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La calle ocho : new branding et retour de la rue à l’heure de la globalisation

A MERICAINE : M IAMI VILLE EN CHANTIER

Document 11 : Dessin de Jim Morin lors du vote par le comté du déplacement de la frontière du développement urbain (Urban Devlopment Boundary)

B) LE MARKETING URBAIN : VENDRE UNE VILLE AU NORD COMME AU SUD Miami est depuis sa création une ville touristique Néanmoins, elle a toujours su valoriser

3) La calle ocho : new branding et retour de la rue à l’heure de la globalisation

L’échelle de la rue est de plus en plus valorisée dans les recherches en sciences humaines, signe que cet espace viaire et principalement public est important pour comprendre les changements en cours dans la ville. De la gentrification des rues « branchées » à l’étude des pratiques populaires de et dans la rue, les géographes ont cherché à rendre compte de l’épaisseur et de la complexité spatiale et temporelle de ces fragments d’espaces, ce lieu commun à toutes les sociétés urbaines (Zeneidi, 2009).

La calle ocho est, dans ce travail, un moyen de comprendre ce que l’on peut dénommer « la rue » à Miami. Elle permet aussi d’analyser les stratégies mises en place par la communauté pionnière pour recréer un semblant d’espace public à vocation essentiellement touristique sur cette artère commerciale à trois voies et aux trottoirs limités (photo 29 V.J 13/04/08). En effet, la patrimonialisation (chapitre 3) et la gentrification (chapitre 2) d’une portion de cette rue (entre la 8ème et la 27ème avenues) montre la valeur symbolique et réelle acquise par la SW 8th

street qu’y compris les anglophones n’hésitent pas à dénommer la calle ocho. Ce nom est

même devenu un générique pour désigner l’hyper-centre de Little Havana car ce ne sont pas les trente kilomètres de bitume reliant le quartier de Brickell aux Everglades qui sont désignés comme la calle ocho mais une portion congrue de l’artère. L’espace où l’on se rend pour se divertir ou se restaurer. La calle ocho ainsi définie cherche à être vendue par les acteurs de la ville comme une rue vibrante alors qu’elle reste, par bien des aspects, une route vrombissante.

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Le Carnaval de la calle ocho est le principal événement culturel qui a mis en lumière le nom de cette rue en lien avec la cubanité. Alors qu’il n’était qu’un petit rassemblement communautaire pour les Cubains lors de sa création en 1978 par le club social du Kiwanis de Little Havana, le Carnaval de la calle ocho est une véritable institution aujourd’hui. Il rassemble, depuis une dizaine d’année, plus d’un million d’Hispaniques qui viennent fêter ce moment phare de la Petite Havane. Les participants comme les lieux se parent alors de décors, ballons, mais surtout de drapeaux montrant une ville en fête mais également les origines des groupes participant à la fête.

Parce qu’il se déroule au sein de l’espace public, le carnaval est un élément révélateur du rapport des différents groupes avec la rue de Little Havana. Tout d’abord parce que le Carnaval est un moment de rassemblement dans la ville, une fête qui s’inscrit dans l’espace public où le territoire de la rue est le lieu de la fête. Les carnavals dans les sociétés caribéennes et latines sont un moment clé de la culture populaire. Depuis le Moyen Âge, ils sont dans les sociétés urbaines des moments de « permission » à travers le déguisement par exemple. Dans les Amériques, ces moments festifs ont souvent été vecteurs de rassemblements identitaires avec la valorisation des héritages culturels africains, notamment au travers du paysage musical et des rythmiques. Le Carnaval de la calle ocho ne ressemble pourtant en rien au carnaval de Santiago de Cuba, de Bahia ou de Rio ; il n’y a pas vraiment de prise de la rue par la foule ou de forme de défilés avec chars et costumes. Ici, le parcours est complètement organisé : de scènes en stands commerciaux, la SW 8th street est

intégralement bloquée par une force policière très visible (encadré 18) sur près de quatre kilomètres entre la 4ème et la 27ème rue (photos 28 et 29, VJ 16/03/08). Ce contrôle de la rue rejoint les pensées de M. Agier. « Au carnaval, à Salvador, on dit : « a rua é do povo », la rue est au peuple. Il y a une prise de la ville, une occupation de l’espace qui se fait à ce moment-là et ça fait peur aux autorités de la ville. Ce qui s’est passé depuis, c’est qu’elles ont contrôlé l’espace. » (Agier, 2008, p. 53).

Le Carnaval de la calle ocho est indéniablement une kermesse bien encadrée par les autorités de la ville qui cherchent à regrouper les Hispaniques lors d’un événement célébrant leurs cultures sur le sol de l’Oncle Sam. Et si le mot kermesse peut paraître étonnant, il suffit de s’intéresser à la vision des organisateurs pour comprendre que le mot est faible (encadré 18).

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Photo 30 : Barrière et encadrement de la foule pour un carnaval commercial

Photo 31 : Tour de contrôle policier pour un carnaval sous haute surveillance

Mais l’événement est un vrai polarisateur dans la ville, la calle ocho devient alors une artère vers laquelle converge des milliers de gens. Les rames de métro, contrairement à la normale, se trouvent presque saturées. Les habitués louent des places de parking devant les maisons aux abords de la SW 8th street. L’événement génère des flux intenses, à l’échelle de

l’agglomération, notamment des banlieues cubaines et hispaniques comme Hialeah ; et également à l’échelle du pays et d’un réseau de grands centres urbains avec lesquels Miami a tissé des liens privilégiés, notamment les capitales caribéennes et latines. L’événement attire des touristes. Cependant l’indéniable majorité des locaux et plus encore des Hispaniques dans la foule montre l’importance de la cubanité puis de l’hispanité : elles servent de support à l’événement. La diversité des musiques latines y est bien évidemment mise à l’honneur, du

reggeaton (rassemblant généralement les plus jeunes) au vieux son cubain et même au

flamenco.

Si d’un carnaval cubain il est passé à une célébration de la culture latine aux États-Unis, il ne faut pas sous-estimer l’importance du pouvoir politique et financier acquis par la communauté pionnière cubano-américaine. Elle permet la tenue de cette fête populaire au cœur de la cité et sait la médiatiser en sa faveur. La rue est ainsi devenue un territoire sur lequel elle peut projeter sa puissance. La calle ocho devient alors le terme générique pour désigner

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l’événement mais également une certaine vision de la « culture » des Hispaniques aux États- Unis.

Encadré 18: Entretien avec Sylvia C. Vieta Directrice de Promotion du « Carnaval Miami 8, Kiwanis club of Little