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C HAPITRE 2 : METHODOLOGIE DE RECHERCHE

2. T ERRAIN ET PARCOURS DE RECHERCHE

2.4. C OLLECTE ET ANALYSE DES DONNEES

Une autre question méthodologique se pose à ce stade du manuscrit : comment avons-nous concrètement organiser notre parcours de recherche au sein de ce terrain ? En effet, comme le souligne Lallé (2004), le positionnement de « chercheur-acteur » n’est pas exempt de toute question concernant la prise de recul et la validité scientifique des résultats obtenus. Face à ce risque, nous nous sommes inspirés des préconisations émises par divers chercheurs afin d’encadrer les processus au travers desquels nous allions collecter et analyser les données issues de notre terrain.

Nous avons ainsi procédé à une triangulation exigeante de ces données (Dumez, 2016), en mobilisant une pluralité de types de sources et de méthodes de collecte. Comme dans toute recherche qui peut être qualifiée de « recherche interactive » (Girin, 1986), nous nous sommes basés sur un ensemble large de données écrites et orales provenant pour la plus grande partie d’un travail de terrain. Nous allons les présenter par catégories.

2.4.1. Entretiens

Nous avons ainsi mené 218 entretiens, en combinant plusieurs logiques d’action et techniques. La liste en est reproduite dans l’annexe 1 de ce manuscrit. Comme l’indique David (2001), une recherche- intervention peut constituer une démarche plus proche de l’enquête policière que de la collecte de donnée classique dans une logique purement hypothético-déductive. Leur collecte et leur analyse s’organisent donc selon un principe « d’investigation prospective ». De fait, la nature et le contenu des entretiens ont évolué tout au long de l’avancement de la recherche, de manière à approfondir la compréhension des situations de gestion étudiées. De même, au sein de chaque entretien, nous avons le plus souvent agi sur un mode ouvert et compréhensif. Il ne s’agissait donc pas uniquement d’une liste de questions fixées à l’avance, mais plutôt d’interroger les acteurs sur l’avancées des projets. Nos grilles d’entretiens combinaient donc une partie semi-directive, qui organisait un espace de liberté autour de questions générales guidant l’interlocuteur. Notre objectif était ici que nos interlocuteurs puissent aborder les thèmes qui leur paraissaient importants et que nous n’avions pas nécessairement identifiés. Les différentes versions de ces grilles contenaient également des parties plus directives

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destinées à approfondir certaines thématiques abordées lors d’entretiens précédents. Face à l’interdiction d’enregistrer nos interlocuteurs formulée par notre partenaire industriel, ces entretiens ont été retranscrits par écrit à partir des notes prises. Un extrait est reproduit en annexe 2.

Une partie significative de ces données a été recueillie au sein de Renault et de ses filiales. Cependant, compte tenu de notre souhait d’étudier les processus d’actions collectives d’ampleur systémique liés aux business models circulaires et de la nécessité de procéder à une triangulation des données collectées, nous avons également mené des interviews auprès des autres acteurs des chaînes et réseaux de valeur en jeu et du large spectre des partenariats qui avaient été noués ou étaient à l’étude. Afin de pouvoir étudier les « processus de qualification » des produits que constituent les matières recyclées et les composants d’occasion, nous avons également interrogé des acteurs occupants une grande variété de fonctions au sein de ces organisations. Ces fonctions sont précisées dans la liste des entretiens produite en annexe 1.

Pour les périodes plus anciennes que nous souhaitions étudier dans le cadre de notre approche généalogique, nous avons procédé à des entretiens ciblés de personnes en charge des expérimentations menées à ces époques. Ce mode opératoire a été rendu possible par l’intégration d’un expert reconnu des filières de recyclage des Véhicules Hors d’Usage (VHU) et de différents matériaux au sein de notre comité de pilotage. Ancien ingénieur recyclage chez Renault dès 1990, l’acteur a par la suite directement travaillé ou collaboré avec plusieurs acteurs privés majeurs du recyclage, activité qu’il continue aujourd’hui en tant que chercheur au laboratoire « Conception de Produits et Innovation » de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers (ENSAM). Il nous a permis d’identifier plusieurs autres interlocuteurs en poste à cette période et donné accès à une autre information clef, à savoir les diverses fonctions occupées par ces derniers et les différentes organisations de la filière pour lesquels ils avaient successivement travaillé depuis les années 1990, voire lors de la décennie antérieure pour quelques-uns d’entre eux. Cette information s’est révélée cruciale pour effectuer des entretiens ciblés.

