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De la sécularisation des termes à celle des lieux et des pratiques

Défense et illustration d’objets et de pratiques géographiques

Chapitre 2 : Religion et géographie : grammaire du sujet

4- De la sécularisation des termes à celle des lieux et des pratiques

L’analyse lexicale révèle ainsi l’action d’un processus qui s’est peu à peu mis en place dans les sociétés, s’enclenchant parfois de manière brutale (par la Révolution en France par exemple) et à l’œuvre aujourd’hui, particulièrement dans les sociétés de culture chrétienne : la sécularisation.

a) La sécularisation, un processus historique perceptible à travers les glissements sémantiques : l’exemple du terme « sanctuaire ».

L’apparition de la discontinuité lexicale sacré / profane mise en évidence précédemment pour les termes « sanctuaire » et « pèlerinage » n’a pas été brutale. Au contraire, ces mots ont insensiblement glissé dans le vocabulaire profane. C’est ce que montre l’étude de plusieurs définitions du terme « sanctuaire », relevées dans divers dictionnaires d’époques distinctes (annexe 5). Le mot sanctuaire a d’abord été utilisé dans le champ lexical du religieux (premières occurrences dans la Bible) et sans doute uniquement dans ce sens jusqu’au Moyen Âge si l’on en croit l’étude étymologique réalisée par le Trésor de la Langue Française. Il est dans un premier temps associé plus particulièrement à la religion juive. C’est d’ailleurs la première acception conservée par le

Dictionnaire de l’Académie Française de 1694, l’Encyclopédie de Diderot et le Larousse (y compris

dans l’édition de 1957) et celle qui vient en deuxième position dans le Littré : « On appeloit ainsi chez les Juifs le lieu le plus saint du Temple où reposait l’Arche ». Dans cette première acception se retrouve l’idée d’un lieu constituant le summum de l’espace sacré et renfermant un secret d’origine divine. Il s’agit tout d’abord d’un lieu où ne peuvent entrer que les prêtres les plus importants.

Le terme est ensuite, par extension, appliqué à la religion chrétienne. D’abord comme étant « le lieu le plus saint d’un temple, d’une église » (mentionné ainsi dans un document de 1150) ou la « partie de l’église où se trouve le maître-autel » (1694, Dictionnaire de l’Académie Française). L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751) est la première à noter que le terme peut parfois être « élargi » à la totalité de l’édifice. Mais ce n’est que dans l’édition de 1922 du Larousse universel que l’on retrouve le mot « sanctuaire » comme synonyme d’église, définition qui est aujourd’hui la plus commune comme en témoigne le premier sens du mot donné par le Larousse de 2014 : « Edifice religieux, lieu saint en général ». Le terme sanctuaire a donc bien été en quelque sorte « banalisé » en premier lieu dans le champ lexical du religieux puisqu’il est passé du terme désignant le lieu le plus saint du temple de Jérusalem à celui qualifiant n’importe quel édifice religieux.

Cette extension de la connotation religieuse du mot se double d’une extension à d’autres domaines. La première dérivation connue de l’usage du terme semble être dans l’expression « peser au poids du sanctuaire », utilisée au Moyen Âge et que l’on trouve par exemple chez Rabelais. Les

premiers dictionnaires font mention de cette expression, précisant qu’elle souligne la justice et la justesse d’une décision.

Deux idées sont également liées à l’usage du terme : celles de secret et de pouvoir. La notion de secret découle directement du sens premier du mot. A l’origine, dans le Temple de Jérusalem, seul le grand prêtre était autorisé à pénétrer dans le sanctuaire qui restait donc caché aux yeux de la multitude. Il n’est ainsi pas étonnant que le terme « secret » se retrouve dans les définitions données par plusieurs dictionnaires ainsi que par Pascal qui, dans ses Pensées, définit le sanctuaire comme un « lieu secret ». Ce lieu secret peut être un lieu ayant une existence physique mais aussi renvoyer à l’intimité de l’homme (le Nouveau Larousse classique de 1957 mentionne ainsi comme exemple : « dans le sanctuaire de son cœur »). C’est de cette dimension « secrète » ainsi que du premier sens du terme que découle également l’idée de pouvoir. L’Académie Française donne, comme deuxième acception, en 1694, « conseil secret des rois, des souverains ». C’est aussi, pour le Littré en 1872 ou le Larousse universel en 1922, l’endroit où sont décidées les lois et où est rendue la justice. Le mot conserve son sens de lieu réservé à quelques élus qui prennent entre eux des décisions importantes. Le sanctuaire est au sens religieux comme profane le lieu d’où part le pouvoir et il doit de ce fait être inviolable. Il s’agit d’un lieu dans lequel « les profanes ne pénètrent pas » (Littré, 1872).

