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Chapitre 3 : Dynamique des relations de l’hospitalité dans le récit de Jonas

3.2 Inhospitalité de Jonas au message de Yahvé Jon 1,1-3

3.2.3 Manifestation du refus du prophète

Jonas a écouté la parole. Il l’accueille. Le lecteur s’attend à ce qu’il soit hospitalier à cette parole en allant au-delà de l’accueil et en y obéissant, mais il l’accueille partiellement. Il accomplit une partie du contenu de la parole qui lui est adressée, « il se leva », c’est bien ce qui lui est demandé, par contre, il n’alla pas dans la bonne direction, il choisit d’aller ailleurs « mais pour fuir vers Tarsis ». C’est dans la deuxième partie de la phrase que se produit un choc chez le lecteur, qui serait tenté de revérifier le contenu du message qui est donné à Jonas. Ce choc se produit à cause du présupposé, qu’un prophète ne devrait pas désobéir à la parole de Yahvé. Le narrateur, en précisant le lieu de la fuite, après le verbe fuir, « à Tarsis », qui dévoile l’intention de Jonas. Yahvé, dit d’aller à Ninive, mais, Jonas décide de partir ailleurs. Jonas prend la direction opposée, Tarsis199, probablement en Espagne, à un autre bout du

198 Daniel Arnold, Jonas : Bras de fer avec un Dieu de grâce.p.89.

199 Tarsis a généralement été identifiée avec Tartessos, une colonie phénicienne sur la côte atlantique, au sud de

l’Espagne, à l’embouchure de la rivière Guadalquivir. En plus de la similarité des noms, deux facteurs favorisent cette identification. Premièrement, plusieurs références bibliques associent Tarsis avec des lieux éloignés (Ps 72,10 ; Es 66,19). La même impression est laissée par une courte inscription cunéiforme du roi assyrien Assarhaddon (680-669av JC) : ‘Tous les rois qui vivent au milieu de la mer, depuis Chypre jusqu’en Grèce, et

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monde200. Le mouvement est contraire à la trajectoire que Yahvé lui a donnée. Le texte nous dit succinctement qu’il s’enfuit ailleurs. Jonas, ne se contente pas de fuir à Tarsis, mais il se donne un ensemble d’attitudes pour exprimer de manière non verbale son opposition à la mission qui lui a été assignée.

 Yarad

Nous observons que Yahvé est venu vers Jonas avec une mission, mais Jonas est allé dans le sens contraire des prescriptions. L’usage du mot « Yarad » exprime le mouvement contradictoire de Jonas. Yarad produit un effet contraste.

Le mot « Yarad » est traduit par le verbe descendre. Nous lisons : il « descendit » à Jaffa201… », il « descendit » dans la barque... Le narrateur insiste sur l’usage de ce mot et crée chez le lecteur un effet de contraste par rapport à l’objectif de la parole de Yahvé qui fut vers Jonas. Jonas descend, quand Yahvé lui dit d’aller (monter)202. Le verbe hébreu « Yarad »203 revient trois fois dans ce chapitre et deux fois dans ce verset. Nous pensons que cette répétition du verbe est porteuse de sens dans notre analyse, dans la mesure où le verbe indique un sens du mouvement contraire à ce que l’on s’attendrait à voir chez le personnage Jonas. Le désir de Jonas est de fuir loin de la face de Yahvé, il entreprend des descentes, pour signifier sa détermination d’être le plus loin possible de Yahvé. Il choisit librement la direction de son déplacement. Cette direction intègre bien ses différentes descentes.

aussi éloignés que Tarsis, se soumettent à mes pieds’. Deuxièmement, Tarsis était connu comme source d’argent, d’étain et de plomb (Jé 10,9 ; Ez 27,12) ;or après 1000 av J.-C., une des sources les plus importantes de ces métaux dans le monde ancien était la péninsule ibérique » (Alexander, Tyndale OT Commentaires, p.100)D’autres localisations ont été aussi proposées, mais sans rencontrer l’assentiment des commentateurs : (1) Tarse en Cilicie, (2) Carthage en Afrique du Nord, (3) au Sud de Cagliari en Sardaigne (North p.129).

