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Cette première partie a permis de dresser la carte de ce qu’il convient d’explorer tout au long de ce travail. L’étude du sanctuaire de Guadalupe, à Mexico, a montré que les lieux de pèlerinage sont les lieux d’une hybridation, tant des valeurs apposées à l’espace que des pratiques spatiales qui y sont mises en œuvre par les visiteurs. Ces lieux de pèlerinage sont avant tout des lieux de cristallisation d’une valeur sacrée. Cela en fait des espaces a priori dévolus à des pratiques principalement sacrées. Or, pratiques pèlerines et pratiques touristiques y sont non seulement concomitantes mais, selon les termes d’Alphonse Dupront (1967), elles se « contaminent » mutuellement : des pratiques hybrides apparaissent.

L’hypothèse que conduit à poser le constat de cette hybridation des pratiques, est celui d’une évolution de la valeur sacrée elle-même, de sa cristallisation dans l’espace et partant, des représentations qui y sont attachées. Une simple étude lexicale des termes du sujet met déjà en évidence le déploiement de la signification du terme « sacré ». Celui-ci est désormais appliqué à des espaces qui ne font pas nécessairement référence au religieux. Ce déploiement du sens du sacré et cette démultiplication de ses points de cristallisation ont à voir avec le processus de sécularisation de la société. Cette dernière est un fait majeur des XXe et XXIe siècles dans les sociétés occidentales (principalement les plus fortement christianisées) et ses répercussions sur l’espace et les pratiques demandent à être étudiées de manière plus approfondie. C’est ce que doit permettre l’étude comparative de différents lieux de pèlerinage situés dans des pays dans lesquels la sécularisation est plus ou moins forte.

La carte 6 permet ainsi, au début de ce travail, d’avoir un premier aperçu des lieux initialement retenus pour l’étude, ceux où ont été effectivement réalisées les enquêtes, comme ceux pour lesquels le travail de terrain n’a pas été possible. Cette première cartographie représente des données macroscopiques et se veut encore très générale. J’ai fait le choix d’indiquer en fond la proportion de population catholique de chaque pays. Il faut cependant noter que la part de population catholique ne reflète pas fidèlement le degré de sécularisation de la société. En effet, les proportions représentées sur la carte 6 correspondent à la part de population qui est de culture catholique (individus baptisés et/ou se disant de culture catholique23). Ce chiffre reflète une réalité officielle qu’on pourrait presque qualifier « d’administrative », mais un individu peut très bien avoir conscience que sa famille est « historiquement » catholique, voire être baptisé, sans que la religion fasse partie de son quotidien et sans la pratiquer lui-même. Ce qui permet plus sûrement d’évaluer le

23 Le site Catholic-hierarchy, dont sont tirées les données, compulse les sources officielles (annuaires statistiques de l’Eglise et des différents diocèses, recensements lorsqu’ils prennent en compte la religion).

degré de sécularisation de la société est la part de population se disant croyante de telle ou telle religion et, au sein de ce groupe de croyants, la part des pratiquants. La part de population catholique qui est représentée ici n’a donc pas pour but d’évaluer le degré sécularisation des différents pays mais de donner une idée de la place occupée « théoriquement » par le christianisme en leur sein. Outre cette contextualisation de la « catholicité théorique » de chaque pays, les données macroscopiques représentées ici permettent de bien saisir la diversité des lieux de pèlerinage étudiés, à la fois en ce qui concerne l’origine du culte (apparition mariale, culte marial, vie d’un saint), mais également l’inscription historique, la fréquentation et la reconnaissance par les autorités et la population.

Cette carte permet de bien observer que le réseau de lieux de pèlerinage qui maille le territoire est loin d’être fixe : beaucoup ont disparu au fil des siècles mais il s’en crée régulièrement de nouveaux à l’échelle mondiale. Des sanctuaires pluriséculaires tels que Sainte-Croix-de-Jérusalem ou Saint-Jacques-de-Compostelle ont ainsi le même statut que L’Ile-Bouchard, fondé en 1947 et reconnu comme sanctuaire en 2001. Tous, néanmoins, ne suscitent pas le même intérêt. La carte permet de constater les différences de fréquentation entre ces lieux. Le seul critère de l’ancienneté (qui confère au lieu un caractère historique) n’est pas suffisant pour expliquer ces variations de fréquentation : certains sanctuaires récents (tels que Fatima ou Lourdes) reçoivent en effet autant de visiteurs, voire plus, que des sanctuaires plus anciens. Il est à noter que les chiffres de fréquentations représentés sur la carte 6 sont des estimations données par les sanctuaires. Il est en effet impossible d’avoir des données exactes concernant le nombre de visiteurs dans les sanctuaires. Tous les interlocuteurs que j’ai interrogés à ce sujet ont été très honnêtes sur ce point : il n’existe à ce jour aucune méthode de comptage réellement efficace dans les sanctuaires. Les seuls chiffres sûrs dont disposent les sanctuaires concernent les pèlerinages organisés qui s’annoncent en amont de leur venue en indiquant le nombre de pèlerins. Est également connu le nombre d’hosties consommées par an mais ce chiffre exclut les visiteurs venus sans motif religieux et aboutit à compter plusieurs fois les mêmes personnes. Il faut donc se contenter des estimations. Quant à savoir quel est le nombre de touristes ou le nombre de pèlerins, tous les recteurs de sanctuaires et les offices de tourisme s’accordent à dire que c’est impossible. Les difficultés d’accès aux données chiffrées ne viennent pas des autorités auxquelles je me suis adressée mais bien de l’objet étudié lui-même. Les estimations données ici peuvent cependant être considérées comme fiables. Il sera dès lors intéressant d’identifier les facteurs explicatifs des variations dans l’attractivité des lieux.

Enfin, apparaît ici un autre critère pris en compte pour le choix de lieux à étudier, qui est celui de la reconnaissance par les populations. Il faut entendre ici la reconnaissance du lieu en tant

que lieu de pèlerinage, ce qui met en avant les liens « affectifs » entretenus par les individus avec le

comme des sanctuaires reconnus uniquement à l’échelle nationale. L’un comme l’autre sont respectivement le lieu de référence et le lieu privilégié de pèlerinage des Portugais et Français. Saint-Jacques-de-Compostelle, en revanche, est un lieu de pèlerinage dont la signification est aussi intense pour des pèlerins Espagnols, Français, Mexicains, Japonais ou autres. Même s’il fait l’objet d’un indéniable attachement plus particulier des Espagnols, l’ensemble des catholiques y sont attachés, tout comme c’est le cas des lieux de pèlerinage romains ou de la Terre Sainte. La valeur sacrée y transcende les identités nationales. Ces données macroscopiques doivent à présent être passées au crible du terrain pour pouvoir apprécier les conséquences de la sécularisation de la société sur les pratiques pèlerines et touristiques dans les espaces sacrés. La question du rôle joué par la sécularisation peut être posée en termes de rupture ou continuité : accentue-t-elle une division étymologique et originelle entre sacré et profane ou permet-elle au contraire l’émergence d’un continuum ?

Carte 6 : Première cartographie des lieux retenus pour l'étude (Réalisation : M.-H. Chevrier, 2014)