Cette inviolabilité inhérente au sanctuaire a peu à peu conduit à l’extension et à la banalisation que le terme connaît aujourd’hui. En effet, les définitions précédemment étudiées ainsi que celle du Larousse 2014 mettent en évidence la dimension protectrice de ces lieux. Il s’agit de lieux d’asile, non seulement pour les hommes (droit d’asile dans les églises, zones sanctuaires lors des conflits armés…) mais également, depuis les années 1970 et la montée des préoccupations écologistes, pour les animaux. Il reste du terme originel le rapport au sacré et à l’espace : un sanctuaire est un lieu inviolable, qu’on a investi d’une dimension sacrée en vertu de principes supérieurs (qui peuvent être par exemple la protection de vies humaines ou la préservation de la biodiversité).

L’évolution du terme accompagne l’évolution spatiale des sanctuaires : ceux-ci se sont multipliés et diversifiés, ne concernant plus à présent uniquement des édifices religieux. Cet élargissement progressif (qui s’est accéléré aux XVIIIe et XIXe siècles) des acceptions du terme peut ainsi bien être qualifié de sécularisation : le terme est passé du domaine strictement religieux au domaine profane. Il en va de même pour l’espace des sanctuaires.

b) La sécularisation : manifestée dans le glissement des pratiques dans les sanctuaires, du pèlerinage au tourisme.

La même étude sémantique concernant le mot pèlerinage aboutit à un résultat identique : du « voyage entrepris dans un but religieux, vers un lieu saint » défini par le premier Dictionnaire de

l’Académie française (1694), on passe, au XIXe siècle, au « voyage fait en un lieu pour rendre hommage, se recueillir » (éd. 1836). La dimension religieuse n’est plus directement présente. Le processus de sécularisation s’affirme ainsi dans les termes mêmes, mais il s’observe également sur le terrain à travers notamment un indicateur bien spécifique : les pratiques spatiales des visiteurs.

L’étude du sanctuaire de Guadalupe a permis de mettre en évidence que les sanctuaires sont sans contredit l’objet de pratiques de pèlerinage, individuelles (annexe 1, photographie 1) ou collectives (photographies 4 et 5) mais également de pratiques touristiques, elles aussi individuelles (photographie 2) ou collectives (photographie 3). Cette ouverture au tourisme des sanctuaires n’est pas une évidence. Le sanctuaire de La Mecque, par exemple, n’est accessible qu’aux seuls musulmans. Un non croyant n’est pas autorisé à pénétrer dans le Masjid al Haram (la Grande Mosquée de La Mecque, enceinte sacrée au centre de laquelle s’élève la Kaaba). Le premier (et vraisemblablement le seul jusqu’à ce jour) non-musulman ayant pu pénétrer dans le sanctuaire fut l’aventurier irlandais Richard Burton en 1853. Il dut pour cela se faire passer pour un musulman pachtoun accomplissant le pèlerinage rituel. La seule pratique spatiale autorisée au sanctuaire de La Mecque pour un visiteur extérieur est le pèlerinage. Même un musulman se rendant dans la ville doit respecter des conditions très strictes (porter un vêtement particulier, faire des ablutions, des génuflexions, etc.).

