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S OUS PARTIE 1 : ANALYSE GENEALOGIQUE (1960-2010) : VERS UNE CREATION ET

2.1. U N DISPOSITIF DE PILOTAGE FAVORABLE A UNE APPROCHE ECONOMIQUE ET STRATEGIQUE DE L ' ENVIRONNEMENT

organise la mise en place d’un portefeuille de BM en matière d’économie circulaire.

2.1. UN DISPOSITIF DE PILOTAGE FAVORABLE A UNE APPROCHE ECONOMIQUE ET STRATEGIQUE DE L'ENVIRONNEMENT

Au sein du Groupe Renault comme de nombreuses autres entreprises, la thématique du recyclage est historiquement gérée par des directions, services et équipes en charge de l’environnement. L’entreprise a cependant adopté un modèle d’organisation qui peut être considéré comme innovant. Au sein de ses consœurs industrielles, le pilotage de ces thématiques environnementales, ou de développement durable, est en effet souvent assuré par une des différentes directions suivantes : communication, marketing, technique, etc.

A l’inverse, le constructeur a intégré cette problématique à plusieurs de ces activités et directions traditionnelles. Des départements environnementaux existent ainsi au sein des sites industriels, mais aussi des directions en charge de l’ingénierie des matériaux et de l’innovation, de l’ingénierie véhicule, qui a pour mission la conception de ces derniers, de leur commercialisation et de l’Après-Vente, ainsi qu’au sein de la direction des affaires publiques. Evoluant dans des directions différentes, ces acteurs n’ont donc pas de relations hiérarchiques directes. Cependant, ce réseau d’acteurs environnementaux est coordonné de manière centralisée par un directeur dit « Directeur du Plan Environnement », qui est notamment en charge de l’élaboration de la stratégie environnementale de l’entreprise.

La seconde originalité de ce dispositif réside dans la direction de rattachement de cet acteur, directement à la direction de la stratégie du Groupe qui a pour mission la définition de la stratégie Corporate et des décisions relatives aux nouveaux domaines d’activité et BM qui pourraient être développés par Renault. Entre autres critères, ce « Directeur du Plan Environnement » est donc évalué individuellement sur le déploiement de tels nouveaux domaines d’activités et BM, alors que certains projets de création de valeur développés lui sont rattachés23. D’un point de vue hiérarchique, il

23 Si notre manuscrit est centré sur les BM fondés sur des activités de recyclage et de réemploi, d’autres projets de création de

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bénéficie d’une position qui permet de prendre ce type de décisions, puisqu’il est situé à « N-2 » par rapport au PDG de l’entreprise. La configuration de ce dispositif facilite donc le déploiement de projets qui concilient objectifs environnementaux et économiques, visant à la création et à la captation de valeur, en ligne avec la philosophie promue par le concept d’économie circulaire.

La configuration de ce dispositif est le fruit d’une longue dynamique d’évolution organisationnelle, que nous ne retracerons pas dans son intégralité. Soulignons simplement que la première affectation de ressources humaines au recyclage date du début des années 1990, dans le contexte des négociations du projet d’accord-cadre français dont nous avons vu qu’il avait enclenché de premières « coopérations exploratoires » et expérimentations de BM en lien avec la fin de vie automobile, et qui devait servir de base à une future directive européenne. Un nombre grandissant - mais malgré tout limité - d’experts avait alors été affecté au « Projet Recyclage », qui était porté par la Direction Commerciale. Une Directrice du Plan Environnement suivante a par la suite procédé à un maillage progressif de l’entreprise pour aboutir au dispositif que nous avons décrit24.

2.1.1. De nouvelles activités et filiales circulaires

S’il est en germe depuis plus longtemps, c’est donc en 2007 que ce processus se concrétise par de premières intégrations de nouvelles activités25. Nous sommes alors un an après l’échéance de 2006

fixée par la directive européenne VHU pour que 80% du poids des véhicules en fin de vie fassent l’objet de recyclage ou de réemploi, et que 85% en soit en tout détournés de la mise en décharge par le biais de la valorisation énergétique. Or, après presque une décennie de moindre engagement des constructeurs dans l’accompagnement des acteurs de la fin de vie automobile, qui a suivi les nombreuses expérimentations des années 1990, ces taux sont loin d’être atteints. C’est seulement quatre ans plus tard en 2011 que les acteurs se hissent autour d’un tel niveau de performance, avec

activités et stratégies environnementales, tels les services de mobilité, les BM visant à prolonger la vie des véhicules, ou encore les activités de valorisation des batteries de véhicules électriques, qui sont possédées par Renault dans le cadre d’un BM de type « économie de la fonctionnalité ».

