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« Un pour tous, tous pour Un », voilà finalement qui résumerait bien la multiplicité des édifices

religieux et sanctuaires à l’échelle du globe : ils accueillent tous la présence du Christ et sont tous théoriquement construits dans l’unique but de rappeler aux hommes cette présence24. En effet, si l’Eglise se proclame avant tout comme étant le corps du Christ, cette foi s’incarne néanmoins dans l’espace : « Dans sa condition terrestre, l’Eglise a besoin de lieux où la communauté puisse se rassembler : nos églises visibles, lieux saints, images de la Cité sainte, la Jérusalem céleste vers laquelle nous cheminons en pèlerins » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, art. 1198). Cet article du Catéchisme soulève un point très intéressant : la matérialisation dans l’espace de réalités abstraites (ici la foi) ne serait pas une simple caractéristique de l’homme mais un véritable besoin, inhérent à la nature humaine même. Point à retenir pour éclairer l’inscription des valeurs dans l’espace. Le philosophe et historien Mircea Eliade va dans ce sens lorsqu’il note, au début de son ouvrage Le sacré et le profane, qu’il y a, pour tout homme, des « portions d’espaces qualitativement différentes » (Eliade, 1957) : pour « l’homme religieux », certaines portions d’espaces sont investies de la présence divine (qui sera donc matérialisée par un édifice quelconque), tandis que pour l’homme profane, les endroits privilégiés vont être liés à des expériences personnelles vécues (une rencontre, un souvenir d’enfance : toutes choses qui sont liées à certains éléments du paysage voire qui ont put être matérialisées par une trace laissée, graffiti ou autre). Cette spatialisation du sacré ne va pas, dans l’Eglise catholique, sans une certaine généricité (Chevrier, 2011).

24 S’il s’agit de leur seule vocation d’un point de vue théologique, la construction d’un édifice religieux peut cependant être et a souvent été un enjeu territorial et politique.

a) Généricité des édifices religieux dans l’Eglise catholique : tous sur le même modèle ?

Le concept de généricité est, en géographie, plutôt utilisé pour désigner des gares, des rues ou d’autres lieux de passage. Pourtant, comme le fait remarquer Jacques Lévy dans sa définition, « la plupart des lieux peuvent être considérés, d’un certain point de vue, comme génériques » dans la mesure où « on trouve toujours au moins certaines caractéristiques reproduites ailleurs ». Les lieux génériques ne sont pas des lieux identiques mais des lieux organisés suivant un même modèle : voilà ce qui est entendu ici par générique. C’est cette généricité qui permet la comparaison. En effet, pour être opérante, la comparaison nécessite de passer par l’étape de la modélisation. Un modèle, comme le définit Alain Reynaud, est « la « moyenne » d’un grand nombre de cas réels [qui] permet de comprendre chacun d’eux dans ses grandes lignes, même s’il n’en traduit parfaitement aucun. » (Reynaud, 1984). Afin de choisir les sanctuaires à étudier, un premier volet de la modélisation a déjà effectué : une modélisation critériologique. Un ensemble d’indicateurs a été retenu qui donnaient une grille définissant les lieux qui pouvaient être considérés comme des sanctuaires. Cette modélisation critériologique est maintenant conduite à l’échelle des sanctuaires eux-mêmes, permettant de dégager l’économie générale de l’espace des sanctuaires.

Les catholiques le proclament inlassablement lorsqu’ils récitent le Symbole de Nicée Constantinople : l’Eglise est, selon ses propres termes, « une, sainte, catholique et apostolique ». Le terme qui m’intéresse particulièrement est « une ». En vertu de sa vocation apostolique, l’Eglise se donne pour mission de répandre les paroles du Christ sur toute la terre et parmi tous les peuples, sans exception. Mission dont on ne peut nier qu’elle a été, et est toujours, accomplie puisqu’il y a aujourd’hui des chrétiens catholiques, en proportion plus ou moins importante, dans chaque pays du monde25. Etant donc présente dans des cultures tellement diverses, comment garantir cette unité professée par les croyants ? Certes, le rattachement à la personne et à l’autorité du pape aide à garantir cette unité. Cependant, pour le catholique vietnamien, namibien, australien ou encore péruvien, le Vatican est loin. C’est donc à travers les lieux et les pratiques que peut se manifester concrètement, quotidiennement, l’unicité de l’Eglise : les « églises visibles ne sont pas de simples lieux de rassemblement mais elles signifient et manifestent l’Eglise vivant en ce lieu » (Catéchisme de

l’Eglise catholique, art. 1180). Cet article met bien en exergue le fait que l’Eglise a pleinement

conscience de l’importance des édifices religieux pour la préservation de son unité. Chaque église particulière a un rôle de représentation : elle est le représentant local de l’Eglise de Rome. Ce qu’on y trouve doit donc être semblable à ce que l’on trouve à Rome. C’est pourquoi, des règles précises sont

25 Les catholiques sont recensés par le Vatican qui publie régulièrement un Annuaire Statistique de l’Eglise, mis à jour chaque année.

