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La question de la restitution esthétique par la restauration ou la copie

Chapitre 2 : l’élaboration des œuvres et de l’exposition

2.2. Les matériaux

2.2.3. La question de la restitution esthétique par la restauration ou la copie

Comme nous avons pu le voir, certaines œuvres sont déclinées en plusieurs exemplaires, certains illustrent des copies contemporaines pour montrer l’œuvre avant et après sa soi-disant restauration. Ce sujet est complexe, faut-il restaurer les œuvres, est-ce nécessaire pour la lecture ou pour la conservation ? Dans le cas qui nous intéresse, les œuvres sont créés par Damien Hirst pour être exposées. En montrant des œuvres restaurées, il pose donc naturellement la question de la restauration mais aussi de la copie et de l’authenticité de l’objet. Nous voyons apparaître des œuvres simplement nettoyées et d’autre totalement restituées. Les œuvres qui font exemple de restauration ne sont pas forcément toutes réalisées dans le même matériau. Les cloches Bell (Bo) (2011)119 sont en

bronze tandis qu’Hermaphrodite (2009)120 est réalisée en bronze pour deux des œuvres et en granit

noir pour la troisième. Dans ce dernier cas il s’agit aussi d’introduire la tradition de la copie de marbres et d’autres œuvres par le bronze, plus accessible, moins couteux et plus léger. Pour Hydra and Kali (2015)121, elles sont toutes deux en bronze (fibre de verre patiné en bronze), l’une entièrement

119 Vol. I, annexe I, p. 19, fig. 49 à 51 120 Vol. I, annexe I, p. 37, fig. 107 à 109 121 Vol. I, annexe I, p. 20, fig. 53 et 55

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recouverte de corail et où le bronze est victime du temps, la patine est fortement visible, ce qui donne une couleur bleu clair, ponctuée de blanc et de vert. Comme dit précédemment, l’effet de patine est fait exprès pour donner un aspect vieillit. Et dans ce cas présent, il est intéressant de visualiser l’œuvre avec sa structure coralienne et ce qu’elle devait être à l’origine. L’objectif est ici de raconter l’histoire de l’œuvre, pas de lui rendre l’aspect qu’elle avait avant. Le fait de n’exposer qu’une seule œuvre, propre de tout dépôt marin ne permettrais pas de visualiser son histoire fictive. Cela enlèverait visuellement 2 000 ans de son histoire passée sous l’eau. Les marques sont un témoignage qu’il ne faut pas ignorer. Elles permettent aussi de persuader le spectateur de la véracité de l’histoire en opposant ainsi deux versions, une soi-disant ancienne et une seconde identifiée comme étant une copie contemporaine réalisée pour l’occasion de l’exposition.

En prenant l’exemple de la Vénus de Milo122, Damien Hirst explique par rapport à la

restauration, que lorsque le spectateur voit la manière dont les bras sont cassés, il doit se dire que cela a dû être fait exprès. C’est une part du charme de l’œuvre. Il reprend Demon with Bowl pour préciser ses dires, en disant qu’il croit en son démon parce qu’il lui manque une partie. Nous y croyons parce que le temps a eu un effet sur lui, c’est lui qui l’a abîmé. Il faut apprécier l’effet du temps sur l’objet, il souligne que tout deviendra fragments un jour ou l’autre. De ces fragments naît la foi, elle est créée par ce que nous ne pouvons pas voir. Ce sont les parties perdues des statues et autres sculptures qui appuient leur existence, les marques de leur vie finalement. Ainsi une restauration sur l’œuvre originelle détruirait l’effet du temps, les marques de son histoire qui sont comme des cicatrices. Le mythe absolu n’apparaîtrait plus, il serait effacé. Le spectateur perdrait sa foi, son appréciation de l’œuvre sera en partie modifié. Il est par exemple facile d’imaginer la Victoire de Samothrace123

restaurée de ses bras et de sa tête. Cela enlèverait une part de sa beauté. C’est son aspect actuel124,

connu par tous, qui la rend incroyable (« Unbelievable »). Ce sont les traces qu’elle porte qui lui confère en partie son histoire. Cette dernière est visible en un coup d’œil par le spectateur sans qu’il ait pour autant besoin de se documenter. L’aspect visuel d’une œuvre est très important.

Si vous questionnez les chefs du département des peintures au Louvre ils vous diront « [qu’ils] préfèrent un excès de prudence à des atteintes irrémédiables » et que « vouloir retrouver l’œuvre originelle est un mythe »125. Ainsi la beauté de l’œuvre réside dans son état originel (visible), non

restituée en une forme qui pourrait ne pas être celle correspondante. Pour Hermaphrodite, nous nous

122 Vol. I, annexe I, p. 80, fig. 246 123 Vol. I, annexe I, p. 80, fig. 247 et 248 124 Restaurée en 2015

125 Interview de Sébastien ALLARD, chef du département des peintures au Louvre (2014 à aujourd’hui) et de Jean-

Pierre CUZIN, ancien chef du département des peintures au Louvre (1973 à 2003), « Jusqu’où fait-il restaurer les œuvres d’art ? », La Croix [en ligne], 30 juin 2015 : https://www.la-croix.com/Ethique/Sciences- Ethique/Sciences/Jusqu-ou-faut-il-restaurer-les-oeuvres-d-art-2015-06-30-1329429

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trouvons en présence d’une restauration par restitution, d’une copie contemporaine de musée et de l’œuvre avant restauration. Rien n’est précisé sur la sureté de la restitution des membres manquants. Il reste préférable pour le spectateur d’admirer les deux œuvres côte à côte comme c’est le cas ici (la restaurée et celle avant restauration). Présenter une œuvre identique dans un autre état semble plus pédagogique que de toucher directement à la sculpture, s’il s’agissait d’œuvres ayant une réelle histoire. Placer une copie à côté de l’œuvre que l’on veut qualifier d’originelle, ici généralement recouverte de coraux, permet de renforcer cet effet auprès du spectateur, bien qu’il s’agisse d’une fiction.