200 Jonathan Magonet, « Jonah », dans David Noel Freedman (dir.), The Anchor Bible Dictionary, New York -

London, Doubleday, 1992.p937

201 Jaffa était le seul port de quelque importance de la côte palestinienne à cette époque (NBC P.782). « La ville

où Jonas a fui est ironiquement la vie dans laquelle Pierre a reçu la vision qui devait marquer le début de la mission vers les païens (Ac 10,9-23) » (Kohlenberger P.30). Pierre devait se rendre ensuite à Césarée maritime, le grand port de la cote palestinienne à l’époque romaine, qui permettait aux voyageurs d’aller à Rome et aux confins de la Méditerranée. Signalons aussi que Pierre est Simon, fils de Jonas et que cette précision est donnée dans trois passages des évangiles qui soulignent le mandat missionnaire et pastoral de l’apôtre (Mt 16,17-18 ; Jn1, 42 ; 21,15-17) ! Il y a peut-être là plus d’une coïncidence. Jésus mentionnerait volontairement le père de Pierre (Jonas) afin d’inscrire le ministère de Pierre dans la lignée de prophète du même nom.

202 L’ordre que reçu Jonas est : lève-toi et va ! la répétition de l’usage du verbe descendre pour exprimer les

différentes actions de Jonas dans ce récit, nous laisse penser que le sens de « va » pourrait être « monte ». Cette analogie est cohérente avec la démarche que nous sommes proposés et tient avec le contexte. Cette considération n’est qu’une supposition de notre part.

63  Direction géographique Jaffa-Ninive

Yahvé s’est mis en mouvement vers Jonas en l’engageant à une action selon sa parole. Jonas formule de son côté sa perception et au lieu d’engager un mouvement soutenu par la parole, il exprime sa fuite par des descentes pour s’éloigner de « cette parole venue » à lui. La parole qui fut vers Jonas, avait pour but de le mettre mouvement pour aller vers Ninive. Nous nous trouvons dans un schéma de la dynamique ou chacun des protagonistes est libre de son action, libre d’accueillir l’autre et de lui offrir une hospitalité. Dans ce cas c’est Yahvé qui est en attente de l’hospitalité de la part de Jonas. Le prophète quant à lui manifeste une inhospitalité traduite par ses actes. Il va à Jaffa, se mettant en mouvement volontairement au lieu d’être en action par l’ordre de son créateur, il part selon sa propre décision. En allant dans la destination opposée Jonas ignore, la demande de Yahvé, son appel.

La destination que prend Jonas révèle son engagement. Sur le plan géographique, en allant à Tarsis, Jonas, au lieu d’entreprendre un voyage terrestre pour aller à Ninive, décide de s’engager plutôt par bateau pour aller à l’ouest d’Israël204. Le récit met bien l’emphase sur l’objectif de Jonas « fuir loin de la face de Yahvé ». C’est son but ultime. Il espère que cette parole qui « fut vers lui » ne reviendra pas à lui, parce qu’il serait loin de la face de Yahvé. Il ne serait donc plus sujet à ce « mouvement », qui voudra le mettre en « mouvement ». Il se veut autonome.