édictées quant à l’espace liturgique, qui peuvent être retrouvées dans les articles 1179 à 1187 du

Catéchisme de l’Eglise catholique. Ces règles concernent des points très particuliers de l’espace

liturgique, fixant l’emplacement, de l’autel*, du tabernacle*, du siège de présidence, et de l’ambon* et précisant qu’une place importante doit être laissée au baptistère* et qu’un espace doit être aménagé spécialement pour le sacrement de réconciliation. Règles à la fois très précises (puisqu’elles rendent nécessaires et fixent l’emplacement d’un certain mobilier) et très vagues (car aucun détail n’est donné quant à l’architecture ou encore aux dimensions). A ces règles concernant l’aménagement intérieur des édifices religieux, s’ajoute une prescription quant à la disposition générale de ceux-ci. Ils doivent en effet, autant que faire se peut, être orientés au sens premier du terme, c’est-à-dire tournés vers l’Orient soit vers le soleil levant qui symbolise le Christ et sa résurrection.

En vertu de toutes ces codifications, conçues pour garantir l’unicité de l’Eglise, il paraît justifié de parler de lieux génériques, c’est-à-dire des lieux « dont une part importante [des] caractéristiques peut se rencontrer à plusieurs exemplaires » (Lévy, 2003)

b) Généricité des sanctuaires dans l’Eglise catholique : un sous-modèle de lieux ?

Alors que l’on vient d’évoquer le caractère exceptionnel de lieux tels que les sanctuaires, il peut paraître paradoxal de les qualifier de lieux génériques. Les sanctuaires étudiés, tels que nous les avons définis dans la partie précédente, sont des lieux qui font exception dans le maillage territorial ecclésiastique. Ils se distinguent des autres édifices religieux. Tous les sanctuaires possèdent en leur sein une église ou du moins les éléments spatiaux nécessaires à la liturgie eucharistique et cités précédemment (autel, tabernacle, ambon) mais ils ne se limitent pas à cela puisqu’ils doivent leur édification à un fait (apparition, miracle) ou un objet (relique) extraordinaire. Ils constituent de ce fait une catégorie d’édifices religieux « à part » dans l’Eglise catholique. Preuve en est le fait que le titre de sanctuaire doit être conféré par les autorités religieuses après examen du lieu et suivant des règles précises de droit canonique. S’ils sont exceptionnels en regard des lieux « ordinaires » de la célébration du culte, les comparer entre eux permet de repérer un ensemble de caractéristiques communes bien spécifiques. Ce sont ces dernières qui rendent possible la constitution d’un modèle de l’organisation spatiale d’un sanctuaire, sous-modèle au sein du modèle général des édifices religieux catholiques.

L’étude comparative de plusieurs sanctuaires permet de disséquer ces lieux et ainsi de constater la récurrence de certains « types » d’espaces. Quelques-uns constituent des points « essentiels » du sanctuaire et y sont systématiquement présents, tandis que d’autres sont davantage conçus comme des compléments et ne sont ainsi pas nécessairement construits si la superficie dévolue au

sanctuaire n’est pas suffisante. Ces types d’espace sont constitutifs d’un modèle : celui du sanctuaire, qui se décompose comme suit.

Les espaces « essentiels »

Le terme « essentiel » est employé pour signifier que les types d’espaces suivants sont invariablement présents dans chaque sanctuaire et lui confèrent sa « personnalité », étant liés à la fois à l’essence même du sanctuaire et, plus largement à celle de la foi chrétienne.

Le « cœur » : chaque sanctuaire est fondé à partir d’un point principal. Ce dernier est appelé le « cœur » du sanctuaire : la grotte de l’Apparition et la source qui en jaillit à Lourdes (figure 9), les reliques de Sainte Thérèse à Lisieux, etc. Le cœur peut parfois se confondre avec l’église principale.