Au contraire, dans le christianisme, tous les lieux de cultes sont ouverts à tous et certains sanctuaires, par leurs édifices imposants aux remarquables caractéristiques architecturales, autant que par leur histoire singulière et parfois mystérieuse, sont devenus de hauts lieux touristiques. Cette évolution des pratiques est très intéressante car elle fait écho à un débat qui divise encore les géographes français à savoir : le tourisme est-il issu du pèlerinage (un peu comme l’Australopithèque est devenu Homo sapiens, au fil des mutations génétiques) ? Le pèlerinage est-il une forme de tourisme ? Là encore, l’étude des différentes définitions met en lumière l’ambiguïté du terme et de la pratique touristique. C’est entre les géographes que le débat sur la définition du tourisme est le plus rude. Ils ne sont cependant pas les seuls à se pencher sur cet objet : l’Eglise que l’on pourrait imaginer se cantonner au pèlerinage et pratiques rituelles (comme c’est le cas de l’islam) a elle aussi investi le champ du tourisme. Confrontée à l’augmentation des pratiques touristiques dans ses sanctuaires, elle développe sa propre réflexion autour de cette notion à travers la Pastorale du tourisme.

La Pastorale du tourisme a été mise en œuvre par l’Eglise catholique à la suite du Concile Vatican II en 1969, son rôle et ses orientations étant formalisés dans le Directoire Général de la Pastorale du

Tourisme « Peregrinans in terra » (publié par la Congrégation pour le Clergé le 30 avril 1969),

document mis à jour en 2001 pour être toujours au plus proche des réalités actuelles. La Pastorale du tourisme consiste dans « le travail que l’Eglise réalise pour évangéliser le monde du tourisme. Pour

contribuer à la construction du dialogue entre le religieux et le culturel, au respect des communautés locales, au respect des valeurs humaines, au respect écologique, au rejet et à la dénonciation du tourisme sexuel, du commerce de personnes et d’organes. Pour la défense et la promotion des droits des travailleurs du tourisme » (Hernandez de la Torre, 2011). Elle est aussi désignée sous le nom de Pastorale des réalités du tourisme et des loisirs, nom qui met l’accent sur la dimension pragmatique du travail mené par l’Eglise en termes de tourisme. Il est très intéressant de confronter l’approche ecclésiale à celle, plus classique des géographes, comme le montre le tableau suivant (les définitions peuvent être consultées en annexe 4).

Tableau 6 : Comparaison des différentes définitions du terme « tourisme »

SOURCE IDEES PRINCIPALES CRITERES DE

DEFINITION G R A N D P U B LI C Le Grand Robert

Tourisme associé au voyage, comme l’était le pèlerinage dans le même dictionnaire. Le tourisme implique le déplacement. Ce qui le caractérise par rapport à d’autres types de mobilité est la motivation du touriste. Le tourisme est lié à l’idée de loisir. La définition de 1933 permet de voir que le terme a peu à peu dérivé vers le domaine économique jusqu’à désigner aujourd’hui, dans le langage courant, un secteur d’activité. -Déplacement hors de l’espace du quotidien -Loisir -Secteur économique G E O G R A P H E S Dictionnaire de la géographie, P. George, F. Verger

Définition longue du tourisme. Elle se distingue de la définition donnée par le Robert en différenciant nettement tourisme et voyage. Selon les auteurs, le tourisme est une activité limitée dans le temps, qui implique un déplacement planifié et motivé. Il s’agit d’une activité dont le but est le divertissement. Plusieurs types de tourisme se dégagent alors, suivant la destination, et les activités pratiquées sur place.

Cette définition insiste également sur l’aspect économique de cette activité, ainsi que sur son aspect déterminant pour l’espace, les auteurs soulevant notamment la question de l’impact environnemental de cette activité.

-Voyage d’agrément -Déplacement organisé hors de l’espace du quotidien -Durée limitée -Secteur économique -Individuel ou collectif -Activité de loisir De la géopolitique aux paysages. Dictionnaire de la géographie, Y. Lacoste

Y. Lacoste associe bien plus volontiers que P. George et F. Verger le tourisme au voyage. C’est bien le déplacement qui est au cœur de cette activité. L’auteur insiste cependant plus sur la dimension économique du tourisme qu’il désigne comme 1ère activité économique mondiale. Ce type de mobilité caractériserait les sociétés les plus développées économiquement, c’est-à-dire serait l’apanage des régions les plus riches. Si l’on se réfère à la définition que donnait ce même dictionnaire des pèlerinages, définition largement appuyée sur l’exemple du pèlerinage à La Mecque, drainant des pèlerins de tout le Moyen-Orient et l’Afrique, il y a ici une différence de taille entre les deux pratiques.

