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Chapitre 2 : Analyse de la dynamique de l’hospitalité dans Genèse 18

2.2 Éléments textuels de la dynamique de l’hospitalité

2.2.2 Réponse à l’appel de Yahvé

Yahvé est en mouvement vers Abraham qui n’a qu’une alternative, soit il écoute cet appel, dans ce cas il offre l’hospitalité à ces visiteurs, soit, il ignore l’appel et ces visiteurs ne seront pas reçus. De manière spontanée Abraham se mit en mouvement comme comprenant l’« appel ». Abraham leva les yeux Gn 18,1c. Dès qu’il les vit, il s’engagea à la rencontre de ces visiteurs. Telle une personne qui entend la sonnerie de sa maison, Abraham alla vers la direction de l’appelant. L’apparition de Yahvé à Abraham est le mouvement de Yahvé vers Abraham. En réponse, Abraham se mettra aussi en mouvement vers Yahvé. Abraham se leva pour satisfaire l’exigence133 de ces visiteurs. Il fait à son tour un « aller vers » les visiteurs, en guise de réponse à la demande qu’il a reçue. L’exigence des visiteurs est dans la demande de l’hospitalité en considérant leur posture selon les pratiques du contexte culturel. Le contenu qu’Abraham mettra pour satisfaire ces visiteurs dépendra de sa compréhension de la situation d’une part, d’autre part du dialogue qui s’établira entre ces visiteurs et lui et enfin de la validation de la proposition d’accueil qu’il fera aux visiteurs.

130 Le récit précise que le lieu est planté d’arbres : ce n’est peut-être pas neutre non plus. Les arbres ne sont-ils

pas le signe de l’hospitalité de la terre, eux dont les fruits servent de nourriture et dont l’ombrage protège du soleil ? André Wénin, Abraham ou l'apprentissage du dépouillement, p. 173.

131 Gioacchino Campese, « La théologie et les migrations: la redécouverte d'une dimension structurelle de la

foi chrétienne », p. 150.

132 André Wénin, Abraham ou l'apprentissage du dépouillement, p. 174-175. 133 Guillaume Le Blanc et Fabienne Brugère, La fin de l'hospitalité, p. 79.

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De sa position statique du début, Abraham devient actif. Dans le texte cette fois-ci, la phrase emploie la forme verbale wayyiqtol pour décrire l’action d’Abraham et la position des visiteurs est dépeinte par le participe nissabim134. Par l’usage de ces mots, le narrateur nous laisse percevoir le changement dans la direction du mouvement. Une dynamique se crée allant d’Abraham vers Yahvé. Nous pouvons remarquer une réciprocité dans le mouvement, qui va conduire à la convergence des deux parties « sous l’arbre ». Pendant que Yahvé se met en mouvement vers Abraham d’un côté, d’un autre côté Abraham aussi se met en mouvement vers Yahvé.

Il apparait un renversement de perspective par l’usage de la particule wehinneh135 au verset 2 qui est traduit en français « et voici ». Abraham perçoit ces visiteurs comme des êtres humains, leur apparence n’a rien de spécial. Ils n’ont pas décliné leur identité. Il est loin d’eux sur le plan de la connaissance, mais est plus proche d’eux en raison de son hospitalité136 qu’il leur propose. Walter Vogels fait remarquer qu’il est étonnant que les visiteurs voyagent à ce moment très chaud de la journée, qui est le temps de la sieste137. Les visiteurs apparaissent à Abraham à une heure incongrue, mais lui :

« Il courut à leur rencontre et se prosterna à terre ». L’usage de ces deux verbes « courir » et « se prosterner », souligne l’hospitalité d’Abraham. Il prend l’initiative, il court vers eux, comme on fait pour un membre de sa famille qu’on n’a pas vu depuis longtemps (Gn 29,13 ; 33,4 ; Lc 15,20). (il se prosterne) Se prosterner (ici) est un geste de respect (Gn 23,12 ; 42,6) et quand Dieu est l’objet de ce verbe, il signifie adorer138.

