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Vers un renouvellement des pratiques de l'hospitalité en milieu évangélique : étude herméneutique du livre de Jonas à la lumière de la philoxénie d'Abraham en Genèse 18

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Tchougboui Medjiko Tchougboui Medjiko, 2019

Vers un renouvellement des pratiques de l'hospitalité en

milieu évangélique; étude herméneutique du livre de

Jonas à la lumière de la philoxénie d'Abraham en

Genèse 18

Mémoire

Tchougboui Medjiko Tchougboui Medjiko

Maîtrise en théologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Vers un renouvellement des pratiques de

l’hospitalité en milieu évangélique

Étude herméneutique du livre de Jonas à la lumière de la

philoxenie d’Abraham en Genèse 18

Mémoire

Tchougboui Medjiko

Sous la direction de :

Guy Bonneau, directeur de recherche

Martin Bellerose, codirecteur de recherche

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iii

Résumé

Ce mémoire porte sur l’hospitalité qui est un des défis de l’immigrant. Il répond à la question suivante : Comment le récit du livre de Jonas à la lumière de la philoxenie d’Abraham en Genèse 18 peut-il informer les pratiques de l’hospitalité en milieu évangélique ?

Pour répondre à cette question, la recherche a mis en évidence les actions et attitudes qui construisent la grille d’évaluation de la dynamique de l’hospitalité en Genèse 18. Par la suite cette grille a été utilisée pour analyser la dynamique de l’hospitalité dans le livre de Jonas. Yahvé envoie Jonas, membre du peuple élu, apporter un message aux Ninivites, un peuple méchant et ennemi d’Israël. Dans une perspective de théologie exclusive dans laquelle Jonas perçoit Yahvé comme appartenant uniquement aux israélites, il manifestera son inhospitalité à l’égard de la mission et mettra tout en œuvre pour faire obstacle à la l’hospitalité que Yahvé offre aux Ninivites. Yahvé restera constant dans un dialogue avec Jonas en utilisant entre autres les éléments de la nature et l’accueil qu’il fait à la repentance des Ninivites pour se faire connaitre à Jonas.

L’Église, qui est constituée des personnes étrangères à Dieu et qui ont été accueillies en Jésus-Christ, est appelée à vivre une constante hospitalité en interne pour être capable d’exprimer l’hospitalité aux non-croyants. L’immigration fournit aux églises locales au Québec, et à Montréal en particulier une vague de croyants. La plupart de ces croyants considèrent le processus de leur migration comme un élément de leur expérience de foi. Cette considération les conduit à être dans une attente de l’hospitalité dans les églises locales. Dans ce schéma, ils sont en retour appellés à accueillir la différence des accueillants pour une vie communautaire équilibrée. Cet accueil se veut bidirectionnel pour une mission globale de l’Église.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... iv

Remerciements ... viii

Introduction ... 1

Problématique ... 1

Définition des mots clés ... 4

Philoxenie ... 4

Hospitalité ... 5

Méthodologie ... 6

Justification du sujet de recherche ... 7

Aperçu du livre de Jonas ... 8

Chapitre 1 : Domaine d’étude et méthode ... 10

1.1 Théologie contextuelle ... 10

1.1.1 Perspective multiple ... 10

1.1.2 Genèse du néologisme « contextualisation » ... 12

1.1.3 Expressions de théologie contextuelle ... 14

1.2 Théologie de la libération ... 19

1.2.1 Cible et médiation socioanalytique ... 20

1.2.2 Médiation herméneutique ... 22

1.2.3 Médiation pratique ... 24

1.3 Théologie de la migration ... 25

1.3.1 Réalité biblique ... 25

1.3.2 Réflexion théologique sur la migration ... 27

1.3.3 Évolution des réflexions sur la théologie de la migration ... 29

1.4 Hospitalité et migration ... 31

1.5 Méthode de la recherche ... 32

1.5.1 Médiation socioanalytique et praxis ... 33

1.5.2 Médiation herméneutique ... 34

1.6 Conclusion partielle ... 37

Chapitre 2 : Analyse de la dynamique de l’hospitalité dans Genèse 18 ... 38

2.1 Introduction ... 38

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v

2.2.1 Demande de Yahvé Genèse 18, 1-2 ... 39

2.2.2 Réponse à l’appel de Yahvé ... 42

2.2.3 Préalable de la visite ... 45

2.2.4 Contenu de l’offre d’hospitalité d’Abraham ... 47

2.3 Éléments factuels de la dynamique de l’hospitalité ... 49

2.3.1 Le repas ... 49

2.3.2 L’absence de contrainte et le service... 50

2.3.3 Le dialogue, la promesse ou l’annonciation ... 51

2.3.4 La Confidence et la prière ... 53

2.4 Conclusion partielle ... 56

Chapitre 3 : Dynamique des relations de l’hospitalité dans le récit de Jonas ... 58

3.1 Introduction ... 58

3.2 Inhospitalité de Jonas au message de Yahvé. Jon 1,1-3 ... 58

3.2.1 Yahvé va vers Jonas ... 59

3.2.2 Préalable à la mission ... 60

3.2.3 Manifestation du refus du prophète ... 61

3.2.4 Théologie exclusive... 66

3.5 Hospitalité de Jonas au message de Yahvé. Jonas 3,1-4 ... 68

3.5.1 Bon accueil du message de Yahvé ... 68

3.3.2 Attitude de Jonas après le pardon ... 69

3.3.3 Accomplissement de la mission ... 70

3.4 Inhospitalité de Jonas à la miséricorde de Yahvé Jonas. 4, 1-3 et 8 ... 71

3.4.1 Déplaisir et irritation de Jonas ... 71

3.4.2 Motif de la contestation ... 72

3.4.3 Expression de la frustration de Jonas ... 73

3.5 Hospitalité de Yahvé pour Jonas. Jonas 4, 4-11 ... 75

3.5.1 Langage imagé de Yahvé ... 75

3.5.2 Entêtement de Jonas devant l’ouverture de Yahvé ... 76

3.6 Hospitalité de Ninive au message de Yahvé ... 77

3.6.1 Accueil du message de Yahvé. Jonas 3, 4-9 ... 77

3.6.2 Rituels d’hospitalité du roi ... 80

3.7 Hospitalité de Yahvé à la repentance. Jonas 3, 10 ... 83

3.8 Conclusion partielle ... 83

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4.1 Introduction ... 86

4.2 Bref historique de la communauté de RBC ... 87

4.2.1 Raisons et naissance de RBC ... 87 4.2.2 Mission et fonctionnement ... 88 4.2.3 Action missionnaire... 89 4.2.4 Croissance ... 90 4.2.5 Type de leadership ... 90 4.2.6 Politique d’hospitalité ... 91

4.3 Intégration et évolution des nouveaux arrivants dans la communauté ... 93

4.3.1 Caractéristique de l’échantillon ... 93

4.3.2 Choix de la communauté ... 94

4.3.3 Le récit de l’accueil ... 95

4.3.4 Implication dans le ministère ... 97

4.3.5 La perception des leaders ... 98

4.3.6 Efforts d’acceptation mutuelle ... 99

4.3.7 Les sources de l’hospitalité dans RBC ... 101

4.4 Analyse et suggestion ... 102 4.4.1 Analyse ... 102 4.4.2 Suggestions... 105 4.5 Conclusion partielle ... 106 Conclusion ... 108 Annexe ... 110 Bibliographie ... 113

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vii

Au Dr Aslo Phenom Gagnon, de m’avoir encouragé dans mes études en théologie

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Remerciements

À l’équipe universitaire

Je tiens à adresser ma reconnaissance à tous ceux qui ont contribué pour ma formation, Le professeur Guy Bonneau, directeur de recherche pour sa fermeté et ses précieuses remarques sur mon travail.

Le professeur Martin Bellerose, codirecteur de recherche, pour ces critiques constructives, ses encouragements et son hospitalité à l’égard mon projet de mémoire.

À Jean Martin, doyen de l’ETEQ (École de Théologie Évangelique du Québec)

À toutes les enseignantes et tous les enseignants que j’ai eus durant ma formation, Mabiala Kenzo, Jonathan Bersot, Barry Whatley, Jean-Christophe Bieselaar, David Miller.

