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Chapitre 3 : une critique Post-moderniste

3.2. Visée du projet : objectif

Après avoir pu observer que le projet de Damien Hirst se plaçait dans l’actualité de la création artistique, regardons plus en précision les objectifs d’une telle création. Tout d’abord il faut reconnaître à l’artiste une assez grande réussite quant à la création d’une fiction. Son œuvre se base sur notre propre histoire et s’inspire des récits du XIXe et XXe siècle, des explorateurs et romanciers

ainsi que des récentes découvertes archéologiques275. Grâce aux œuvres, à leur matérialité, aux films,

aux vidéographies, aux photographies, aux ouvrages, aux références antiques, contemporaines et archéologiques, nous plongeons dans un grand récit fictif. La fiction permet cette suspension de l’incrédulité utile pour faire naître l’émerveillement chez le spectateur. La surprise quant à elle est bien réelle face aux œuvres, qu’elle soit provoquée par leur aspect, leurs sujets et thèmes ou bien leurs tailles. Ces dernières n’ont pas été réalisées par l’artiste afin d’être lues d’une seule et unique façon, elles ont plusieurs sens de lecture. Damien Hirst cherche à créer des déclencheurs universels par le biais des images pour que son projet soit ouvert à tous et pour que le spectateur apporte aussi aux œuvres de nouvelles références. C’est sur ce point que se base l’universalité du projet, il ne s’agit pas d’un art universel et global mais d’une vision universelle. Il s’agit ainsi de créer un langage visuel qui sera compréhensible par le spectateur grâce aux signes et symboles exposés. C’est un des points primordiaux de l’exposition car c’est en partie cela qui permet au spectateur de s’intégrer et de participer dans l’exposition. Le spectateur est un acteur mais aussi un outil pour faire vivre cette fiction. C’est en partie grâce à lui qu’elle prend corps, dans la réception et la diffusion du projet. Une grande part de la réussite de ce travail réside dans l’idée de réussir à faire percevoir à l’individu les multiples histoires qui transitent par une seule histoire sous forme de fiction. C’est aussi une transmission de l’histoire par la fiction et la croyance. Le spectateur a une place primordiale dans l’œuvre. Un des objectifs est de l’émerveiller avec la notion de vraisemblable et d’extraordinaire possible, de réenchantement du monde et de la culture tout en le questionnant sur la notion d’authenticité et de faux. La fiction laisse le choix au spectateur de se plonger intégralement dans la fiction comme s’il

274 Supra., partie III, 3.3, p. 131

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s’agissait d’un roman ou d’un film276. Les sources réelles qui sont apportées afin de rendre plausible la

fiction et de l’intégrer dans notre monde sont là afin de pousser le spectateur dans cette direction, celle de la réflexion et de la croyance.

En utilisant l’archéologie, Hirst essaye de découvrir ce qui se passe aujourd’hui, il expose notre société et certains de ses goûts, présentement celui pour l’Antiquité, la mythologie et la fiction. En introduisant les images contemporaines, le spectateur est amené à réfléchir sur la notion de passé, de mémoire, mais aussi de présent et de futur. Il met en parallèle des mythes et des dieux de civilisations anciennes qu’il rapproche à notre société, cela dans le but de questionner la notion de croyance. L’exposition est un grand espace de distraction qui reflète en quelque sorte notre société contemporaine. Le spectateur est plongé dans ce monde aux multiples images qui réunissent un grand nombre d’histoires et de choses passées, que nous connaissons notamment grâce à leur intégration dans notre quotidien et notre culture populaire. L’artiste cherche aussi à casser la barrière qui pourrait exister entre le mythe et la réalité. Il ne fait pas la distinction entre le mythe et la réalité. L’exposition explore les multiples dialogues entre la culture visuelle classique et contemporaine277, et aussi les

influences du passé, du classique sur le présent. C’est ainsi que le travail de Hirst a abouti à la création d’une « mythosphère » dont il est à la fois l’artiste, le collectionneur et le conservateur278. Il repense

certains mythes, avec les icones d’aujourd’hui mais aussi avec de très nombreuses références à l’histoire de l’art. Ces dernières ne sont pas uniquement ultra contemporaines, fortement reconnaissables par une partie du public populaire mais aussi de véritables références archéologiques et anciennes plus difficiles à discerner, comme par exemple avec l’homme lion de Hohlenstein-Staden. Il y a aussi des références à des mythes moins connus qui montrent bien qu’il s’adresse aussi à un public averti.

Ce projet est tout d’abord la création d’une collection d’œuvres d’art et d’artefacts aux multiples références. Cette collection peut faire connaître certaines œuvres et histoires au public par le mélange des cultures, qui permet notamment de créer de nouvelles figures iconographiques que l’artiste signe279. Cela force le spectateur à chercher dans son musée imaginaire les images qu’il

pourrait reconnaître. Il apparaît tout de même que cet éclectisme ressemble à un rêve d’enfant, comme si Hirst y avait mis tout ce qu’il pouvait.

