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2.3. P ERCEPTION TACTILE DE L ’ ENFANT PREMATURE

2.3.1. Le toucher passif chez l’enfant prématuré

2.3.1.1. Etudes comportementales et physiologiques

Les études qui s’intéressent à la capacité de traitement des informations tactiles chez le prématuré sont rares. Nous allons présenter quatre études qui évaluent les aptitudes des prématurés à répondre comportementalement et physiologiquement à une stimulation tactile appliquée sur une partie du corps de l’enfant. Tout d’abord, Rose, Schmidt et Bridger (1976) se sont intéressés aux réponses comportementales et physiologiques manifestées par des enfants nés à terme et prématurés suite à une stimulation tactile appliquée au bas de l’abdomen. Les réponses des mouvements du corps et les réponses cardiaques sont mesurées en phase de sommeil agité chez 20 enfants prématurés âgés de 38+5 SA en moyenne (nés vers 33+2 SA) et 20 enfants nés à terme âgés de 2-3 jours. Les stimuli appliqués sont trois

filaments issus d’un esthésiomètre qui diffèrent par leurs diamètres. Chaque filament est appliqué rapidement cinq fois, chaque application durant 2,5 secondes environ. L’intervalle entre l’application des différents stimuli est de 30 secondes. La situation contrôle consiste à n’appliquer aucune stimulation et elle permet de renseigner sur un état basal comportemental et physiologique. Les résultats ne montrent pas de modifications de la réponse cardiaque suite aux différentes stimulations tactiles chez les enfants prématurés au contraire des enfants nés à terme. Cependant, les enfants prématurés et nés à terme manifestent une modification dans leur réponse comportementale suite à l’application du stimulus de plus grande intensité, même si la réponse est plus faible chez les enfants prématurés. Cette première étude témoigne de l’existence de différences de réponses entre les enfants nés à terme et les prématurés suite à une stimulation tactile répétée.

Rose, Schmidt, Riese et Bridger (1980) ont repris en partie la même méthodologie et se sont interrogés sur l’influence d’une intervention tactile préalable (prémices de la thérapie par le massage) ainsi que de la phase de sommeil lors du test sur les réponses des enfants. Les réponses des mouvements du corps et les réponses cardiaques sont mesurées en phase de sommeil agité et en phase de sommeil profond chez 30 enfants prématurés sans intervention âgés de 37+6 SA en moyenne (nés vers 33+2 SA), 30 enfants prématurés avec intervention âgés de 37+2 SA en moyenne (nés vers 32+5 SA) et 30 enfants nés à terme sans intervention âgés de 2-3 jours. L’intervention tactile consiste en un massage du corps de l’enfant durant 20 minutes trois fois par jours, cinq fois par semaine. Au total, l’intervention tactile dure 13 jours, le dernier jour étant la veille du test. Lors du test, le stimulus tactile utilisé est celui qui possédait le plus gros diamètre dans l’étude de Rose, Schmidt et Bridger (1976). Le stimulus est appliqué dix fois de manière alternée avec une condition contrôle où aucun stimulus n’est présenté. Les résultats indiquent que les réponses comportementales et cardiaques des enfants prématurés avec intervention sont similaires à celles des enfants à terme en phase de sommeil agité suite à la stimulation tactile alors que les enfants prématurés sans intervention ne présentent qu’une réponse comportementale, pattern de réponses retrouvées dans l’étude de Rose, Schmidt et Bridger (1976). En phase de sommeil profond, l’intervention ne modifie pas les réponses cardiaques et comportementales, les prématurés répondent de manière identique. Ce n’est pas le cas lorsque les stimulations sont faites pendant le sommeil profond. Cela confirme qu’il existe bien des différences de réponse suite à une stimulation tactile entre les enfants nés à terme et les prématurés. Néanmoins, l’intervention semble réduire ces différences, témoignant des effets bénéfiques d’une thérapie par le massage. De plus, les informations n’étant pas traitées de la même façon en phase de

sommeil profond ou agité, cette étude met en avant l’intérêt de contrôler les états d’éveil et de sommeil des enfants lorsqu’on les stimule tactilement.

