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CADRE THÉORIQUE ET OBSERVATOIRE

II 2.3.2 Méthodes de verbalisations provoquées

Pour Theureau (2010), les méthodes permettant la documentation de la conscience préréflexive comme effet de surface de la dynamique du couplage structurel peuvent se résumer en quatre classes de méthodes. La première classe de méthodes contient les méthodes qui documentent l’expression de la conscience préréflexive au moment de la réalisation des actions, telles que les méthodes de verbalisation simultanée, décalée et interruptive, les verbalisations dites naturelles

52 Les ajustements réalisés pour chacune des trois études sont spécifiés dans la présentation de l’Observatoire et Atelier

(qui ne sont pas provoquées directement par le chercheur même si parfois elles lui sont adressées) et leurs variantes. La seconde classe de méthodes fait référence à la méthode d’autoconfrontation et ses variantes, qui permettent une documentation de la conscience préréflexive a posteriori. Dans le cas de cette seconde classe de méthode, l’acteur est confronté à des traces vidéo de son activité.

Le chercheur encourage alors la remise en situation de l’acteur dans l’activité passée. Dans la troisième classe de méthodes, on trouve les méthodes de remise en situation à partir des traces matérielles laissées par l’acteur et la transformation des situations. Enfin, la dernière classe de méthodes inclut les entretiens de remise en situation à partir des traces laissées dans le corps de l’acteur. Ce type d’entretien n’est pas très employé et développé dans le cadre du programme du cours d’action, mais se rapproche des entretiens d’explicitations proposées par Vermersch (1994), à la différence que ces derniers ne visent pas la documentation de la conscience préréflexive.

Quatre méthodes de verbalisations provoquées ont été utilisées dans cette recherche : (i) des autoconfrontations, (ii) des autoconfrontations de second niveau, (iii) des verbalisations simultanées et interruptives puis (iv) des entretiens de remise en situation à partir de traces matérielles.

Autoconfrontation

Pinsky et Theureau (1987) se sont inspirés initialement des travaux du psychologue Von Cranach (1982) que ce soit pour la construction de l’objet théorique « cours d’action » (Von Cranach ayant systématisé une approche scientifique de l’action), mais aussi et surtout pour l’élaboration de la méthode d’autoconfrontation (Pinsky & Theureau, 1987). Malgré cela, le modèle « cybernétique de l’action » de Von Cranach avait pour limite (au-delà des limites inhérentes à la cybernétique) d’être relativement statique et de mettre l’accent sur l’action spécifique alors que ces derniers cherchaient à documenter le « cours de » l’action afin de rendre compte de la dynamique des actions (leurs enchaînements, déroulement et organisation), mais aussi de la signification pour l’action53.

53 « Signification pour l’action : notion qui spécifie à la fois le comportement (action manifeste) et la cognition (cognition pour l’action). Nous renouons ainsi avec un projet ancien, visant à ne pas séparer “le traitement des lois fondamentales des processus mentaux de celles de l’interprétation des signes” (Ogden & Richards, 1923)» (Pinsky &

Theureau, 1987, p. 12).

Lors d’une autoconfrontation, l’acteur est confronté à des traces vidéo de sa propre activité. Le principe de cette méthode est de remettre l’acteur en « situation dynamique », autrement dit, amener l’acteur à se remettre dans la situation vécue, de la « revivre » et d’expliciter son vécu pendant la visualisation de la vidéo (Saury et al., 2013). Ainsi, l’acteur raconte, commente, mime, décrit ses actions, intentions, perceptions, focalisations, sensations, interprétations, qui lui sont accessibles, c’est-à-dire l’histoire de sa conscience préréflexive.

