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La Cuban American National Foundation : puissant lobby cubano-américain

APPROPRIATION CUBAINE ?

C HAPITRE 4 : G ÉOGRAPHIES DU POUVOIR G OUVERNEMENT PASTORAL ET SÉGRÉGATION

A) GUIDER LE GROUPE

1) La Cuban American National Foundation : puissant lobby cubano-américain

Dans un article nommé « De agentes a arcquitectos » Max J. Castro explique la force des Cubano-américains aux États-Unis par l’importance des encadrements de la population autour de la politique cubaine et les secteurs entiers (immobilier, commerce et finance internationale) gagnés par les leaders du groupe (Castro, 2000). Pour montrer la force de regroupement par les encadrements, il cite une étude menée par une ONG de Washington (Center for Public

Integrity) durant les années 1980 et 1990. Cette étude montre que les Cubano-américains ont

versé sur cette période, environ 4,4 millions de dollars à des organisations de « cabildeo ». Les trois quarts de cette somme colossale sont l’effet de personnes liées à la Cuban American National Foundation (CANF). L’emploi du terme de cabildo par l’auteur est à souligner. En effet, il ancre ainsi l’histoire de la CANF dans les pratiques coloniales de l’île et ses modes d’encadrements politique. Le cabildo était, dans le Cuba colonial, le lieu où les notables prenaient les décisions politiques à une échelle municipale, c’était, formellement, la structure de la gouvernance locale par opposition à une gouvernance nationale, fait de la Métropole.

La CANF est fondée en 1981, après les événements de port Mariel. Les diverses attaques notamment anglos que subit le groupe à cette occasion, ont favorisé les processus de regroupement et donc d’encadrement des Cubains aux États-Unis afin d’accroître leur poids et leur impact sur la politique intérieure. Les ressources longtemps utilisées en matière de propagande et de politique pour combattre le castrisme sont alors redéployées par la classe dirigeante cubano-américaine vers la politique étatsunienne pour jouer de la nouvelle appartenance nationale comme d’un soutien, en affichant un ancrage à droite farouche et en maintenant la question des relations avec Cuba comme une priorité de la politique… locale !

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Ce puissant lobby anti-castriste, fondé par deux vétérans de la Baie des Cochons63, Jorge Mas Canosa (homme d’affaires) et Raul Masvidal (banquier), est rapidement devenu un pilier de la

communauté morale. Par des moyens financiers importants et une diffusion large de ses idées

au sein des Cubano-Américains, la CANF s’est instaurée comme un pivot essentiel entre le Congrès et la ligne dure de l’exil cubano-américain. La figure charismatique de Jorge Mas Canosa était un point important de la puissance de la CANF, faisant ainsi écho aux écrits de M. Foucault sur le pouvoir pastoral : « le pouvoir du berger est un pouvoir qui ne s’exerce pas sur un territoire, c’est un pouvoir qui par définition s’exerce sur un troupeau, plus exactement sur le troupeau dans son déplacement, dans le mouvement qui le fait aller d’un point à un autre. Le pouvoir du berger s’exerce essentiellement sur une multiplicité en mouvement » (Foucault, 2004, p. 129). Là était bien le but annoncé de la Fondation, regrouper les Cubains de l’exil derrière une ligne directive claire : la chute du régime castriste et la mise en œuvre de tout un appareil de pression sur les institutions étatsuniennes et notamment le Congrès.

Dès lors, la Fondation et surtout ses leaders rencontrent systématiquement les candidats à la Maison Blanche. La CANF forme avec eux un marché simple : elle promet 80 à 90 % des votes cubano-américains de Floride, montrant ainsi sa capacité d’encadrement du troupeau, contre une politique nationale dure à l’égard de Castro : maintien et renforcement de l’embargo, soutiens à l’immigration vers les États-Unis, à la dissidence sur l’île, aux actions de sabotages etc. Des actions concrètes sont menées dans l’île : le financement de nombreux dissidents et la mise en place d’une radio : la voz de la fundacion qui diffuse les idées de la Fondation. Mais c’est surtout auprès du pouvoir en place à Washington que la CANF agit (Descout, 2003).