François Nault, pour sa promptitude à répondre à mes questions À Gilbert Nadeau, conseiller sur le plan administratif.

À Gisandre Renois pour son travail administratif

Véronique Beaudin, pour son accompagnement dans la découverte du système en ligne de U Laval.

À toutes les étudiantes et tous les étudiants que j’ai côtoyés durant mes études de deuxième cycle.

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ix À la famille et aux amis

À Mon épouse pour ses sacrifices d’une femme aimante durant mes études en théologie au Cameroun et au Québec.

À mes enfants Hanameel Ariella, Asareel Tania et Eunice Maouna pour les différents ajustements de leurs moments de jeux,

Au Groupe Bibliques des Élèves et Étudiants du Cameroun (GBEEC), pour sa vision qui m’a donné de m’intéresser aux études bibliques.

À toutes les communautés ecclésiales camerounaises avec qui j’ai œuvré ces dernières années, Assemblée Évangélique des Frères au Cameroun, Mission de l’Église Évangélique au Cameroun (MEEC) paroisses Bon Berger et Tropicana.

À la 14e promotion de Faculté de Théologie Évangélique au Cameroun. (FACTEC) A Tommy Gagnon, pour son amitié et ses encouragements dans mes études

Au GBUC-Amis (Groupe Biblique Universitaire au Canada - Amis), où j’ai trouvé des frères avec qui nous avons travaillé au Cameroun et avec qui nous continuons de vivre une harmonie d’encouragements mutuelle dans le cheminement de foi avec Christ.

Aux frères Jean Éric Nzeuneu et Jean Denis Noumbissi, aux sœurs Léonie Tcheutchoua, Tatiana Tchouya pour leur sacrifice dans la relecture du travail

À David Dawson, Nicola Azzouolo et au conseil d’Anciens de RBC pour leur hospitalité à l’égard de ma famille.

Aux couples Tape, Nana, Feudjio, Ewane, Kabiwa, Djemini pour les différentes actions constructives durant mon projet.

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Introduction

Problématique

Au XXIe, grâce au progrès des moyens de transport et de communication, la mobilité humaine est plus que jamais diverse et variée. Dans le passé, le flux migratoire était lent, mais les avancées technologiques ont contribué à son accélération. Les causes de la migration sont multiples. Elles peuvent être politiques, sociales, économiques, religieuses, etc. Quel que soit la nature des raisons, il se produit par le biais de la migration, un brassage complexe des personnes venant des quatre coins du globe. Au-delà de la richesse que crée ce brassage, il vient avec ses facteurs d’hétérogénéité qui interpellent, à un dialogue, à la compréhension, à une interaction, à un désir de recherche de l’unité, à un mutuel accueil, bref à une hospitalité malgré la diversité, pour une vie en communauté.

Au Québec, « le volume des admissions de la période de 2011 à 2015 s’élève à 258 057 immigrants, soit une moyenne annuelle de 51 611 nouveaux arrivants »1. Dans le site du Ministère de l’Immigration, Diversité et l’Inclusion du Québec, « l’Afrique est le continent de naissance de près du tiers (32,9 %) des immigrants arrivés au cours des cinq dernières années. Les immigrants natifs de l’Asie comptent pour 29,6 % des admissions, ceux originaires de l’Amérique pour 20,8 %, alors que 16,5 % sont nés en Europe »2. Ces données statistiques donnent une idée de la composition plurielle de la société québécoise.

La politique migratoire au Québec a été planifiée, et elle est sans cesse actualisée selon l’agenda des dirigeants. Le gouvernement met à la disposition des nouveaux arrivants des structures qui les accompagnent dans leur intégration. Au nombre de ces structures, nous pouvons citer les centres communautaires, les centres locaux pour l’emploi et les divers services gouvernementaux affectés à l’accompagnement des nouveaux arrivants. Ces différentes structures contribuent à aider le nouvel arrivant à se faire son chemin

1http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/Portraits_categories_2011-2015.

Consulté le 06 Juin 2018 11 :13.

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d’intégration. Il faudra désormais qu’il s’oriente en fonction des repères du lieu d’accueil. Le nouvel arrivant découvre un grand changement dans les moyens de communications et de transports, de même que dans la nutrition et surtout dans les relations interpersonnelles. Le nouvel arrivant, chrétien évangélique, en quête de spiritualité se choisit dans la plupart des cas une communauté pour le vécu de sa vie chrétienne. L’accueil du nouveau membre est cher à la vie de l’Église et s’inscrit dans sa mission. En effet, l’église est une entité appelée à grandir. Sa croissance numérique est fondée sur de nouveaux croyants que le Seigneur ajoute au nombre des premiers, Actes 2,47 « … et le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Église ceux qui étaient sauvés ». Cette œuvre du Seigneur a continué dans l’histoire de l’Église jusqu’à nos jours. L’Église, par sa composition est faite des « étrangers » d’hier et qui deviennent « … concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu »3, membres d’une même communauté physique et spirituelle. Cette croissance de l’Église est dynamique. L’Église dans son fonctionnement accueille et facilite l’intégration du nouveau en son sein.

L’immigration offre à l’Église des opportunités de présentation de l’Évangile de Jésus-Christ aux non-croyants d’une part et d’autre part l’intégration en son sein des croyants fervents et engagés désireux de vivre une communion ecclésiale dans le pays d’accueil. Si l’intégration des nouveaux croyants a son canevas, l’insertion des croyants d’une réalité culturelle différente pose un défi pour l’Église.

L’accueil des personnes converties à l’Évangile fait partie du vécu de la plupart des communautés chrétiennes. C’est avec joie que ces nouveaux sont intégrés dans la vie de l’Église. Dans la plupart des cas, ces personnes qui n’ont pas forcement un historique de vie chretienne engagée sont facilement intégrées. Le phénomène de l’arrivée des personnes ayant une spiritualité chrétienne et engagées dans leur vie de foi présente en revanche un défi du fait de leurs origines culturelles. Les nouveaux arrivants viennent avec une perception de l’agir chrétien en communauté qui très souvent diffère de l’agir de la communauté d’accueil.

3 Col 1,21

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Les accueillis comme les accueillants sont appelés à se rapprocher, à créer les conditions de la vie commune tout en se respectant mutuellement.

Les communautés chrétiennes au Québec et celles de Montréal en particulier reflètent à bien des égards la présence diversifiée des personnes croyantes chrétiennes issues de l’immigration. Les nouveaux arrivants en quête de continuité d’engagement dans la vie chrétienne intègrent les communautés évangéliques, ou parfois se constituent en communauté ecclésiale culturelle. Notre réflexion porte sur l’interaction que produit l’arrivée des nouveaux arrivants, chrétiens engagés dans leurs pays d’origine, dans des communautés évangéliques et le type d’hospitalité qu’elle génère.

Nous partirons de l’observation des faits, des récits des nouveaux arrivants et des accueillants,que nous confronterons au récit du prophète Jonas. Cet exercice se cristallisera autour des questions ci-après :

En quoi, le récit du livre de Jonas pourrait-il informer la praxis de l’hospitalité dans l’église ? Quelles réflexions apportent les différents types d’interactions dans le récit, pour un agir renouvelé au sein de la communauté ecclésiale ? Quelle corrélation existe-t-il entre le rôle des croyants (accueillants et accueillis) des communautés chrétiennes montréalaises et la philoxénie (l’amour de l’étranger), comme facteur essentiel à leur labeur missionnaire ou évangélisateur ? Quel éclairage le livre de Jonas peut-il nous apporter sur la dynamique d’hospitalité des croyants ? Dans quelle mesure la dynamique des interactions relationnelles dans ce récit peut-elle conduire à repenser la praxis de l’hospitalité en milieu évangélique à Montréal ?

Montréal a une population immigrante grandissante. Une grande partie de celle-ci est croyante chrétienne évangelique et se trouve bien malgré elle, un peu à la manière de Jonas, porteuse d’une tâche missionnaire, tâche dont elle est parfois consciente et parfois pas. Il s’agira pour nous, d’observer et d’analyser le rôle, voir l’influence qu’assument certains croyants migrants dans leur communauté d’accueil, et de voir en quoi et comment l’hospitalité (tant celle des locaux envers eux que leur hospitalité envers les locaux) comme philoxénie est essentielle à leur labeur missionnaire. La philoxénie se comprend aussi comme don de l’Esprit c’est-à-dire une dispensation de l’amour divin qui interfère dans les relations

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humaines d’accueil mutuel. Cette réflexion est menée dans l’optique de comprendre les éléments qui régissent cette interaction, pour en établir une interprétation et par la suite offrir une praxis à même de renforcer la pratique ecclésiale de l’accueil de l’étranger.

