• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Comparaisons internationales et interprovinciales: Données

3.2. D ONNÉES ET DÉFINITIONS

3.2.1. LA BANQUE DE DONNÉES DU «LUXEMBOURG INCOME STUDY»

Se lancer dans des analyses comparatives internationales avec, comme toile de fond, les régimes providentiels pose toujours comme grand défi la compatibilité et la comparabilité des données. Souvent, il faut résoudre le problème de la concordance des sources qui peuvent être des données administratives ou des données d’enquête (Desrosières, 2005). Ainsi, nous pouvons être confrontés à des définitions et des catégorisations différentes qui biaiseraient les comparaisons internationales. Il est aussi possible qu’au sein d’un même pays, les institutions ne partagent pas le même point de vue sur la catégorisation des pauvres ou des familles.

Pour pallier ce problème, des organisations internationales (OCDE, Nations- Unies…) œuvrent en vue de collecter et d’harmoniser les données provenant de différents pays. Cette tâche demeure toutefois ardue pour les experts de ces organismes souvent contraints de contourner des situations où les écarts de sens persistent en se limitant à livrer des données plus générales. Certes, ces données sont utiles pour brosser un tableau et proposer des pistes d’analyse et de réflexion. Mais ce n’est pas notre seul objectif, car il faut surtout trouver des méthodes pour évaluer de façon plus approfondie les relations entre les phénomènes. C’est pourquoi il faut s’assurer des perspectives et des possibilités que peuvent nous offrir les différentes banques de données.

Après avoir examiné les différentes sources de données, nous avons finalement opté pour le Luxembourg Income Study (LIS)23 qui offre une banque de près de 300 variables démographiques, de revenu et de dépense harmonisées et détaillées24. Ainsi il est possible d’aborder un champ très large de questions relatives aux inégalités sociales et à la pauvreté en faisant des comparaisons entre plus de trente pays sur

23 www.lisproject.org

trois décennies. De plus, il est possible d’extraire les fichiers des quatre principales provinces canadiennes. Nous pouvons procéder ainsi à des comparaisons compatibles et harmonisées entre les provinces canadiennes et les pays sélectionnés de l’OCDE25.

3.2.2. DÉFINITION STATISTIQUE DE LA FAMILLE MONOPARENTALE

La base de données permet d’extraire les fichiers des différents types de ménage. Ainsi, il est possible d’identifier la sous-population des familles monoparentales. Pour ce faire, il faut d’abord savoir de quelles familles monoparentales il est question. Les travaux de Martin et Millar (2004) nous montrent que la définition de la monoparentalité varie selon qu’elle se fonde sur un critère juridique du statut matrimonial, sur un critère démographique, sur un critère économique ou encore sur un critère subjectif. La définition démographique demeure la plus pertinente pour définir les familles en général et la monoparentalité en particulier. C’est cette définition que nous adopterons, comme la grande majorité des chercheurs. Les questionnaires du LIS ne nous permettent d’ailleurs de catégoriser les ménages que selon ce critère.

La définition démographique suppose qu’une personne est monoparentale lorsqu’il y a absence d’un cohabitant adulte autre que les enfants. Ainsi, une femme monoparentale abandonne ce statut dès lors qu’elle accepte de cohabiter avec un autre adulte. Le contrat de mariage n’est pas nécessaire pour considérer la cohabitation. Cette définition est la plus proche de la réalité des sociétés

25 Créée en 1983 en partenariat entre le gouvernement du Grand-Duché du Luxembourg et le Centre d’Études de Populations de Pauvreté et des Politiques Socio-économiques (CEPS), le LIS fonctionne principalement grâce aux organismes nationaux des pays membres qui sont responsables de la recherche économique et sociale. Ces organismes envoient leurs données au LIS qui se charge de les harmoniser dans le but de promouvoir des projets de recherche comparative en utilisant des microdonnées détaillées sur les revenus et les dépenses des individus et des ménages. Une grande majorité des études et recherches s’inscrivant dans une perspective comparative des régimes providentiels se réfère aux données du LIS.

postindustrielles où le mariage ne constitue plus la norme. C’est plutôt la cohabitation qui définit le statut de couple.

La définition démographique exclut le critère juridique où la famille se définit exclusivement par le mariage (Bumpass, 1994). Toutefois, nous ne devons pas ignorer certains inconvénients que présente la définition démographique. En effet, elle suppose que la présence d’un cohabitant est synonyme d’un soutien économique. Ce qui vient encore compliquer les choses, c’est que plusieurs femmes se déclarent monoparentales pour obtenir certains avantages quant aux programmes sociaux, mais continuent de vivre «clandestinement» en cohabitation avec un homme. Ceci fait émerger des critères plus subjectifs pour redéfinir la famille monoparentale, tenant compte des déclarations personnelles des individus.

Gardberg Morner (2000)26 explique que d’après des entretiens réalisés en Suède, certaines mères voulaient être considérées comme monoparentales, même si elles cohabitaient avec de nouveaux conjoints, parce que les ressources économiques du ménage recomposé sont séparées. Les hommes peuvent ne pas se considérer comme étant responsables à l’égard des enfants qui ne sont pas les leurs et c’est le père biologique qui doit assumer sa responsabilité financière. C’est la raison pour laquelle, il peut être parfois recommandé de prendre en considération le critère économique en se posant la question de savoir si la présence d’un cohabitant change quelque chose dans le quotidien du parent seul ou non, surtout lorsque la personne monoparentale au départ se présente comme étant la principale ou voire même la seule pourvoyeuse de ressources (Martin et Millar, 2004). Malheureusement, les enquêtes comparatives disponibles ne permettent pas d’évaluer la contribution matérielle et immatérielle du cohabitant.

