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A MERICAINE : M IAMI VILLE EN CHANTIER

Document 11 : Dessin de Jim Morin lors du vote par le comté du déplacement de la frontière du développement urbain (Urban Devlopment Boundary)

3) Le New Urbanism

Le courant architectural du Nouvel Urbanisme ou New Urbanism est (presque) né à Miami ; il est défendu et enseigné à l’Université (UM) par le Cubano-américain A. Duany avec son épouse E. Plater-Zyberk (DPZ). Tous deux sont les fervents défenseurs d’une nouvelle ville à vivre ou plutôt, d’une nouvelle suburb à vivre, plus proche de ce qu’ils nomment les neo-

traditional town 94.

La définition de ces nouvelles « villes traditionnelles » cherche à se détacher auprès des classes moyennes de l’image qu’à acquise la ville : violente et pauvre. Le New Urbanism (NU) s’inscrit contre le sprawl et en faveur de la densification et donc de l’aménagement de la

suburb en neo-traditional town : des trottoirs, des commerces de proximité, des parcs, de la

verdure et surtout la remise en centre du piéton et des transports en commun. En somme recréer partout dans ces ville-régions des centres villes modèles, redonner du vivre ensemble, de la mixité et de la centralité à ses villes distendues, fragmentées et clones. Une des réalisations de DPZ, Seaside au nord-ouest de la Floride (1979) a parfaitement symbolisé cette idée d’urbanité modèle en prêtant décor au film The Truman Show (Weir, 1998). Seaside « nouvelle ville traditionnelle », cette suburb cotière devint le cadre idéal pour un plateau de télévision géant, maquette d’une société représentée par une classe moyenne blanche suspendue à un « reality show »…

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Dans la charte datant de 1994 qui définit le courant du New Urbanism (annexe IX p. 338) les fondateurs déclarent : « nous défendons la restauration des villes et des centres urbains au sein de régions cohérentes, la redéfinition des banlieues informes en un ensemble de quartiers ou de « districts », la conservation des espaces naturels et la préservation de notre héritage culturel. […] Nous représentons un large groupe de citoyens, composé de décideurs du secteur public et privé, d’acteurs sociaux et de membres de diverses professions libérales. Nous sommes attachés à rétablir la relation entre l’art de construire et de bâtir une communauté à l’aide d’une planification et d’une conception spatiales s’appuyant sur une participation des citoyens. Nous nous dédions à sauvegarder nos logements, nos îlots, nos rues, nos parcs, nos quartiers, nos « districts », nos villes, nos régions et notre environnement. » En terme d’appropriation spatiale, les répétitions de « nos » devant parcs, logements sont révélatrices. Ce sens de l’en-commun ou de la communauté reflète le contexte politique dans lequel la ville est pensée : une ville en enclos. Le discours sur la ville « néo- traditionnelle » est une ville dont la mixité n’est qu’une histoire de zonage (commerce, transport, parc, etc.) malgré la concertation avec les habitants et la gouvernance prônées par DPZ. Mais quelle citadinité est vraiment mise en avant, une fois sortie des plans et des maquettes où les piétons circulent en effet ? Quelle vie sociale pour ces banlieues réaménagées par avance en vibrante communauté ? Quelle urbanité désignent les maitres mots du New Urbanism : « dense, pedestrian-friendly, and transit-accessible » dans des villes où ces notions semblent surimposées à un espace déjà construit sans elles ?

D. Harvey dans un court article montre bien que ce nouvel urbanisme ne dresse qu’une vision bien idyllique du monde urbain américain et se désintéresse largement des problèmes sociaux les plus criants de la ville, remettant au gout du jour le rêve de la banlieue, communautaire et morale, proche de la nature de la fin du XIXe siècle. « The new urbanism cannot get to the

crux of urban impoverishment and decay […] the whole fabric of sociality is torn asunder, making invocations of community and traditional neighborhood districts (of the sort that Andres Duany and Elizabeth Plater-Zyberk design) seem irrelevant to the fate of the “new” American metropolis actually forming all around us. In the absence of employment and government largesse, the “civic” claims of the new urbanism sound particularly hollow. But my real worry is that the movement repeats at a fundamental level the same fallacy of the architectural and planning styles it criticizes. Put simply, does it not perpetuate the idea that the shaping of spatial order is or can be the foundation for a new moral and aesthetic order? Does it not presuppose that proper design and architectural qualities will be the saving grace

138 not only of American cities but of social, economic, and political life in general? » 95

(Harvey, 1997, p. 2). Le New Urbanism (NU) comme la plupart des courants de l’architecture est donc un discours sur la ville et le vivre la ville qui prend forme et suppose ainsi la création d’un nouvel ordre urbain.