Nous voulons dans ce mémoire, explorer les incidences ecclésiales et pastorales de ce récit biblique pour l’Église de Christ. Nous voulons établir la corrélation entre la dynamique de l’hospitalité dans le récit de Jonas et la praxis de l’hospitalité dans les communautés chrétiennes. Nous envisageons contribuer à l’émergence d’une praxis renouvelée à partir de la lecture du terrain.

Définition des mots clés Philoxenie

Le terme philoxenie est composé de deux mots grecs à savoir philo qui signifie amour et xenos qui est traduit par étranger, allogène, immigrant. Ce mot dans les passages néotestamentaires tels que, Romain 12,1-21 ; Hébreux 13,1-19 et 1 Pierre 4,7-11 est utilisé pour exprimer la pratique de l’hospitalité4 chez les premiers chrétiens. L’expression philoxenie, selon le discours des premiers chrétiens va au-delà du sens attribué au mot hospitalité, elle ne se limite pas seulement à bien recevoir quelqu’un dans la maison. Son usage dans les textes bibliques précités est précédé d’une exhortation à s’aimer les uns les autres. Dans l’épitre aux Romains et dans la première épitre de Pierre, les auteurs font explicitement référence aux dons du Saint-Esprit gage de la communion et de la cohésion dans l’Église du Christ.

La philoxenie ne fait pas explicitement partie des dons de l’Esprit, mais elle serait plutôt une dimension transversale que l’on pourrait associer au sacerdoce baptismal des chrétiens. La philoxénie est liée à une relation d’amour. La relation d’« amour » renvoie dans ce cas, à une interaction entre un être aimant et un autre aimé d’une part et d’autre part entre l’aimé et l’aimant, l’aimant devient l’aimé et l’aimé devient l’aimant. La philoxenie étant ainsi déduite de la manifestation de l’amour, à la lumière de Galates 5,22, est considérée comme un fruit

4 Martin Bellerose, L'hospitalité comme lieu de révelation divine : un regard chrétien, Montréal, Institut

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5

de l’Esprit. Elle devient par ce fait l’expression de la grâce sanctifiante dans l’histoire et par elle, les membres de l’Église entrent en communion5. La philoxenie comme nous la définissions va au-delà des limites connues puisqu’elle transcende tout ce qui est tribal, religieux, ethnique pour se manifester en accueil de l’autre tout en laissant l’occasion à ce dernier d’accueillir à son tour. La compréhension du terme philoxenie dans notre travail est liée à la définition du mot hospitalité.

Hospitalité

Pour définir le mot hospitalité, nous aurons recourt à sa composition étymologique. Hospitalité vient de hospitalitas, du nom hospitalis lui-même formé sur hopes « celui qui reçoit » ; c’est un geste d’accueil et d’hébergement6. Dans l’hospitalité, il y a un accueillant et un accueilli.

L’hospitalité est un geste de compensation, de mise à l’égalité ; de protection dans un monde où l’étranger n’a pas originellement de place7. Ainsi être hospitalier revient à donner une place de choix en permettant à l’accueilli de se sentir partie intégrante de son lieu d’accueil. Le geste d’hospitalité implique donc obligatoirement le franchissement d’un espace et de la mise en place d’un rituel d’accueil8. Pratiquer l’hospitalité, c’est faire un don de soi9. L’hospitalité en d’autres termes implique une interaction communautaire et devient « une manière de vivre ensemble, régie par les règles, des rites et des lois10.

L’hospitalité a aussi une étrange parenté avec hostis qui donne hostile en français. Sous cet angle le geste d’hospitalité consiste à mettre à l’écart l’hostilité latente de tout acte d’hospitalité, car l’hôte11 , l’étranger apparait souvent comme réservoir d’hostilité : qu’il soit pauvre marginal, errant, sans domicile fixe, qu’il soit fou ou vagabond, il recèle une

5 Ibid., p. 3.

6 Alain Montandon, Le livre de l'hospitalité: Accueil de l’étranger dans l'histoire et les cultures, Paris,

Bayard, 2004, p. 21.

7 Ibid., p. 21. 8 Ibid., p. 21. 9Ibid., p. 19. 10 Ibid., p. 6.

11 A propos d’hôte : en français, le même mot désigne à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu,

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menace12. L’hospitalité, dans l’essence même de son fonctionnement contribue à maintenir l’étranger comme tel, c’est-à-dire de préserver la distance. Il en est ainsi du respect qui implique un égard ou une considération, et tient l’autre à distance pour le préserver dans son identité, son originalité, sa singularité, sa spécificité13.

L’hospitalité pose la question de l’étranger, celle d’un être inconnu qui vient du dehors, un être de passage, non conforme aux mœurs du lieu, culturellement décalé, donc « étranger », extérieur et insolite14. Pratiquer l’hospitalité signifie, accepter de courir le « risque de l’accueil »15. La notion du risque demeure constante de part et d’autre des parties prenantes. L’hospitalité fait appel à un type d’accueil qui découle du fait qu’elle est une confrontation entre le monde connu (le mien) et le monde qu’on reçoit sans le connaitre (celui de l’autre)16. Être hospitalier envers quelqu’un est une partie du vivre ensemble, et c’est en fait au bout d’une certaine réciprocité que l’hospitalité prend corps dans les deux sens. L’attitude de l’un ou de l’autre demeure une facette de l’hospitalité à prendre en compte. Dans notre travail les termes philoxenie et hospitalité seront interchangeables.

Méthodologie

Notre démarche s’inspire de l’herméneutique biblique. Le travail a un caractère interdisciplinaire. Nous situerons la spécificité de notre travail dans le vaste domaine de la théologie contextuelle. Nous procéderons de cette manière dans le but de poser les jalons pour la compréhension de notre méthode théologique. Après avoir présenté la théologie contextuelle dans son ensemble, nous nous attarderons sur la méthode de la théologie de la libération. La méthode utilisée par la théologie de la migration prend ses racines dans la méthode de la théologie de la libération parce qu’elle est contextuelle. Dans le champ de la théologie de la migration, nous nous intéresserons à l’hospitalité qui est l’élément central de notre recherche.

12 Alain Montandon, Le livre de l'hospitalité: Accueil de l’étranger dans l'histoire et les cultures., p. 7. 13Ibid., p. 10.

14 Ibid., p. 17.

15 Claudio Monge, Dieu hôte: Recherche historique et théologique sur les rituels de l'hospitalité, Bucarest,

Zeta Books, 2008, p. 6.

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Le discours théologique sur l’hospitalité est construit autour des textes reconnus comme traitant du sujet. À la suite du chapitre 2, qui situe le domaine d’étude de notre recherche, nous analyserons au chapitre 3, un texte fondateur de la notion de l’hospitalité en Genèse 18. Le texte de Genèse 18, qui permet de relever les différents rituels, qu’intègre la dynamique de l’hospitalité. Nous partirons de ce texte pour dresser une grille de clés herméneutiques de l’hospitalité. Après cette présentation qui dressera le décor de l’hospitalité, nous analyserons le récit de Jonas pour comprendre en quoi les différentes interactions renseignent sur l’agir de l’hospitalité au chapitre 4. Il sera alors question de scruter tous les chapitres du livre pour relever l’ensemble des dynamiques qui exprime une hospitalité qui met en scène Yahvé et Jonas. Le récit du livre de Jonas ne se prête pas de prime abord à la thématique de l’hospitalité selon les études faites sur le texte, nous exploiterons des éléments de la grille de l’hospitalité dans le récit de Genèse pour faire notre analyse. Le dernier chapitre portera sur l’évaluation de la dynamique de l’hospitalité dans une communauté chrétienne de Montréal.

