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Chapitre 2 : La réappropriation culturelle

2.2. Le phénomène de l’appropriation

« Si l’Antiquité est toujours une reconstitution en partie imaginaire – et pas seulement l’objet d’un savoir positif –, il faut aussi étudier la liberté avec laquelle chaque époque a traduit et transformé en une réalité contemporaine des mythes anciens. […] L’Antiquité ne cesse d’être une figure du contemporain. »249

La question de l’appropriation et de la réappropriation se pose à toutes les époques. De tout temps l’homme s’est inspiré de ce qui l’entourait mais aussi de ce qu’il avait fait auparavant. C’est très souvent que nous nous inspirons de faits passés pour créer. Et cela est d’autant plus flagrant avec le mélange des cultures. Actuellement nous pouvons observer le mélange entre la pop culture, le mythe et l’Antiquité. Les figures mythologiques font inéluctablement partie de notre quotidien, des bases de notre société et de notre culture occidentale. La mythologie et l’Antiquité ont toujours eu un grand impact sur les artistes, qu’importe l’époque. L’appropriation qui en est faite par les artistes peut se diviser en deux thématiques : la continuité et le changement250. Par exemple, le mythe est un sujet

249 Alexandre FARNOUX, Philippe HOFFMANN et Paul-Louis RINUY (dir.), Antiquités imaginaires. La référence

antique dans l’art moderne, de la Renaissance à nos jours, Paris, Presses de l’École normale supérieur, 1996, p.

VIII et X

250 Diane FORTENBERRY (et al.), Se brûler les ailes. Les mythes dans l’art, de l’art antique à l’art contemporain,

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très intéressant pour les artistes car il est très populaire et il permet d’être réinventé tout en gardant une structure identifiable. Comme l’archéologie, il compresse passé et présent. La mythologie est une condition de la culture visuelle gréco-romaine, fondée sur les concepts d’émulation et de reproduction. Ainsi plus le mythe est adapté et plus il perdurera assurant ainsi sa pérennité251. Et cette mythologie

est fortement présente dans notre culture visuelle à travers le cinéma, la bande-dessinée, le comics, le manga, la musique, l’art … Nous retrouvons un grand nombre d’œuvres antiquisantes dans les productions artistiques notamment celles de Picasso, de Chirico, Delvaux ou du couple Poirier. Les artistes utilisent la capacité de confusion du mythe dans leurs œuvres252. L’intérêt pour ce rapport à

l’Antiquité et aux mythes n’est pas nouveau mais il n’est pas encore beaucoup étudié dans notre société contemporaine. Certains événements et expositions mettent en lumière le travail des artistes et la réflexion de l’Antiquité et du mythe dans notre société.

Des recherches scientifiques sont réalisées sur la place de l’Antiquité et du mythe dans notre société mais elles se basent principalement sur la littérature et le théâtre. Les premières recherches scientifiques de l’Antiquité dans l’art contemporain apparaissent en mai 2016 lors d’un colloque qui se déroule à Lyon II Lumière, Antiquipop. L’Antiquité dans la culture populaire contemporaine. Cet événement se concentre enfin sur la présence de l’Antiquité dans la culture populaire la plus contemporaine, et sur des supports peu considérés par les chercheurs : le jeu-vidéo, les séries, l’art contemporain, la musique, le cinéma, la bande dessinée, le manga, la littérature, etc253. Ces médias,

souvent liés à la culture de masse, constituent l’interface la plus vaste entre nos sociétés et l’Antiquité : l’étude des références révèle aussi bien notre vision du passé que celle de notre présent254. Beaucoup

plus d’événements sont visibles en 2017 parmi lesquels le workshop international Modern Classicisms.

Classical art and contemporary artists in Dialogue qui s’est déroulé à King’s College London en

novembre 2017, et qui donna suite à une exposition intitulée The Classical Now 255. A aussi eu lieu à

l’Université de Bonn un colloque international, Classical Antiquity & Memory from 19th to 21st

Century. Cette même année en France, le FRAC Normandie Rouen en collaboration avec le Musée des

Antiquités de Rouen réalisait une exposition qui mettait en confrontation des œuvres de la collection du musée et du FRAC afin de montrer les influences de l’art antique dans l’art contemporain. L’exposition est intitulée À l’Antique et se place dans la continuité des recherches réalisées en 2016, concernant uniquement des œuvres contemporaines. Il est aussi possible de voir en 2019, l’exposition

251 Diane FORTENBERRY (et al.), op. cit., p. 12 252 Ibid., p. 9

253 Le colloque n’offre pas de réflexion dans le domaine de la mode et de la photographie mais cela reste à venir 254 Actes du colloque international Antiquipop. L’Antiquité dans la culture populaire contemporaine, 26 – 28 mai

2016, textes réunis par Fabien BIÈVRE-PERRIN et Elise PAMPANAY, MOM Éditions [en ligne], 2018 : https://books.openedition.org/momeditions/3299

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Age of Classics ! L’Antiquité dans la culture pop au musée Saint-Raymond de Toulouse. Cet événement

correspond beaucoup plus aux recherches du colloque de 2016 puisque l’exposition concerne en grande partie la culture de masse256. Nous observons donc de plus en plus la naissance d’expositions

qui mettent en scène ces derniers temps la mythologie et l’antiquité dans l’art contemporain et dans la culture de masse. Ceci semble moderne mais ce n’est pourtant pas nouveau. Ce phénomène n’est pas récent mais il semble aujourd’hui important de le montrer. En dehors des expositions et des colloques, c’est le Musée d’Art Classique de Mougins qui fait exception dans la présentation des collections classiques. Ce dernier a pour scénographie novatrice de présenter des œuvres classiques à thème antique et mythologique et du mobilier archéologique antique à proximité d’œuvres modernes et contemporaines portant sur le même sujet. Ces œuvres font partie de la collection permanente du musée. Ces expositions qui présentent des œuvres en rapport à notre culture de masse sont de plus en plus nombreuses.257

