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1.2. L ES COMPETENCES SENSORIELLES PRECOCES DE L ’ ENFANT PREMATURE

1.2.4. La vision

Le système visuel est le dernier à se former dans la vie fœtale. L’œil est visible à l’échographie autour de 12 SA, mais il faut attendre 16 SA pour observer des mouvements oculaires lents et 23 SA pour observer des mouvements rapides (de Vries, Visser, & Prechtl, 1982). Bien que l’œil se soit formé avant la naissance, le système visuel n’est pas complet au terme normal de la gestation. En effet, les mécanismes optiques sont partiellement fonctionnels : l’humeur vitrée3 n’est pas tout à fait transparente troublant la vision ; le cristallin est rigide, faisant obstacle à l’accommodation ; la pupille ne se dilate que peu et lentement. Quant aux photorécepteurs de la rétine (bâtonnets et cônes), ils sont nettement différenciés mais leur répartition spatiale n’est pas totalement établie. Les voies optiques sont achevées à 25 SA mais elles ne sont pas encore totalement myélinisées, myélinisation qui progresse très rapidement de la naissance jusqu’à 4 mois où elle atteint les terminaisons corticales, avant de ralentir jusqu’à son achèvement vers la fin de la 2ème année (Bloch, Lequien, & Provasi, 2003). Le système visuel est donc inachevé dans son ensemble à la naissance. Malgré cette immaturité, le nouveau-né né à terme possède déjà un certain nombre de compétences et notamment celle d’habituation et de discrimination visuelle (Fantz, 1963; pour une revue, Mazens & Gentaz, 2006), capacités qui vont se développer et s’affiner rapidement grâce à l’expérience visuelle ex utero. L’enfant prématuré a un système visuel d’autant plus immature qu’il est né tôt mais il bénéficie aussi d’une expérience visuelle plus précoce. Néanmoins, sa position dans l’incubateur4 va considérablement limiter les stimulations. La question est de savoir s’il peut tirer partie de ces stimulations visuelles et s’il pourra développer une activité perceptive comparable à celle du nouveau-né à terme.

3Substance transparente, gélatineuse qui remplit la cavité oculaire en arrière du cristallin.

4 Les incubateurs ont été créés dans les années 1950 par les pédiatres pour permettre de contrôler la température, prévenir les risques d'infection et permettre l'accès aux ressources et équipements spécialisés.

Allen et Capute (1986) ont montré que les enfants prématurés sont réactifs (clignements des yeux) à un flash lumineux dès 25 SA. De plus, en exposant ces enfants une fois par semaine à ce flash de manière répétée, ils obtiennent une habituation, c’est-à-dire une diminution importante des clignements pour la majorité des enfants dès leur première semaine de vie. Bloch (1984) a pour sa part comparé les performances de poursuite visuelle de cible chez des prématurés âgés de 6 à 8 jours (nés entre 30 et 32 SA) et des enfants à terme âgés de 3 jours. Les résultats montrent que les enfants prématurés sont capables de suivre visuellement une cible mais qu’ils la perdent plus rapidement de vue et qu’ils éprouvent plus de difficultés à la retrouver que les enfants nés à terme. Les auteurs expliquent cette différence par un moindre développement de la rotation de la tête ainsi que du réflexe vestibulo-oculaire. Une autre étude s’est intéressée à la poursuite de cible chez les enfants prématurés, mais cette fois-ci de manière longitudinale (Dubowitz, Dubowitz, Morante, & Verghote, 1980). Les enfants sont testés deux fois par semaine, du plus tôt après leur naissance jusqu’à leur sortie de l’hôpital. Leur échantillon comprenait 47 enfants nés dès 28 SA jusqu’à 34 SA. Les résultats mettent en évidence une capacité de poursuite visuelle dès 31 SA, avec une majorité des enfants pouvant poursuivre une cible se déplaçant horizontalement ou verticalement. Leurs performances deviennent équivalentes à celles des enfants à terme vers 33-34 SA, indiquant un aspect expérientiel du développement des compétences visuelles. De plus, quel que soit leur âge gestationnel, les enfants prématurés à un même âge post-conceptionnel présentent des performances similaires, mettant ainsi en avant des compétences liées à la maturation du système de traitement visuel. Cette recherche indique donc que les aspects de maturation et d’expérience vont tous les deux influer sur les compétences visuelles du prématuré. Dans cette même étude, les auteurs ont également évalué chez les mêmes bébés leurs capacités de préférence visuelle face à différentes paires d’images issues de la technique de Fantz (1963). Ils ont observé que la majorité des bébés prématurés présentent des préférences visuelles dès 32 SA et que leurs réponses sont équivalentes à celles des bébés à terme vers 34-35 SA.