Justification du sujet de recherche

Nous entendons par philoxenie une praxis de l’hospitalité qui est don de Dieu dans la vie communautaire ecclésiale et hors de l’église. Notre sujet de recherche se justifie d’une part, par la réalité que constitue le fait migratoire. Les expériences des nouveaux arrivants dans l’église impliquent qu’une réflexion théologique soit menée, car elles deviennent un locus theologicus ou lieu théologique17. Le vécu de ces nouveaux arrivants comme accueillis, et le vécu des autochtones comme accueillants, traduit l’agir de Dieu dans la communauté. Nous avons relevé plus haut que la communauté chrétienne est formée d’« étrangers » qui deviennent « concitoyens » c’est-à-dire, membre d’une vie communautaire et qui par la suite devront accueillir d’autres personnes en leur sein. Le caractère dynamique de cette réalité essentielle du christianisme impose une constante réflexion pour mieux intégrer les nouveaux. Le profil de ces nouveaux arrivants étant assez pluriel, il induit une réflexion sans cesse ouverte pour une meilleure intégration.

17 Gioacchino Campese, « La théologie et les migrations: la redécouverte d'une dimension structurelle de la

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Le livre de Jonas parle de l’attitude d’un prophète de Yahvé, et surtout des peuples étrangers qui seront en contact avec Yahvé. Le choix du livre de Jonas pour cette étude se justifie par le fait que ce récit met en scène des interactions entre différents types de personnages qui sont appelés à s’accueillir, mais surtout, Yahvé qui accueille les différentes personnes qui par origine ou par leurs actes lui sont étrangères. Jonas et les Ninivites auront le statut d’étrangers dans le récit. Sans accueil, sans hospitalité, sans philoxénie, ni Jonas, ni le message que Dieu l’a envoyé porter n’aurait pas pu être reçu. L’accueil des Ninivites, l’accueil que Jonas offre à Dieu et sa mission, accueil somme toute mitigé, un Dieu parfois accepté et parfois rejeté de la part de Jonas constitue la charpente de notre réflexion.

Aperçu du livre de Jonas

Le livre de Jonas est un récit biblique connu à cause de la vulgarisation du fait du personnage Jonas avalé par le poisson. Sa place dans la famille des douze petits prophètes fait l’objet de plusieurs réflexions18. Il est considéré comme un livre prophétique, mais certains préfèrent le considérer comme une parabole, ou une allégorie. Les différentes interprétations données à ce livre divisent les érudits, les uns le considèrent comme un traité missionnaire, d’autres comme un livre qui met en cause le particularisme du peuple juif, d’autres comme une réflexion portant sur le « pourquoi, Yahvé ne met pas en exécution ses oracles contre les ennemis d’Israël19 ? ». Les Juifs, comme les chrétiens accordent à ce livre une place importante, même s’ils ne sont pas d’accord sur le sens qu’il devrait avoir. Jonas est un prophète de l’Ancien Testament auquel Jésus a littéralement évoqué. (Lc 11,32)

La lecture de ce livre peut se faire sous le prisme des Juifs, représenté par Jonas, sous le prisme des Ninivites, sous le prisme de l’action de Yahvé. Chacun de ces groupes de personnes ou individu se trouvant dans une situation d’étranger par moment, et bénéficiant de l’amour de Yahvé. Le livre est un discours plus sur Dieu et l’homme plutôt que le juif et le gentil. Dans le présent travail, nous ferons une lecture sous l’angle de la théologie de la migration en évaluant les différents aspects de l’hospitalité dans ce livre.

18 Alphonse Maillot, Jonas ou le sourire de Dieu, Paris, Éditions Lethielleux, 2000, p. 11.

19 R. Martin-Archard, Israel et les nations : La perspective missionnaire de l'Ancien Testament, Neuchâtel -

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Le contenu du livre se divise en deux parties principales de structure parallèles. Toutes deux s’ouvrent sur le mandat donné au prophète, en des termes chaque fois presque identiques, de prêcher le jugement contre la ville de Ninive au début du premier chapitre et du troisième. Le livre est écrit pour donner le un message qu’Alphonse Maillot intitule le « sermon de Dieu », contenu dans l’expression « … et moi je n’aurais pas pitié de Ninive… avec ses 120 000 hommes ?20 ». Bien que Jonas soit la source principale des informations contenues dans le récit, il est possible qu’il ne soit forcément l’auteur. Le livre Jonas contient une figure prophétique. Ce livre raconte une histoire toute simple du moins parfaitement limpide, mais avec mystère21. Le mystère apparait dès le début du récit par le refus de celui qui est considéré comme porte-parole de Yahvé. Après que Yahvé ait adressé la parole à Jonas, ce dernier connaissant la miséricorde de Yahvé décide de s’enfuir loin, dans la direction opposée à Ninive. Son embarcation rencontrera une grande tempête, Jonas, désigné par le sort comme coupable, sera jeté dans la mer. Un grand poisson envoyé par l’Éternel va l’engloutir et le vomira trois jours après sur les côtes de Ninive. À la suite de la prédication de Jonas, la grande cité assyrienne va se repentir de ses fautes. Yahvé, renonce alors à exterminer les Ninivites. Jonas se trouve contrarié et contraint d’apprendre que Yahvé est compatissant. Yahvé a pitié de cette grande foule « qui ne sait distinguer entre sa gauche et sa droite »22. Le message du livre de Jonas selon Maillot met l’accent sur le symbolisme du nom de Jonas. Israël est la colombe (Jonas) envoyée aux peuples pour leur apporter la bonne nouvelle que Dieu ne veut pas la mort des pêcheurs ni la destruction du monde, mais que les hommes se repentent de leurs exactions. Dans le livre de Jonas, les notions d’élection du peuple juif et sa mission sont enchevêtrées. Jonas rebelle, reste celui que Dieu a choisi. Sa mission quant à elle se voit dans le fait qu’il n’est pleinement lui-même que s’il (Jonas) va à Ninive. La colombe « Jonas » n’est pas sans signification. Israël est la colombe que Dieu chérit, mais elle doit porter aux autres le rameau d’olivier de la réconciliation23. Par cette réconciliation, les peuples étrangers bénéficieront de l’hospitalité de Yahvé.

20 Alphonse Maillot, Jonas ou le sourire de Dieu., p. 14. 21 Ibid., p. 8.

22 R. Martin-Archard, Israel et les nations : La perspective missionnaire de l'Ancien Testament, p. 47. 23 Alphonse Maillot, Jonas ou le sourire de Dieu, p. 17.

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Chapitre 1 : Domaine d’étude et méthode

Le but de ce chapitre est de présenter la méthode, qui sera à la base de notre travail. Notre domaine d’étude se situe dans la grande famille de la théologie pratique. Tout au long de l’histoire, la théologie pratique a vu naître des spécialités théologiques, qui sont devenues toutes indépendantes dans leur expression théologique. Parmi ces spécialités, il y a la missiologie et les théologies contextuelles. Le sous-ensemble auquel appartient notre travail de recherche est la théologie de la migration, qui elle-même, se définit comme théologie contextuelle. Elle est récente comme articulation théologique, et s’emploie à construire son discours et sa méthode. Pour parler de la méthode de la théologie de la migration, nous nous proposons de situer l’ensemble de la réflexion théologique contextuelle dans l’histoire avant d’aborder de la théologie de la migration. Elle explore plusieurs champs de réflexion, tels que les motivations, les causes, les conséquences, etc., car elle se veut fondée sur l’expérience des migrants et des accueillants. Nous proposons d’explorer un des défis de cette théologie qu’est l’hospitalité. Le thème de la migration et le fait de l’hospitalité sont transversaux dans le récit biblique.

Nous aborderons la théologie contextuelle, puis la contextualisation, suivie de la théologie de la libération et ensuite la théologie de la migration. À la fin nous allons conclure avec le thème de l’hospitalité, après avoir exposé la méthode propre à la théologie contextuelle qui va guider le travail.