Aujourd’hui, la méthode de l’autoconfrontation est utilisée dans différentes approches théoriques, avec des visées distinctes (autoconfrontation, autoconfrontation collective, alloconfrontation, autoconfrontation simple, autoconfrontation de second niveau, autoconfrontation croisée…), et sans nécessairement faire d’hypothèses sur la conscience préréflexive et les conditions d’accès à celle-ci (e.g., Mollo & Falzon, 2004). Dans notre travail, nous avons utilisé les méthodes d’autoconfrontation de premier niveau et de second niveau (qui sont présentés par la suite), comme proposées dans le programme du cours d’action (Theureau, 2010, 2011), avec la visée de documenter l’expression de la conscience préréflexive de l’activité des acteurs.

En début de chaque autoconfrontation, nous avons précisé la consigne énoncée afin de clarifier avec l’acteur l’objectif de la méthode. Il s’agissait pour l’acteur d’essayer de se « dé-situer » de la situation d’autoconfrontation pour se « re-situer » dans la situation passée. Il a été spécifié que tant le chercheur que le participant peuvent arrêter le déroulement de l’enregistrement vidéo pour documenter un moment précis. L’acteur a été invité à spécifier ce qu’il était en train de faire au moment précis visionné plutôt que de répondre de manière générale sur sa façon de faire, puisque l’objectif n’était pas qu’il porte un jugement sur son activité, mais au contraire qu’il décrive ses actions, pensées, attentes de la situation, etc. La fréquence et la forme des relances de la chercheuse visaient à recentrer l’acteur sur la description de son activité réalisée en évitant l’adoption d’une

« position de spectateur ou d’analyste » (Sève, 2005) ou à apporter des précisions. Le Tableau 9 présente quelques exemples de questions que nous avons employées, permettant de documenter chacune de ses dimensions de l’activité.

Tableau 9. Différents exemples de questions et relances d'autoconfrontation.

Dimension de l’activité Exemple de question Actions « Qu’est-ce que tu fais, là ? »

Pensées « À quoi est-ce que tu penses ? », « Qu’est-ce que tu te dis ? » Sensations « Comment te sens-tu à ce moment ? »

Perceptions « Qu’est-ce que tu perçois ? »

Focalisations « À quoi fais-tu attention ? », « Sur quoi te focalises-tu ? », « Qu’est-ce que tu prends en compte dans la situation ? », « À quoi t’intéresses-tu ? », « À quoi tu t’attendais ? »

Préoccupations « Qu’est-ce que tu cherches à faire ? », « Là, qu’est-ce qui se passe pour toi ? », « Qu’est-ce qui te préoccupe ? »

Émotions « Qu’est-ce que tu ressens ? »

Interprétations « Qu’est-ce qu’y t’a conduit à agir ainsi ? », « Qu’est-ce qui te fait dire cela ? », « Comment savais-tu que… ? »

Au-delà de ces questions, d’autres relances ont été mobilisées, par exemple la relance en écho (répéter ce que l’acteur venant de dire pour qu’il apporte plus de précisions) ou la relance vide de contenu (e.g., mise en pause de la vidéo sans aucune question, le silence encourageant l’acteur à expliciter ce qui avait été significatif pour lui, ou avec une simple question « là ? »).

Autoconfrontation de second niveau (analytique)

Pour pallier au « paradoxe de l’autoconfrontation » (Theureau, 2004), Theureau indique qu’il peut être à-propos de conduire des autoconfrontations de second niveau. Le paradoxe en question est lié au fait que pendant la réalisation de l’autoconfrontation, l’acteur qui visualise l’enregistrement vidéo est en capacité de développer sa réflexion située sur la situation visionnée, soit pour sa propre activité, soit adressée en direction d’autres acteurs. Cependant, ce qui est demandé aux acteurs pendant l’autoconfrontation est justement ne pas partager ces éléments de réflexion, mais de se contenter d’exprimer la conscience préréflexive de l’activité vécue. L’autoconfrontation dite de

« second niveau » ou « analytique » n’a pas comme objectif l’expression de la conscience préréflexive, mais ouvre plutôt sur la production de données portant sur l’activité d’un acteur de manière plus générale, sur la documentation des contraintes et effets ou sur une activité réflexive portant sur la situation vécue. L’autoconfrontation de second niveau est mise en place à l’issue d’une méthode de verbalisation de premier niveau54, d’où sa dénomination (Theureau, 2010) et elle

54 D’après Theureau (2010), cette méthode de verbalisation de premier niveau n’est pas nécessairement une autoconfrontation, mais n’importe quelle méthodologie visant l’expression de la conscience préréflexive.

favorise l’expression contrôlée de la conscience préréflexive dans les autoconfrontations de premier niveau.

