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Ville ségréguée et processus de représentations politiques

APPROPRIATION CUBAINE ?

DISTRICT 3 dirigé par Joe

2) Ville ségréguée et processus de représentations politiques

Miami présente une ségrégation spatiale forte, induite par l’histoire ségrégationniste des États-Unis et notamment de ce que l’on a nommé le Deep South (ou Sud profond) et par des politiques publiques de regroupement. « Throughout the twentieth century, government

agencies played a powerful role in creating and sustaining racially separate and segregated housing in Dade County, Florida. This pattern of housing segregation initially was imposed early through official policies of "racial zoning”» 72 (Mohl, 2001, p. 319).

Le terme de ségrégation désigne la fois un état et des processus. Le mot désigne une pratique volontaire opposant un acteur responsable (les pouvoirs locaux) à un sujet qui subit. C’est un aspect essentiel de la notion et cela pose comme fondement de la ségrégation la mise à distance, la plupart du temps intentionnelle, par l’avènement de codes et de procédures (Brun, Rhein, 1994). La notion de ségrégation porte sur la composition (sociale, démographique) des portions de l'espace considéré. Plus la séparation spatiale entre groupes hétérogènes et l'homogénéité interne de portions d'espace au sein de l'espace considéré sont grandes, plus il est légitime de parler de ségrégation socio-spatiale.

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« En 2000, les Haïtiens de Miami avaient gagné le contrôle politique de deux petites municipalités dans le comté de Miami-Dade et un poste de représentant législatif à l’échelle de l’Etat (de Floride). Cependant et malgré tout, les Haïtiens de Miami ont bien moins réussi que les Cubains de Miami qui contrôlent la commission du Comté, les plus grandes municipalités et la délégation du Comté pour le pouvoir législatif à l’échelle de la Floride » (traduction V.J.).

72 « Au travers du XXe siècle, les agences du gouvernement ont joué un puissant rôle dans la création et le maintien d’une

politique du logement racialement séparée et ségréguée au sein de Comté de Miami-Dade en Floride. Ce modèle de ségrégation résidentielle était initialement et rapidement imposé par des politiques officielles de zonage racial » (traduction V.J.).

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La première période des processus socio-économiques jouant sur la ségrégation à Miami est symbolisée par l’instauration du premier ghetto noir : Overtown, dont les populations étaient pour beaucoup issues d’une migration de main-d’œuvre venue notamment des Bahamas, pour construire dès le début du XXe siècle, le chemin de fer et les complexes touristiques de Miami. Ce ghetto séparé des quartiers blancs par les rails se localisait par ailleurs à proximité des industries au fil de l’eau. Overtown, dont la toponymie traduit l’idée de séparation avec la ville puisqu’il s’agit d’un espace au-delà de la ville, symbolise tout autant une ségrégation née des préjugées raciaux enracinés dans le Sud étatsunien qu’une ségrégation économique fordiste (photo 21, V.J 19/02/10).

Dans ses différents travaux (1990, 2001), R.A Mohl montre que les politiques du logement orchestrées par une élite politique blanche, dans la première moitié du XXe siècle, ont joué à plein sur la concentration en différente des populations afro-américaines. Il déclare que Miami est, depuis le début des années 1930, une des villes les plus ségréguées des États-Unis : « several sociological studies, for example, noted that of more than one hundred large

American cities, Miami had the highest degree of residential segregation by race in 1940, 1950, and 1960-before the Cuban influx- a legacy of the racial zoning of the segregation era. By 1970, Miami's "index of residential segregation" had improved somewhat compared to other southern cities, but 92 percent of Miami blacks still lived in segregated neighbor- hoods. In 1980, after thirty years of civil rights activism in urban America, Miami still ranked near the top of a list of sixty metropolitan areas in the extent of black residential segregation » 73(Mohl, 1990, p. 47).

La sortie de la Seconde Guerre mondiale est marquée par la suburbanisation des classes moyennes (white flight), qui s’éloignent du centre ville en suivant les axes majeurs de circulation. Ces mouvements forment une ville radiale et accentuent les caractères ségrégatifs de l’espace. Cette période se caractérise par la construction des axes de transports suspendus permettant de relier rapidement le centre de la ville à ses périphéries et sonne la déconnexion, qui sera croissante, des inner-cities que les nouveaux navetteurs n’ont plus besoin de traverser et ne font donc plus vivre. La construction du tronçon de l’Interstate 95 (I95 ou nationale 95),

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« Plusieurs études sociologiques, par exemple, ont noté que sur plus d’une centaine de grandes villes américaines, Miami avait le plus fort degré de ségrégation résidentielle par race en 1940, 1950, et 1960 - avant l’afflux des Cubains- un legs du zonage racial de l’époque de la ségrégation. En 1970, l’index de ségrégation résidentielle de Miami a quelque peu progressé en comparaison avec d’autres villes du sud des États-Unis, mais 92 % des noirs vivent toujours dans des quartiers ségrégués. En 1980, après 30 ans de mouvement pour les droits civiques dans l’Amérique urbaine, Miami était toujours classée dans le haut de la liste des soixante aires métropolitaines dans le domaine de la ségrégation résidentielle des populations noires » (traduction V.J).

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qui traverse Miami du nord au sud, a été un facteur majeur de l’accroissement de la ségrégation (Dluhy, Revell, Wong, 2002).

Photo 21 : Les rails abandonnés, premières balafres de la ségrégation urbaine et de la formation d’Overtown.

Photo 22 : Les autoroutes suspendues, une coupure spatiale forte au cœur d’Overtown.

Alors qu’Overtown était considéré comme un ghetto noir relativement prospère et bénéficiait d’une vie culturelle reconnue qui lui valut le surnom The Harlem of the South, le tracé de l’I95 a éclaté le centre de ce ghetto noir. Cela se traduit par la relocalisation d’environ 40 % de sa population dans des espaces jointifs ou plus éloignés (Liberty City, Opa Locka). Les familles les plus prospères quittent alors Overtown, laissant les plus désœuvrés dans un enclavement renforcé par l’autoroute, véritable balafre au cœur du ghetto. (Photo 22, V.J 5/03/10)

Cette période est également marquée par l’arrivée des premiers Cubains : nouvelle minorité dans la ville. Alors que le ghetto noir se désolidarise, l’arrivée des Cubains sonne l’établissement du premier « barrio latino » et de la première forte concentration spatiale d’Hispaniques dans la ville. Cela a changé pour toujours la répartition sociodémographique de la ville de Miami (graphique 5) ainsi que les jeux d’accès au pouvoir pour les minorités. La possibilité d’ascension sociale et économique et l’acquisition d’une représentation politique forte pour les populations afro-américaines (schéma opéré dans d’autres villes du Sud) ont été ici totalement court-circuitées par l’émergence des pouvoirs cubains puis hispaniques dans la ville (Mohl, 1990).

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Graphique 5 : Evolution démographique du comté de Miami-Dade depuis l’arrivée des Cubains (1960-2000)

Source: www.census.gov (Miami-Dade 1960 – 2000)

L’accroissement considérable des populations hispaniques, et l’insertion des populations haïtiennes (Audebert, 2003), souvent dans les espaces jointifs des populations afro- américaines, ont conduit les analystes de la ville à parler des trois cadrans de la ségrégation à Miami : au nord les populations noires, au sud les populations blanches et à l’ouest les populations hispaniques (carte 13).

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 1960 1970 1980 1990 2000 po ur ce nt a g e année Noir Hispanique

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