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C ONCLUSION DE L ’ ANALYSE GENEALOGIQUE : VERS UNE CREATION ET UNE CAPTATION DE VALEUR PERENNES DES BUSINESS MODELS CIRCULAIRES

S OUS PARTIE 1 : ANALYSE GENEALOGIQUE (1960-2010) : VERS UNE CREATION ET

6. C ONCLUSION DE L ’ ANALYSE GENEALOGIQUE : VERS UNE CREATION ET UNE CAPTATION DE VALEUR PERENNES DES BUSINESS MODELS CIRCULAIRES

Nos questions de recherche portaient sur l’émergence, la montée en puissance et la pérennisation dans le long terme des BMC, ainsi que sur les logiques d’action collective sous-jacente à ces processus. Au terme de cette analyse généalogique, il apparaît que certains BM du recyclage, notamment en lien avec les produits en fin de vie, peuvent émerger spontanément en raison du potentiel de valeur de ces derniers. Il permet de développer diverses activités et propositions de valeur en lien avec le recyclage et le réemploi. Nous nommerons ces acteurs « possesseurs de gisements » de déchets. Du fait leur caractère limité, ce potentiel intéresse cependant prioritairement les entreprises de taille réduite. A hauteur de quelques centaines d’euros par véhicules au niveau de la démolition, et qui plus est géographiquement dispersé à l’image des produits en fin de vie, il intéresse des TPE, dont approximativement la moitié constitue des activités informelles. Aux maillons suivants des chaînes de valeur du recyclage, ces entreprises constituent des PME de taille variable.

Ces acteurs, de manière particulièrement marquée pour les possesseurs de gisements, ont des BM traditionnels qui peuvent être considérés comme artisanaux, par opposition aux logiques de qualité poussées propres aux acteurs industriels de plus grande taille. Plusieurs raisons à cela. Ils requièrent des compétences et ressources limitées, et leurs propositions de valeur présentent de fortes incertitudes sur la qualité, qui limitent l’activité de ces acteurs à des marchés de dimension locale en matière de réemploi. Concernant le recyclage, ces propositions de valeur relèvent en réalité du sous- cyclage en boucle ouverte, dans la mesure où les matières recyclées produites sont destinées à des applications et secteurs de moindre technicité, dont la valeur est inférieure à celle de leur vie précédente. Ce caractère artisanal leur interdit à l’inverse l’accès à des marchés finaux nationaux et/ou industriels qui fonctionnent selon des standards de qualité plus élevés.

Les création et captation de valeur de ces acteurs peuvent être décrites comme prédatives. Elles ont en effet traditionnellement été limitées aux seules activités et propositions de valeur les plus rémunératrices et nécessitant le moins de coûts, de contraintes et de coordination avec d’autres acteurs (métaux ayant le plus de valeur, pièces de réemploi les plus utilisées). Elles génèrent donc de fortes externalités environnementales.

Par ailleurs, le potentiel de valeur de tout BM du recyclage ne se concrétise que lorsque l’intégralité des quatre maillons des chaînes de valeur associées sont structurés autour de biens standardisés : collecte de déchets en vue de les massifier, préparation de ces derniers en flux le plus pur possible, production de matière recyclée, et enfin utilisation de celles-ci par des clients industriels. L’existence

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de ce dernier maillon apparait structurant car en l’absence de marchés pour la matière recyclée, le BM des acteurs des maillons amont ne peuvent produire durablement de la valeur hors d’expérimentations locales.

Ce processus de structuration a abouti dans les années 60 en matière de recyclage des métaux ferreux et non ferreux, permettant une montée en puissance des BM associés par le biais de volumes plus élevés de production. Ces matières demeurent cependant sous-cyclées et constituent des commodités.

Concernant l’essentiel des familles de plastiques de Véhicules Hors d’Usage, de moindre valeur que les métaux, ce processus n’a pas dépassé le stade d’expérimentations locales de petite taille. En tant que polymère le plus utilisé dans l’automobile, une filière de recyclage du polypropylène a à l’inverse commencé à se structurer à partir des chaînes de valeurs nées des premières expérimentations de BM menées depuis le début des années 1990. Ce processus a permis une montée en puissance progressive du BM des acteurs par les volumes et la qualité de la matière recyclée. Le développement de ces derniers vise un double objectif stratégique pour les PME impliquées. Il s’agit de créer et capter de la valeur avec un BM émergent en se positionnant sur un nouveau marché en cours de structuration. Cependant, les potentiels de valeur associés demeurent limités même à moyen et long terme (masses de déchets plastique, valeur des plastiques recyclées). Ces acteurs visent ainsi principalement à attirer de plus importants gisements de Véhicules Hors d’Usage, sur lesquels est basé leur BM traditionnel de recyclage de déchets métalliques.

Deux facteurs ont principalement incité les acteurs à lancer puis faire monter en puissance ce processus : une instrumentation d’action publique et une hausse de cours des matières premières. La mise en place d’instruments de politique publique contractuels et réglementaires a ainsi incité les industries consommatrices à lancer des explorations en matière de recyclage et de réemploi, dans un contexte de volonté de l’Etat de promouvoir la protection de l’environnement et de cours des matières premières bas qui plongent les activités de recyclage dans une situation de crise. En second lieu, la montée des cours des matières premières et les discours ambiants sur la raréfaction des ressources naturelles des années 2000 a augmenté les potentiels de création et de captation de valeur de ces BMC et intéressé les industries consommatrices de matériaux.