2.4.2. Missions

Dans une philosophie de recherche « dans » l’action (Lallé, 2004), nous avons également collecté de nombreuses informations au cours des dix missions auxquelles nous avons participé auprès de managers de Renault et de ses filiales. En Recherche-intervention, le travail de terrain n’est en effet pas mené selon un protocole intégralement établi à l’avance. A l’inverse, il est admis que les « autochtones », c’est-à-dire « ceux du terrain », ont leur mot à dire sur son déroulement (Girin, 1986). Pour certaines d’entre elles, nous nous sommes proposés. Pour d’autres, nous avons été sollicités, que ce soit par nos deux managers de rattachement, le Directeur Plan Environnement, ou le responsable

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industriel de la filiale du groupe qui opère les business models étudiés. A divers degrés, elles nous ont amené à participer à faire les émerger, monter en puissance BM et pérenniser. Comme nous le restituerons dans la partie empirique du manuscrit, notre parcours de recherche s’est donc au cours de ces trois années ajusté à différentes circonstances, opportunités, impossibilités et négociations qui en ont parfois infléchi la direction.

N° Mission Description Clients internes

1 BMC à

l’international

Etudier dans quels pays les BM circulaires du groupe pourraient connaître une forte montée en puissance. Expert recyclage Direction du Plan Environnement (DPE) Filiales 2 Recyclage du plastique en Turquie

Etudier les conditions de déploiement d’un BM du recyclage du plastique pérenne en Turquie Direction du Plan Environnement (DPE) Filiales Renault 3 Recyclage du plastique en Espagne

Etudier les conditions de déploiement d’un BM du recyclage du plastique pérenne en Espagne Direction du Plan Environnement (DPE) Filiales Renault 4 Recyclage des métaux en Espagne

Participer à une montée en puissance des BM du recyclage du cuivre et des métaux platinoïdes du groupe au travers d’une implantation en Espagne

Direction du Plan Environnement (DPE)

Filiales Renault

5 Réemploi en

Espagne

Etudier les conditions d’émergence d’un BM du réemploi de composants automobiles pérennes en Espagne

Direction du Plan Environnement (DPE)

Filiales Renault

6 Réemploi en

Roumanie

Etudier les conditions d’émergence d’un BM du réemploi de composants automobiles pérennes en Roumanie

Direction du Plan Environnement (DPE)

Filiales Renault

7 Recyclage de

l’aluminium

Etudier les conditions d’émergence d’un BM du recyclage des jantes aluminium en France Expert recyclage Filiales Renault Direction du Plan Environnement (DPE) 8 Economies du plastique recyclé

Participer à une étude économique visant à chiffrer les économies permises

Manager « expertise environnemental »

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par l’utilisation de plastique recyclé par Renault Direction du Plan Environnement (DPE) 9 Dispositifs Montée en puissance du recyclage du plastique

Concevoir et mettre en place un dispositif gestionnaire qui permettent de structurer des chaînes de valeur de recyclage du plastique à l’international

Manager « expertise environnemental » Chargé de mission « utilisation

de plastique recyclé »

10 BMC

innovants

Etudier les nouvelles configurations garantissant une montée en puissance des BM circulaires du groupe

Expert recyclage Figure 14 : missions effectuées lors de l'intervention

Ces missions nous ont permis d’accéder à un grand nombre de données provenant des sources écrites et orales. De manière non exhaustive, nous avons ainsi pu mobiliser des échanges emails ou téléphoniques, de la documentation technique, les comptes rendus des visites et des audits de sites et de procédés que nous avons menés, les mécanismes de fixation des prix des matériaux négociés avec les partenaires du groupe, ou encore les grilles d’achats utilisées pour acheter différents déchets. Nous avons également participé à un grand nombre de réunions d’avancement concernant ces différents projets avec les entreprises partenaires impliquées. Ces missions nous ont encore permis de procéder à une trentaine de visites de sites industriels localisés en France et à l’étranger, que nous avions pour mission d’auditer en vue de la mise en place de partenariats. Ce travail nous a ainsi aidé à identifier les acteurs, instruments et dispositifs associés aux processus étudiés, tant chez Renault que chez des entreprises implantées à différents maillons des chaînes de valeur étudiées. Elles ont également constitué une source d’information précieuse quant aux composantes des business models de ces acteurs. Dans de nombreux cas, nous y avons ainsi établis de premiers contacts avec des interlocuteurs que nous avons par la suite sollicités pour mener des entretiens. Dans des activités telles le recyclage de Véhicules Hors d’Usage, qui sont parfois exercées par des individus de la même famille sur plusieurs générations, ces missions ont encore facilité une appréhension plus fine des dynamiques de mutation des manières de créer et capter de la valeur dans le long terme.