Très récemment, Kavsek et Bornstein (2010) ont réalisé une méta-analyse sur l’habituation / déshabituation visuelle chez les enfants prématurés. Cette méta-analyse souligne que d’une part, très peu d’études ont été faites chez les prématurés sans complication médicale particulière en période néonatale (c’est-à-dire de leur naissance à leur terme normal, 40 SA), et que d’autre part, ces dernières sont assez anciennes. Dans ces études, les enfants prématurés présentaient des performances d’habituation plus faibles, c’est-à-dire des temps plus longs pour s’habituer, comparées à celles des enfants nés à terme et testés à 3 jours de vie. Les stimuli utilisés étaient des damiers qui différaient selon leur

complexité (Kopp, Sigman, Parmelee, & Jeffrey, 1975; Sigman, Kopp, Littman, & Parmelee, 1977), ou différentes expressions de visages comme la joie, la tristesse et la surprise (Field et al., 1983). Dans les études utilisant les damiers, seule l’habituation était évaluée chez des enfants prématurés âgés de 40 SA (nés vers 33 SA). Dans l’étude de Field et ses collaborateurs (1983), ils ont aussi évalué les performances de discrimination chez 48 enfants prématurés de 36 SA (nés vers 35 SA) et 48 enfants nés à terme âgés de 2 jours. Les résultats montrent également que les enfants prématurés ont des performances plus faibles de discrimination que les enfants nés à terme. L’ensemble de ces études suggère que l’aspect de maturation semble prévaloir sur l’aspect d’expérience extra-utérine. De plus la prématurité semblerait même avoir créé un retard dans les performances d’habituation.

Plus récemment, une batterie de tests a été développée pour évaluer différents aspects de la vision, la réaction aux contrastes de couleurs, la discrimination de rayures noires et blanches de largeurs variées et l’attention à la distance (cible qui se déplace latéralement pour évaluer la distance latérale maximale que l’enfant peut atteindre). Cette batterie a été validée chez 50 enfants nés à terme dès 48 heures de vie (Ricci, Cesarini, Groppo et al., 2008). Les chercheurs ont voulu savoir si cette batterie de tests convenait aussi aux enfants prématurés. Une première étude a été faite chez 109 enfants prématurés âgés de 35 et de 40 SA (nés à 28 SA) sans complication médicale particulière (Ricci, Cesarini, Romeo et al., 2008) et leurs performances ont été comparées à celles des enfants à terme. L’évaluation de la maturité des réponses correspond à la comparaison du pourcentage d’enfants réussissant une épreuve dans chaque groupe d’âge post-conceptionnel. Les résultats montrent que les enfants prématurés dès 35 SA sont plus matures pour fixer et suivre une cible se mouvant verticalement ou en arc et qu’ils sont plus matures à 40 SA pour discriminer des rayures de largeurs variées que les enfants nés à terme. Par contre, la poursuite de cibles colorées, l’attention à la distance et la discrimination de rayures sont plus matures à l’âge du terme qu’à 35 SA. Les auteurs interprètent ces résultats en suggérant que l’expérience accélère certains aspects précoces de la vision relatifs à la stabilité oculaire et à la poursuite qui seraient contrôle sous-cortical (Dubowitz, Mushin, De Vries, & Arden, 1986) mais qu’elle ne semble pas affecter d’autres aspects de la vision qui serait plus sous contrôle cortical. Ces mêmes auteurs ont ensuite utilisé cette batterie de tests chez 64 enfants prématurés encore plus jeunes, âgés de 28 à 33 SA (nés vers 28 SA) (Ricci et al., 2010). Les réponses des enfants évoluent avec l’âge avec des performances similaires à 32-33 SA comparées à celles mesurées à 35 SA. Seule l’épreuve de suivi de cible se mouvant en arc présente une réponse plus immature qu’à 35 SA. De plus, les auteurs constatent que leur batterie de tests peut être utilisée chez les enfants prématurés dès 31 SA mais pas avant, à cause de l’instabilité de santé

de ces enfants. En conclusion, il est clair que les enfants prématurés présentent déjà un certain nombre de compétences visuelles, dont certaines vont être améliorées par l’expérience visuelle ex utero et d’autres retardées par la situation atypique de prématurité.

En résumé, ces résultats mettent en évidence l’influence de l’expérience ex utero sur les compétences sensorielles précoces des enfants prématurés. C’est pourquoi, nous allons maintenant nous intéresser à l’environnement de l’enfant prématuré, c’est-à-dire le service de néonatologie où les stimulations sensorielles sont particulières.