Une troisième étude vient renforcer ces résultats en utilisant une procédure d’habituation (Field, Dempsey, Hatch, Ting, & Clifton, 1979). Cette étude, que nous avions en partie introduite pour aborder l’audition chez les prématurés, compare aussi les réponses comportementales et cardiaques entre 18 prématurés d’âge post-conceptionnel de 37 SA (nés à 33 SA) et 18 nouveau-nés à terme âgés de 3 jours, qui ont tous été habitués avec le même filament que celui utilisé par Rose, Schmidt, Riese et Bridger (1980). L’habituation consiste en dix présentations successives du stimulus. De manière identique aux résultats obtenus en audition, les enfants à terme présentent une diminution des réponses cardiaques et comportementales lors de l’habituation alors que les enfants prématurés présentent seulement une diminution de la réponse comportementale. Ces résultats confirment les résultats précédemment obtenus. Les auteurs proposent que cette différence entre les deux populations soit due à un seuil d’habituation qui serait plus élevé chez les prématurés, seuil qui n’aurait donc pas été atteint dans cette étude. Ils supposent qu’une fois ce seuil atteint, les réponses entre les deux populations seraient équivalentes. Ces trois premières études mettent en avant des différences de réponses entre les enfants nés à terme et les enfants prématurés avec des réponses comportementales moindres et des réponses cardiaques non significatives suite à une stimulation tactile au bas de l’abdomen. Cela ne signifie pas forcément que les enfants prématurés traiteraient moins bien ces informations tactiles, mais plutôt que leur système cardio-vasculaire et dans une moindre mesure leur système moteur, serait encore trop immature et désorganisé pour renseigner sur cette aptitude. Notons aussi que ces auteurs n’ont pas ou peu contrôlé les antécédents médicaux des prématurés ni les états d’éveils de tous les enfants, facteurs pouvant influencer les réponses d’habituation.

Plus récemment, Fearon, Hains, Muir et Kisilevsky (2002) ont cherché à caractériser la maturation de la sensibilité tactile en utilisant une procédure d’habituation / déshabituation chez les nouveau-nés prématurés et nés à terme entre 30 et 40 SA peu après la naissance. Quatre groupes d’enfants sont constitués en fonction de leur âge post-conceptionnel : 12 enfants entre 29 et 31 SA âgés de 6 jours (nés à 29+4 SA), 12 enfants entre 32 et 34 SA âgés de 2 jours (nés à 32+6 SA), 12 enfants entre 35 et 37 âgés de 3 jours (nés à 35+1 SA) et 13 enfants entre 38 et 41 SA âgés de 1 jour (nés à 40 SA). Lors de la phase d’habituation, l’expérimentateur applique une caresse durant 4 secondes sur l’avant bras de l’enfant pendant huit essais, avec un intervalle de 30 secondes entre chaque essai. Puis, l’expérimentateur applique deux fois pendant 4 secondes un nouveau stimulus où il saisit le poignet de l’enfant et soulève son bras. Enfin, le stimulus familier est à nouveau

présenté deux fois pendant 4 secondes. La situation contrôle consiste à n’appliquer aucune stimulation et ainsi permet de renseigner sur un état basal comportemental et physiologique. Les réponses cardiaques et comportementales (mouvements du corps) sont enregistrées en phase de sommeil agité. Les résultats révèlent une maturation des réponses entre 30 et 40 SA avec une augmentation graduelle dans l’ampleur de l’accélération cardiaque provoquée par le stimulus ainsi qu’une augmentation de la corrélation des réponses cardiaques et comportementales. Cela met bien en évidence une maturation progressive des systèmes physiologique et moteur au cours du développement en réponse à une stimulation tactile. La majorité des enfants prématurés et nés à terme présentent une accélération cardiaque et motrice suite à la présentation initiale du stimulus, puis une diminution des deux types de réponses lorsque la stimulation est répétée indiquant que les enfants se sont habitués. Cependant, un nombre important d’enfants (40 %) ne présentent pas de réponses cardiaque et motrice immédiate suite à la présentation initiale du stimulus tactile, mais commencent à en manifester seulement après quelques essais (Figure 11). Ces enfants-là (les non-répondeurs) échouent lors de la phase de discrimination du nouveau stimulus, contrairement aux autres enfants (les répondeurs) qui réagissent à la présentation du nouveau stimulus. Les auteurs interprètent ces différences quel que soit le groupe d’âge comme étant le reflet de différences individuelles lors de la perception d’une stimulation tactile. Néanmoins, à notre connaissance, ces résultats sont les premiers à mettre en évidence une habituation et une discrimination tactile suite à une stimulation tactile passive chez les enfants prématurés dès 30 SA.

Figure 11Moyennes des pics d’accélérations cardiaques en fonction des essais contrôle, d’habituation, de nouveauté et de reconnaissance pour les non répondeurs (A) et les répondeurs (B) et erreurs

Les données qui évaluent les aptitudes des prématurés à répondre comportementalement et physiologiquement à une stimulation tactile passive ont révélé des différences avec les enfants nés à terme. Mais cela est-il dû à une moindre capacité de l’enfant prématuré à traiter l’information tactile ou seulement à une immaturité des systèmes qui sous-tendent ses réponses physiologiques et comportementales ? Pour répondre à cette question, nous allons maintenant nous intéresser aux activations cérébrales induites pas des stimulations tactiles afin de déterminer si de telles différences se retrouvent entre les deux populations.