1.1 Théologie contextuelle 1.1.1 Perspective multiple

L’expression « théologie contextuelle » est complexe à définir, parce qu’il existe plusieurs contextes, et que même lesdits contextes sont sujets à une évolution selon Antoine Fleyfel. Pour lui, cet exercice conduit à « une multitude de définitions n’allant pas toutes dans le même sens… »24. Il suggère trois grands axes de la perspective multiple de la théologie

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contextuelle. Premièrement, la contextualité de la théologie peut se faire à base des travaux des grands théologiens qui ont marqué l’époque contemporaine par leurs pensées. Deuxièmement, on pourrait aborder la contextualité à partir des mouvements théologiques contextuels modernes. Troisièmement, la théologie contextuelle pourrait se faire à partir des essais ou des traités théologiques qui ont tenté de comprendre le phénomène, de le décrire ou de l’exposer d’une manière systématique, directe et explicite25. Antoine Fleyfel adopte le troisième axe, qui pour lui, conjugue avec les volets de la compréhension du phénomène, sa description et son exposé. La théologie contextuelle est comprise ici, comme un discours sur Dieu et examine les conditions de la réception de la révélation dans un contexte précis26. Antoine Fleyfel27 suggère la définition suivante : « la théologie contextuelle est un nouveau paradigme théologique qui opère un changement dans le monde de la théologie, au niveau de sa pratique de son élaboration et de son rapport à l’Ecriture, aux traditions et au contexte »28. Nous comprenons par cette définition que la théologie contextuelle est sous l’influence de trois éléments qui sont : l’Écriture, les traditions et le contexte. C’est sur le socle de ces trois piliers que se décline une théologie qui se veut contextuelle. Dans cette même logique, Stanley Grenz29, théologien canadien, bien que ne définissant pas expressément la théologie contextuelle, fait intervenir dans sa méthode théologique, l’Ecriture, le contexte et à la place des traditions, il parle d’héritage théologique30. Fleyfel comme Grenz mettent en lumière le

25 Ibid., p. 26.

26 Leonardo Boff et Clodovis Boff, Qu'est-ce que la théologie de la libération ?, Paris, Éditions du Cerf,

1987.

27 Franco-libanais, né à Beyrouth et résidant en France, Antoine Fleyfel est docteur en philosophie (Paris

I-Sorbonne) et docteur en théologie (Strasbourg)

28 Antoine Fleyfel, La théologie contextuelle arabe: modèle libanais, p. 63.

29 Pour Grenz, le théologien dans son œuvre doit conduire à une mieux-vivre. Toute réflexion théologique

authentique devrait aboutir à une application dans la vie du théologien. Il pense que le théologien doit réfléchir à partir d’une expérience de foi et dans le contexte de la communauté de foi. Un de ces thèmes majeurs est l’élaboration du caractère contextuel de l’œuvre théologique et les applications qui en découlent. Pour lui le théologien doit toujours réfléchir à partir d’une perspective particulière profondément lié au contexte culturel. Ainsi il prend ses distances des démarches proposées par certains théologiens évangéliques qui prétendent construire des systèmes qui se basent sur les fondements incontestables. Mais dans son recule devant cette manière, il considère la Bible comme autorité dans la construction d’une vision de l’Église et du monde. Trois normes ou trois éléments essentiels ressortent du livre de Stanley Grenz, Revisioning Evangelical Theology. Ces trois normes sont : le message biblique, l’héritage théologique de l’Église et le contexte culturel

30 L’héritage théologique est le deuxième pilier du modèle de Grenz. La rencontre de cet héritage théologique

vient premièrement du langage et du parcours de la tradition ecclésiale ou l’on vit sa foi. Grenz reconnait l’importance d’apprendre en puisant dans les ressources théologiques à l’intérieur de sa propre confession, découvrant ainsi les erreurs à éviter et des pistes à suivre dans l’effort contemporain de saisir et de vivre selon le message de Christ. La réflexion théologique se réalise ainsi dans un élan de continuité en maintenant le dialogue avec l’héritage de l’Église dans ses expressions contemporaines et anciennes. Cette attitude voudrait

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rôle prépondérant des Écritures. Les deux considèrent le contexte comme un facteur d’influence pour la réflexion théologique. Quant à la différence apparente à savoir le choix qu’il faut faire entre les traditions et l’héritage théologique, notre choix se portera plus vers l’usage de l’expression « héritage théologique », car elle épouse mieux la pensée évangélique, dans laquelle s’inscrit ce travail.

Nous nous proposons d’exploiter la pensée d’Antoine Fleyfel, parce qu’il nous permet d’avoir recours aux deux autres. Notre objectif est de situer la dynamique de la théologie contextuelle. Bien qu’il soit possible à partir de l’a priori théologique, considérant toute théologie comme contextuelle, d’aborder la genèse de la contextualisation à partir des textes bibliques ou des textes patristiques et conciliaires, nous explorerons la démarche d’Antoine Fleyfel, qui pour traiter cette notion prend comme point de départ la première apparition du néologisme « contextualisation » en 1972 dans le document du « Theological Education Fund » (FED)31.

1.1.2 Genèse du néologisme « contextualisation »

Le mot « contextualisation »32 est un néologisme qui a vu le jour dans les années 197033 et qui apparait comme l’expression d’une théologie multifacette. Il est évident qu’il existe un nombre pluriel de contextes selon les lieux où l’on se trouve. Les réalités contextuelles sont évolutives et fonctions des pensées philosophiques ambiantes. Les premières théologies considérées comme contextuelles datent des années 1960. De ce fait, elles précèdent l’apparition du néologisme « contextualisation » qui a « été forgé dans des milieux

apprendre du parcours des Pères de l’Église et les grands théologiens d’autre fois. La compréhension et l’application que ces prédécesseurs ont eu a donc une certaine valeur dans l’analyse à faire et les positions à prendre de nos jours. Si le rôle de primat revient au message biblique, l’héritage théologique sert de lieu d’expérimentation et de validation. Ce pilier est basé sur un transfert de témoignage et de vécu. Ce transfert laisse entrevoir que d’autres avant nous, ont eu des préoccupations, et se sont posés ces questions, et ont trouvé un agir qu’ils nous ont légué. Ce témoignage à traverser les temps et moult contraintes pour nous parvenir. Il prend ainsi source dans l’épreuve du passé qui lui permet de tenir dans le présent.

31 Presque toutes les théologiennes et tous les théologiens contextuels dont les pensées sont abordées dans ce

chapitre considèrent, chacun à sa manière, que cette apparition est un moment fondamental de l’histoire du concept de contextualisation. Nous avons adapté cette note d’Antoine Fleyfel à notre travail.

32 Ce terme a été clairement définit dans l’assemblée générale du « Theological Education Fund-TEF » en 1972,

comme « la capacité de répondre d’une manière significative à l’Évangile dans le cadre de la situation propre de chacun […]. Par la suite la TEF parle de l’authentique contextualisation qui est « prophétique, naissant toujours d’une rencontre originale entre la parole de Dieu et le monde » voire Antoine Fleyfel. P28

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missionnaires œcuméniques des années 1970 »34. Pendant cette période, l’influence de la pensée missionnaire a conduit à considérer la contextualisation comme ne pouvant être comprise dans sa totalité à l’écart de la missiologie. C’est une manière de comprendre le contexte où l’expression théologique va être articulée. Il y a un lien entre la missiologie et la contextualisation, mais cette dernière a pu avoir sa propre évolution. Sans exclure l’aspect missionnaire inhérent à la foi chrétienne, la contextualisation ne se réduit plus au seul aspect missiologique mais devient un paradigme théologique propre, ayant ses influences au sein de la vie du peuple de Dieu, à travers les instances ecclésiales, théologiques, spirituelles, sociales, économiques et politiques35.

Le point de départ pour comprendre la contextualisation se trouve dans la Bible. Les auteurs l’investissent en considérant que la problématique contextuelle telle qu’ils la comprennent est présente dans certains passages scripturaires. La contextualisation existe donc depuis que « la communication entre Dieu et l’homme a commencé »36. Le contexte s’offre ainsi comme le lieu fertile où peut germer une théologie pour l’humanité. Un des discours qui donne une compréhension contemporaine de la théologie contextuelle est la théologie de la libération. L’assemblée générale du « Theological Education Fund – TEF », qui laisse apparaitre au grand public l’expression « contextualisation » était composée majoritairement des théologiens du tiers monde. C’est dans cette partie du monde, que se vivait une forme d’injustice qui a suscité la réflexion théologique. Cette assemblée explique la contextualisation comme :

La capacité de répondre d’une manière significative à l’Évangile dans le cadre de la situation propre de chacun […]. L’indigenation a tendance à être utilisée dans le sens d’une réponse à l’Évangile dans les termes d’une culture traditionnelle. La contextualisation, tout en n’ignorant pas cet aspect, prend en compte le processus de sécularisation, la technologie, la lutte pour la justice humaine, celle qui caractérise le mouvement historique des nations du tiers monde37.