Si nous considérons qu’un chef de famille monoparentale est un parent sans conjoint avec au moins un enfant, des divergences persistent quant à l’âge à partir duquel un enfant cesse d’être à la charge du parent. Dans des pays comme les États-Unis ou le

Danemark, est considéré à la charge du parent un enfant de moins de 18 ans. En Suède, l’âge est fixé à 16 ans. Au Canada, les statisticiens ne s’entendent pas sur une limite d’âge (Martin et Millar, 2004). Les allocations familiales et de soutien pour enfants fixent un certain seuil, mais il y a aussi une tendance à pérenniser la situation de responsabilité mutuelle.

Les critères de recensement harmonisés adoptés par les Nations Unies en 1979 mettent l’accent sur la présence d’au moins un enfant cohabitant, quel que soit son âge, à condition que cet enfant ne soit pas marié. D’autres auteurs considèrent comme étant à charge les enfants de moins de 25 ans encore aux études et qui continuent à vivre avec leurs parents. Si les pays ne parviennent pas à adopter des critères uniformes, c’est parce que le mode de vie des jeunes ainsi que le contenu des obligations familiales vis-à-vis des grands enfants et des jeunes adultes (Martin et Millar, 2004) diffèrent selon les cultures et les valeurs.

Pour des besoins d’harmonisation et de comparaisons internationales, des auteurs comme Hantrais et Letablier (1996) définissent la monoparentalité comme la situation de tout parent qui ne vit pas en couple (ni marié, ni cohabitant) et qui vit seul avec au moins un enfant de moins de 18 ans. En nous inspirant de la majorité des travaux réalisés dans une perspective comparative, nous pouvons convenir que la famille monoparentale se définit par rapport au critère démographique, l’âge du plus jeune enfant ne devant pas dépasser 18 ans.

3.2.3. FAMILLES MONOPARENTALES OU FEMMES MONOPARENTALES

Les études traitant de la monoparentalité font souvent ressortir que ce phénomène reste avant tout associé aux femmes (Dandurand et Ouellette, 1991; Orloff, 1993; Misra et al., 2007). C’est une caractéristique qui concerne l’ensemble des pays y compris ceux où le principe d’égalité des sexes est central comme la Suède ou le Danemark. Avec l’héritage du modèle de l’homme «gagne-pain», la femme est restée attachée à l’activité des soins pour enfants, même après le divorce. Sa dépendance de

l’homme fait en sorte qu’elle tombe en situation de vulnérabilité dès qu’elle n’est plus en couple. La monoparentalité semble se concevoir comme un problème inséparable de celui de l’inégalité des sexes. Orloff (1993) est parmi les auteurs qui ont prôné plus d’égalité entre les hommes et les femmes quant à la capacité de fonder et maintenir un ménage de façon autonome sans dépendre du conjoint. Cela suppose déjà que les femmes puissent davantage se libérer des activités de soins pour enfants afin de pouvoir songer au même titre que les hommes à de meilleures carrières professionnelles.

Globalement, l’accès au marché du travail n’a pas vraiment aidé à réduire ces inégalités surtout dans un contexte d’iniquité salariale entre les hommes et les femmes. De nombreuses recherches prouvent au contraire que loin d’acquérir de l’autonomie, les femmes en général éprouvent d’énormes difficultés à concilier vie familiale et vie professionnelle et sont moins bien avantagées que les hommes lorsqu’elles intègrent un emploi (Marshall et al., 2001).

Les données du LIS montrent aussi que les chefs de famille monoparentale sont majoritairement des femmes. Leur effectif est de 4 à 6 fois plus grand que celui des hommes monoparentaux, selon les données du LIS. Tout en étant conscient de la très forte représentativité des femmes dans les ménages monoparentaux, notre conception fondée sur les comparaisons internationales aura pour perspective de contraster les régimes dans leur défi de s’adapter aux transformations dans la structure familiale. C’est pourquoi nous resterons attachés à l’analyse des écarts entre les familles monoparentales et biparentales.

3.2.4. LES FAMILLES BIPARENTALES

Les familles biparentales se caractérisent par la présence de deux parents dans le ménage ayant à charge au moins un enfant de moins de 18 ans. Elles représentent notre catégorie de référence puisque leur conception a été étroitement liée à de nombreux programmes sociaux qui ont inspiré les régimes providentiels. Les

familles biparentales sont largement plus nombreuses que les familles monoparentales comme le montre le tableau 3.1. Elles sont aussi plus diversifiées. Il existe de plus en plus de familles biparentales à double carrière où le père et la mère sont en emploi à temps plein (Raïq et al, 2011). Mais cela ne veut pas dire que la famille biparentale traditionnelle n’existe plus (comme nous le verrons au septième chapitre). Au contraire, les familles biparentales se caractérisant par l’homme «gagne-pain» sont majoritaires dans la plupart des pays que nous étudierons. Dans ces conditions, la femme se contente d’un travail à temps partiel ou se retire du marché de l’emploi pour se consacrer aux soins des enfants (Misra et al, 2007).

Lorsque nous comparons les familles monoparentales aux familles biparentales, nous sommes conscients que nous comparons dans une grande partie des femmes monoparentales à des familles biparentales où l’homme est un «gagne-pain». Les inégalités entre les hommes et les femmes représentent un aspect important qui fait partie de notre description des phénomènes sociaux même si nous restons dans le fond conformes à notre conception de base qui est de comparer les familles monoparentales aux familles biparentales.