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Des visiteurs aux motivations distinctes : un indicateur a priori discriminant

2- « L’unité dans la diversité » incarnée par les sanctuaires : condition de durabilité de l’Eglise catholique

3- Des visiteurs aux motivations distinctes : un indicateur a priori discriminant

a) La fréquentation des lieux saints par les touristes : conséquence de la sécularisation

Les églises sont, par définition, des lieux ouverts. Tout le monde peut y entrer, croyant ou non, ce qui leur confère, en quelque sorte, un statut de lieux publics. En France, tous les édifices religieux construits avant la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 sont propriété de l’Etat et entretenus par ce dernier (par le biais des collectivités locales). Il en va de même dans bon nombre des pays où se situent les sanctuaires étudiés. Cette rétrocession des monuments ecclésiastiques aux pouvoirs publics est le signe d’une volonté de sécularisation : les édifices religieux appartenant à l’Etat, ils appartiennent par conséquent à tous et non plus aux seuls croyants. Cette ouverture des églises et édifices religieux en général a été très bien intégrée par l’ensemble de la population, preuve en est la facilité avec laquelle des flâneurs franchissent les portes des églises à l’occasion d’une balade en ville. C’est ainsi tout naturellement que les édifices religieux ont été incorporés à l’offre touristique : impossible d’ouvrir un guide de Paris, de Marseille, de Lyon ou de toute autre ville touristique française sans y trouver une incitation à visiter Notre-Dame de Paris, la Sainte Chapelle, Notre-Dame de la Garde ou la basilique de Fourvière, ces édifices religieux faisant même partie de l’image symbolique de leur ville.

Si les lieux de culte catholiques ont toujours été ouverts à tous, la sécularisation a rendu légitime leur fréquentation pour des motifs autres que religieux, au point, parfois, d’en oublier la vocation première de l’édifice, à savoir célébrer le culte. C’est ainsi ce que rapporte Don Segundo Pérez, recteur de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle : « Les touristes, comme partout, sont très

impertinents : ils veulent entrer, ils poussent, montent partout… Il faut reconnaître que les Français ne font pas partie des plus éduqués, malheureusement (…). Les Français disent « ceci est à tout le monde ! ». ». La sécularisation de la société, en favorisant la diminution de la pratique religieuse qui

elle-même engendre une certaine désaffectation des lieux de culte, a fait entrer ces derniers dans une dimension patrimoniale. Ainsi l’explicitent, Luc Noppen et Lucie K. Morisset (2003) : « le monument auquel s’arrime la patrimonialisation (en l’occurrence, la constitution du patrimoine religieux) naît de la considération archéologique des artefacts, par-delà leur fonction ou leur utilité. La Révolution a ainsi fait des cathédrales de France des traces du parcours historique de la nation en devenir ». Avec la sécularisation advient la patrimonialisation du religieux, qui devient dès lors un objet curiosité et d’intérêt culturel. Cela signifie que tous les visiteurs ne viennent pas nécessairement dans les sanctuaires pour motif religieux.

b) Quête religieuse et quête touristique : à motivations distinctes, attentes distinctes

Une fois posée cette réflexion liminaire sur l’ouverture des lieux de cultes aux touristes, il apparaît logiquement que le motif de la visite est un élément discriminant essentiel. Néanmoins, ni les sanctuaires, ni les offices du tourisme n’ont pu me fournir de données précises à ce sujet. Il était donc indispensable de questionner directement les visiteurs. Ainsi, la deuxième question spécifique à leur visite posée aux personnes ayant répondu à l’enquête dans chaque sanctuaire était la suivante : « Quel est le principal motif qui vous a poussé à visiter le sanctuaire ? ». Question à laquelle les quatre modalités de réponse suivantes étaient proposées : religion, tourisme, visite à la famille ou aux amis, autre.

