accent sur son « essence » de médecin : « Je ne suis pas un écrivain qui soigne, je suis un médecin qui

écrit ». Car Jacques Chauviré a, dans toutes ses œuvres, la volonté de comprendre par l’écrit sa pratique et toutes ses œuvres font référence à son exercice. Alors que Martin Winckler lui, même s’il évoque presque toujours des histoires de médecins, utilisent ses héros comme « porte-paroles » de ses propres opinions ou idées et il leur octroie le métier qu’il connaît le mieux, celui de médecin.

56 De certains, nous avons complètement oublié leur passé médical, comme Sir Conan Doyle, ou Anton Tchekhov, là où d’autres sont dans l’esprit commun, indissociables de leurs métiers, comme Céline, Rufin, Lehman ou Winckler, ne lui en déplaise. Et cette indissociabilité s’explique par le contenu même de leurs écrits, volontairement militant.