34 Jean-Francois Zorn, « La contextualisation : un concept théologique », Revue d'histoire et de philosophie

religieuse 2 (1997), p. 171.

35 Antoine Fleyfel, La théologie contextuelle arabe: modèle libanais, p. 28. 36 Ibid., p. 32.

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La TEF parle de l’authentique contextualisation qui est « prophétique, naissante toujours d’une rencontre originale entre la Parole de Dieu et le monde »38. La théologie contextuelle se présente comme une théologie en mouvement dans toutes les catégories de la vie. Elle mise sur un changement qui s’opère dans le monde et lutte pour une société meilleure. C’est dans ce sens que son prophétisme s’applique, car elle adresse un message à ce monde, un rappel à la justice, au nom de l’Évangile, en faveur des pauvres, des opprimées et des faibles, une parole qui met en garde toute aliénation de l’être humain et notamment du croyant39. La contextualisation aborde la culture d’un point de vue critique et ne considère rien comme allant de soi. Cette critique n’hésite pas à s’appuyer sur l’Écriture. Cela s’est vérifié par le recours de plus d’un courant de théologie contextuelle à la critique biblique, utilisée comme outil herméneutique pour la compréhension du message de la foi40. C’est le cas de la théologie noire, théologie féministe, etc. Le texte de TEF insiste sur le fondement théologal de la théologie contextuelle qui ne se réduit pas au seul effort humain, mais plutôt une réflexion sérieuse autour d’un vécu de foi qui se crée à partir de la rencontre de la parole de Dieu avec le contexte.

Le texte de TEF pose les jalons de la contextualisation, mais n’a pas la paternité, car sa réflexion est une résultante des expériences et des acquis de plusieurs mouvements théologiques, naissants dans certains milieux noirs des États-Unis, qui étaient en train d’élaborer la théologie de la libération avec l’impulsion de l’œuvre de Gustavo Gutierrez41 et de la théologie noire avec l’impulsion de la première œuvre de James Cone42.

1.1.3 Expressions de théologie contextuelle

La théologie contextuelle comme nous l’avons souligné plus haut, à différentes articulations ou expressions, qui prennent en compte le contexte. Hesselgrave et Rommen ont contribué de manière significative en associant la contextualisation à la missiologie, portant le point de

38 Ibid.p.20.

39 Antoine Fleyfel, La théologie contextuelle arabe: modèle libanais, p. 29.

40 Cela peut être par exemple perçu dans la tentative de christologique de Boff qui utilise largement la critique

biblique pour la compréhension du message libérateur du Christ voir Leonardo Boff, Jésus-Christ libérateur, Paris, Éditions du Cerf, 1983.

41 Gustavo Gutiérrez, Théologie de la libération: perspectives, Bruxelles, Lumen Vitae, 1974. 42 James Cone, Black Theology and Black Power, New York, Seabury Press, 1969.

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vue des évangéliques sur la thématique. Pour eux la contextualisation est partie intégrante de la missiologie, et est une nécessité pour l’évangélisation du monde. Toute tentative de contextualisation n’est forcément pas valable d’où l’importance de « faire la distinction entre les tentatives aberrantes et valides »43. La validité d’une tentative se fera sur la base de son rapport à l’Écriture. La Bible reste ainsi la norme et le but ultime du missionnaire44 y est moulé. Fleyfel révèle les réserves sur la pensée des deux théologiens :

La position des deux théologiens reste prudente. Toute en considérant le principe de la mission qui consiste à communiquer la parole de Dieu comme premier et biblique par excellence, ils admettent l’existence d’une nouvelle formulation théologique, mais soulignent leurs réticences d’une manière indirecte en évoquant les oppositions de certains évangéliques en désaccord avec la définition du TEF45.

La pensée de Hesselgrave et de Rommen se résume dans les cinq perspectives, qui pour eux devraient permettre au missionnaire de faire la transmission du message évangélique dans un contexte précis, d’une manière significative. Nous nous contenterons d’énumérer les cinq perspectives. Il s’agit de la perspective philosophique, théologique, anthropologique, herméneutique et communicationnelle sémantique. En convoquant ces cinq perspectives, ils arrivent à considérer la contextualisation comme « la tentative de communiquer le message de la personne, de l’œuvre, de la parole et de la volonté de Dieu d’une manière qui soit fidèle à la révélation de Dieu46.

Du côté sud-américain une des têtes de proue de la réflexion sur la théologie contextuelle est Clodovis Boff. À la différence de la lecture que proposent Hesselgrave et Rommen, il mise sur la question d’un nouveau paradigme et d’une nouvelle pratique au lieu d’une actualisation du contenu47. Pour lui, la théologie de la libération est une forme spécifique de théologie contextuelle et une nouvelle manière de faire la théologie. Dans sa démarche, il s’inspire des sciences sociales et s’enracine dans l’expérience spirituelle du pauvre. Il considère que la théologie de la libération n’est pas un chapitre dans le vaste livre de la science du divin, mais

43 David J. Hesselgrave et Edward Rommen, Contextualization: Meanings, Methods and Models, Californie,

William Carey Library, 2000, p. xii.

44 Antoine Fleyfel, La théologie contextuelle arabe: modèle libanais, p. 31. 45 Ibid., p. 32.

46 David J. Hesselgrave et Edward Rommen, Contextualization: Meanings, Methods and Models, p. 200. 47 Antoine Fleyfel, La théologie contextuelle arabe: modèle libanais, p. 38.

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plutôt « une théologie intégrale, dans la mesure où elle assume toute la problématique du depositum fidei48, évidemment à l’intérieur d’une perspective précise, qui d’ailleurs fait d’elle une théologie déterminée49. Il y voit trois ramifications majeures à savoir : populaire, pastorale et professionnelle. Il suggère que pour éviter un abord spéculatif du contexte, la théologie de la libération devra s’appuyer sur la « médiation socio-analytique » qui constitue sa particularité épistémologique et sur une lecture du texte scripturaire toujours « située » par rapport aux problèmes contextuels à affronter. Il continue en affirmant que de cette manière la théologie de la libération débouche sur une praxis d’engagement et de libération qui touche à tous les domaines de la vie du chrétien, qu’ils soient spirituels, ecclésiaux, sociaux ou politiques. Il pense ainsi que la théologie est « fatalement humaine, culturelle et historique »50. Clodovis Boff en s’inspirant profondément du vécu des opprimés de son contexte exprime une théologie qui vient avec des valeurs de libération.

Jean François Zorn51 définit selon lui, la contextualisation tout en évoquant ses limites en cinq thèses. Il suggère de mettre l’accent sur « l’acte de dénonciation » au niveau herméneutique du quotidien, de la validation par le dialogue constant entre le texte biblique source et le contexte local cible, l’élaboration de théologie locale, la théologie pratique qui doit assurer le va-et-vient entre les discours ecclésiaux et une formulation universitaire et enfin pour éviter tout danger de syncrétisme lié la proximité de la contextualisation avec le contexte52.

Chez Clemens Sedmak, l’accent est mis sur une théologie contextuelle populaire. Il affirme que, la théologie pratiquée par les professionnels n’est pas plus importante que celle pratiquée par ceux qui n’ont pas suivi d’études théologiques, les deux ont la même importance. Le théologien autrichien ne croit pas en univocité de la tradition ; mais en une série de traditions (Pères, Théologiens, etc.) que le théologien contextuel devrait s’approprier pour pratiquer la

48 Peut être compris comme le corps de la vérité révélée dans les Écritures et la tradition proposée par l'Église

catholique pour la croyance des fidèles

49 Clodovis Boff, Théorie et pratique: la méthode des théologies de la libération, Paris, Éditions du Cerf,

1990, p. v.