24 Les développements relatifs aux mutations du dispositif organisationnel Renault de pilotage de l’environnement et du

recyclage sont issus d’entretiens avec les personnes suivantes : le responsable recyclage en poste dans les années 1990 ; l’expert recyclage en poste depuis les années 2000 ; un chef d’équipe « Métier Environnement » anciennement en poste à la Direction du Plan Environnement ; le responsable industriel de Renault Environnement, rattaché au Directeur du Plan Environnement et anciennement chef de service en lien avec la gestion de l’environnement dans les sites industriels du Groupe.

25 Tous les développements relatifs à l’historique du développement de ces nouvelles activités et filiales en lien avec l’économie

circulaire ont été mis en évidence au cours d’entretiens avec le Responsable industriel de Renault Environnement et l’expert recyclage auquel nous étions rattachés, qui sont en poste sur ces problématiques depuis de nombreuses années.

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un taux de réemploi et de recyclage de 80,4% et un taux global de valorisation de 84,8%. L’atteinte des objectifs que la directive fixe pour 2015, respectivement à 85% et 95%, semble alors encore plus hypothétique. Au sein de Renault, ce contexte réglementaire, qui est perçu comme un potentiel risque juridique et financier, va être utilisé comme ressource stratégique par des acteurs de changement. Il renforce notamment le poids de la Direction du Plan Environnement par rapport aux autres directions. C’est là que se situe la troisième originalité de Renault par rapport à l’essentiel des entreprises industrielles au BM traditionnel fonctionnant selon des logiques linéaires. A l’image d’autres premières entreprises telles Plastic Omnium ou Lafarge, ces acteurs internes porteurs de changement parviennent à convaincre la Direction de la Stratégie et le PDG du Groupe de développer ou d’intégrer de nouvelles activités en lien avec le recyclage et le réemploi, et de les faire porter par des filiales environnementales. Pour le constructeur, il ne s'agit alors plus d'accompagner au développement et à la montée en puissance du BM d'autres acteurs, mais de créer et capter de la valeur au travers de ces activités.

2.1.1.1. Intégrer des activités de recyclage et réemploi d'automobiles en fin de vie

Ce processus commence par l’intégration partielle d’activités de recyclage et de réemploi d'automobiles en fin de vie au travers de la société INDRA. Si Renault avait déjà eu différentes opportunités pour acheter des démolisseurs auparavant, cet achat est formalisé début 2008, suite à une proposition de Suez Environnement et par le biais d’une Joint-Venture.

En interne comme auprès des pouvoirs publics, la situation réglementaire constitue un élément de justification mobilisé par la Direction du Plan Environnement (DPE). Traduite dans notre vocabulaire et au prisme d’une analyse par les BM, la réflexion de cette direction est la suivante. La non-atteinte des taux est partiellement due au caractère encore trop artisanal et opportuniste du BM de l’essentiel des acteurs de la démolition26. Face à cette situation, la DPE souhaite enclencher une nouvelle

dynamique de montée en qualité, auprès d’un nombre important de démolisseurs. En lien avec ce premier objectif, ces acteurs cherchent bien à créer et capter plus de valeur. Seulement, au-delà des sommes en jeu, qui demeurent négligeables à l’échelle d’une grande entreprise comme Renault, leur volonté est avant tout de démontrer la rentabilité de ces BM à la puissance publique.