Plutôt que de lister les résultats pour chaque sanctuaire, ceux-ci peuvent être cartographiés pour faciliter la comparaison :

Là encore, cette question permet de mesurer la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les sanctuaires étudiés et de voir apparaître des cas de figure communs à plusieurs d’entre eux. Le motif religieux est ici le point de référence. En effet, la fonction historique des sanctuaires est Carte 8 : Motif de la visite au sanctuaire donné par les visiteurs dans les lieux étudiés

religieuse : ils ont été édifiés uniquement en vue de la pratique cultuelle. La modalité « religion » devrait donc, en toute logique, constituer la réponse majoritaire à la question. C’est le cas dans une majorité des lieux étudiés mais, mis à part au sanctuaire de Lourdes, la religion ne recueille jamais 100% des suffrages. Ainsi, suivant l’importance prise par la modalité « religion », trois grands groupes de sanctuaires se forment :

- des sanctuaires où plus de 80% des visiteurs viennent pour motif religieux : Lourdes, L’Ile-Bouchard, Pontmain, Medjugorje, Sainte-Anne-d’Auray, la rue du Bac et Knock. Ce groupe de sanctuaires est exclusivement composé de lieux d’apparition qui, mis à part Sainte-Anne-d’Auray, sont des lieux très récents (fin XIXe et XXe siècle). Si, parmi eux, Lourdes bénéficie d’une renommée internationale et populaire, ce n’est en revanche pas le cas pour les autres lieux qui sont bien connus des croyants (qui peuvent être de toutes nationalités) mais peu des non-croyants ;

- des sanctuaires où 50 à 75% des visiteurs viennent pour motif religieux : Fatima, Lisieux, Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle. Dans ces lieux, les visiteurs interrogés viennent également par intérêt culturel et par curiosité. Mis à part Sainte-Croix-de-Jérusalem, tous ces sanctuaires bénéficient d’une renommée internationale et populaire. La basilique romaine bénéficie directement, pour sa part, de la renommée de la capitale italienne.

- des sanctuaires où moins d’un tiers des visiteurs viennent pour motif religieux : Fourvière et le Mont-Saint-Michel. La majorité des personnes interrogées ont ici répondu être venues par intérêt culturel. Ces sanctuaires bénéficient d’une renommée internationale (particulièrement le Mont) liée à leur architecture et à leur position géographique.

Une catégorisation assez nette émerge de l’analyse du motif de visite donnée par les visiteurs, montrant que si sept sanctuaires restent des lieux dans lesquels on se rend principalement pour des questions de foi, les autres sont devenus des objets touristiques. Or, entre un visiteur venu pour motif religieux et un autre venu par curiosité ou par intérêt culturel, les attentes ne sont pas les mêmes. Cela se perçoit très bien dans les propos recueillis auprès des visiteurs. Certaines des personnes interrogées exprimaient d’ailleurs un peu de défiance vis-à-vis de l’enquête. Ainsi, une dame enquêtée au Mont-Saint-Michel a accepté de répondre au questionnaire en précisant d’emblée, d’un ton légèrement agressif : « Si vous voulez, mais moi c’est uniquement par intérêt

archéologique que je suis là ! », craignant que l’on puisse croire qu’elle serait venue pour des

questions de foi. J’ai retrouvé ce même genre de précisions à Fourvière. Ainsi, un monsieur assis sur les marches de la basilique et répondant à mon enquête m’a dit venir pour « la vue. Je reste devant

[la basilique] parce que je ne subventionne pas cette chose derrière moi ». Les réactions de ces deux

Les visiteurs venus pour motif religieux invoquent généralement, et sous différentes formes, un objectif de ressourcement : « Quand j’ai besoin de souffler, par n’importe quel temps, je viens ici, je

m’assieds, je prie ou je reste en silence. » explique Thérèse, interrogée à Sainte-Anne-d’Auray, « ça nous permet un peu de réflexion sur nous-mêmes, on retrouve un peu de tranquillité » précise une

femme interrogée à Lisieux. Ces visiteurs sont désireux de pouvoir trouver, dans le sanctuaire, le calme nécessaire à la prière. Ceux qui viennent par intérêt culturel ou curiosité, en revanche, attendent d’avoir des explications leur permettant de comprendre et d’apprécier le lieu. Ainsi, à Fourvière, un couple de visiteurs interrogés était a été déçu du peu de documentation disponible :

« On aime bien avoir des informations ». Ces visiteurs qui ne sont pas nécessairement initiés aux

symboles, aux rites et à l’architecture chrétienne, entendent donc recevoir, pendant leur visite, un nouveau savoir.