-Voyage d’agrément hors de l’espace du quotidien -Activité de loisir Secteur économique -Limité dans le temps -Géographique -Occidental Les mots de la géographie, R. Brunet

R. Brunet retrace l’histoire du terme « tourisme » et met en avant son caractère récent. Il met en évidence le caractère géographique et structurant pour l’espace de cette activité. La géographie dispose, selon lui, de différentes portes d’entrée pour étudier l’objet tourisme.

-Déplacement organisé hors de l’espace du quotidien

En revanche, on n’insiste pas ici sur l’aspect économique du tourisme. Contrairement à la définition d’Y. Lacoste, celle-ci, si elle met toujours l’accent sur le déplacement comme trait caractéristique du tourisme, distingue très nettement le tourisme du voyage. Le pèlerinage est ici compris comme une forme de tourisme. On se rappelle en outre qu’il définissait les lieux de pèlerinage comme des « types de villes ». C’est également ce qu’il fait pour les lieux touristiques en précisant qu’ils peuvent être des « villes plus ou moins spécialisées ». Le lieu de pèlerinage serait donc, suivant cette définition un « type de ville touristique ».

Enfin, R. Brunet s’intéresse à l’extension du terme tourisme dans le langage courant. Le touriste, contrairement au voyageur, est perçu comme un amateur, un individu superficiel. Le terme a ainsi pris un sens péjoratif. -Activité de loisir -Durée limitée -Géographique -Superficialité Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, J.

Lévy, M. Lussault

Rémy Knafou, fondateur de l’Equipe « Mobilités, Itinéraires Tourismes » centrée sur l’étude du tourisme, livre ici une définition très dense. Elle se distingue nettement des précédentes et reflète les positions de son auteur, qui tranchent avec les idées communément admises.

R. Knafou refuse d’assimiler le tourisme à n’importe quel déplacement réalisé pour des motifs autres que le travail. Il s’agit pour lui d’une forme de mobilité bien spécifique qu’il importe de distinguer du voyage d’affaires, de la cure ou encore du pèlerinage. La différence tient dans des pratiques spatiales propres au touriste et nécessitant un apprentissage, ainsi que dans des motivations particulières : il s’agit pour le touriste de se « recréer ». La dimension économique est ici complètement absente de la définition.

-Déplacement hors de l’espace du quotidien -Recréation -Motivation personnelle -Pratiques spatiales particulières -Géographique E G LI S E C A T H O LI Q U E « Orientations pour la Pastorale du tourisme », Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants

et des personnes en déplacement

La définition reprend toutes les caractéristiques du tourisme déjà mentionnées : le tourisme implique un déplacement, est limité dans le temps et suppose la pratique d’activités de loisirs.

Cependant, elle y ajoute deux points d’importance : le tourisme est une forme de mobilité qui s’exerce pendant le temps libre (il est donc en quelque sorte une mobilité « annexe » qui ne concerne pas nécessairement tout le monde) ; et il doit être profitable à la « réalisation humaine ». Ici, il y a une visée morale de l’activité touristique. -Activité de loisir -Déplacement hors de l’espace du quotidien -Motivations particulières -Durée limitée -Occupation du temps libre -Connaissance de l’autre Pastorale du tourisme du diocèse de Lyon

Définition qui refuse de considérer le tourisme comme un simple secteur économique. Il est ici rattaché aux notions d’altérité, de curiosité et de beauté que l’on attribue généralement au voyage, justement par opposition au tourisme.

Cette définition montre l’implication de l’Eglise catholique dans le tourisme, celui-ci étant considéré comme une porte d’entrée pour l’Evangélisation. -Valeur -Curiosité -Altérité -Beauté -Spiritualité

Des trois termes étudiés (sanctuaire, pèlerinage, tourisme), celui de tourisme est sans doute celui qui suscite le plus de désaccords. Entre les géographes les divergences sont nettes. D’une part sont les tenants d’une définition large, différenciant le tourisme du voyage mais incluant un certain nombre de types de pratiques. Ceux-là sont également assez méprisants envers le tourisme dit « de masse ». D’autre part sont les géographes qui prennent le parti de définir le tourisme comme une

activité visant à la recréation mais que l’on accomplit pour ainsi dire « sérieusement », bien distinct de tout autre déplacement et nécessitant certaines compétences (R. Knafou et l’Equipe MIT).

