• Aucun résultat trouvé

LES VIOLENCES AU TRAVAIL VUES PAR LE DROIT

Dans le document Les violences au travail (Page 83-87)

INTRODUCTION

Les violences au travail ont suscité un vif intérêt ces dernières années de la part des médias et de la population. Cela est notamment dû aux vingt-cinq suicides au travail en moins de vingt mois qui se sont produits à France Télécom en 2009 et qui ont conduit à l’élaboration d’un plan d’urgence. Plus récemment, le 20 Mars 2018, un militaire a été condamné par le tribunal militaire de Rennes pour harcèlement sexuel sur une collègue à qui il avait attrapé la tête afin de mimer une fellation.

Un article sur le site Bastamag14 cite une enquête de la CGT datant du 8 Mars 2018 évaluant le pourcentage des femmes victimes de violences sur leur lieu de travail à 20%. Il précise qu’une femme sur deux victimes de violences au travail est en fait victime de harcèlement sexuel et qu’il se produit dix viols ou tentatives de viol chaque jour sur un lieu de travail en France. Depuis vingt ans ces chiffres restent inchangés malgré la mise en place d’actions de formation dans les entreprises et la promulgation de lois telles que la loi de modernisation de 2012 qui modifie l’article 222-33 du Code pénal et incrimine le harcèlement sexuel selon deux modalités :

- d’une part, par le fait d’imposer à une personne de manière répétée des comportements à connotation sexuelle

- d’autre part, de manière non répétée, d’user de toute forme de pression grave dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle.

L’apparition de sites tels que #balancetonporc qui permet aux femmes de dénoncer leur agresseur via la plateforme twitter n’a pas non plus modifié significativement ces statistiques. Les conséquences des violences au travail et notamment du harcèlement (souffrance au travail, stress, détérioration de la santé psychique) sont de plus en plus fréquemment pointées, dans l’actualité et par les politiques. Selon une étude de l’INRS en 2013, le harcèlement est l’une des premières causes d’arrêts de travail et touche près d’un quart des salariés européens à travers l’une de ses principales conséquences, le stress. Le stress au travail engendre à lui seul un coût

83

social évalué entre 1.9 et 3 milliards d’euros (Trontin et al., 2010). Il est ici entendu comme «

toute action ou situation créant une demande physique ou psychologique sur une personne, qui met en cause son équilibre personnel » (Goens et Kuciejczykn, 1981).

De nombreuses affaires de violences sexuelles au travail ont été médiatisées ces dernières années, cependant la définition des violences reste incertaine. Il existe en effet de nombreuses formes de violences qui peuvent correspondre à des faits de harcèlement, d’abus, d’agression, de mobbing, etc. Faulx et Guezaine (2000, p. 140) mentionnent que la situation de mobbing se caractérise par une « surévaluation systématique de la responsabilité de la victime allant de

pair avec une sous-estimation des facteurs organisationnels », ce qui met en évidence plusieurs

biais de jugement dont l’erreur fondamentale d’attribution (Ross, 1977). Aborder les violences au travail revêt un caractère à la fois :

- social et sociétal (puisque la culture sociétale de notre siècle tolère un management pathologique),

- psychologique (pour toutes les pathologies et les troubles qu’elles occasionnent),

- philosophique (pourquoi accepter des violences au travail et comment ont-elles perduré dans le temps ?),

- mais également économique (le coût des indemnisations, des arrêts de travail et des traitements) de la violence au travail.

Les recherches en psychologie portant sur les violences au travail restent rares, cependant toutes s’accordent sur le fait qu’elles induisent de la souffrance au travail qui, au-delà de son impact sur la santé des salariés, coûte cher aux contribuables et aux organisations :

- aux contribuables par les remboursements de la sécurité sociale (arrêts, médicaments, visite médicale, indemnisation etc.).

- aux entreprises pour le remplacement ou le manque de productivité des travailleurs, le coût de l’absentéisme, etc.

- aux salariés eux-mêmes qui souvent cherchent des solutions en dehors des soins médicaux traditionnellement remboursés, par l’augmentation de leurs charges de santé (mutuelle, sur-mutuelle)

Historiquement, le droit du travail est marqué par des évolutions à la fois économiques, politiques, sociales et des changements plus ou moins brusques (mouvements populaires ou guerres mondiales).

Le droit romain reconnaissait la « locatio operari » au même titre que la location de choses. Les travailleurs étaient comparables à des objets.

84

La loi du 22 Mars 1841 fixait l’âge d’admission au travail à 8 ans. Il aura fallu attendre la loi du 21 Mars 1884 pour voir véritablement apparaitre le droit du travail à travers deux étapes législatives importantes :

- l’autorisation pour les syndicats de se constituer librement et d’agir dans l’intérêt des travailleurs : la dimension collective des relations de travail est enfin reconnue.

