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Perception manuelle des propriétés matérielles de l’objet chez le

2.2. D EVELOPPEMENT PRECOCE DE LA PERCEPTION TACTILE

2.2.3. Perception manuelle des propriétés matérielles de l’objet chez le

le nouveau-né

Des études ont mis en évidence des perceptions tactiles manuelles précoces en utilisant la méthode d’habituation / réaction à la nouveauté et / ou en mesurant la fréquence des pressions manuelles chez le nouveau-né à terme. Nous allons d’abord présenter les capacités discriminatives des enfants nés à terme pour les propriétés de substance, poids et texture. Puis, nous verrons que les nouveau-nés sont aussi capables de transférer des informations de texture d’une main à l’autre, capacité sous-tendue par l’intégrité du corps calleux. La propriété de forme fera l’objet d’une description plus détaillée dans la partie suivante, propriété que nous avons décidé d’étudier dans ces travaux de thèse.

2.2.3.1. Traitement intra-main

Substance

Une des premières études à avoir mis en évidence une discrimination d’une propriété de l’objet chez le nouveau-né a été réalisée par Rochat (1987). Il utilise un transducteur de pression relié à deux stimuli cylindriques, l’un mou (élastique) et l’autre dur (rigide) chez 24 nouveau-nés âgés de 70 heures en moyenne. Un des objets est placé dans la main droite du

nouveau-né pendant trois minutes. L’enregistrement de la fréquence des pressions manuelles démontre que les nouveau-nés exercent une pression significativement plus importante lorsqu’ils manipulent l’objet dur comparé à l’objet mou. De plus, l’analyse qualitative des mouvements de la main et des doigts permet de distinguer deux patterns distincts d’exploration selon la substance de l’objet. L’objet dur est associé à un pattern plus important d’ouverture / fermeture rapide des doigts alors que l’objet mou est associé à un pattern plus important de grasping rigide (Figure 7). Cette étude révèle que le nouveau-né est capable de discriminer un objet dur d’un objet mou avec sa main en faisant varier son activité exploratoire (pression manuelle et pattern d’exploration) selon la substance de l’objet.

Figure 7 Présentation des patterns d’ouverture / fermeture des doigts (Squeeze-Release) et de grasping rigide (Clutch). Figure issue de Rochat (1987)

Poids

Hernandez-Reif, Field, Diego et Largie (2001) se sont intéressés à la discrimination de la propriété de poids chez le nouveau-né. Ils utilisent une procédure d’habituation / réaction à la nouveauté chez 23 nouveau-nés âgés de 44 heures en moyenne. L’habituation tactile consiste à présenter de manière répétée un objet dans la main de l’enfant jusqu’à ce que l’enfant soit considéré comme habitué. Dans cette expérience, l’habituation est une habituation contrôlée par le bébé : l’enfant est considéré comme habitué quand la somme de deux essais consécutifs est inférieure ou égale à 50 % de la somme des deux premiers essais. Deux stimuli sont présentés dans la main droite du nouveau-né, l’un est une fiole remplie de coton (stimulus léger, 2 g.) et l’autre, une fiole remplie de graines (stimulus lourd, 8 g.). Tout

d’abord, lors de la phase d’habituation, une diminution progressive du temps de tenue est observée quel que soit le stimulus, reflétant le fait que les nouveau-nés sont capables d’extraire des informations sur les objets avec leurs mains. Puis, lors de la phase test, une augmentation du temps de tenue est observée suite à la présentation du nouvel objet. Ce résultat révèle que les nouveau-nés perçoivent la différence de poids et sont donc capables de discriminer deux objets de poids différents. Cependant, cette étude ne renseigne pas sur l’activité manuelle exploratoire des nouveau-nés pour obtenir des informations sur la propriété de poids. C’est pourquoi Molina, Guimpel et Jouen (2006) ont réalisé une expérience similaire en mesurant l’amplitude et la fréquence des activités manuelles chez 20 nouveau-nés âgés de 4 jours en moyenne. L’habituation est aussi une habituation contrôlée par le bébé mais où la somme de deux essais consécutifs doit être inférieure ou égale au tiers de la somme des deux premiers essais. Les deux stimuli présentés dans la main droite du nouveau-né sont des tétines de forme conique, l’une légère (12 g.) et l’autre lourde (42 g.). Ils retrouvent des résultats identiques à ceux de Hernandez-Reif, Field, Diego et Largie (2001) pour les temps de tenue. Lors de la phase d’habituation, l’enregistrement de la fréquence des pressions manuelles montre que les nouveau-nés exercent une amplitude de pression significativement plus importante lorsqu’ils manipulent l’objet léger comparé à l’objet lourd, mais cette amplitude diminue progressivement quel que soit l’objet. Lors de la phase test, une augmentation de la fréquence des pressions manuelles est observée lors de la présentation du nouvel objet. L’introduction d’un objet de poids nouveau déclenche une augmentation de l’activité exploratoire manuelle du nouveau-né, confirmant qu’il est capable de discriminer tactilement le poids des objets.