276 Des fictions dans lesquelles la question de la réalité se pose avec beaucoup moins de force, dans lesquelles la

suspension consentie de l’incrédulité est tenue jusqu’au bout

277 James Francis CAHILL, op. cit., p. vii 278 Diane FORTENBERRY (et al.), op. cit., p. 14

279 Nous retrouvons la signature de l’artiste dans l’exposition sur certaines de ses œuvres (nous avons pu en

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Son œuvre est faite pour durer dans le temps, que ce soit par l’intermédiaire du marché de l’art, d’expositions, de ventes, des médias, des réseaux sociaux, il renforce la durabilité de son projet en continuant de publier dessus. Sa continuité s’illustre parfaitement dans la publication d’un second ouvrage d’œuvres graphiques (One Hundred Drawings Treasures From the Wreck of the Unbelievable Volume 2) sorti en octobre 2018, un an après la fin de l’exposition. Il s’agit presque d’un investissement à long terme sur son projet. Nous retrouvons les œuvres de Hirst à travers les réseaux sociaux qu’il continue à alimenter par lui-même. Mais cette diffusion ne s’en tient pas qu’à cela. Ses œuvres antiquisantes vont être prêtées lors d’expositions comme il a été possible de le voir dans The Classical

Now à King’s College London, dans Age of Classics ! L’Antiquité dans la culture pop afin de montrer le

rapport et l’influence de l’Antiquité sur les productions artistiques contemporaines et sur la culture populaire. Mais ce n’est pas la seule portée des œuvres puisqu’une quinzaine d’entre elles sont aussi visibles dans l’exposition Fake News – Fake Truth à Haifa en Israël. L’exposition porte sur les concepts de « vérité » à travers des œuvres qui jouent avec les notions de fiction, de réalité, de croyance et d’histoire. Nous retrouvons aussi Skull of Unicorn dans l’exposition sur le bestiaire du Moyen-Âge au Getty Museum de Los Angeles, Book of Beast : The Bestiary in the Medieval World. Outre ce contexte culturel, les œuvres sont achetées afin de pouvoir être exposées au sein de collections, de musées et d’expositions mais aussi dans des lieux publics qui n’ont pas de vocations culturelles comme c’est le cas au Kaos, un club du Palms Casino Resort de Las Vegas où il est possible de voir Demon with Bowl surplomber la piscine du prestigieux hôtel280. Nous retrouvons aussi plusieurs œuvres du projet

illustrées dans des ouvrages comme dans celui de Diane Fortenberry portant sur le mythe à travers les époques281. Cela prouve bien que les œuvres de Hirst peuvent illustrer plusieurs discours, et

permettent de perpétuer la visibilité des œuvres, de la fiction, du projet et de l’artiste.

Comme nous avons pu le voir précédemment, les œuvres citationnelles et antiquisantes ne sont pas nouvelles dans la production artistique. Nous venons de voir que les œuvres de Hirst étaient encore visibles en dehors de l’exposition lors d’autres événements. L’artiste britannique est désormais revenu sur le devant de la scène artistique avec ce projet mais nous pouvons aussi nous apercevoir que les œuvres de Treasures from the Wreck of the Unbelievable apparaissent dans des expositions et ouvrages principalement basés sur le thème de l’Antiquité. L’apparition de Hirst dans ces différents événements le fait percevoir comme un des artistes importants de cette vague d’exposition sur la mythologie. Cela fut déclenché par son exposition de Venise. Or, Damien Hirst réalisait déjà avant son dernier projet des œuvres en rapport à la mythologie et à l’Antiquité. Rappelons sa série d’œuvres sur

280 Vol. I, annexe I, p. 90, fig. 285

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le roi Midas282 ou encore son œuvre Golden Cow faisant clairement référence à la divinité égyptienne,

le taureau Apis283. Les œuvres de l’exposition sont peut-être plus parlantes pour le public car elles sont

plus figuratives et reconnaissables contrairement à ses œuvres précédentes plus métaphoriques. La création de cette « mythosphère » contemporaine est importante tant en taille que d’un point de vue artistique. Le projet a été conçu de telle sorte qu’il soit impressionnant, très sérieux mais restant tout de même un divertissement à grande échelle. La fiction, les récits et les œuvres réussissent à tromper le spectateur pendant un temps et l’amène à formuler diverses réflexions. La fiction rejoint ainsi la réalité en questionnant l’authenticité des œuvres, de l’exposition, des mythes et des références. Avec ce projet intéressant, Hirst réussit à revenir sur le devant de la scène artistique tout en se renouvelant.