2.4.3. Observations participantes et non participantes

Ces missions nous ont enfin permis de mener des observations, participantes ou non, au sein de diverses réunions, tant en interne chez Renault où nous avons participé à plusieurs comités techniques, économiques ou stratégiques, qu’en externe avec des partenaires actuels ou potentiels. Sans avoir participé à ces missions, nous n’aurions eu que difficilement accès à ces enceintes. A titre

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d’exemple, nous avons ainsi assisté à la réunion au cours de laquelle les managers discutaient de l’avancement du projet Icarre95 sur une base a minima bimensuelle. De même, nous avons eu accès à une quinzaine de cessions d’un comité que nous nommerons « business environnementaux ». Ils voient différents managers présenter au Directeur du Plan Environnement, qui est directement rattaché au Directeur de la Stratégie, l’avancement des projets environnementaux ayant pour objectif de générer une valeur économique.

2.4.4. Autres sources écrites

Nous avons enfin mobilisé un ensemble de sources écrites. Parmi celles-ci, on trouve notamment les différents champs de littérature académique que nous avons exposés dans la revue de littérature de ce manuscrit, ainsi que de la littérature grise concernant l’économie et le business models circulaires. Comme l’indique Lallé (2004), cet élargissement du champ d’investigation constitue une condition sine qua non de la validité des résultats de toute recherche-intervention. Nous avons ainsi constamment comparé notre positionnement et nos résultats par rapport aux travaux existants dans ces domaines. Nous avons également pu analyser une centaine de présentations et comptes rendus de réunions d’avancement du projet Icarre95, qui avaient été archivées depuis son lancement en 2011. Elles nous ont aidé à mieux comprendre l’évolution de la perception des enjeux en lien avec l’émergence, la montée en puissance et la pérennisation de ces BM dans une approche longitudinale. Plusieurs rapports et analyses de marchés sur les activités de réemploi et de recyclage des véhicules en fin de vie et des matériaux ont également été consultés, de même que les sites internet des entreprises et acteurs institutionnels impliqués et des documents techniques ou de communication produits par ces derniers.

2.4.5. Dispositif de pilotage du travail de recherche

Conformément aux recommandations proposées par David (2012), le processus d’analyse de ces données nous a vu mobiliser de manière alternative les trois niveaux de raisonnement scientifique que constituent l’abduction, la déduction et l’induction. Nous avons ainsi confronté de manière itérative les théories disponibles et les problématiques majeures rencontrées sur notre terrain. Nous avons encadré ce processus d’un ensemble de précautions méthodologiques. En effet, comme David, Hatchuel et Laufer (2012) le mettent en évidence, en recherche-intervention, le lieu de la production des connaissances et celui de leur validation ne sont pas nettement séparables. La formalisation d’un dispositif de pilotage idoine constitue ainsi une « étape essentielle » afin d’organiser une prise de recul et de permettre une réflexivité du chercheur-ingénieur à même de garantir la validité interne et externe de ses résultats (Aggeri, 2016 ; Chanal et al., 1997).

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De manière générale, nous avons ainsi alterné les phases d’intériorisation et d’extériorisation afin de nous éloigner de notre terrain. Nous avons donc en moyenne passé un tiers de notre temps de recherche à l’extérieur de l’entreprise, au sein de notre laboratoire de rattachement qu’était le Centre de Gestion Scientifique de MINES ParisTech (Lallé, 2004).

Comme il le conseille, nous nous sommes également régulièrement soumis à une double évaluation, d’un côté par des praticiens et des managers du milieu de l’entreprise, et de l’autre par des acteurs académiques.

Nos résultats ont ainsi régulièrement été soumis à validation interne par les acteurs de l’entreprise. En effet, c’est la confrontation régulière d'un modèle théorique avec la réalité de l’organisation qui contribue en recherche-ingénierique à une co-construction progressive du problème et à une prise de conscience collective. Afin de bénéficier d’un effet-miroir, nous avons tout d’abord pris l’habitude de restituer aux acteurs interviewés de manière régulière une analyse du contenu de l’entretien précédant. Ce processus a permis de leur présenter notre compréhension de leur expression afin d’obtenir une validation, une invalidation, un enrichissement ou un nuancement des résultats (Krief et Zardet, 2013). Au-delà de cet effet-miroir individuel, nous avons régulièrement présenté nos résultats à des instances collectives (voir tableau ci-dessous). Nous avons enfin souhaité élargir le périmètre des praticiens par lesquels nous faisions valider nos travaux. De fait, nous avons formalisé une partie de nos premiers travaux au travers du co-pilotage de la première étude de l’institut français de l’économie circulaire, qui portait sur l’action des entreprises en la matière (Adoue et al., 2014). En 2015, nous y avons ensuite piloté un groupe de travail sur les BM du recyclage, qui réunissait selon les cessions une vingtaine ou une trentaine de praticiens et visait à identifier les conditions de leur développement.

