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Chapitre 2 : Pauvreté et piliers de bien-être chez les familles

2.4. S YNTHÈSE ET HYPOTHÈSES DE RECHERCHE

Nous avons montré dans ce chapitre que le rôle de l’État ne consiste pas seulement à fournir un support par le biais des transferts ou des services publics. L’État comme institution favorise des arrangements en faisant contribuer le marché et la famille au bien-être des familles monoparentales. Et c’est en mettant l’accent sur le rôle de l’État dans le contexte des régimes providentiels que se pose notre question de recherche, à savoir dans quelle mesure les familles monoparentales peuvent-elles être capables de fonder et maintenir un ménage autonome sans être pauvres ni dépendantes d’une seule source de revenu.

À côté de la notion de régime providentiel que nous avons largement développée dans le premier chapitre, notre cadre conceptuel fait appel à d’autres notions que nous avons abordées dans le présent chapitre. En premier lieu, en ce qui concerne la notion de pauvreté, nous avons vu que des auteurs comme Scruggs et Allan (2005) favorisent une conception de la pauvreté fondée sur ce qui est absolument nécessaire à la survie (pauvreté absolue) alors que d’autres comme Christopher (2001) accordent plus d’importance à la mesure de la pauvreté tenant compte des normes sociales dans une conception relative. D’autres auteurs ont tenté de mesurer la pauvreté sur une échelle à la fois monétaire et non monétaire (Smeeding, 2002). Nous avons expliqué les avantages et les limites de chacune de ces approches.

La pauvreté relative est considérée comme un proxy du bien-être dans la majorité des études portant sur les régimes providentiels dans une perspective comparative (Christopher, 2001; Smeeding, 2006; Misra et al., 2006; Budig et al., 2010). L’approche relative considère la pauvreté en tenant compte de chaque contexte national. Nous adopterons également une approche relative de la pauvreté. Toutefois, comme nous l’avons déjà souligné, ces études considèrent implicitement la pauvreté comme un espace homogène. Les familles sont classées selon un seuil standard : pauvre/non-pauvre. Or, il existe des variations dans les niveaux de pauvreté et les régimes providentiels peuvent avoir un impact différent selon le niveau de pauvreté considéré (Osberg et Xu, 1999; Osberg, 2002, 2003).

Pour simplifier les choses, supposons deux niveaux de pauvreté, la pauvreté aiguë qui se rapprocherait de l’idée du minimum nécessaire pour survivre et la pauvreté dans une logique de bien-être et de «capabilité». Trois cas de figure peuvent se présenter concernant l’impact des régimes providentiels sur la pauvreté: (1) une réduction de la pauvreté aiguë et de la pauvreté en général ; (2) une réduction de la pauvreté aiguë, mais un impact faible sur les taux de pauvreté en général, i.e. les plus pauvres échapperaient à la pauvreté aiguë sans échapper à la pauvreté; (3) peu d’impact sur la pauvreté aiguë, mais un impact marqué sur la pauvreté en général, i.e. les pauvres qui sont tout juste au-dessous du seuil de pauvreté échapperaient à la pauvreté, mais les plus défavorisés n’arriveraient pas à améliorer leur sort. Ce dernier cas de figure correspond au phénomène de l’écrémage identifié par Osberg (2002).

Pour combler les lacunes du seuil unique de pauvreté, nous avons décidé d’élargir la mesure de la pauvreté en considérant deux niveaux : (1) La pauvreté aiguë basée sur un seuil plus bas que celui de la pauvreté au seuil standard et (2) la pauvreté standard basée sur un seuil commun et qui est le plus largement utilisé par la communauté scientifique. Nous examinerons au quatrième chapitre l’évolution de la pauvreté à ces deux seuils pour les familles monoparentales et pour les familles biparentales.