Les visiteurs d’Abraham en se plaçant à l’entrée de la tente, attendaient un mouvement de la part de leur hôte. Abraham l’ayant compris se met en mouvement vers eux. Jonas quant à lui se donne un mouvement contraire allant dans le sens contraire de ce qui lui est demandé. Il manifeste ainsi, en langage non verbal, son inhospitalité à l’égard du message de Yahvé. Jonas décide d’aller à l’ouest tandis que Ninive se trouve à l’Est. Il choisit ainsi une orientation qui confirme selon lui l’impossibilité de se retrouver dans le sens opposé, et par voie de fait la décision d’être inhospitalier à l’égard du message de Yahvé. Le prix qu’il paie pour son embarquement est aussi très significatif. Il paie l’équivalent de la somme qui le rend maître de l’équipage. Jonas se paie les services entiers de l’ensemble de l’équipage pour le trajet. Cette idée est soutenue par Maillot quand il dit « Jonas loue le navire et les marins pour

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être sûr d’être emmené loin de la présence du Seigneur ; il ne recule pas devant la dépense 205». Arnold, quant à lui, insiste sur le risque qu’a pris Jonas pour atteindre son objectif : « le prophète rend son engagement plus ferme en payant la somme totale de l’embarcation quitte à s’appauvrir »206. Jonas a pris soin de se trouver un grand navire fiable pour sa longue croisière !

Jonas a premièrement décidé d’aller dans la direction opposée, deuxièmement, il se rend maître du navire en payant une forte somme, troisièmement, il se choisit un navire grand et sûr ayant des conditions de sécurité fiable pour résister aux vagues, et capable d’arriver à bon port. Ces conditions réunies constituent des indicateurs de la détermination de Jonas pour aller loin de la face de Dieu.

 Objectif, aller loin de la face de Yahvé !

Le narrateur utilise l’expression יֵנ ְפ ִלּ ִמ(milepneh) « loin de la face » de Yahvé, pour exprimer le projet assez complexe qu’entreprend Jonas. S’il est vrai qu’il serait difficile de dire que Jonas imaginerait un espace au monde où Yahvé ne serait pas, il faut admettre tout au moins que le narrateur veut nous partager un des sens de la fuite de Jonas, qui n’est qu’une expression de l’opposition non verbale à ce que Dieu veut faire207.

Dans l’action de Jonas, ce n’est pas seulement le refus de la mission divine, car il aurait pu rester en Israël, mais il tient à montrer son désaccord de manière plus forte208. Un retour sur les abandons relatifs à son engagement laisse voir qu’il a quitté la terre promise, ses proches, sa terre natale209. Tous ces éléments chers à tout homme, les abandonner traduit un engagement radical.

Les trois premiers versets de ce récit nous mettent devant une scène atypique dans les récits bibliques. C’est aussi une image de l’ouverture de l’action de Yahvé, car il est patient. Il se met volontairement, en mouvement vers Jonas, qui de son côté, est libre d’accepter faire ce

205 Alphonse Maillot, Jonas ou le sourire de Dieu, p. 32.

206 Daniel Arnold, Jonas : Bras de fer avec un Dieu de grâce, p. 90. 207 Ibid., p. 93.

208 Ibid., p. 94.

209 Pour l’israélite, la terre est un élément fondateur de sa foi, car partie intégrante de la promesse

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qu’il lui demande ou pas. C’est un risque que prend Yahvé dans son mouvement vers Jonas. Il va vers Jonas, comme il l’avait fait précédemment dans le livre des Rois.

Dans le récit de 2 Rois 14,25, Jéroboam, roi d’Israël, « rétablis la frontière d’Israël depuis l’entrée de Hamath jusqu’à la mer de la plaine, selon la parole que l’Éternel, le Dieu d’Israël, avait prononcée par son serviteur Jonas, le prophète, fils d’Amitthai, de Gath Hépher ». Nous trouvons en ce passage un accomplissement d’une parole de Yahvé. La proclamation de cette parole au roi et sa réalisation nous laisse présupposer qu’il y avait une certaine harmonie entre Jonas et Yahvé avant la mission de Ninive. Il n’y a pas eu l’ombre d’une quelconque résistance de Jonas aux directives et au contenu que Yahvé lui a donnés pour le roi Jéroboam. Jonas a obéi et les faits se sont réalisés.