50 Ibid., p. 83.

51 Jean-François Zorn est professeur de théologie pratique et d’histoire du christianisme contemporain à

l’institut Protestant de Théologie, Faculté de Montpellier en France

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théologie locale qui se trouve ainsi en lien avec la tradition53. Dans ce sens, beaucoup d’éléments profanes du contexte devraient être aussi pris en compte, telle la connaissance du langage54 qui ne peut pas être effectué à l’écart de la connaissance de la culture. Sedmak précise que les « les jeux du langage font partie de la façon de faire les choses. Les concepts sont toujours liés à l’utilisation, à la praxis, et donc à la culture »55. Dans son développement Sedmak rejoint la théologie de la libération en parlant de l’importance que la théologie contextuelle devrait allouer aux pauvres, car la théologie ne peut être neutre. Il donne de l’importance aux petites théologies qui se font dans divers lieux comme les hôpitaux, les petites communautés, car elles parlent selon lui de la vie des hommes, de leurs questions et de leurs préoccupations56. En somme, le volet fort de la méthode théologique contextuelle de Sedmak est la « popularisation », qui la sort de la technicité universitaire et la rend accessible à tous les croyants. Le dépositaire de toutes ces recherches est le croyant qui n’a pas besoin de prérequis universitaire pour articuler sa foi.

Schreiter, met l’accent sur la définition d’une théologie locale avec un grand penchant sur le rôle de la « tradition ». Dans son ouvrage Constructing Local Theology, il laisse deviner son appartenance catholique par son développement de la notion de « tradition ». Il préfère analyser la question à partir d’une approche synthétique plutôt que de s’attarder sur l’analyse des différentes théologies. Pour lui le terme contextuel sera réservé aux théologies ayant une grande sensibilité au contexte57. Il poursuit son argumentaire en résumant sa pensée dans trois modèles à savoir : le modèle de traduction (translation model), le modèle d’adaptation (adaptation model) et le modèle contextuel (contextual model). Les théologies locales font des choix dans leurs apports à la tradition, puisqu’elles y cherchent toujours des éléments parallèles qui pourraient les concerner.

Stephan Bevans, dans sa proposition sur les modèles de théologies contextuelles, suggère de donner la priorité aux lieux théologiques. Pour lui, si la théologie classique se fonde sur l’Écriture et la Tradition pour élaborer son discours, la théologie contextuelle ajoute à ces

53 Antoine Fleyfel, La théologie contextuelle arabe: modèle libanais, p. 43.

54 Epistémologue, Sedmak est conscient de l’importance fondamentale du langage au sein de la théologie. 55 Clemens Sedmak, Doing Local Theology: A guide for artisans of a new humanity, Maryknoll, New York,

Orbis Books, 2006, p. 82.

56 Ibid., p. 129.

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deux locis theologicis58, l’expérience humaine présente, contenue dans le contexte. Il dit à cet effet que : « la théologie qui est contextuelle réalise que la culture, l’histoire et la forme contemporaine des idées sont à prendre en considération, à côté de l’Écriture et de la Tradition, en tant que sources valables pour l’expression théologique »59. Pour se préserver d’une mauvaise contextualisation, il suggère cinq critères : l’affirmation des bases essentielles de la foi chrétienne, la possibilité de traduire la théologie contextuelle en prière, l’orthopraxie de la théologie, l’ouverture aux autres théologies et le pouvoir de dialoguer avec d’autres théologies contextuelles. Allant dans le même sens que Schreiter, Bevans va étendre la liste des modèles de théologies contextuelles à six à savoir : le modèle de traduction, le modèle anthropologique, le modèle praxéologique, le modèle synthétique, le modèle transcendantal, et le modèle contreculture.

L’ouvrage d’Angie Pears, Doing Contextual Theology60 est l’ouvrage relativement récent sur la contextualisation. Elle montre que malgré les approches les plus radicales, toutes les théologies contextuelles maintiennent avec la tradition, des liens évidents et persistants. Pour elle, la contextualité découle de la nature même de la religion chrétienne, qui est en « transition », « sujette aux changements de la culture humaine et de l’existence sociale »61. Dans ce sens la théologie chrétienne restera toujours contextuelle. Angie Pears fait la différence entre la contextualité de la théologie, qui serait un constat épistémologique, et la notion de « théologie contextuelle », qui doit être utilisée pour faire référence à toute théologie qui place d’une manière explicite, la reconnaissance de la nature contextuelle de la théologie sur le front du processus théologique62. Dans sa description, elle utilise la critique et ouvre des horizons théologiques contextuels nouveaux, tout en rappelant le rôle indéniable de la tradition.

58 Bevans utilise largement le concept de locus theologicus ou au pluriel locis theologicis (lieux de la

connaissance théologique). Le théologien Américain parle toujours de trois Locis theologicis : L’Écriture, la Tradition, et le contexte. Toutefois le contenu du concept était historiquement différent. On peut remonter au XVIe siècle pour trouver l’une des sources majeures de son utilisation. Melchior Cano (1509-1560) avait rédigé

un ouvrage qui sera imprimé après sa mort.

59 Stephan B. Bevans, Models of contextual theology, Maryknoll, New York, Orbis Books, 2006, p. 4. 60 Angie Pears, Doing Contextual Theology, Londre et New York, Routledge, 2010.

61 Ibid., p. 1. 62 Ibid., p. 1.

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À la fin de ce parcours sélectif que fait Fleyfel, nous retenons le caractère nouveau de ce paradigme théologique et le changement qu’il apporte dans le monde de la théologie au niveau de son élaboration, de sa pratique et de son rapport à l’Écriture. Le contexte dans cette formulation prend pleinement sa place de locus theologicus au même titre que l’Écriture et les traditions. Pour essayer de mieux comprendre la méthode qui domine l’articulation de la théologie contextuelle, nous allons par la suite scruter le travail de Leonardo Boff et Clodovis Boff qui comme Gutierrez sont parmi les porte-étendards de la théologie de la libération. 1.2 Théologie de la libération

La théologie de la libération, considérée comme une théologie contextuelle par excellence apparait sous la plume des frères Boff63 comme une nouvelle manière de faire la théologie et qui reste d’actualité. La théologie de la libération suppose, avant tout, une protestation énergétique devant une situation qui signifie :

 Au niveau social : oppression collective, exclusion et marginalisation  Au niveau humain : injustice et négation de la dignité humaine ;

 Au niveau religieux : péché social, « situation contraire au dessein du créateur et à l’honneur qui lui est dû » ; (Puebla n° 28 p31.)64

À la base du discours de la théologie de la libération, il y a une situation qui au regard de la compréhension de la pensée de Dieu et de l’interprétation de la Bible peut être révisée. Cette théologie voudrait libérer, dans la mesure où elle s’articule, pour la résolution d’une situation non acceptable selon une lecture scripturaire. Le désir de libération est étroitement lié à un besoin spirituel. Toute véritable théologie nait d’une spiritualité, c’est-à-dire d’une rencontre profonde avec Dieu survenant dans l’histoire65. Les efforts des pratiques et les réflexions menées depuis des années, pour répondre aux besoins des nécessiteux, ont montré qu’il faut

63 Leonardo Boff et Clodovis Boff, Qu'est-ce que la théologie de la libération ? 64 Ibid., p. 14.

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dépasser deux stratégies fondamentales, celle de l’assistentialisme66 et du réformisme67. La théologie de la libération se donne pour mission d’aller au-delà de ces deux solutions pour aboutir à une transformation de la praxis.

Des personnalités, comme Gustavo Gutierrez, Jon Sobrino, Pablo Richard, sont généralement citées comme référence en théologie de la libération. Cependant la théologie de la libération est un phénomène ecclésial et culturel trop riche et trop complexe pour que l’on se limite aux théologiens de profession68. La théologie de la libération met en confrontation foi chrétienne et situation d’oppression. Afin d’éviter un abord spéculatif du contexte et de se transformer en une science de l’abstraction, la théologie de la libération s’appuie sur « la médiation socio-analytique » qui constitue sa particularité épistémologique et sur une lecture du texte scripturaire toujours « située » par rapport aux problèmes contextuels à affronter. La théologie de la libération débouche alors sur une praxis d’engagement et de libération qui touche à toutes les catégories de la vie du chrétien, qu’elles soient spirituelles, ecclésiales, sociales ou politiques69.