26 Un élément de vocabulaire couramment utilisé par les acteurs internes de Renault, qui témoigne de leur perception, est la

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« En devenant des référents et en montrant que ce business doit normalement être vraiment rentable, on participe bien sûr à éviter une sanction ». Acteur du recyclage, Renault

Outre ces éléments, deux autres paramètres expliquent la réponse positive donnée par Renault à la proposition de Suez. L’entreprise INDRA a en effet deux caractéristiques originales par rapport à ses concurrents : un réseau et des compétences de pointe. Au-delà des deux sites qu’elle opère, elle est tout d’abord à la tête d’un réseau qui comprend, de manière variable selon les périodes, aux alentours de 400 acteurs en France. Si ceux-ci constituent des sociétés indépendantes, leur affiliation au réseau INDRA est perçue comme un levier pour diffuser de nouvelles activités structurées autour de logiques plus qualitatives et permettant d’optimiser les potentiels de valeur du BM de ces acteurs. Ensuite, organiser une poursuite de ce processus de montée en qualité des activités des démolisseurs implique des compétences poussées concernant la fin de vie automobile. Or, suite aux expérimentations menées dans le courant de la décennie 1990, INDRA a développé un centre d’expertise et d’ingénierie du recyclage automobile.

En intégrant partiellement une PME, la grande entreprise qu’est Renault devient ainsi intéressée par les potentiels de valeur liés aux activités de recyclage de produits en fin de vie, qui étaient auparavant considérés comme négligeables.

2.1.1.2. Développer des activités de réemploi de composants et de recyclage en boucle fermée

Dès lors, comment optimiser les potentiels de création et de captation de valeur d’INDRA et de son réseau de démolisseurs associés ? C’est tout d’abord en réponse à cette problématique que Renault prend la décision de développer les différentes « boucles fermées » que nous allons étudier, pour reprendre la terminologie utilisée par les acteurs du Groupe, celles-ci constituant un portefeuille de BM fondés sur des activités de recyclage de matériaux et de réemploi de composants automobiles. Ces processus sont officiellement lancés en 2011. Ils sont pilotés au travers d’un projet intitulé Icarre95, par réduction de la formule « Innovative CAR REcycling at 95% », qui est partiellement financé par le programme européen LIFE+.

Le processus de modélisation cognitive de ces BM, qui sont conçus puis manipulés par les managers de l’équipe-projet de la DPE, commence toutefois dès 2009, année qui suit l’intégration partielle d’INDRA. L’idée des acteurs est alors la suivante : le recyclage s’effectuerait en « boucle fermée », c’est-à-dire du déchet automobile et vers un constructeur automobile, qui constituerait le client final des matières produites, en l’occurrence Renault. Les pièces de réemploi seraient elles vendues aux clients automobilistes de l’entreprise, par le biais de son réseau commercial de concessionnaires et

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d’agents qui opèrent des activités de réparation de véhicules. Cette nouvelle proposition de valeur permettrait ainsi aux démolisseurs de trouver de nouveaux clients et à leur BM de monter en puissance par le biais de volumes de vente plus importants.

Objectifs politiques et économiques sont ici étroitement liés. En effet, comme une autre appellation du projet - « démonstrateur à 95% » - en témoigne, il s’agit pour partie de démontrer à la puissance publique que le BM des démolisseurs est rentable. La confiance des acteurs dans la démarche est telle que le projet se fixe d’atteindre non pas 85% de recyclage et réemploi de manière rentable, mais 95%, objectif qui peut selon la directive européenne VHU être obtenu en procédant jusqu’à 10% de valorisation énergétique. En interne, l’objectif de la DPE et de son directeur est le même : démontrer que les investissements réalisés pour développer ou intégrer ces activités peuvent bien constituer des BM rentables, en matière de démolition automobile pour INDRA, mais aussi pour la filiale amenée à porter ces autres BM en boucle fermée.

Une question reste en suspens à ce stade : pourquoi avoir fait le choix de ces activités et, concernant le recyclage, pourquoi avoir retenu certaines matières plutôt que d’autres ? Pour partie, ces décisions sont issues d’un travail exploratoire entrepris avec INDRA et son centre d’ingénierie du recyclage automobile. Comme nous l’avons mis en évidence, ce choix provient également des compétences constituées par Renault au travers des différents projets de recherche menés en partenariat depuis les années 1990. Par le biais notamment des Projet Recyclage 1 et 2, Valver (VALorisation du VERre), Valtex (VALorisation du TEXtile), Pareo (PolyAmide REcycling Opportunities) ou encore du « réseau vert européen », l’entreprise avait en effet déjà temporairement intégré des activités de démolition automobiles, mais aussi de revente de pièces d’occasion ou de recyclage de matériaux.