En matière de réemploi, les processus d’émergence et de montée en puissance de BM pérennes au- delà d’expérimentations locales à petite échelle impliquent aussi la participation simultanée d’un certain nombre d’acteurs. Doivent ainsi être exercées des activités de démontage de composants, de massification des gisements autour de plateformes physiques et numériques, de traçabilité et d’assurance-qualité des pièces en question, ainsi que de prescriptions de celles-ci aux clients finaux

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par des acteurs tels les compagnies d’assurance et les constructeurs automobiles. A l’inverse du recyclage, il ne s’agit cependant pas d’une chaîne de valeur, constituée autour d’une logique linéaire d’un ensemble d’activités qui se succèdent, mais d’un réseau d’acteurs plus complexe.

Les choix méthodologiques d’une analyse systémique et longitudinale permettent également de mettre en évidence que les processus de structuration progressive de chaînes et réseaux de valeur impliquent une action collective que nous avons nommée « ingénierie de filière ». Nous en discuterons les modalités dans la discussion de ce manuscrit. Toutefois, de manière très brève, il apparaît que cette activité consiste à créer les supports matériels de l’activité économique (normes, standards techniques, cahiers des charges, etc.) autour de logiques de qualité et de traçabilité. Au travers de partenariats, elle accompagne l’émergence et la montée en puissance de nouveaux BM disruptifs, ainsi que leur diffusion à de plus nombreux acteurs dans le long terme. Ce processus permet une évolution, de premières chaînes et réseaux de valeur entre acteurs donnés, vers la constitution de marchés et filières industrielles de plus grande taille et composées de plusieurs acteurs. Celles-ci s’étendent des possesseurs de déchet aux clients de matières recyclées ou de pièces de réemploi. S’il est à l’origine de la concrétisation progressive des potentiels de valeur des BM étudiés et des chaînes et réseaux de valeur associés, ce processus de long terme demeure cependant uniquement en cours à la fin des années 2000. Il limite ainsi encore la capacité des acteurs à générer des chiffres d’affaires et marges optimisés de manière pérenne. En effet, la qualité et la traçabilité des matières recyclées et des pièces de réemploi restent moindre que celles des produits concurrents issus de BM linéaires (grades plastiques de moindre technicité, flux de métaux moins purs à destination d’applications et secteurs industriels à moindre valeur ajoutée, traçabilité et garantie de qualité des pièces de réemploi améliorable, etc.).

D’autres facteurs participent de cette situation, comme la difficulté d’acquisition de certaines compétences clefs ou de créer des marchés aval de grande taille pour les matières recyclées et les pièces de réemploi. Les problématiques inhérentes à la massification de gisements qui sont structurellement dispersés sur le territoire et la taille de ceux-ci impactent également la montée en puissance de ces BMC. En matière de recyclage plus spécifiquement, ces BM demeurent aussi intrinsèquement fragilisés par leur dépendance aux cours des matières premières qui déterminent leur prix de vente. Si des acteurs génèrent des marges à deux chiffres dans certaines périodes, ils peuvent à l’inverse faire face à des pertes lorsque ces cours sont bas.

Enfin, l’instrumentation d’action publique apparaît jouer un rôle dans l’émergence, la montée en puissance et la pérennisation de ces BMC. La mise en place début 1990 d’instruments contractuels, réglementaires, informationnels et économiques, dans l’objectif d’inciter ces acteurs à mener des

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« coopérations exploratoires », est pour partie à l’origine des premières expérimentations pérennes de BM observées. Une mutation de la manière de gouverner de la puissance publique, qui témoigne de l’émergence progressive d’un nouveau régime de gouvernementalité en matière environnementale, apparaît dans le courant de la décennie 2000. Nous l’avons nommé régime de « création de valeurs ». À la vision d’un déchet constituant une externalité environnementale négative liée aux activités économiques s’ajoute en effet progressivement celle du déchet en tant que potentielle « ressource » pour ces mêmes activités, notamment sous l’effet de la problématisation de l’économie circulaire. La volonté étatique s’oriente alors vers la promotion de l’émergence et de la montée en puissance de nouveaux marchés et filières industrielles, en dynamisant les création et captation de valeur des BM des acteurs les ayant développés, ainsi que vers la création d’emplois non délocalisables sur le territoire national. Cette mutation se traduit par une mobilisation différente des instruments d’action publique, qui vise les objectifs que nous venons d’évoquer et non plus exclusivement à internaliser aux activités économiques le coût des externalités négatives qu’elles génèrent. Dans le cadre de ce processus, les acteurs du secteur privé qui sont les cibles de l’instrumentation d’action publique montent également en puissance en tant que co-producteurs et instigateurs de celle-ci au côté de l’Etat.

(2007-….)

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SOUS-PARTIE 2 :BUSINESS MODELS CIRCULAIRES AU SEIN DE GRANDES ENTREPRISES

LINEAIRES : LES APPORTS D’UNE ANALYSE INGENIERIQUE (2007-….)

Dans cette seconde sous-partie, nous allons présenter les principaux résultats de l'intervention que nous avons menée au sein du groupe Renault. Dans une approche ingénierique, son objectif était de participer, à divers degrés, à l'émergence, à la montée en puissance, et à la pérennisation de cinq business models circulaires. Avant de ce faire, nous allons resituer cette recherche dans le contexte qui l'a vu naître.

Introduction... 181

Chapitre 1 : Le recyclage des pots catalytiques ... 200

Chapitre 2 : Le recyclage du cuivre ... 224

Chapitre 3 : le recyclage du polypropylène ... 280

Chapitre 4 : BM du recyclage et degré de maturité des filières traditionnelles – une analyse comparée ... 346

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INTRODUCTION

1. V

ERS UNE COHABITATION ENTRE

BM

LINEAIRES ET CIRCULAIRES AU SEIN DE GRANDES

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