La charte d’aménagement Miami 21, œuvre des pouvoirs cubains, propose un code urbain pour la Miami du XXIe siècle et pose ainsi les jalons d’un nouvel ordre urbain. Et ce n’est pas sans coïncidence que sa réalisation a été confiée en grande partie à l’agence Duany Plater- Zyberk qui se définit comme planificatrice de quartiers traditionnels (traditional

neighborhood) et défenseuse d’une croissance raisonnée (smart growth). Ce nouveau plan

d’aménagement a été adopté par la ville à l’automne 2009 après quatre ans de débats et de discussions qui ont régulièrement amendé les propositions faites. Le projet semble colossal au sein de la cité qui est majoritairement née d’initiatives privées et de conquête de la terre. Or comme le rappelle N. Smith le New Urbanism et the revanchist city sont les deux faces d’une même médaille. Recréer la rue et la ville selon les préceptes de DPZ n’est qu’une façon parmi d’autre d’exclure un peu plus les populations pauvres ou marginales de l’urbanité, ceux-ci ne correspondant pas à la vision des élites bâtisseuses.« The revenge of the new urbanism is a

revenge hardwired into the institutional control of the landscape and its spatial location. Precisely in its escapism the new urbanism posits geography as the means of revenge. Without the revanchist city, the new urbanism has no rationale; the past it evokes has no future except perhaps for a small elite. It is not a solution to, but an accomplice of, the revanchist city » 96 (Smith, 1999, p.105).

Le courant du New Urbanism participe ainsi pleinement à la manière dont les élites pensent le futur de la ville. Ce courant d’architecture est aujourd’hui largement cité et utilisé dans de nombreux projets urbains à travers les États-Unis. Ces nouvelles villes « néotraditionnelles »

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« Le nouvel urbanisme ne peut pénétrer le centre de l’appauvrissement et la pourriture urbains […] toute la fabrique de la socialité est déchirée en morceaux, et les invocations à la communauté et aux quartiers traditionnels (dans le style de Andres Duany et Elizabeth Plater-Zyberk) étaient inappropriées à la destinée de la « nouvelle » métropole se formant autour de nous. Avec l’absence de l’emploi et de la largesse gouvernementale, le « civisme » que le nouvel urbanisme revendique semble particulièrement vide. Mais mon vrai souci est que le mouvement répète à un niveau fondamental les mêmes erreurs des styles architecturaux et des aménagements qu’il critique. Plus simplement, ne perpétue-t-il pas l’idée que l’élaboration de l’ordre spatial est ou peut être la fondation pour un nouvel ordre moral et esthétique ? Ne présuppose-t-il pas que le design adéquat et les qualités architecturales seront la grâce salvatrice, non seulement pour les villes américaines mais pour la vie sociale, économique, et politique en général ? » (traduction V.J.).

96 « La revanche du NU est une revanche largement connectée au contrôle institutionnel du paysage et de sa localisation

spatiale. Dans son escapisme le NU pose précisément la géographie comme un moyen de revanche. Sans la ville revancharde, le NU n’a pas de rationalité ; le passé qu’il évoque n’a pas de future excepté pour une élite réduite. Ce n’est pas une solution mais bien un accomplissement de la ville revancharde » (traduction V.J.).

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ont d’ailleurs fait des émules parmi les populations hispaniques aisées qui cherchent à retrouver un semblant de ville latine dans ses pratiques et un entre-soi accepté dans sa réalité. Le New Urbanism devient alors un argument pour promouvoir la ville de Miami du nord au sud du continent.

B) LE MARKETING URBAIN : VENDRE UNE VILLE AU NORD COMME AU SUD