Dans tous les cas, chez les géographes comme dans les documents ecclésiaux, les questions de motivation personnelle, de valeur des lieux et de temps consacré aux pratiques touristiques sont centrales. La motivation personnelle des touristes est à la fois le critère commun à toutes les définitions et celui qui permet de distinguer les différentes manières d’envisager le tourisme. Ceci est particulièrement remarquable dans la figure 8 : tout le monde s’accorde pour dire que le tourisme est une pratique motivée par des aspirations particulières. Ce sont ensuite les valeurs attribuées au tourisme qui divergent.

Cette représentation graphique met en évidence le fait qu’il peut y avoir une manière sacrée et une manière profane d’envisager le tourisme : celui-ci demeurant avant tout une pratique profane il peut, selon l’Eglise, mener au sacré. Le sacré n’est en effet pas absent du tourisme.

Certains auteurs soulignent même la proximité du tourisme avec le pèlerinage. C’est le cas de Nelson Graburn (1977) qui met en avant l’aspect rituel de la pratique touristique : l’homme du quotidien laisse la place au touriste, c’est-à-dire qu’il entre dans le temps sacré des vacances et dans le monde sacré du tourisme. Ce temps hors-quotidien et ces pratiques hors-routine sont sacrés car ils ont pour but de renouveler le touriste qui en revient donc transformé. Le schéma est le même que dans le pèlerinage. Le sacré prend alors la forme non pas du divin mais de l’authenticité, tant désirée par le touriste. Celle-ci n’est jamais vue dans le quotidien, comme le rappelle Dean McCannel (1976), mais elle est toujours recherchée dans l’ailleurs. Le tourisme ne serait-il qu’une forme sécularisée de pèlerinage ? C’est peut-être aller un peu loin que poser cette question mais il est vrai que la sécularisation des sociétés contribue à brouiller les cartes en ce qui concerne la discontinuité sacré / profane.

c) La sécularisation, recyclage du sacré ?

La sécularisation est bien au cœur de ce sujet puisque ce sont à la fois les sanctuaires et les pratiques spatiales au sein de ces derniers qui y sont soumis. « Sécularisation » est également un terme brûlant d’actualité car il va de pair avec l’idée de laïcité. L’évolution de la définition dans le temps montre que d’une signification assez « douce » (le Dictionnaire de l’Académie française la définit comme « action de séculariser un religieux » en 1694), la sécularisation est devenue un processus perçu comme de plus en plus « violent » : ainsi, en 1890, Ernest Renan la définit comme le « processus d’élimination progressive de tout élément religieux ». D’une action ponctuelle de transformation, la sécularisation serait donc devenue un processus continu d’élimination destiné à connaître un aboutissement. Le premier sens du mot que donne aujourd’hui le Larousse est revenu de la définition pour le moins radicale donnée par Renan et garde l’idée de transformation plutôt que celle d’élimination. La sécularisation serait ainsi le « passage de certaines valeurs du domaine du sacré dans le domaine du profane ». Le terme « passage » est suffisamment vague pour laisser une place à l’ambigüité : ce « passage » implique-t-il un simple glissement entre les deux sphères ou une subversion du sacré en profane ? Ce « passage » peut-il être temporaire ou est-il sans retour ? Certains sociologues, tels que David Martin (1978), appellent à la plus grande prudence dans l’usage du terme de sécularisation qui sous-entend une certaine irréversibilité.

Les sociologues ont été parmi les premiers à étudier ce processus, notamment dans leur réflexion sur la modernité. Jean-Paul Willaime (1995) rappelle qu’en sociologie, la modernité est envisagée comme un processus opposé au religieux, ce que Max Weber a voulu exprimer en parlant de « désenchantement du monde », repris bien plus tard par Marcel Gauchet. Le processus de