Plus les motifs de la venue au sanctuaire diffèrent, plus les attentes des visiteurs sont diverses et ont de risque d’être antagonistes. En effet, entre une personne venue dans un but religieux et une autre venue dans un but touristique, la manière de parcourir l’espace va diverger. S’ensuit un nouvel élément discriminant : les pratiques spatiales à l’intérieur du sanctuaire.

4- Radiographie de pratiques discriminantes

L’étude du cas Mexicain au chapitre liminaire de cette thèse a montré la complexité de l’écheveau que peuvent constituer les pratiques spatiales dans un sanctuaire : pèlerins individuels, pèlerinages organisés, visiteurs individuels, groupes de tourisme, pèlerins qui se prennent en photo, touristes qui déposent une bougie… L’écheveau paraît bien emmêlé. Pourtant, une période d’observation dans les sanctuaires montre que les pratiques restent un facteur de différenciation relativement efficace entre les visiteurs.

« Il faut qu’il y ait de la vie sinon c’est une coquille vide, c’est Chambord ! » : tels ont été les mots

d’un des visiteurs interrogés au sanctuaire de Fourvière, à propos du sanctuaire et des offices qui s’y tiennent plusieurs fois par jour. Par définition, le sanctuaire est le lieu du pèlerinage. Les visiteurs qui vont à Lourdes, à Fatima, à Guadalupe ou dans les plus petits lieux tels que L’Ile-Bouchard, non seulement s’attendent à voir des pèlerins et des rites religieux mais même, bien souvent, le souhaitent. Ainsi, de nombreux visiteurs interrogés à Saint-Jacques-de-Compostelle ont estimé avoir eu « de la chance » de voir fonctionner le botafumeiro*. N’étant pas croyants, ils avaient tout de même assisté à la Messe dans le seul espoir de voir l’encensoir mis en mouvement. Ces impressions données par les visiteurs, ainsi que les enquêtes réalisées, distinguent clairement deux types de pratiques. L’une se situe dans une perspective active (pèlerinage) et la seconde dans une logique de

consommation (tourisme). La complexité réside dans leur hybridation mais il convient, avant de s’y pencher, de bien déterminer ce qui caractérise chacune de ces pratiques.

BOITE A OUTILS : COMMENT ETUDIER LES PRATIQUES SPATIALES DANS LES SANCTUAIRES ?

Bien entendu, des indications sur les pratiques rituelles des pèlerins peuvent être récoltées dans les guides et les récits de pèlerinage, tout comme l’étude des guides touristiques peut permettre de faire des hypothèses sur telle ou telle pratique, mais celles-ci ne peuvent être vérifiées que par un travail d’observation directe sur le terrain.

Les sanctuaires sont des lieux exceptionnels, ce qui implique également des pratiques exceptionnelles, bien souvent immédiatement repérables. L’observation directe permet donc de faire un premier travail à l’échelle macroscopique, d’identification et de distinction des pratiques les plus ostentatoires. Ce type d’observation suffit à distinguer un groupe de touristes d’un groupe de pèlerins (comme le montrent les photographies en annexe 1), ou encore les pratiques rituelles caractéristiques de chaque lieu (avancer à genoux à Guadalupe et Fatima, donner l’accolade à Saint Jacques à Compostelle, passer à la grotte à Lourdes, etc.). C’est également par ce biais que l’on peut saisir les itinéraires des visiteurs dans les sanctuaires et, là encore, distinguer : le circuit est-il le même pour groupes de pèlerins et groupes de touristes ? Entre visiteurs individuels et groupes ? Enfin, par l’observation, il est possible d’avoir un tableau de la fréquentation et du rythme particulier du lieu : horaires d’ouverture, pics de fréquentation (quels jours, quelles plages horaires ?).

