• Aucun résultat trouvé

virtuels dans la formation professionnelle et l’intérêt d’une approche de l’activité

Les travaux précités présentent un certain nombre de limites, identifiées et partagées par les auteurs qui se sont intéressés au processus d’apprentissage lors de l’utilisation et la conception d’EV pour la formation professionnelle.

I 1.3.1 Les environnements virtuels à l’épreuve de l’activité d’apprentissage et de formation : un angle mort de la recherche

Les EV pour la formation ont peu été étudiés du point de vue de l’expérience des apprenants ou des formateurs. Les limites essentielles des études sont de notre point de vue (i) un manque d’accès systématique et méthodique à l’expérience vécue des apprenants (learner-experience) et des formateurs ; (ii) une focalisation excessive sur les caractéristiques techniques des EV au détriment d’une prise en compte élargie de l’environnement de formation de manière située; (iii) une approche désincarnée des processus d’apprentissage et une focalisation sur l’acquisition de connaissances ou compétences prédéterminées, ne permettant pas de rendre compte de l’ensemble des transformations et apprentissages pouvant surgir en situation de formation.

La première limite concerne l’absence d’analyse systématique et méthodologiquement fondée de l’expérience vécue des acteurs (formés et formateurs) dans le cadre de la documentation des apprentissages. Bétrancourt (2014) précise que les recherches ayant une approche factorielle (notamment les approches cognitives), considèrent la subjectivité de l’individu comme « un obstacle à l’analyse scientifique » (Bétrancourt, 2014, p. 155). En effet, même si des recherches ayant une approche factorielle, comme celle de Pedram et al. (2020), argumentent en faveur d’un cadre d’analyse plus large dépassant les caractéristiques de la RV et croisant plusieurs variables (e.g., l'expérience antérieure du stagiaire d’utilisation de cette technologie ; l'état d'esprit du stagiaire au moment de l’utilisation de l’EV en termes de motivation, d’enthousiasme, de compétition ; les caractéristiques de la RV en termes de réalisme et co-présence ; l’apprentissage à partir des notions de flow, d’immersion, de sentiment de présence …), les résultats ne permettent pas de documenter un accès méthodique à l’expérience vécue des acteurs qui permet d’éclairer les processus complexes tels que l’apprentissage. De plus, les résultats obtenus par ces recherches sont appauvris par l’absence de documentation précise de la nature des connaissances acquises lors des situations de formation, des processus de construction de ces connaissances, ainsi que les éléments ayant participé/favorisé/permis leur construction. Pour cela, il nous semble essentiel d’opter pour une approche théorique et méthodologique permettant d’accéder de manière précise et systématique l’expérience vécue des acteurs, leur interaction avec l’environnement, ou encore les éléments significatifs pour eux dans leur activité en situation de formation, lorsqu’un EV est mobilisé.

La deuxième limite concerne la prise en compte de certaines caractéristiques du dispositif au détriment de l’ensemble de l’environnement dans lequel se déroule la formation. En effet,

plusieurs des recherches présentées étudiant l’effet des EV pour l’apprentissage se focalisent uniquement sur les caractéristiques de l’EV telles que l’immersion, l’interaction, la présence excluant les autres éléments de l’environnement (Thouvenin, 2009). Cependant, comme le soulignent Damşa et ses collègues (2019), une approche écologique de l'apprentissage permet de prendre en compte l’ensemble de l’écosystème (Hutchins, 2010). Assumer qu’étudier certaines des caractéristiques de l’EV suffit pour documenter le processus d’apprentissage revient à nier le caractère situé de l’apprentissage (Lave, 1988; Lave & Wenger, 1991; Suchman, 1987). Or l’activité est indissociable de la situation dans laquelle elle prend forme. Elle s’ajuste à l’environnement culturel, spatio-temporel et organisationnel dans lequel elle se déploie. Pour la documenter, il est impossible de ne pas prendre en compte ses liens avec l’histoire des relations entre les acteurs et l’EV, mais également le fait qu’elle s’organise dans un environnement spécifique, constitué de caractéristiques spécifiques. Par ailleurs, en s’intéressant à l’ensemble de l’environnement il devient possible de concevoir/améliorer non seulement à l’EV, mais aussi la situation de formation dans laquelle il s’insère. Amadieu et Tricot (2014) soulignent sur ce point qu’il est essentiel de penser la scénarisation de l’EV (quand il est possible d’y apporter des contributions pendant la conception et d’y faire des modifications), mais qu’il est tout aussi important de porter une réflexion sur la conception et la scénarisation pédagogique de la situation de formation dans sa globalité, dont l’EV n’est qu’une composante parmi d’autres. Aussi, nous faisons l’hypothèse comme Amadieu et Tricot (2014) qu’il est indispensable de s’intéresser au « scénario pédagogique » et à l’ensemble de l’environnement de formation qui intègre l’EV. Pour le dire autrement, nous considérons qu’il est tout aussi important de s’intéresser à l’activité des formés qu’à l’activité des formateurs, ceci dans l’objectif de concevoir non pas des EV de formation ou pour l’apprentissage, mais des écosystèmes formatifs conçus en termes d’aide et basés sur des agencements complexes entre activité des formateurs, activité des formés, un environnement entendu, et des dispositifs d’EV.