Cependant, ces projets exploratoires avaient comme nous l’avons montré fait face à de nombreuses difficultés, et n’avaient pas pu aboutir à l’émergence de BM pérennes au-delà expérimentations locales. Qui plus est, pour Renault, ils relevaient d’approches ingénieriques de ces thématiques, le terme étant ici employé dans son sens traditionnel d'activité technique.

« L’autre objectif, en interne, c’était de fédérer l’ingénierie Renault et la hiérarchie27 »

Responsable industriel, Renault Environnement

D’un point de vue organisationnel, décision est prise que ces projets ne seraient pas portés par une direction existante, dans le cadre des projets bornés par un début et une fin. La gestion de ces BM est

27 L’acteur en question se réfère souvent à « la hiérarchie » pour évoquer la hiérarchie directe de son supérieur, le Directeur

du Plan Environnement, qui est en l’occurrence le Directeur de la Stratégie du Groupe Renault, notamment en charge de la gestion des domaines d’activité existants et du développement de nouveaux.

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à l’inverse orientée vers une filiale autonome du Groupe nommée GAIA. Créée dès 1997 par sa Direction Commerciale, cette dernière illustre le caractère prédatif des BM traditionnels de la fin de vie. En effet, c’est suite à un accident de barge, qui coule dans la Seine en emportant avec elle plusieurs dizaines de véhicules, que la structure est mise en place. Ces voitures ne pouvant plus être vendues, l’objectif est alors le suivant : valoriser un déchet de grande valeur auprès de clients opérant des activités de recyclage. Progressivement, cette filiale commence à valoriser d’autres déchets, tels les voitures ou composants en fin de série, les surstocks restés invendus, ou les véhicules à détruire (tests, prototypes, défauts de fabrication, etc.).

C’est fin 2007, dans le cadre de la réorganisation du dispositif stratégique de Renault en matière d’économie circulaire que nous sommes en train de décrire, que GAIA est rattachée à la Direction du Plan Environnement dans cette optique d’en faire le porteur de nouveaux BM. En tant que PME, la filiale serait intéressée par des potentiels de valeur jugés trop faibles au niveau du Groupe. De plus, elle jouirait de plus de flexibilité qu’une direction classique, du fait des lourdeurs bureaucratiques et des jeux d’acteurs propres aux grandes entreprises. Cette problématique, classique en sociologie de l’innovation, est mise en avant par Norbert Alter (2015), qui souligne dans ses travaux la difficulté à innover dans de grandes organisations où l’action individuelle et collective est fortement normée. 2.1.2. Un dispositif de pilotage centralisé favorisant l’innovation

Une troisième activité est enfin partiellement intégrée par Renault, en lien avec le recyclage des déchets métalliques des usines du Groupe. Elle est toutefois hors du périmètre de notre intervention. Suite à cette dernière intégration, un dispositif organisationnel de pilotage centralisé est enfin imaginé afin de favoriser la coordination de ces filiales entre elles ainsi qu’avec le reste du Groupe. Renault Environnement (R.E.) est ainsi créé en cette même année 2009, avec une particularité en termes de gouvernance. Le Directeur du Plan Environnement de Renault cumule en effet cette fonction à une nouvelle, de Président Directeur Général de cette filiale. Une instrumentation gestionnaire encadre cette fonction, le directeur en question voyant sa performance individuelle annuelle notamment évaluée en fonction d’objectifs de création et de captation de valeur par Renault Environnement et ses différentes filiales. Enfin, pour innover en dehors de l’organisation de la grande entreprise, de nouvelles ressources, compétences et activités d’exploration sont attribuées à cette filiale chapeau, principalement par le biais de la création de postes de responsable industriel et de business developper, à côté de celles existant en matière d’exploitation au sein de ses sous-filiales. C’est donc un dispositif d’ambidextrie organisationnelle qui est in fine conçu (Chanal et Mothe, 2005).

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3. L

A RECHERCHE

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INTERVENTION

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USINESS MODELS CIRCULAIRES ET INSTRUMENTATION

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