Nous postulons comme première hypothèse que les régimes providentiels les plus généreux, particulièrement les sociaux-démocrates, réussissent à contrôler leur taux de pauvreté au seuil standard à des niveaux très bas aussi bien chez les familles monoparentales que biparentales. Dans ces régimes, la pauvreté aiguë chez les familles monoparentales devrait même être inexistante compte tenu du caractère universel des programmes fondés sur l’égalité et la justice sociale. Par contre, les régimes de l’Europe continentale qui offrent des programmes sociaux, même généreux, mais fondés sur la conception traditionnelle de la famille ne favorisent pas les familles monoparentales et ne leur donnent pas les mêmes chances de s’en sortir que les familles biparentales. Selon notre hypothèse, ces régimes réussissent au plus à combattre la pauvreté aiguë des familles monoparentales avec des programmes ciblés, mais présentent des taux de pauvreté élevés au seuil standard. Par contre, chez les familles biparentales, la situation devrait être largement meilleure. Par ailleurs, les régimes connus pour leur faible niveau des programmes sociaux (les libéraux et ceux de l’Europe du Sud) devraient connaitre des taux de pauvreté élevés tant au seuil standard que aigu chez les familles monoparentales qui seraient globalement moins avantagées que les familles biparentales. Pour vérifier cette première série d’hypothèses, nous examinerons l’évolution de la pauvreté aux deux seuils chez les familles monoparentales (et les familles biparentales) entre 1990 et 2004 dans les pays sélectionnés et les quatre principales provinces canadiennes.

En second lieu, notre analyse de la pauvreté est étroitement liée au concept de l’équité. La majorité des études sur la pauvreté s’intéressent à l’équité verticale, c'est- à-dire la répartition de la richesse au sein de la société. Une faible équité verticale se traduit par des taux de pauvreté globaux élevés. Dans le cadre de cette thèse, nous considérons une deuxième forme d’équité, l’équité horizontale entre les familles. L’équité horizontale implique que les écarts de pauvreté entre les familles monoparentales et les familles biparentales sont très faibles. Elle devrait caractériser les sociétés dont les systèmes de redistribution tiennent compte des différences de statuts (Fraser, 2003).

Nous postulons comme deuxième hypothèse que dans les régimes providentiels qui traitent équitablement les familles, notamment dans les pays de régime social- démocrate connus pour leurs programmes fondés sur l’égalité, les taux de pauvreté devraient être faibles (équité verticale) et les écarts entre les familles monoparentales et biparentales devraient être faibles aussi (équité horizontale). Ceci favoriserait la capacité des familles monoparentales à avoir les mêmes chances de ne pas être pauvres ni désavantagées par rapport aux familles biparentales. Par contre, les pays de régime conservateur de l’Europe continentale, qui favorisent la conception traditionnelle de la famille, devraient avoir des écarts de pauvreté élevés entre les deux types de famille se caractérisant ainsi par une très faible équité horizontale. Le faible niveau des programmes sociaux dans les sociétés libérales et celles de l’Europe du Sud devrait entrainer aussi une faible équité horizontale. Pour vérifier cette deuxième série d’hypothèses, nous comparerons dans le cinquième chapitre les taux de pauvreté monoparentale aux taux de pauvreté biparentale.

En troisième lieu, nous avons développé la notion de piliers de bien-être. Nous avons vu que l’articulation des sources de revenu provenant de l’État, du marché et de la famille peuvent caractériser des styles particuliers de régimes providentiels. Les analyses de Skinner et al. (2008) et Hakovirta (2001, 2010) dans ce domaine sont très utiles et rendent compte des différences possibles entre les pays quant à la contribution des différents piliers, notamment en ce qui concerne la part des transferts. Par exemple, dans les sociétés à orientation sociale-démocrate, la part des transferts dans le revenu des ménages est largement plus importante comparativement aux sociétés plus libérales.

Dans le contexte de notre thèse, nous avons introduit une amélioration majeure en examinant les sources de revenu en relation avec la pauvreté. Ceci nous amènera par la suite à analyser plus concrètement l’effet des transferts publics, comme pilier fondamental, sur la réduction de la pauvreté. Nous nous inspirerons des travaux de Smeeding (2006), lequel montre comment les taux de pauvreté diffèrent entre les

pays lorsque seulement les revenus du marché sont pris en compte. Il montre ensuite comment les taux de pauvreté diminuent en intégrant les transferts.