Comme nous avons pu le voir, cet engouement pour le sujet de la mythologie et de l’Antiquité est lié au fait que le public soit particulièrement réceptif et avide de cet imaginaire antique, en plus du fait de permettre aux artistes une grande liberté. Comme dit précédemment, c’est aussi pour la grande capacité de confusion du mythe que les artistes l’utilisent. Le mythe est un sujet intéressant car il est très populaire, même après avoir été modifié ou transformé, il garde une structure identifiable. Il est une source d’inspiration très fertile pour les artistes. Ils viennent puiser leurs idées dans un répertoire d’images bien fourni. Il fait partie intégrante de notre culture et c’est tout naturellement que les artistes se réapproprient cet imaginaire antique afin de créer des œuvres hyperartistiques. Ces productions peuvent être nommées des œuvres antiquisantes et citationnelles de par leur nature.

Nous avons vu précédemment que le mythe est inspiré de la réalité et qu’il permet une grande liberté quant à sa réappropriation. Cela ne peut que plaire aux artistes qui sont plus libres de s’approprier un mythe plutôt que de se réapproprier une œuvre. Dans le cas de Damien Hirst, la majorité des œuvres possède des références visuelles et iconographiques. Mais pour certaines œuvres

comme Cronos Devouring his Children, il s’agit uniquement d’une appropriation du mythe. L’artiste a

confié que son interprétation du mythe correspondait à des faits réels qui ne sont pas cités dans

256 Cinéma, jeux-vidéo, bande-dessinée, comics, manga, littérature, mode, médias …

257 Nous nous attarderons uniquement sur les sujets antiques et mythologiques. Ainsi nous ne traiterons pas des

expositions qui font référence à notre culture de masse en générale. Retenons comme exemple Star Wars qui fait désormais partie de notre mythologie contemporaine avec l’exposition qui eut lieu au Louvre, Mythes

fondateurs. D’Hercule à Dark Vador du 17 Octobre 2015 au 4 Juillet 2016 et les expositions proposées par la

galerie Sakura notamment, L’expo contre attaque ! du 11 octobre 2015 au 15 janvier 2016. Nous n’évoquerons pas non plus les expositions qui ne présentent pas des œuvres du XXIe siècle. Il faut cependant ne pas oublier de

citer l’exposition 2000 ans de création … d’après l’Antique qui eut lieu au Louvre du 20 Octobre 2000 au 15 Janvier 2001

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l’exposition. Le mythe est aussi utilisé afin que le spectateur associe l’extraordinaire au réel. Dans cette œuvre, Hirst illustre deux faits réels par l’intermédiaire du mythe de Cronos. Il dit faire référence avec cette œuvre aux actes de Joseph Kony258 mais aussi à l’histoire de Ugolino della Gherardesca, repris

par Dante dans La Divine Comédie259. Les mythes sont les seuls à traduire les faits, les actes et la société

à toute époque260.

La convergence entre l’art antique et l’art contemporain se fait naturellement par la réappropriation, un point important de la culture populaire contemporaine, saturée de récits mythologiques et antiques : la prétendue universalité de l’Antiquité en a fait l’un des outils de l’art populaire. Ce rapport à l’antiquité explique son importance dans une société occidentale qui souhaite s’unir malgré un passé parfois raciste et colonialiste, marqué par les conflits. L’Antiquité est utilisée comme un socle commun de la société qui appartient à la culture pop. Cela permet au public comme aux artistes de se réapproprier ces formes connues, qui fournissent un vaste répertoire libre de droits, ouvert à tous. La référence à l’Antiquité joue des rôles variés, de l’affirmation identitaire au féminisme etc … L’histoire qui est faite des réinterprétations permet de donner des clés de compréhension et de lecture au public face aux œuvres. Ainsi les artistes réussissent leur pari puisque l’œuvre peut être identifiable facilement. Pour Damien Hirst, le mythe ajoute encore plus de confusion dans la compréhension de l’histoire mais permet aussi au public de reconnaître le sujet réinterprété d’une œuvre. L’exposition va peut-être toucher un public différent en vue de l’intérêt porté sur la réception du spectateur face à des œuvres citationnelles et antiquisantes. L’utilisation de l’Antiquité et de la mythologie dans l’exposition contextualise bien évidemment l’histoire fictive mais permet aussi de faire le lien entre le passé et le présent, tout comme l’archéologie, afin de pouvoir faire une critique de notre propre société. L’exposition de Hirst semble tout de même suivre la mode de l’Antique bien que l’artiste se soit toujours en partie inspiré de sujets antiques, mythologiques ou religieux tout au long de sa carrière. La monumentalité de l’exposition ne fait que renforcer le mythe et cela transforme l’exposition en jeu, à savoir combien de mythes, de références et d’histoires le public est capable de retrouver ou deviner. Les réflexions sur l’authenticité, sur notre société laissent place au divertissement.

258 Chef des rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA pour Lord's Resistance Army), il est accusé par la

Cour Pénale Internationale d’enlever des enfants afin de les forcer à devenir soldats en Ouganda

259 Ce dernier aurait mangé ses enfants et est illustré dans le dernier cercle de l’enfer 260 Diane FORTENBERRY (et al.), op. cit., p. 9

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