La troisième limite est celle d’une évaluation des apprentissages ne prenant pas en compte le caractère incarné de l’activité humaine. L’apprentissage est incarné, c’est-à-dire que la cognition

« dépend des types d’expérience qui découlent du fait d’avoir un corps doté de diverses capacités sensorimotrices … [qui] s’inscrivent elles-mêmes dans un contexte biologique, psychologique et culturel plus large » (Varela et al., 1993, p. 234). Selon le principe de l’enaction (Maturana &

Varela, 1987), l’activité est une co-émergence entre un individu (l’acteur) et un environnement.

Elle est donc « énactée ». Cependant, c’est l’acteur qui détermine les éléments de l’environnement qu’il prend en compte à chaque instant. Ainsi, pour comprendre l’activité il faut

examiner comment l’acteur, percevant les éléments de son environnement, guide ses actions dans des situations que son activité même contribue à construire (Varela, 1989). Ainsi, à partir de ce postulat, il devient possible d’étudier la diversité des apprentissages et des connaissances construites lors des situations de formation (pré-établies ou émergentes, symboliques ou non-symboliques, abstraites ou sensibles, …). Par ailleurs, analyser l’activité dans sa totalité et sa complexité permet (sans se focaliser sur l’apprentissage) de mettre en lumière des transformations de l’activité des stagiaires ou des formateurs qui peuvent révéler une construction ou un renforcement de connaissances (non prévues par le formateur), mais également des affaiblissements ou déconstruction de connaissances antérieures qui sont des transformations tout aussi importantes pour la formation et la conception.

I 1.3.2 Les approches centrées sur l’activité pour explorer les situations de formation intégrant des environnements virtuels

Les démarches ergonomiques constituent une piste opportune pour étudier les effets des dispositifs médiatisés pour l’apprentissage en permettant d’éviter deux positions antinomiques : holistique d’une part, factorielle d’autre part (Bétrancourt, 2014). La position holistique postule qu’un dispositif dépend de différentes dimensions et qu’il serait futile de les étudier de manière isolée, tandis que la position factorielle implique de prendre en compte une multitude de facteurs afin d’en croiser les variables (Pedram et al., 2020).

D’après Bétrancourt (2014), la distinction entre ces deux positions repose sur des éléments épistémiques, puisque « dans le premier cas la subjectivité de l’individu et la particularité du contexte, sont des composantes majeures de l’effet, alors que dans le second cas, elles sont considérées comme un obstacle scientifique » (p.155). Pour dépasser cet antagonisme, cette auteure propose une position intermédiaire, celle de l’ergonomie francophone, qui permet de prendre en compte la complexité du dispositif, les usages réels des artefacts, la subjectivité des acteurs et l’impact du contexte institutionnel ou pédagogique.

Bétrancourt (2014) propose trois pistes pouvant favoriser l’étude des effets d’apprentissage. La première piste consiste à s’intéresser à l’activité afin de mieux identifier les usages et plus globalement l’activité réelle des acteurs lors de l’utilisation des dispositifs médiatisés pour l’apprentissage. La seconde piste consiste à combiner différents types de données pour documenter l’expérience subjective des acteurs, les éléments liés au fonctionnement du dispositif, mais aussi les contraintes et effets du dispositif sur l’activité des acteurs. Enfin, la troisième piste consiste à étudier l’utilisation des dispositifs et les transformations associées (des

dispositifs, de l’activité des utilisateurs, en matière d’apprentissage/développement) sur des temporalités plus longues.

Afin de contribuer à cette littérature, il nous paraît pertinent d’étudier le processus de construction de connaissances en situation écologique, en prenant comme objet d’étude l’activité en situation de formation (Barbier & Durand, 2003; Poizat & Durand, 2015). Selon Barbier (2013), inscrire une recherche dans une approche de l'activité c'est « rendre compte des transformations en actes que constituent les activités » (p. 17). Il s'agit donc de penser la transformation comme inhérente à l'activité humaine et comme étant permanente.

Analyser l’activité des acteurs dans des situations de formation permet de s’intéresser à l’ensemble des éléments de l’environnement des acteurs qui participent à la construction, au renforcement, ou à l’invalidation de connaissances sans développer une forme de « myopie » excessive sur l’EV utilisé dans la séance. En prenant l’activité dans sa globalité, et en l’étudiant finement, il devient possible de documenter la manière dont elle se transforme. Ces transformations sont le reflet d’une mobilisation de connaissances déjà acquises, d’un renforcement de ces connaissances, d’un affaiblissement de celles-ci, ou encore d’une construction de nouvelles connaissances dans la relation entre l’acteur et son environnement.

Ainsi, documenter les transformations de l’activité consiste à rendre compte de la manière dont les apprenants construisent/renforcent/invalident des connaissances, en lien avec des éléments de leur environnement qui leur sont significatifs à un moment donné. L’analyse de l’activité permet de ne pas se limiter aux connaissances préétablies (souvent abstraites et symboliques – c’est-à-dire pouvant donner lieu à un argumentaire langagier) par les formateurs/concepteurs de l’EV, mais aussi de rendre compte des nouveaux questionnements qui peuvent émerger, ainsi que les doutes et difficultés que les stagiaires peuvent rencontrer dans la séance de formation avec des EV.

Par ailleurs, les recherches conduites en ergonomie sont finalisées, c’est-à-dire qu’elles visent toujours la conception ou l’amélioration des dispositifs étudiés. Aussi, à l’instar de Bétrancourt (2014), nous adoptons une démarche ergonomique pour comprendre l’activité des formés et des formateurs lors de l’utilisation d’un EV et proposer des pistes de transformation de son utilisation ainsi que la conception de nouvelles situations de formation.

I 2. APPORT CONJOINT DE L’ERGONOMIE ET LA FORMATION DES