- la responsabilité de l’employeur à travers le risque.

La loi du 9 Avril 1898 écarte la faute ou le fait des choses pour réparer les accidents de travail survenus dans son entreprise. Ces droits ont été octroyés à la suite de mouvements syndicaux et sociaux importants comme des manifestations ouvrières. Mais tous ont été acquis avec des obligations. Il faut mettre en exergue le fait que toute évolution du droit du travail se fait dans une logique organisationnelle et est conditionnée à un besoin de garantir et améliorer la production. Le rapport de travail qui régit le rapport au travail précise par un arrêt de la Cour de Cassation du 8 Janvier 1907 que « l’ouvrier et l’employé travaillent, contrairement à

l’entrepreneur, sous la direction d’un autre, qui leur assure un salaire et les instruments de travail. » L’existence d’un rapport de subordination fonde un rapport juridique déséquilibré

sous-entendant la domination ou la soumission du travailleur à l’employé.

La déclaration de Philadelphie en 1944 a permis la reconnaissance du principe : « le travail

n’est pas une marchandise ». Ce principe vise à l’instauration de liberté, sécurité, dignité et

équité au travail pour tous les travailleurs. Le droit du travail a évolué au fil du temps tout comme la relation au salarié. L’homme n’est plus considéré comme un bien interchangeable (Taylor), mais le travail doit s’adapter à l’homme.

Le droit du travail se fonde sur une ambivalence quelque peu malaisante entre les employés et les employeurs. En effet, il est communément admis qu’il vise à protéger les travailleurs d’une quelconque surexploitation, en leur octroyant des garanties plus ou moins grandes face au patronat. Mais le droit du travail est également né d’une logique de confortation et de légitimation du pouvoir de l’employeur. L’intensification du travail et l’évolution des modes de production a poussé le droit à se moderniser. Les risques humains sont devenus une préoccupation réelle.

Dans le cadre organisationnel, la catégorisation homme-femme se traduit dans les faits par une inégalité au travail. Cette inégalité est abordée en droit européen par la Directive du 9 février 1976 qui vise «°la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes

en ce qui concerne l’accès à l’emploi, la formation et la promotion professionnelles et les conditions de travail °» et donc l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe des

85

individus, qu’elle soit directe ou indirecte. Puis, la loi du 4 Aout 1982 du Code du travail interdit toute discrimination, qu’elle concerne l’origine sociale, l’ethnie, la couleur de peau, etc.…

Jusqu’en 2002, la loi considérait la violence sous un angle contractuel. « Il y a violence

lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. » (Article 1140 du Code

civil). Depuis 2002, le droit français reconnait juridiquement le harcèlement moral et le harcèlement sexuel au travail. Plus récemment, l’accord du 17 Juin 2011 énonce que « La

violence au travail se produit lorsqu'un ou plusieurs salariés sont agressés dans des circonstances liées au travail. Elle va du manque de respect à la manifestation de la volonté de nuire, de détruire, de l'incivilité à l'agression physique. La violence au travail peut se traduire par des agressions verbales, comportementales, physiques... ». Par la suite, les termes tels que

volonté de nuire et violence seront précisés par la jurisprudence. L’arrêt de la Cour de Cassation, chambre criminelle en date du 24 juin 2014, (n°13-85.134) cassa l’arrêt de la cour d’appel qui stipulait qu’« en statuant ainsi, par des motifs contradictoires, excluant que des

brimades puissent constituer des violences au sens de l'article 222-13 du Code pénal».

Le droit du travail français est jalonné d’applications jurisprudentielles et de directives européennes sur lesquelles nous nous appuierons pour illustrer les incohérences des chambres d’une même cour dans l’appréciation des modes de preuve. Nous l’aborderons dans le chapitre premier en réponse au principal souci des victimes de violence qui est de pouvoir qualifier les faits. La qualification légale peut s’avérer être un labyrinthe entre les définitions parfois protéiformes de la violence en général et les différents champs d’application d’une qualification. Nous verrons la violence au travail en nous référant au droit français et au droit européen, puis les violences sexuelles au travail définies à la fois par la législation française et les directives européennes et nous terminerons par les violences environnementales au travail reconnues en droit européen.

Dans un second chapitre nous aborderons la genèse de l’obligation de l’employeur tant en droit européen qu’en droit français. Nous illustrerons cette obligation par recensant les acteurs de prévention et les juridictions habilitées pour juger des violences au travail.

Enfin, dans un dernier chapitre, nous aborderons les moyens de prévention mis en œuvre au niveau européen et au niveau national. Nous expliciterons les différents moyens de prévention légaux qui existe en France à travers la naissance de la santé environnementale.

86

CHAPITRE I : DEFINITIONS ET QUALIFICATION LEGALE DES

Dans le document Les violences au travail (Page 83-87)