Nous postulons comme troisième hypothèse que les pays de régime social-démocrate mettent efficacement à contribution les sources de revenu en raison de leurs programmes généreux et des possibilités de conciliation travail-famille qu’ils offrent et qui permettent de tirer un revenu du marché. Dans ce contexte, les familles monoparentales disposent d’une certaine autonomie et sont moins dépendantes vis-à- vis d’une seule source de revenu, laquelle autonomie se traduit par des taux de pauvreté faibles. Dans ces mêmes pays, la réduction de la pauvreté par le biais des taxes et des transferts devrait être plus élevée que dans les autres régimes. Les pays de régime conservateur de l’Europe continentale, avec leurs programmes généreux, mais de faibles mesures de conciliation travail-famille, n’offrent pas nécessairement la meilleure combinaison possible. Les familles monoparentales seraient moins autonomes et davantage dépendantes des ressources de l’État. Dans ce type de régime, la réduction de la pauvreté par les taxes et les transferts devrait être élevée, mais pas au même niveau que les pays de régime social-démocrate. Dans le régime libéral ainsi que dans les pays de l’Europe du Sud, le marché devrait être largement plus important parmi les sources de revenu chez les familles monoparentales en raison du faible niveau des allocations. La réduction de la pauvreté par les taxes et les transferts devrait être très faible.

Pour vérifier cette troisième série d’hypothèses, nous comparerons (au sixième chapitre) les sources de revenu chez les familles monoparentales et chez les familles biparentales dans les différentes sociétés. Par la suite, nous verrons comment la répartition des sources peut mener à des taux de pauvreté faibles. Nous verrons également comment les transferts publics comme source de revenu fondamentale contribuent à la réduction de la pauvreté.

Le dernier aspect important de notre thèse est relié au pilier du marché et plus particulièrement à l’insertion des chefs de famille monoparentale en emploi. En effet,

les sociétés avancées sont résolument passées d’un style d’intervention publique «passif» à un style plutôt «actif» et les familles monoparentales sont parmi les groupes concernés.

Plusieurs auteurs ont cherché à comprendre les changements dans l’attitude de l’État. Le plus souvent, ces auteurs (Rainwater et Rein, 1986; Hobson, 1990; Hakovirta, 2001) se contentent de comparer les taux d’emploi chez les femmes monoparentales entre les différents pays. Leur but est de distinguer les sociétés selon la proportion des emplois à temps plein, à temps partiel et la proportion des sans-emploi chez ces ménages. Très peu de travaux ont fait le lien entre les situations d’emploi, les situations familiales et la pauvreté en raison des limites des données utilisées.

Misra et al. (2006) ont entrepris un travail qui semble être plus complet par rapport aux études précédentes en mettant l’accent sur la question de l’équité. Pour eux, le statut familial influence fortement la participation des femmes au marché du travail. Il peut déterminer aussi leur choix du type d’emploi (temps plein ou temps partiel) voire même l’option de se retirer du marché du travail. Nous considérons dans notre cadre théorique que la question de l’équité entre les statuts ne se limite pas seulement à l’insertion en emploi. Mais il faut s’interroger si l’emploi permet de générer des ressources suffisantes pour se protéger contre la pauvreté. Nous avons redéfini les statuts en les inscrivant dans une interaction «Famille/emploi». Nous avons combiné des statuts familiaux avec des statuts d’emploi pour identifier les situations les plus pénalisantes ou les moins pénalisantes sur le plan de la pauvreté. Cette approche permet de répondre à des questions plus spécifiques comme, par exemple: quelles sont les chances d’être pauvre pour une famille monoparentale dont le parent occupe un emploi à temps plein ? C’est ainsi que nous pouvons cerner l’équité entre les familles monoparentales et biparentales dans leur rapport à l’emploi.

Nous postulons comme quatrième hypothèse que les régimes providentiels qui favorisent une plus grande part du marché dans le revenu des ménages, comme les sociétés libérales par exemple, ne le font pas toujours dans un esprit d’équité entre

les familles. Au contraire, cela peut-être pénalisant pour les familles monoparentales. Dans ces sociétés, les familles monoparentales dont le chef est en emploi à temps plein pourraient rencontrer des risques de pauvreté plus élevés que les familles biparentales. Par ailleurs, les régimes qui favorisent l’emploi des chefs de famille monoparentale, mais offrent en même temps des mesures de conciliation travail- famille sont plus soucieux de l’équité dans la diversité familiale et le rapport à l’emploi. Dans ces sociétés, les familles monoparentales dont le chef est en emploi à temps plein, voire même à temps partiel, ne devraient pas être plus pauvres que les familles biparentales. Pour vérifier cette série d’hypothèses, nous consacrerons le septième chapitre à une analyse de régression logistique pour voir quelles sont les chances de pauvreté chez les familles monoparentales en fonction de leur statut d’emploi.

Chapitre 3 : Comparaisons internationales