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Les facteurs liés aux mutations dans le monde du travail

Dans le document Les violences au travail (Page 62-65)

CHAPITRE 4 : LES VIOLENCES AU TRAVAIL EN PSYCHOLOGIE

I. Les facteurs générateurs de violences au travail

I.3. Les facteurs liés aux mutations dans le monde du travail

Deux modes d’organisation du travail co-existent actuellement : le néo-taylorisme issu du taylorisme et le post-taylorisme dont le modèle le plus connu est le toyotisme.

Le taylorisme est né au début du siècle dernier des exigences liées à l’industrialisation. Il s’appuie sur des « lois » psychologiques telles que :

- l’individu recherche la sécurité et répugne aux responsabilités - il est naturellement paresseux et fraudeur

- il n’est motivé que par le salaire.

Taylor a construit un modèle scientifique de l’organisation des entreprises dont les principes d’organisation basés notamment sur une structure hiérarchisée, une unicité de commandement et une parcellisation des tâches ont été et sont encore appliquées dans certaines entreprises occidentales. Le taylorisme puis le fordisme renvoient à un mode de management autoritaire basé sur la pression sur l’individu via les contremaîtres.

Dans les années 80, l’école de la culture d’entreprise et plus particulièrement l’organisation du travail et l’organisation de la production préconisées par le toyotisme se sont diffusées en France. Ce modèle provenant du Japon s’appuie sur les caractéristiques suivantes : l'autonomation, le juste-à-temps, le travail en équipe, le management by stress, la flexibilité du travailleur et la sous-traitance.

Le juste à temps induit une intensification du travail. Ainsi, les agents travaillant en flux tendu et dans l’urgence, n’ont que peu de temps de décompression, ce qui est pourtant indispensable pour faire face aux aléas de leur poste, et ainsi mettre en place des stratégies pour améliorer à la fois leur performance et la qualité de la production ou du service.

«° Dans l’univers hyperconcurrentiel auquel l’entreprise doit faire face, l’immédiateté des

réponses constitue une règle de survie absolue, d’où un raccourcissement permanent des délais, une accélération continuelle des rythmes et une généralisation de la simultanéité °» (p.

391).

Cela conduit bien souvent à une altération du lien social (Aubert, 2003) et à la disparition des collectifs du travail. Pour faire face à l’urgence, de nombreux travailleurs négligent l’apprentissage et l’usage de la culture et de l’esprit d’entreprise, notamment en négligeant la pause-café et les moments de convivialité. Plus globalement, cette perte du lien social semble liée à la diminution voire la disparition des temps non liés directement à la production de l’entreprise. Selon Sennett (2000, p.14), «° le cadre temporel restreint des institutions modernes

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travail se perdent et les stratégies de régulation s’avèrent de plus en plus individuelles. Or ces collectifs possèdent une fonction de protection de l’individu et de sa santé mentale contre les attaques extérieures (Davezies, 20058) et constituent une ressource essentielle pour affronter les difficultés liées aux aléas du travail. Par exemple, un travailleur peut demander conseil à son collègue plus expérimenté et donc apprendre de son aîné. Chaque travailleur a sa propre créativité et entretient son style qui correspond à son histoire, ses valeurs et représentations, ce qui va à terme enrichir le collectif. Clot (1999) parle de la « stylisation du genre ».

Le travail en équipe, en team, tel que préconisé par la théorie de la culture d’entreprise induit une intensification des modes de production et un état d’urgence continuelle qui provoque une dissolution progressive du lien social existant entre les travailleurs et un affaiblissement de l’entraide. En effet, chaque individu doit être toujours plus autonome et acteur de son travail pour être plus performant et rendre son organisation plus compétitive sur le marché économique. Cela crée une situation stressante pour tous les travailleurs, notamment pour ceux qui ne se sentent plus à leur place dans cette organisation du travail prônant la compétitivité. Ainsi, Le Goff (2008) précise que l’organisation du travail traditionnelle est remise en cause pour laisser place à «° des formes d’organisation plus souples qui réduisent les lignes

hiérarchiques, opèrent des cloisonnements entre services, valorisent la polyvalence, l’enrichissement des tâches et l’autonomie °» (p.240). Ce changement demande une

responsabilisation et une implication plus fortes des individus dans un nouveau cadre non reconstruit et non sécurisé. En effet, le collectif de travail a été déstabilisé par la réduction des lignes hiérarchiques et ce besoin de polyvalence. Les repères de l’appartenance collective se diluent puisque les «° modes de régulation et de protection collectives se sont érodés et ont été

mis à mal °» (Le Goff 2008, p.243).

Par ailleurs, l’évolution technologique impose une pénibilité́ du travail qui se recompose autour de la surcharge, de l’effort cognitif et de la charge mentale (Weill- Fassina, Kouabenan, De la Garza, 2004). Cela s’accompagne d’une augmentation de la pression hiérarchique sur les travailleurs, d’un renforcement des contrôles sur les résultats et d’un accroissement de la productivité́ et de la qualité́.

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Le toyotisme renvoie à un mode de management participatif basé sur la pression intériorisée à travers le travail en groupe. Ce management by stress instaure des contraintes d'efficacité, de productivité et la généralisation d’une forme de fatigue et de stress permanents. Il est largement utilisé dans les organisations actuelles, ce qui explique le changement de types de violences signalé par Faulx.

« Précédemment, le chef commandait, et en cas de dérive, abusait de son pouvoir; alors

qu’aujourd’hui, le manager ou le collègue influence, voire manipule, et en cas de dérive, harcèle » (Faulx 2009, p.12).

Ce management caractérisé par Marie Pezé comme pathologique crée un stress intense qui est le fondement même de la souffrance au travail. Comme l’écrit Le Goff (2008), la demande perpétuelle d’autonomie et de responsabilisation des travailleurs déstabilise la dynamique déjà en place.

Cette mutation profonde dans le monde du travail a entrainé des changements au sein des organisations. Selon Curie (2000), on est passé d’une logique de qualification à une logique de compétences et à une logique de rentabilité centré sur l’individu. Le travailleur n’est alors plus interchangeable mais devient un atout pour l’organisation lorsque ses compétences sont en adéquation avec les besoins de l’organisation.

Ce modèle induit une généralisation de la flexibilité́ qui se retrouve dans les contrats de travail, les lieux de travail, les structures organisationnelles, les technologies et au niveau de l’individu lui-même (Brangier, Lancry et Louche, 2004). Cela conduit à un développement des formes atypiques d’emplois, à une pression sur les effectifs et à un recours de plus en plus fréquent à la sous-traitance afin de minimiser les stocks et de répondre rapidement à la demande. Dans ces organisations sous-traitantes, les travailleurs sont souvent cantonnés à une tâche unique et répétitive dans un espace de travail restreint, ce qui induit bien souvent une perte de compétence, de sens du travail et de motivation. Cette violence au travail est progressive et peut créer une remise en question du salarié qui peut faire un bore out9. Il peut aussi faire et un burn out, surtout en cas de flux tendu et de surcharge de travail. De plus, comme nous l’avons dit précédemment, un stress accru au travail est un terrain fertile de conflits entre travailleurs et donc de violences au travail.

9 Un bore out est un trouble lié à l’ennui au travail provoquant la démotivation, la perte d’estime de soi et l’anxiété. Dans les cas les plus graves, il peut induire de la dépression ou des comportements addictifs.

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