La CANF montre rapidement sa capacité à encadrer, avec d’autres associations, le groupe, à le rendre visible médiatiquement, à mobiliser les Cubano-américains autour d’événements importants dans l’île et dans le pays notamment pendant les élections présidentielles. La force de l’articulation de cet encadrement politique est alors d’agir tout autant à l’échelle de l’État fédéral en influençant sa politique envers Cuba qu’à l’échelle de la ville et plus simplement de la rue en favorisant la politisation de l’espace public. Un pouvoir d’écoute considérable est acquis par la CANF notamment par le biais de financements accordés aux partis mais aussi

63 Et mécènes d’agents terroristes à leurs heures perdues… La CANF est notamment soupçonnée du soutien de l’attentat

contre le vol 445 de la cubana de aviacion en 1976 et le terroriste Luis Posada Carilles affirma en 1998 avoir reçu le soutien de l’organisation pour une campagne d’attentas sur l’île durant l’année précédente . Jorge Mas Canosa se fit également connaître pour son action dans les années 1970 au sein du groupe « violent » RECE (Representacion Cubana en el Exilio).

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par sa mainmise sur les médias et une partie des firmes hispaniques à Miami (les Mas Canosa sont à la tête de la première firme hispanique de télécommunication du pays.) Cette organisation lobbyiste est devenue un organe de propagande et de conquête redoutable, influençant les décisions des tous les présidents des États-Unis de R. Reagan à G.W.Bush. Dans les années 1990, la Fondation a largement œuvré pour le durcissement de l’embargo envers Cuba et vote, en 1992, l’entrainement d’une force armée parallèle pour la « libération de l’île ». Durant cette décennie selon E. Descout, la CANF décide : « de s’organiser plus spécifiquement dans le domaine des droits de l’homme en créant la Fondation pour les droits de l’homme à Cuba (Foundation for Human Rights in Cuba, FHRC) et son organe le Moniteur des droits de l’homme. La Fondation crée alors quatorze délégations dont la mission était de disséminer, sur un plan national et international, des informations relatives aux violations des droits de l’homme commises par le gouvernement castriste » (Descout, 2003, p. 185).

Après le décès de son père en 1997, c’est Jorge Mas Santos fils qui prend la relève en tant que directeur de l’organisation (chairman). Cette filiation est intéressante à évoquer car ce Cubano-américain est né aux États-Unis et symbolise les deuxièmes générations qui ont hérité, par la transmission familiale, de l’opposition à un régime qu’ils n’ont jamais connu. Ces dernières, parce qu’elles sont nées sur le sol étatsunien, trouvent davantage d’intérêt pour la politique nationale en dehors de la question cubaine que leurs parents.

Ce changement de génération a entrainé une division de la CANF. Les plus farouches opposants au régime cubain ont trouvé les nouvelles positions de la CANF trop timorées. En particulier, ils n’apprécient pas que l’idée de « nation cubano-américaine » devienne réellement une entité d’encadrement pour la population cubano-américaine et non plus contre l’île. Bien que la CANF reste fortement impliquée dans le soutien de dissidents sur l’île ou dans la diffusion d’une certaine information dans et sur le pays (de nombreux médias cubano- américains sont financé grâce à la CANF notamment la célèbre radio Martí cf. chapitre 6). Cette branche dure de l’exil a fondé en 2001 : El Consejo por la Libertad de Cuba dont le titre même montre la volonté de rester essentiellement un contre pouvoir cubain en ne mentionnant plus la double appartenance cubano-américaine.

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La déclaration du président actuel de la CANF pourtant fidèle compagnon de Mas Canosa père, montre bien cette évolution : « Before, we thought we could go to Cuba and invade and

establish democracy by force and the U.S. would help us. Those times are over. A man like me who has struggled and dreamt has to reach the conclusion that the future does not belong to my generation. Change in Cuba has to come from inside »64 (Francisco « Pepe » Hernandez à Ana Menendez pour le Miami Herald, 18/05/08). Les rapprochements avec le parti Démocrate, depuis quelques années, et la perte d’influence de la Fondation sur les électeurs et les esprits semblent valider l’idée d’une évolution au sein du lobby.

L’intérêt de traiter d’une institution comme la CANF est de mettre en perspective la capacité des élites à regrouper les membres autour de leaders charismatiques qui usèrent de tous les rouages que permettent les institutions étatsuniennes pour continuer à influencer, en tant que contre-pouvoir, la politique de l’île tout en démontrant le pouvoir réel acquis par le groupe au sein du pays d’accueil.