Sur le terrain, j’ai donc toujours, dans un premier temps, eu recours à l’observation directe, généralement non-participante mais parfois, également, participante. Dans le cas du sanctuaire de Medjugorje, j’ai ainsi fait le choix de partir avec un groupe de pèlerins par le biais d’une agence de pèlerinage. Ce choix a été motivé par des raisons pratiques (je ne parlais pas la langue du pays et le sanctuaire n’était pas facile d’accès : partir avec un groupe de pèlerinage m’a permis de ne pas avoir à me soucier des questions logistiques) mais aussi scientifiques. En effet, étant intégrée au groupe, j’ai pu suivre des parcours individuels de pèlerins sur toute la durée de leur pèlerinage et recueillir un verbatim beaucoup plus précis. J’ai également, à l’Ile-Bouchard, participé à un pèlerinage d’une journée. Même si le travail ne porte pas directement sur l’anthropologie et la sociologie des pèlerinages, comme c’était par exemple le cas des travaux d’Elisabeth Claverie sur Medjugorje et San Damiano (Les guerres de la

Vierge, 2003), l’observation participante permet ici de mieux saisir le lien entre les pratiques spatiales et

les représentations mentales dont elles se font la traduction.

Ce travail d’observation a été complété par les enquêtes sur questionnaire fermé. En effet, outre la question déjà précisée sur le motif de la visite, qui vient en amont de l’étude des pratiques, était demandé aux visiteurs quelles activités ils avaient ou allaient pratiquer durant leur séjour dans la région. A cette question, quatre modalités de réponses étaient proposées, que les visiteurs interrogés pouvaient classer par ordre d’importance s’ils le désiraient : « activités touristiques », « démarcher de pèlerinage », « visite à la famille ou aux amis », « autre ». Cette question était complétée par une autre demandant aux visiteurs s’ils avaient ou allaient visiter d’autres sites touristiques durant leur séjour. Le recours à l’enquête permet de recueillir des données quantitatives qui donnent une indication de tendance. De plus, dans le cas de pratiques hybrides, il est intéressant de voir si les visiteurs eux-mêmes sont capables de qualifier leurs pratiques et comment ils les qualifient.

a) Le pèlerinage : pratique spatiale active, pluriséculaire et constitutive des sanctuaires

L’étude des différentes définitions du terme « pèlerinage », au chapitre 2, a permis d’éclairer le sens que prend actuellement cette démarche et de poser ce qui est entendu par pèlerinage tout au long de ce travail. Il convient à présent de revenir sur la pratique du pèlerinage elle-même : comment se traduit-elle concrètement dans l’espace ? Quels sont ses marqueurs ? Se mesure-t-elle ? Est-ce une pratique figée ou en évolution ?

Pour l’Eglise, le pèlerinage a un sens profond qui dépasse largement le cadre des simples pèlerinages au sanctuaire. Une des prières eucharistiques26 utilisée durant la Messe le rappelle ainsi : « Et lorsque prendra fin notre pèlerinage sur la terre, accueille-nous dans la demeure où nous vivrons près de toi pour toujours » : avant toute autre chose, le pèlerinage correspond à la vie qui n’est, pour le croyant, qu’un chemin vers Dieu. Les pèlerinages vers les sanctuaires ont alors pour but d’évoquer cette marche des croyants vers le ciel. Ils sont une forme de mise en abyme et servent de temps forts permettant un renouvellement. Dans ce cadre, pour que l’on puisse parler de pèlerinage, Jean Chélini (2004) souligne la nécessité de retrouver dans la pratique trois éléments spécifiques :

- « L’existence d’un lieu sacré ou considéré comme tel » ;

- « une démarche spéciale pour s’y rendre, ce qui suppose la rupture d’avec son séjour habituel, une distance à franchir et une route à parcourir » ;

- « un certain nombre de rites à remplir et d’actes religieux individuels ou collectifs à accomplir avant, pendant, à l’arrivée ou au retour de cette démarche ».

Pour ce qui est du lieu sacré, comme expliqué précédemment, c’est là la fonction des sanctuaires. La nuance apportée par l’auteur (« sacré ou considéré comme tel ») est néanmoins révélatrice : il y a bien un sacré institutionnalisé (celui qui est reconnu par les autorités) et un sacré plus officieux et relatif qui existe aux yeux de certaines personnes uniquement. Le fait d’inclure également les lieux « considérés comme » sacrés permet de prendre en compte des lieux non reconnus tels que San Damiano. En termes de pratiques spatiales, ce sont les deux points suivants qui nous intéressent tout particulièrement. Ils montrent que le pèlerinage est bien une pratique qui s’inscrit dans le temps et dans l’espace. Le mot « pèlerin » lui-même vient du latin pelegrinus qui signifie « étranger, voyageur » et l’image d’Epinal est celle du pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle, sandales au pied, bâton la main, sac au dos, progressant sur un long chemin. Le pèlerinage n’est pas spontanément envisagé comme un ensemble de rites accomplis dans un lieu sacré (ce qu’il est pourtant en partie) mais comme le voyage jusqu’au lieu sacré. Il s’agit cependant d’un type de voyage bien précis. Dans le Dictionnaire des faits religieux, l’historien Dominique Julia