Texture

Molina et Jouen (1998) reprennent la même procédure que Rochat (1987). Ils utilisent un transducteur de pression relié à deux stimuli cylindriques, l’un lisse et l’autre rugueux (surface recouverte de perles) chez 22 nouveau-nés âgés de 3 jours en moyenne. Un des objets est placé dans la main droite du nouveau-né sans limitation de temps pendant un seul essai. L’essai commence quand l’enfant saisit l’objet et s’arrête quand il le lâche. L’enregistrement de la fréquence des pressions manuelles montre que les nouveau-nés exercent une pression significativement plus importante lorsqu’ils manipulent l’objet lisse comparé à l’objet rugueux. Cette étude révèle que le nouveau-né est capable de discriminer un objet lisse d’un objet rugueux avec sa main en faisant varier son activité exploratoire selon la texture de l’objet. Les mêmes auteurs ont réalisé une seconde étude portant sur la

discrimination de texture, en utilisant une procédure d’habituation / réaction à la nouveauté couplée à l’enregistrement de fréquence des pressions manuelles chez 32 nouveau-nés âgés de 4 jours en moyenne (Molina & Jouen, 2004). L’habituation est une habituation contrôlée par le bébé où la somme de deux essais consécutifs doit être inférieure ou égale au tiers de la somme des deux premiers essais. Deux stimuli sont présentés dans la main droite du nouveau-né, l’un rugueux et l’autre lisse. Tout d’abord, lors de la phase d’habituation, les temps de tenue et la pression manuelle diminuent progressivement quelle que soit la nature du stimulus, confirmant ainsi la capacité des nouveau-nés à extraire des informations sur les objets avec leurs mains. Parallèlement, l’enregistrement de la fréquence des pressions manuelles met en exergue que les nouveau-nés exercent une amplitude de pression significativement plus importante lorsqu’ils manipulent l’objet lisse comparé à l’objet rugueux, mais cette amplitude diminue progressivement quel que soit l’objet. Puis, lors de la phase test, une augmentation du temps de tenue et de la pression manuelle est observée suite à la présentation du nouvel objet comparée à celle de l’objet familier. Ce résultat confirme que les nouveau-nés sont également capables de discriminer deux objets de textures différentes.

Ces recherches chez les nouveau-nés témoignent de leur capacité à détecter et percevoir les différentes propriétés de l’objet avec leurs mains, sans contrôle visuel. La mise en évidence de ces compétences précoces remet en cause le modèle de Bushnell et Boudreau (1991, 1993, 1998) . Par conséquent les contraintes motrices ne seraient pas un obstacle à la perception haptique des propriétés de l’objet à la naissance. Suite aux résultats obtenus dans l’étude qui comparait les résultats de l’habituation et ceux des variations de pressions manuelles selon la texture des objets, Molina et Jouen (2004) proposent que le grasping serait une activité cyclique nécessaire et non spécifique que les nouveau-nés utilisent comme outil exploratoire pour prélever des informations sur les propriétés de l’objet. Consécutivement à ces conclusions, Jouen et Molina (2005) présupposent que cette activité cyclique manuelle des nouveau-nés informerait sur les processus cognitifs présents dès la naissance. Bien que les nouveau-nés ne soient pas capables d’effectuer des mouvements manuels précis, à savoir les procédures exploratoires, leur activité manuelle cyclique, qui consiste en l’ouverture / fermeture de la main, constituerait un pattern de mouvement exploratoire général. Ce pattern, de par sa variabilité, permettrait aux nouveau-nés de percevoir tactilement les différentes propriétés de l’objet malgré l’absence de procédures exploratoires spécifiques. Ainsi, ce pattern de mouvement exploratoire général serait nécessaire pour extraire tactilement des informations sur les objets explorés et suffisamment variable pour traiter les différentes propriétés de l’objet.

2.2.3.2. Transfert inter-main

Bases neuronales du transfert inter-main

Le transfert inter-main est la capacité d’un individu à reconnaître qu’un objet déjà exploré par une main est le même que celui présenté dans l’autre main. Ce transfert reflète la capacité de l’individu à mémoriser des informations sur un objet, à la conserver en mémoire et à la comparer avec l’information obtenue dans l’autre main, nécessitant un transfert d’informations entre les deux hémisphères cérébraux. Des études en neuroimagerie menées chez l’adulte, ont démontré que le transfert d’informations tactiles repose sur l’intégrité de la partie postérieure du corps calleux (Fabri et al., 2005; Fabri et al., 2001). Bien que le corps calleux commence à se développer avant la naissance, les premières fibres calleuses sont observées vers 10-11 SA et il ne mature que très lentement avec un processus de myélinisation qui se poursuivra jusqu’à la puberté (Bloom & Hynd, 2005). Cependant, selon une récente étude de neuroimagerie utilisant l’IRM de diffusion, même si la myélinisation n’est pas terminée, les principaux faisceaux de fibres, dont ceux du corps calleux, sont déjà en place à la naissance (Dubois, Hertz-Pannier, Dehaene-Lambertz, Cointepas, & Le Bihan, 2006). Dans ces conditions, l’existence d’un transfert inter-main à la naissance semble plausible.

Texture

C’est en effet ce qu’ont mis en évidence Sann et Streri (2008). Elles utilisent la procédure d’habituation / réaction à la nouveauté chez 24 nouveau-nés âgés de 2 jours afin d’étudier leur capacité à traiter et échanger des informations de texture (expérience 1) entre leurs mains, sans contrôle de la vision. L’habituation est une habituation contrôlée par le bébé où la somme de deux essais consécutifs doit être inférieure ou égale au tiers de la somme des deux premiers essais. Un cylindre lisse est présenté à la moitié des nouveau-nés et un cylindre rugueux est présenté à l’autre moitié. Dans chacun de ces groupes, le stimulus est présenté soit dans la main droite, soit dans la main gauche du nouveau-né. Lors de la phase test, les objets nouveau et familier sont présentés alternativement l’un après l’autre pendant 4 essais, dans la main opposée à celle de l’habituation. Les résultats indiquent que les nouveau-nés présentent une préférence pour l’objet nouveau lors de la phase test. Malgré l’immaturité du corps calleux, les données révèlent que les nouveau-nés différencient bien les

deux objets, attestant de l’existence d’un transfert inter-main de la texture, indépendamment du sens de transfert (main gauche vers main droite ou inversement).