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S YNTHESE DES ELEMENTS DE POSITIONNEMENT CONCEPTUEL RETENUS : UNE VISION AFFINEE DES ARTEFACTS QUI PARTICIPENT A STRUCTURER L ’ ACTION ORGANISEE

3. L’ INSTRUMENTATION GESTIONNAIRE ET D ’ ACTION PUBLIQUE : DES ARTEFACTS QUI PARTICIPENT A L ’ EMERGENCE , A LA MONTEE EN PUISSANCE ET A LA PERENNISATION DES

3.4. S YNTHESE DES ELEMENTS DE POSITIONNEMENT CONCEPTUEL RETENUS : UNE VISION AFFINEE DES ARTEFACTS QUI PARTICIPENT A STRUCTURER L ’ ACTION ORGANISEE

Au terme de cette section, nous avons décrit comment certains courants des sciences politiques et de gestion analysaient la diversité des artefacts qui participent à structurer l'action organisée, les processus en jeu et les problématiques liées à leur conception et à leur mise en œuvre. Au cours de notre travail de recherche, ce constat nous a amené à progressivement formuler l’hypothèse que la littérature sur l'instrumentation pouvait participer d’une vision affinée des micro-processus liés à l’émergence, à la montée en puissance et à la pérennisation de nouveaux business models circulaires dans des entreprises établies.

A l’inverse du management stratégique, les instruments représentent un point d'entrée méthodologique de nombreuses disciplines (Callon et Muniesa, 2003 ; Hacking, 1983 ; Hopwood, 1974 ; Joerges et Shinn, 2001 ; Lascoumes et Le Galès, 2005 ; Leroi-Gourhan, 1965 ; Rabardel, 2005). Ils constitueraient en effet un « invariant de l’action organisée », au travers desquels s'exerceraient les formes contemporaines de gouvernement et de gestion (Aggeri et Labatut, 2010 ; Hatchuel et al., 2005). Au-delà de la volonté des acteurs, cette infrastructure instrumentale agirait comme une « technologie invisible » à distance sur les comportements de ces derniers et sur leurs subjectivités (Berry, 1983).

Ces instruments ne seraient pas ontologiquement différents, puisque leur nature dépendrait à l'inverse uniquement de leurs « contextes d’action ». Un même objet sera ainsi dit d'action publique ou de gestion selon le contexte dans lequel il est mobilisé (Aggeri et Labatut, 2010). De « multiples chaînes de traduction » permettraient de les faire muter d’un instrument existant sous cette première forme « circulante et normative » vers des formes « inscrites et situées », c'est-à-dire adoptées volontairement ou de force par des acteurs (Chiapello, 2013).

Dans ce contexte, deux points mis en évidence par la littérature nous ont en particulier semblé pouvoir être précisés :

- Le rôle des artefacts créés par les managers dans la mise en place de nouveaux business models et agencements marchands en lien avec l'économie circulaire (Demil et Lecocq, 2015 ; Callon, 2013) :

A l'inverse des représentations selon lesquelles la gestion serait une « affaire de volontés » et les instruments de simples « auxiliaires » des managers, et au-delà de la notion générique d'artefact (Demil et Lecocq, 2015), « l'Ecole française des outils de gestion » née autour du Centre de Gestion Scientifique (CGS) de l’Ecole des Mines de Paris et du Centre de Recherche en Gestion (CRG) de l’Ecole Polytechnique incite en effet à adopter une vision affinée de cette « technologie invisible ».

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Dans ce manuscrit, nous distinguerons donc tout d'abord outils, instruments et dispositifs (Aggeri et Labatut, 2010). Par opposition aux outils, l’instrument a en effet une dimension politique explicite ou implicite et n'est pas « axiologiquement neutre ». Il vise à l'inverse le « contrôle des comportements » et est « destiné à produire des effets ». Dans cette même optique de « cadrer et […] guider les conduites des gouvernés vers des fins assignées », le dispositif gestionnaire désigne lui un « agencement d’éléments hétérogènes » comprenant des instruments et des acteurs, mais également des éléments cognitifs, discursifs et des « espaces d'action » (Aggeri et Labatut, 2010 ; Aggeri, 2014). En contrepied d'approches inspirées de la recherche opérationnelle, nous nous attacherons également à décrire non seulement leur conception, mais également les processus par lesquels ils sont mis en place et insérés dans les organisations étudiées. De même, nous montrerons comment ils participent, au-delà de la conformation à un type de rationalité établie, à « l'exploration du nouveau », à la création et à la propagation de nouveaux savoirs, à la concrétisation de processus d’innovation managériale ou à la construction de nouvelles capacités d’action (David, 1998 ; Hatchuel et Molet, 1986 ; Joas, 1999 ; Moisdon, 1992). Au travers de cette approche de l'instrumentation, nous nous situons donc dans une perspective où la stratégie et le management sont étudiés comme une ingénierie qui consiste alors en « une activité de conception de dispositifs qui structure et rend possible une action collective » (Aggeri et Labatut, 2010).

- La manière dont la puissance publique peut impacter le développement de business models circulaires et des collectifs d’acteurs associés au travers de ce que la nouvelle sociologie économique appelle une « ingénierie politique des marchés » (Beulque et al., 2016 ; Beulque et Micheaux, 2016 ; Callon et al., 2000 ; Dewitte et al., 2017 ; Faber et al., 2017 ; FEM, 2015b ; Tukker et Tischner, 2006).

Si les chercheurs en sciences politiques commencent tout juste à s’intéresser au nouvel objet de politique publique que constitue l’économie circulaire (Beulque et Micheaux, 2016 ; Beulque et al., 2016 ; Bocken et al., 2016) et plus encore aux processus par lesquels l'instrumentation d'action publique participe à l’émergence, à la montée en puissance ou à la pérennisation des business models associés (Beulque et Micheaux, 2016 ; Faber et al., 2017), ils fournissent des éléments de cadre conceptuel pour analyser ces phénomènes.

Dans ce travail de recherche, nous nous sommes ainsi attachés à analyser la manière dont la diversité des instruments mobilisés par la puissance publique impactait le développement des BM étudiés et des communautés d'acteurs associées (Bemelmans-Videc et al., 1998 ; GIEC, 2007 ; Hood 1983 ; Van Der Doelen 1998).

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A l'image de certains chercheurs (Aggeri, 2005 ; Lascoumes et Simard, 2011 ; Salamon, 2002), nous avons cherché à resituer cette approche dans le cadre plus global de l’identification de nouveaux modes de gouvernement et des transformations du rôle de l’État en matière d'action environnementale. Nous avons ainsi mobilisé la notion de régime de gouvernementalité. Elle décrit « un mode de gouverner emblématique d’une période donnée » (Aggeri, 2005) au travers des mutations observées dans le temps long non seulement des instruments d'action publique utilisés, mais également des objets ciblés par ces politiques et des problématisations qui en sont faites, des objectifs qui sont assignés à cette action, et enfin de l’évolution de l’identité des acteurs en charge de la production normative et de ceux auxquels cette dernière s’applique. L’ensemble de ces éléments témoigne en effet des modes de relations qui caractérisent les relations gouvernants-gouvernés.

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