distingue le pèlerinage de « l’errance » ou du « vagabondage ». Pour lui, « il est déplacement, fait le plus souvent à pied et dirigé vers un terme, le lieu saint où doit s’accomplir la rencontre avec une puissance surnaturelle qui l’habite ». Le pèlerinage a pour caractéristique d’être une épreuve physique et spirituelle et surtout d’être un déplacement « motivé », les motivations qui poussent au départ pouvant être individuelles ou collectives. On ne se met pas en route sans raison27.

Première caractéristique de la pratique pèlerine : l’effort du voyage

Alors que j’étais au sanctuaire de L’Ile-Bouchard le dimanche 18 mai 2014, j’ai participé au pèlerinage des familles : une marche de 10km jusqu’au sanctuaire par un chaud après-midi (27°C). A l’arrivée, le Père Xavier Malle, recteur du sanctuaire, nous rapporte cet échange qu’il a entendu entre une petite fille et son petit frère : « J’aurais bien aimé le faire en voiture ! » disait ce dernier. Ce à quoi sa sœur a rétorqué : « Ben ça n’aurait pas été un pèlerinage alors ! » (annexe 25, entretien 2). Cette réponse spontanée de la petite fille met en avant cette dimension d’effort qui est la première caractéristique de la pratique du pèlerinage. Il ne s’agit pas d’effectuer un voyage d’agrément et les conditions du voyage elles-mêmes sont là pour le rappeler, point sur lequel, les guides de pèlerinages insistent. Ainsi, on peut lire dans le guide fourni par le sanctuaire de Guadalupe que « le chemin jusqu’au sanctuaire implique effort, fatigue, sacrifice » (Román del Real, 1997 : 9). Voilà le pèlerin averti ! Effectivement, cette sentence s’accorde parfaitement avec l’image d’Epinal précédemment décrite du pèlerin à pied soumis aux aléas climatiques et au manque de confort. Cela semble s’appliquer beaucoup moins bien aux nombreux pèlerins se rendant au sanctuaire en train, en autocar, voire en avion mais là encore, le guide précise : « certains le font à pied, mais que ce soit en voiture ou en bus, [le pèlerinage] suppose l’inconfort, l’insécurité, du temps que l’on prend sur les occupations quotidiennes pour le consacrer au chemin » (Román del Real, 1997 : 9). C’est ainsi que les croyants mexicains sont exhortés à pratiquer le pèlerinage. Dans ce cas, la notion d’effort et de difficulté prend un sens particulièrement concret : les routes mexicaines ne sont pas toujours des plus praticables ni des plus sûres pour les pèlerins venus de certaines régions et entreprendre un pèlerinage jusqu’à Mexico reste, pour beaucoup de Mexicains, un effort financier important. En outre, pour la plupart, ce pèlerinage sera souvent le voyage d’une vie et le seul déplacement en-dehors du territoire local. D’où l’accent mis sur l’effort que représente le voyage. Ce même discours peut sembler légèrement suranné à un pèlerin européen au fort capital spatial et particulièrement mobile. Pourtant, c’est la même idée qui est présentée dans le manuel à destination des pèlerins de Lourdes : « Nous avons quitté pour plusieurs jours notre maison, nos amis et les gens de notre

27 Voir à ce sujet les travaux de Rachid Amirou (1995) qui questionne et conteste l’opposition « sérieux » du pèlerinage et « frivolité » du tourisme formulée par Erik Cohen.

quartier. Nous avons cessé notre travail habituel en prenant quelques jours sur nos congés. (…) Pour les personnes âgées, ce départ entraîne une fatigue et un dérangement dans les habitudes, sans parler de la dépense. Bref, pour nous tous, ce départ représente un choix, une décision et un effort »