L’église principale : L’église, lieu du culte catholique, est un élément indispensable de tout sanctuaire. Dans les lieux d’apparition, elle a bien souvent été construite originellement à la demande même de la Vierge ou d’un saint. A Lourdes, l’édifice qui prévaut est la superposition de la basilique du Rosaire, de la crypte et de la basilique supérieure (figure 9). A Lisieux, il s’agit de la Basilique Sainte Thérèse. Le cas du Mont-Saint-Michel est plus délicat. Le lieu de culte proprement dit est en réalité l’église paroissiale Saint Pierre mais la plupart des pèlerins considèrent qu’il s’agit de l’église abbatiale.

Le chemin de croix : cet élément fort de la religion catholique est systématiquement présent dans les églises. Dans les sanctuaires, un espace particulier lui est généralement réservé. Il devient en ces lieux un véritable chemin. Le chemin de croix, dit de la montagne, à Lourdes et le Krizevac de Medjugorje sont exemplaires de cette situation, ainsi que celui élevé derrière la basilique Sainte Thérèse à Lisieux, ou encore sur le parvis de la basilique de Fourvière.

Les espaces « annexes »

La présence de ce type d’espaces dépend généralement de la notoriété et de la superficie du lieu.

Les autres églises : On dénombre par exemple à Lourdes trois basiliques et dix-sept autres églises et chapelles. Cela permet à chaque groupe de pèlerins de célébrer l’Eucharistie dans le sanctuaire. A Pontmain, outre la basilique, l’église paroissiale originelle et la chapelle des Oblats accueillent également les pèlerins. Certains sanctuaires ont cependant une superficie trop petite pour permettre l’installation d’autres lieux de culte (chapelle de la Rue du Bac à Paris, Saint-Jacques-de-Compostelle).

Les espaces verts : il s’agit d’un élément récurrent dans la plupart des sanctuaires, les apparitions étant même parfois directement liées à des fleurs (apparition miraculeuse par exemple, d’un rosier sur la paroi de la grotte de Massabielle ou de roses à Guadalupe), ces espaces sont également une référence à la Création et au Jardin d’Eden.

Les bâtiments annexes : les sanctuaires les plus importants ont également un rôle pastoral plus large, que ce soit dans l’aide aux personnes malades ou en difficulté ou encore dans l’évangélisation. Afin de mener à bien ces missions, des corps de bâtiments ont été construits pour accueillir toutes les personnes concernées. Cela est remarquable même dans les plus petits sanctuaires ou au moins une salle est disponible pour les pèlerins. Bien souvent, un musée, même sommaire, est également à disposition des visiteurs afin de leur présenter l’histoire du lieu.

Autres points d’intérêt : les sanctuaires recèlent souvent, en plus de ce qui constituent leur « cœur », des reliques d’autres saints (reliques des époux Martin à Lisieux et L’Ile-Bouchard), ou encore dans des éléments liés à la foi ou au patrimoine qui sont aussi très prisés par les visiteurs (grand succès, par exemple, des statues et stèles commémorant la venue de Jean-Paul II, que ce soit à Guadalupe, Fourvière ou Sainte-Anne-d’Auray).

Les magasins : exactement comme dans tout lieu touristique, le visiteur souhaite généralement garder une trace de son passage à travers l’achat d’un objet lui rappelant le lieu. Les autorités des sanctuaires ont donc systématiquement installé une ou plusieurs boutiques d’objets religieux à l’intérieur ou à proximité immédiate du sanctuaire, parfois imitées par des commerçants voulant profiter de cette manne économique. Lourdes est ici un cas d’école. Une telle concentration de magasins ne se rencontre cependant que rarement.

Ces différents types d’espaces identifiés permettent d’aboutir à la modélisation graphique suivante, appliquée ici au cas du sanctuaire de Lourdes.

Ainsi, les sanctuaires, bien que lieux exceptionnels à l’échelle de l’Eglise catholique, sont identifiables grâce à certaines caractéristiques spatiales. Il est alors possible de produire, pour chaque lieu étudié, un plan « générique » identifiant les différents types d’espaces des sanctuaires, ce qui permet de rendre bien plus fine et efficiente la comparaison. Cependant, comme explicité précédemment, réaliser une comparaison entre des lieux trop ressemblants n’aurait que peu de sens. Il convient donc d’identifier en quoi les sanctuaires catholiques présentent, dans leur unité, une diversité qui les rend éminemment comparables.

2- « L’unité dans la diversité » incarnée par les sanctuaires : condition de