Instances Présentations

Réunion d’avancement avec les deux managers

de rattachement Fréquence bimensuelle

Réunion d’équipe Présentation hebdomadaire de l’avancement

6 présentations plus poussées Réunion d’avancement du projet Icarre95 Fréquence de participation bimensuelle en

moyenne

Comité « business environnementaux » Quinze restitutions partielles

Comités de direction Direction des Matériaux et

Direction du Plan Environnement Trois présentations

Réunion de service Cinq présentations

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Notre travail d’analyse des données a également été cadré à l’interface entre praticiens et acteurs académiques. Nous avons ainsi eu l’occasion de présenter et de partager nos travaux de recherche lors de comités de pilotage organisés en moyenne de manière bimestrielle. Au-delà de nos deux managers de rattachement et de notre directeur de thèse, deux acteurs y ont occasionnellement participé afin de mettre en perspective nos résultats. Il s’agit de Daniel Froëlich, l’expert du recyclage que nous avons mentionné en amont de cette partie méthodologique, qui a pu apporter une approche issue des sciences de l’ingénieur et son recul historique, ainsi que de Jasha Oosterban, directrice de l’Institut Supérieur d’Ingénierie et de Gestion de l’Environnement de l’Ecole de Mines de Paris et experte de l’innovation en matière d’économie circulaire. Ce lieu d’échange a permis de proposer, discuter et tester différentes pistes de réflexion.

Par le biais de présentations au sein de notre laboratoire de recherche et des publications scientifiques dans des conférences et journaux académiques, nous avons enfin procédé à une confrontation régulière de nos travaux avec le monde académique afin d’en garantir la validité externe.

Présentations et publications Date

XXIVème conférence Internationale de Management Stratégique - Paris

Beulque R. et Aggeri F., (2015). L’économie circulaire au prisme des business models – les enseignements de la fin de vie automobile.

2ème trimestre

2015 Conférence Life-Cycle Management - Bordeaux

Morel S. et Beulque R., (2015). Dynamiques collaboratives de co-construction et pilotage renforcé de l'action collective : quels enseignements de l'ACV pour l'économie circulaire ?

3ème trimestre

2015

Revue Finance, Contrôle et Stratégie – 1er tour

Beulque R. et Aggeri F., (2016). Stratégies et business models circulaires, des leviers de performance durables pour les entreprises ? Enseignement du recyclage et du réemploi automobile. [titre provisoire].

4ème trimestre

2015

Conférence OPDE-Les Outils pour Décider Ensemble - Rouen

Beulque R., Micheaux H. et Aggeri F., (2016). D’une politique de gestion des déchets vers une politique d’économie circulaire ?

1er trimestre

2016 Journal of Industrial Ecology – 1er tour

Beulque R. et Micheaux H., (2016). Policy instruments for a circular economy: a survey.

2ème trimestre

2016 California Management Review – 1er tour - refus

Beulque R. et Aggeri F., (2016). Circular Business Model Innovation: Key Patterns and Challenges to unleash recycling value creation potential.

2ème trimestre

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Conference "New Business Models" - Exploring a changing view on organizing value creation - Toulouse

Beulque R. et Micheaux H., (2016). Policy instruments for a circular economy: a survey.

2ème trimestre

2016

Conférence EGOS 2016 - Naples

Beulque R. et Aggeri F., (2016). Key challenges and pattern dynamics to circular business model innovation.

3ème trimestre

2016 Journal of Industrial Ecology – 2ème tour - refus

Beulque R. et Micheaux H., (2016). Policy instruments for a circular economy: a survey.

2ème trimestre

2016 Revue Finance, Contrôle et Stratégie - 2ème tour

Beulque R. et Aggeri F., (2016). Stratégies et business models circulaires, des leviers de performance durables pour les entreprises ? Enseignement du recyclage et du réemploi automobile. [titre provisoire].

4ème trimestre

2016

Conférence EGOS 2017 - Copenhague

Beulque R. et Aggeri F., (2017). Collective Organizational Engineering and Circular Business Modelling in the Automotive Sector.

2ème trimestre

2017 Revue Finance, Contrôle et Stratégie - 3ème tour – acceptation

Beulque R., Aggeri F., Abraham F. et Morel S., (2017). Business models circulaires : vers une création et captation de valeur pérenne ? Les enseignements du recyclage et de la réutilisation automobiles.

3ème trimestre

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