1.2.1 Cible et médiation socioanalytique

La théologie de la libération a pour cible le pauvre dans sa large définition. Le pauvre est le sous-produit du système dans lequel nous vivons et dont nous sommes responsables. C’est l’homme marginalisé de notre monde social et culturel. Plus encore, le pauvre, c’est l’opprimé, l’exploité, le prolétaire, le frustré du fruit de son travail, le dépouiller de son être d’homme. Il est autour de nous, ou ce peut être aussi nous. Le « pauvre » cependant n’est pas une fatalité ; son existence n’est pas neutre politiquement, ni éthiquement innocente. Voilà

66 Dans l’assistentialisme, on s’émeut devant le tableau de misère collective : on cherche à aider les

malheureux. C’est ainsi que sont mises sur pied des œuvres d’assistance […] Une telle structure porte secours aux individus, mais elle fait du pauvre un objet de charité, jamais un sujet de sa propre libération…

l’assistentialisme engendre toujours la dépendance des pauvres : ils restent suspendus aux aides et aux décisions d’autrui, incapables de devenir sujets de leur libération.

67 Dans le réformisme, on essaie déjà d’améliorer la situation des pauvres, mais on perpétue le même type de

relations sociales et la structure fondamentale de la société en place, on oppose à ce qu’il ait davantage de participation pour tous et qu’il soit touché aux privilèges et aux bénéfices exclusifs des classes dominantes. voir Leonardo Boff et Clodovis Boff, Qu'est-ce que la théologie de la libération ?, p. 17-18.

68 Ibid., p. 25.

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pourquoi la pauvreté du pauvre n’est pas un appel à une générosité qui allège une misère individuelle, mais l’exigence de construire un ordre social différent70.

La théologie de la libération émerge d’un contexte d’oppression, de pauvreté et de lutte. Pour la comprendre, nous nous attarderons sur la méthode fondamentale, telle que la proposent Leonardo et Clodovis Boff. Pour eux, l’élaboration de la théologie de la libération se déroule en trois moments fondamentaux qui correspondent aux trois temps de la méthode pastorale à savoir : voir, juger et agir. Ces étapes de la méthode pastorale deviennent pour la méthode professionnelle trois médiations à savoir :

 La médiation socioanalytique ;  La médiation herméneutique ;  La médiation pratique ou la praxis71.

Considérant l’agent de la théologie de la libération qui est le pauvre et l’opprimé, la théologie de la libération se doit de s’intéresser aux conditions réelles de ces derniers. Cet intérêt se manifeste au travers du questionnement que le théologien établit sur la nature de l’oppression et ses causes, et ce que cela signifie aux yeux de Dieu. L’opprimé a plusieurs visages, il peut être l’enfant, le jeune, l’indigène, le paysan, l’ouvrier, le sous-employé ou le chômeur, le marginalisé ou le vieillard. La libération ne sera authentique que si elle est assumée par le peuple opprimé lui-même, car elle devra partir de ses valeurs propres72.

La première étape pour cette médiation socioanalytique est la compréhension du phénomène. L’opprimé dans le tiers monde est le pauvre socio-économique et c’est lui la figure contemporaine. Cette pauvreté s’explique de plusieurs manières. L’explication empiriste cherchera les causes de la pauvreté dans l’indolence, l’ignorance et la méchanceté humaine, l’explication fonctionnaliste dira que la pauvreté est un retard, et la dialectique la définira comme une oppression. Pour analyser le monde des pauvres, il faut prendre en

70 Gustavo Gutiérrez, Théologie de la libération: perspectives, p. 311.

71 Leonardo Boff et Clodovis Boff, Qu'est-ce que la théologie de la libération ?, p. 47. 72 Gustavo Gutiérrez, Théologie de la libération: perspectives, p. 105.

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compte non seulement leurs oppressions, mais aussi leurs histoires et leurs pratiques libératrices les plus embryonnaires73.

Le concept du pauvre selon Boff peut s’élargir à toutes autres formes d’oppression sociale. Sous cet angle, il en dénombre trois types d’oppression à savoir :

 Racial : le Noir ;  Ethnique : l’Indien ;  Sexuel : la femme.

Il est clair que la liste peut être allongée, car toutes les personnes qui se trouvent dans une quelconque situation d’oppression peuvent être considérées comme cible de cette réflexion théologique. Dans l’exercice de la médiation socioanalytique qui est une approche de type scientifique, il apparait des limites, qui sont celles de la rationalité positive, qui laisse échapper toutes les nuances, que seules l’expérience directe et une familiarité prolongée peuvent percevoir74. Il est certes question d’analyser la situation de l’opprimé, mais aussi de considérer sa narration à lui, dans sa situation, pour avoir une perception plus globale. Dans le cadre de notre étude, le pauvre ou l’opprimé sera remplacé par l’étranger, le migrant, celui qui attend d’être accueilli. Il pourrait prendre aussi le visage du chrétien qui est aussi en migration dans sa foi. La migration dans la foi chrétienne commence par un accueil que le croyant reçoit de Christ. Dans son cheminement, il se doit d’accueillir l’autre dans sa relation au quotidien, mais aussi de se faire accueillir. Il est la cible de notre réflexion c’est à son endroit que sera évaluée la dynamique de l’hospitalité.

1.2.2 Médiation herméneutique

Le théologien après avoir compris la situation réelle de l’opprimé au travers de sa médiation socioanalytique doit alors se poser la question suivante : Que dit la Parole de Dieu à ce sujet ? C’est le deuxième temps de la construction théologique, moment spécifique qui rend le discours formellement théologique75. À ce niveau, l’exercice revient à l’examen du processus d’oppression/libération à la lumière de la foi. Le théologien de la libération se tourne ainsi

73 Leonardo Boff et Clodovis Boff, Qu'est-ce que la théologie de la libération ?, p. 52. 74 Ibid., p. 56.

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vers les Saintes Écritures en ayant avec lui toute la problématique, la douleur et l’espérance des opprimées. Cette démarche sera au centre de notre argumentaire. Il va ainsi se soumettre à la lumière et à l’inspiration de la parole divine, dont il opère une nouvelle lecture, qui dans ce cas, sera l’herméneutique de la libération.

Dans cette démarche la Bible sera interrogée sur sa vision de l’opprimé. On cherchera à voir comment se perçoit le message biblique sur la thématique. L’herméneutique de la libération interroge la parole, sans anticiper idéologiquement sur une réponse divine. La situation de l’opprimé est considérée sur le plan théologique comme une situation de péché ; car il y apparait un refus du don de paix du Seigneur et même du Seigneur lui-même76. Parce qu’elle se veut théologique, l’herméneutique se réalise dans la foi, c’est-à-dire dans l’ouverture à la révélation toujours nouvelle et toujours surprenante du Dieu, au message inouï qui peut sauver ou condamner.

L’herméneutique théologique libératrice a donc quelques traits qu’il faut prendre en compte77. Premièrement, il privilégie le temps de l’application sur celui de l’explication. L’herméneutique libératrice lit la Bible, comme un livre de vie, et non comme un recueil d’histoires curieuses. Elle se doit de chercher sans cesse, le sens textuel en fonction du sens actuel. Deuxièmement, l’herméneutique libératrice cherche à découvrir et à mettre en mouvement l’énergie transformatrice des textes bibliques. Elle se donne la tâche de trouver une interprétation susceptible de conduire à un changement de la personne conduisant à la conversion et de l’histoire, produisant une révolution78 selon Leonardo et Clodovis Boff. Troisièmement, une lecture théologico-politique de la Bible accentue, sans effets réducteurs, le contexte social du message. Elle replace chaque texte dans son environnement historique afin d’en tirer une traduction convenable, non littérale, pour notre propre contexte historique79.

Dans l’optique d’asseoir une herméneutique qui épouse l’ensemble de la Bible, certains livres servent de support à cette analyse. Le livre de l’Exode parce que traduisant une libération politico-religieuse, les livres des prophètes par leur défense intransigeante du Dieu libérateur,

76 Gustavo Gutiérrez, Théologie de la libération: perspectives, p. 119.

77 Leonardo Boff et Clodovis Boff, Qu'est-ce que la théologie de la libération ?, p. 62. 78 Ibid., p. 62.

Figure

Tableau : Décryptage du dialogue Abraham/Yahvé dans Gn 18,23-33  Extrait de Walter Vogels, Abraham et sa légendre, pp228-229
Tableau : Analyse de la dynamique de l’accueil dans le livre de Jonas  Versets  Description de la dynamique en jeux  Type d’accueil  1,1-2  Dieu donne un message à Jonas et lui

Références

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