Le contexte de cette prophétie révèle qu’Israël n’était pas en bon terme avec Yahvé, le roi Jéroboam II était un roi infidèle à Dieu210 : « Il fit ce qui déplait à Yahvé, il ne se détourna pas de tous les péchés de Jéroboam fils de Nebat ou celui-ci avait entrainé Israël ». Ce roi avait embarqué Israël loin de l’Éternel, mais « Yahvé n’avait pas décidé d’effacer le nom d’Israël de dessous le ciel et il le sauva par les mains de Jéroboam fils de Joas » (2 R 14,27). Jonas est le prophète par qui Yahvé passa pour annoncer qu’il étendrait les limites d’Israël tout en les affermissant. Jonas, avait accepté d’accueillir la parole et la transmettre sans réserve au roi et au peuple, il avait été hospitalier à l’égard la parole de Yahvé dans le livre des Rois et en fit bon usage, pendant que la nation entière était en abomination devant l’Éternel par leur péché.

Dans le cas de la mission à Ninive, Jonas reçoit la parole de Yahvé sans lui être hospitalier. Jonas était libre de l’accueillir, d’y obéir. Comme nous l’avons noté plus haut, il commence par exécuter la première partie du message de Yahvé. Il accueille le message, comprend ce qui est attendu de lui, mais décide de faire le contraire. Cette liberté est intrinsèquement liée à la notion d’accueil ou d’hospitalité que nous analysons. Dans ce cas, il n’a pas refusé

210 Le règne de Jéroboam II en Israël alla de 783 à 743. Il régna quarante et un ans sur Israël, mais dans une

totale infidélité à Yahvé. Il est le roi qui régna le plus longtemps sur Israël. Sur le plan religieux, il n’agit pas différemment des autres rois d’Israël. Mais ses réalisations politiques et militaires ne furent pas négligeables, puisqu’il rétablit la frontière d’Israël depuis l’entrée de Hamath jusqu’à la mer Araba (la mer morte). Ces succès avaient été prophétisés par Jonas, fils Amittaî, celui-là même qui fut envoyé à Ninive.Voir Musa Gotom, « 1 et 2 Rois », dans Tokunboh Ademeyo (dir.), Commentaire Biblique Contemporain, Marne la Vallée, Farel, 2008, p. 467.

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d’écouter la parole de Yahvé, mais, il a plutôt, choisi d’agir contre les directives de cette parole. Il prend les dispositions pour aller dans le sens contraire, faisant tout ce qui est en son pouvoir pour que cette « parole » ne « revienne » pas à lui, en partant pour Tarsis, loin de la face de Yahvé.

Jonas manifeste son inhospitalité au message de Yahvé, par de fermes attitudes, il n’obéit pas au message de Yahvé dans le sens propre du terme, pourtant il l’a bien écouté. L’écoute est ici un élément d’entrée pour la construction de l’hospitalité, mais pour qu’il y ait hospitalité, il faut écouter, aller dans le sens de l’obéissance et ouvrir la porte pour qu’entre chez soi cette personne qui nous sollicite. Jonas ne voudrait pas que les Ninivites écoutent ce que Yahvé a, à leur dire. Son projet est que les Ninivites ne goûtent pas au rayon de la miséricorde de Yahvé. Maillot propose les paroles suivantes pour traduire la motivation de Jonas : « Je ne voulais pas aller à Ninive, parce que je savais qu’en dernière analyse Dieu est bon, et que je ne voulais pas donner la moindre chance au Ninivites », Maillot, continue en disant : « Jonas s’enfuit parce qu’il ne veut en aucune manière apporter aux hommes le rameau d’olivier de la réconciliation entre les cieux et la terre, entre Dieu et Ninive »211. Jonas est pleinement convaincu de la miséricorde de Yahvé, la seule arme qu’il semble disposer pour empêcher que cette miséricorde n’arrive à Ninive est de se constituer en blocage à cette mission, car il connait le Dieu qu’il sert.