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Chapitre 2 : Analyse de la dynamique de l’hospitalité dans Genèse 18

2.2 Éléments textuels de la dynamique de l’hospitalité

2.2.3 Préalable de la visite

Notre postulat de départ est qu’Abraham a été surpris par la visite des trois hommes. La surprise confère une particularité à l’hospitalité. Dans le sens où elle requiert une spontanéité et non une programmation. L’hospitalité se vit avec une liberté de part et d’autre. Peut-on dire qu’Abraham attendait ces visiteurs ? Certains auteurs soutiennent qu’Abraham attendait la visite, car il y a eu un évènement qui a précédé l’accueil. C’est le cas de ceux de l’école utilisant le principe de lecture du Midrash. Selon cette lecture, il y a un lien de causalité entre deux évènements : « c’est parce qu’Abraham s’est circoncis que le Seigneur lui apparait »144. Au chapitre 17 du livre de la Genèse, le récit informe sur la circoncision d’Abraham. Cette circoncision qui est une alliance entre Yahvé et Abraham est la cause de la visite. Dans le principe de lecture du Midrash, on cherche à faire apparaitre un lien de cause à effet entre les épisodes qui sont simplement juxtaposés dans le récit biblique145. Partant de ce principe, il advient qu’Abraham était dans une attente de visite après l’alliance de la circoncision, à l’entrée de sa tente.

En considérant le processus de continuité de la révélation de Yahvé à Abraham dans la Bible, la visite de ces hôtes est un élément de suite. De ce point de vue, nous estimons que Yahvé tisse son programme et Abraham est simplement un bénéficiaire, l’accueillant. Yahvé laisse Abraham libre de jouer ou non le rôle d’accueillant, sans subir unilatéralement le programme divin.

Un autre point de vue que nous évoquons est celui d’Ambroise de Milan. Il affirme à propos du passage dans son ouvrage, intitulé « Abraham », qu’Abraham attendait une visite ou tout au moins y aspirait. Il dit à propos : « Abraham était assis devant la porte, il était midi. D’autres se reposaient, mais Abraham guettait l’arrivée des hôtes. Dieu lui apparut aux

144 Jean-Louis Ska, Abraham et ses hôtes: Le patriarche et les croyants au Dieu unique, p. 32. 145 Ibid., p.33.

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chênes de Mambré, tellement, il désirait le fruit de l’hospitalité. » 146 Abraham était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour, quand lui apparurent ces visiteurs. Pour Ambroise, le fait d’être assis à l’entrée de sa tente à cette heure de la journée traduit l’attente d’une visite de la part d’Abraham. Yahvé a répondu à Abraham en venant à lui selon son désir. La visite des hôtes mystérieux serait ainsi le fruit d’une aspiration intérieure d’Abraham. Nous pensons que l’aspiration intérieure est importante, car elle présuppose une attitude de demande ou d’attente de la part d’Abraham à laquelle Yahvé répond en venant à lui. Yahvé fait un choix libre.

Sonia Fellous dans son article Abraham dans l’iconographie des trois religions suggère comme traduction du premier verset : « La Gloire de Dieu lui apparut dans la plaine de Mambré ; il était souffrant de la douleur de la circoncision, assis à la porte de la tente, au fort du jour. Il leva les yeux et vit que trois anges étaient debout devant lui »147. Selon Fellous Abraham était convalescent et méditait sur sa douleur. Du point de vue canonique la position de Fellous est cohérente, car elle nous apporte un élément de justification du fait qu’Abraham soit assis à l’entrée de sa tente. Pour le patriarche, il était judicieux qu’il se trouve un endroit spécifique pour gérer la douleur. Mais pourquoi choisit-il, l’entrée de la tente ? Si le fait de s’asseoir à l’entrée de sa tente est justifié par sa convalescence, il faudra admettre dans la suite du chapitre que le serviteur Abraham et tous les autres mâles, lui appartenant, seraient dans le même état, car tous les hommes du clan ont été circoncis au Chapitre 17. La dynamique d’Abraham et l’empressement de son serviteur traduisent un dépassement de soi. André Wénin, estime qu’il a une valeur ajoutée à ce qu’Abraham ait offert cette hospitalité, bien qu’étant, affaiblit par les douleurs. Il écrit : « Abraham est à peine circoncis. Le lecteur appréciera donc la peine qu’il se donne pour accueillir ses hôtes plus que dignement »148. Fellous, nous donne une idée sur la raison pour laquelle Abraham serait assis à l’entrée de la tente et Wénin, met l’accent sur le caractère sacrificiel, qu’est l’accueil d’Abraham, au moment où les douleurs de circoncision sont encore effectives.

146Ambroise De Milan, Abraham, Paris, Migne, 1999, p. 66.

147 Sonia Fellous IRHT-CNRS, dans un article intitulé Abraham dans l’iconographie des trois religions

utilise la traduction du Targum de pseudo-Jonathan sur Gn 18, 1-2, p.25.

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L’approche du midrash et la contribution d’Ambroise de Milan militent pour le fait qu’Abraham était dans une logique d’attente de la visite de Yahvé. Les arguments d’André Wénin et de Fellous mettent l’accent sur le facteur sacrifice, et le dépassement des douleurs de la part d’Abraham au moment où il offre l’hospitalité à ces hôtes. Avec l’avancée de la modernité, il est davantage pratique dans nos cultures occidentales de préparer la venue d’un étranger ou d’un visiteur en prenant des dispositions pratiques. Dans le contexte de l’ancien Proche-Orient, il était difficile de se faire annoncer pour des visites de cette taille. Dans les échanges diplomatiques, la pratique était plus courante. Partant de nos considérations de bases, et en prenant en compte les apports de Wénin et de Fellous, nous pensons qu’Abraham a été surpris par la visite. Walter Vogels exprime cette idée de surprise, quand il dit que « chaque manifestation de Dieu est en effet surprenante »149.