Saint Ephrem, dans son commentaire du verset, dit : « En courant vers eux, hors de la tente, comme vers des hôtes, il avait couru avec l’amour qui est requis pour recevoir des hôtes »139. Wénin va dans le même sens en disant : « … à peine le centenaire (Abraham) a-t-il vu ces inconnus qu’il se précipite vers eux pour les accueillir 140». Abraham comprit l’attitude de

134 Jean-Louis Ska, Abraham et ses hôtes: Le patriarche et les croyants au Dieu unique, p. 124. 135 André Wénin, Abraham ou l'apprentissage du dépouillement, p. 174.

136 Jean-Louis Ska, Abraham et ses hôtes: Le patriarche et les croyants au Dieu unique, p. 125.

137 Walter Vogels, Abraham et sa légende: Genèse 12, 1-25, 11, Montréal - Paris, Éditions Médiaspaul -

Éditions du Cerf, 1996, p. 214.

138 Ibid., p. 216

139 Extrait du commentaire de Gn 18 de Saint Ephrem, qui a vécu au IVe siècle et considéré comme la plus

grande autorité de l’Église Syriaque. Voir Claudio Monge, Dieu hôte: Recherche historique et théologique sur les rituels de l'hospitalité, p. 451.

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ces visiteurs à l’entrée de sa tente. Il est allé vers eux sans contrainte. En allant vers ces visiteurs, Abraham va vers des inconnus. En s’engageant dans ce mouvement, Abraham espère, être reçu dans son élan. Nous voyons un facteur de risque dans la démarche d’Abraham au sens de Claudio Monge quand il dit que : pratiquer l’hospitalité signifie accepter de courir le « risque de l’accueil »141.

Abraham « … leva les yeux », ce mouvement est une réaction d’écoute de l’appel, « courir » et « se prosterner » sont une ouverture de la porte à l’hôte, en d’autres termes la manifestation de l’accueil. Il y a de la part d’Abraham une rapidité de la réaction malgré le poids de la chaleur. C’est ce que souligne la répétition de « et il vit » dont la seconde occurrence est suivie de « et il courut 142». Abraham ne se satisfait pas de sa posture, qui pourrait être décrite comme supérieure à celle des visiteurs, qui sont des demandeurs dans ce cas. Il ne trouve pas du mal à leur donner la plus haute considération en appelant, l’un d’eux, Seigneur, un titre convenable de révérence.

Après avoir « levé les yeux », Abraham sort de son immobilité, et engage l’action. Le changement de perception d’Abraham le met en mouvement. Abraham fait un don de soi en leur proposant son hospitalité. Il leur décline son projet d’accueil, dans l’espoir que ces visiteurs puissent accepter son offre. Abraham adresse une invitation aux visiteurs vv3-5. Il leur souhaite la bienvenue. Wénin analyse cet accueil en ces termes :

Le même empressement et le même respect président aussi les paroles qu’Abraham adresse aux hommes. […] Adoptant un style de cour, Abraham interpelle son interlocuteur en disant « mon Seigneur » et se situe lui-même comme « ton serviteur » […] De plus, par trois fois, il répète la particule déprécative nâ’ (« je te prie » : au début, puis après chacun des volitifs (« ne passe pas » et « que soit pris »). Cette façon de parler confère une tournure particulière à l’invitation qui devient une sorte de prière, Abraham présentant le fait de s’arrêter chez lui comme une faveur que les hommes lui accorderont. À l’entendre, en effet, ce ne sont pas eux qui demandent l’hospitalité ; c’est lui qui les prie d’accepter celle qu’il leur offre. C’est aussi ce que souligne la formule « si j’ai trouvé grâce à tes yeux143.

141 Claudio Monge, Dieu hôte: Recherche historique et théologique sur les rituels de l'hospitalité, p. 6. 142 André Wénin, Abraham ou l'apprentissage du dépouillement, p. 175.

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Nous découvrons une attitude d’abaissement d’Abraham, qui se plait à être dans la posture de celui qui prie les visiteurs d’accepter son offre. Le comportement d’Abraham montre la délicatesse qu’il prend dans l’accueil de ces hommes. Il se presse vers eux, décline son offre et attend pour être accueilli à son tour. Y a-t-il un préalable de la visite ?