Dans notre recherche, nous avons réalisé des autoconfrontations de second niveau avec les formateurs. Ils étaient conduits : (i) pour compléter des données existantes de l’autoconfrontation, (ii) parce que les acteurs souhaitaient revenir sur certains moments pour apporter un regard analytique, (iii) pour documenter les contraintes et effets, (iv) pour faire participer les formateurs à l’analyse et faire germer des pistes de conception ou de re-conception, (v) pour avoir des explications techniques liées au contenu de la séance et enfin (vi) pour présenter et valider les résultats obtenus de l’analyse du cours d’expérience de la séance précédente.

Verbalisations simultanées et interruptives

Les verbalisations simultanées permettent la documentation de la conscience préréflexive en même temps que l’activité se déroule. Il est demandé à l’acteur une forme de « penser tout haut », à l'image de la méthode « think aloud » d’Ericsson et Simon (1980). L’acteur explicite ses pensées, ses focalisations, ce qu’il cherchait à voir, ce qui attirait son attention, ses émotions, les difficultés rencontrées, les méthodes d’exploration envisagées ou les connaissances qu’il mobilisait, en même temps qu’il est engagé dans l’action. Les verbalisations interruptives consistent à questionner l’acteur sur son activité à des moments où cela perturbe le moins possible l’action.

Cette méthode de verbalisation a été utilisée pendant les séances de formation qui ont été observées, notamment lors de la séance 3 de l’étude 2. Les relances visaient l’explicitation de certains moments en particulier qui semblaient pertinents pour documenter l’expérience des acteurs. Des exemples de questions ont été : « qu’est-ce que t’es en train de chercher ? », « comment tu t’y prends pour trouver la traversée FGH079VP ? », « Qu’est-ce qui te fait dire qu’elle doit se trouver sur le mur extérieur du local ? ».

Entretien de remise en situation à partir de traces matérielles

La dernière forme d’entretien mobilisée dans nos études est l’entretien de remise en situation à partir de traces matérielles. À la différence d’une autoconfrontation, l’acteur n’est pas confronté à des données portant sur son comportement, mais à des traces matérielles produites par lui-même ou par autrui. Dans le cadre du programme de recherche cours d’action, cette méthode est utilisée lorsque que l’activité ne peut être observée/enregistrée in situ, ou lorsqu’il s’agit de documenter

l’activité sur des empans temporels longs. L’étude de Donin et Theureau (2008) sur le cours d’action d’un compositeur pendant l’écriture d’une œuvre musicale est particulièrement illustrative de ce point de vue. Afin d’analyser son activité sur une période de cinq ans, les chercheurs ont réalisé des entretiens de remise en situation réguliers, s’appuyant sur les traces laissées par le compositeur dans son agenda, sur sa partition, etc.

Dans la cadre de notre recherche, nous avons employé cette méthode dans l’étude 2 et plus spécifiquement pour analyser l’activité du formateur lors de la quatrième séance du dispositif Scénario-enquête. Dans le but d’organiser notre retrait progressif du terrain, nous avions proposé au formateur de ne pas observer et de co-animer la quatrième (et avant-dernière) séance du dispositif. Aussi, pour analyser l’activité du formateur pendant la préparation et l’animation de cette séance, nous lui avons proposé de garder des traces de son activité (e.g., photos, prises de notes, brouillons de préparation des consignes du dispositif, photocopie des consignes renseignées par les stagiaires, etc.) et avons réalisé avec lui un entretien de remise en situation à partir de traces matérielles.